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VÉGÉTAUX / DIVERSITÉ-HYBRYDATION

 

Texte de la 436e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 15 juillet 2002
La diversité végétale

Par Jacques Mugnier

Parler de la diversité des plantes, c'est évoquer 250 000 espèces très diverses, depuis les plantes arborescentes, de taille parfois impressionnante, comme les grands séquoias, aux herbacées à fleurs minuscules, comme les fleurs de Lemna ou, au contraire, impressionnantes comme les fleurs de Rafflesia qui peuvent atteindre un kilo.
L'objectif de la taxonomie végétale est de rendre cette diversité intelligible par le moyen d'une classification. Celle- ci se fonde sur la phylogénie végétale, c'est-à-dire sur la reconstruction de l'histoire évolutive des plantes. Discipline récente (moins de 10 ans), la phylogénie moléculaire s'inscrit dans la continuité de la taxonomie des plantes - ou botanique -, qui représentent, quant à elles, l'aboutissement de plusieurs siècles de travaux.

L'exposé sera divisé en cinq parties.
La première partie, après un historique sur la botanique traditionnelle, présente quelques principes de la taxonomie.
La seconde partie aborde la taxonomie moléculaire et les apports de cette approche dans différents domaines : discussion sur les critères de classification, origine des plantes à fleur concernant les critères de classification classique, et l'origine des plantes à fleur par rapport aux travaux antérieurs.
La troisième partie a pour but d'expliquer certains mécanismes de l'évolution, essentiellement l'hybridation. La co-évolution plantes-insectes représente un autre mode de spéciation, qui sera également illustré.
Une quatrième partie montre les limites de la phylogénie moléculaire.
La dernière partie, à la lumière de ces connaissances nouvelles sur l'évolution des plantes, aborde le problème récent des risques des transgènes.
I. Histoire de la classification végétale
Pour comprendre les bases actuelles de la phylogénie moléculaire, une recherche historique sur la botanique est capitale. C'est le minimum exigible dans un exposé sur la diversité des plantes.
A. Historique de la taxonomie
La taxonomie des plantes - ou botanique- est apparue en Europe, entre le XVIe et le XVIIIe siècle. Les concepts et théories qui la fondent n'ont jamais été figés mais, au contraire, ont toujours évolué.
De manière arbitraire, j'ai choisi de démarrer cette histoire de la botanique par Linné. Il a proposé un système de classification, toujours en vigueur, où les plantes sont regroupées de manière hiérarchisée en ordre, divisées en familles, puis en genres et enfin en espèces. Linné a donné l'idée d'une unité de la classification. Très influent sur ces contemporains, il refusait l'idée d'Évolution, dont il a, par son influence, retardé la propagation dans la communauté scientifique.
L'École française est particulièrement brillante à la fin du XVIIe siècle, tout d'abord avec le botaniste Pierre Magnol (1638-1715). Il est le premier, avant Linné, à regrouper les espèces en famille. Ensuite vient le botaniste Michel Adanson (1727-1806), qui, un an avant Linné, propose une classification animale binomiale. Il est le créateur de la phénétique : ce mode de classification se fonde, non pas sur la comparaison d'un caractère, mais sur la comparaison de l'ensemble des caractères de la plante. A la lumière de l'histoire, on peut dire que, sans ses démêlés avec ses contemporains et la Révolution de 1789, Adanson serait probablement considéré comme le père de la botanique. Véritable dynastie, les Jussieu poursuivent la voie ouverte par Adanson. Diffusant les idées de son oncle Bernard, Antoine Laurent de Jussieu formule le Principe de subordination des caractères, selon lequel les caractères observés n'ont qu'une importance relative, qui doit être hiérarchisée.
En Suisse, les Candolle père et fils se distinguent au sein du jardin botanique de Genève et suivent les principes de Jussieu. Augustin Pyrame (1778-1841) est l'inventeur du terme « taxonomie ». Il a combattu la vision fixiste de Linné, en estimant que les espèces évoluaient.
En Angleterre, la botanique est représentée par Dalton Hooker (1817-1911), dans la continuité des Jussieu et de Candolle. Il utilise sa propre description des plantes qui reste, de nos jours, un outil précieux pour les taxonomistes.
Après que les idées de Darwin se furent imposées dans la communauté scientifique, la classification cherche à mettre en évidence relations évolutives, de parenté, entre les organismes : c'est la phylogénie. L'Allemand Adolf Engler propose la première classification phylogénique conséquente, entre 1887 et 1915. Son contemporain, Charles Bessey (1845-1915) est le premier botaniste américain. C'est un fervent partisan de Darwin.
On entre dans l'ère de la botanique moderne avec, entre autres, deux auteurs qui publient, indépendamment, en 1968 : l'Américain Arthur Cronquist et le Russe Armen Takthajan. En fait, leur classification s'avère extrêmement proche. Un botaniste danois Rolf M.T. Dahlgren (1932-1987) réalise une classification originale en comparant des critères physico-chimiques. Toutes ces classifications se fondent sur la comparaison de données plus sophistiquées et variées que précédemment.
Actuellement, le chercheur James Reveal est en train de rendre la botanique accessible sur internet. La taxonomie est remise au goût du jour en raison des possibilités offertes par l'étude de l'ADN.
B. Critères de classification
Après ce survol de l'histoire de la classification végétale, il paraît important de pointer les éléments de la construction de ces classifications.
Le principe de la taxonomie, c'est de placer dans un groupe, qu'on appelle un taxon, les espèces monophylétiques, c'est-à-dire toutes celles qui ont hérité d'un ancêtre commun un ensemble de caractères. Ce travail présente deux difficultés :
- tout d'abord, le choix, primordial, du caractère, qui doit permettre de comparer différentes espèces. En classification, on définit un « caractère » comme un trait héritable que possède un organisme. L'étape du choix du caractère est arbitraire : c'est aux botanistes de choisir les caractères qu'ils supposent liés à l'évolution des plantes. Par exemple, Linné fonde sa classification sur les étamines, Magnol sur le calice. Les études à cette époque étaient poussées au niveau de la description des pièces florales et des organes reproducteurs : les botanistes anciens ont souvent basé leur classification sur les caractères de la fleur et en particulier, le nombre de pétales et d'étamines. Adanson est le premier à affirmer la nécessité de comparer le plus grand nombre de caractères possibles et non les seules pièces florales.
- l'hypothèse sur le caractère ancestral ou dérivé des réalisations du caractère. Pour grouper les espèces dans un taxon, il faut les comparer à un ancêtre commun. Quand les données sur l'état ancestral d'une espèce manquent, les auteurs formulent des hypothèses de travail. Par exemple, Engler a bâti sa classification sur l'hypothèse que les fleurs simples sont primitives par rapport aux fleurs complexes, et que les monocotylédones sont primitives par rapport aux dicotylédones. Bessey a rejeté les idées d'Engler sur cette nature des fleurs primitives. Il suppose en revanche que les Magnolias sont les ancêtres primitifs des autres fleurs. Différents caractères étaient ainsi jugés, de façon arbitraire, archaïques, ou, au contraire, évolués.
Ces hypothèses de travail arbitraire ont été à l'origine d'erreurs dans la vision de l'histoire évolutive des plantes. La classification moléculaire a permis de discuter de la pertinence de ces caractères comme critères de classification, mais rencontre également des problèmes équivalents.
II. La botanique moléculaire
La botanique moléculaire est une science très récente puisqu'il faut attendre les années 1980 pour que différentes inventions favorisent l'engouement pour cette nouvelle discipline.
A. Les origines
Les phylogénies moléculaires sont fondées sur la comparaison de séquences d'ADN. Les nucléotides sont les caractères de la botanique moléculaire. Cela implique que le matériel génétique puisse être facilement caractérisé et comparé, ce qui a été rendu possible par trois innovations techniques :
- tout d'abord, la PCR ( polymerase chain reaction), méthode qui permet d'étudier l'ADN - connue à l'origine comme outil permettant de relever les empreintes génétiques. On peut aujourd'hui étudier l'ADN de manière assez facile en laboratoire. Cette technique a valu à son inventeur, Kary Mullis, le prix Nobel de chimie en 1993.
- le deuxième outil est le développement d'internet. Toutes les séquences d'ADN obtenues par les chercheurs font l'objet de travaux publiés où les techniques d'investigation et l'objet d'étude doivent être décrits précisément. Si la publication étudie une séquence, la séquence doit être disponible pour la communauté scientifique. Les séquences sont déposées sur un site internet, le site « Genbank », qui regroupe l'ensemble des séquences décrites, ainsi que les génomes complets. En ce qui concerne les plantes, le seul génome complet est celui d' Arabidopsis, plante modèle en biologie moléculaire végétale.
- enfin, il faut pouvoir comparer toutes ces séquences. Un chercheur américain de l'Université de Washington, Joe Felsenstein, a développé des méthodes mathématiques pour comparer ces séquences.
B. Les gènes étudiés
A partir de là, plusieurs équipes vont travailler sur différents gènes, à caractère universel, ce qui permet de les comparer chez toutes les plantes à fleur (ou Angiospermes).
Une première équipe du jardin botanique de Kew en Angleterre compare un gène chloroplastique D'autres équipes, notamment l'équipe de Soltis (Douglas et Pamela, de l'Université de Washington) travaillent à partir de l'ARN ribosomique. En deux mots, le ribosome est divisé en deux sous-unités, une petite sous-unité et une grande sous-unité. Il est en partie composé d'ARN, nommés ARN 26S et ARN 18S. Les séquences d'ADN codant pour ces ARN sont séparées par des « espaces », appelés les ITS ( internal transcribed spacers).
En 1998, le groupe de Mark Chase publie la première classification moléculaire des plantes à fleur, la classification APG (pour angiosperm phylogeny group). Ils sont suivis l'année suivante par les époux Soltis, qui obtiennent la même phylogénie. D'autres groupes, dont le mien, travaillent à partir des ITS et obtiennent, à peu près, la même classification que les deux autres équipes.
C'est très important d'obtenir les mêmes résultats, à partir de séquences différentes, d'autant plus que ces nouvelles classifications révèlent quelques surprises par rapport aux conceptions anciennes.
C. Les résultats de la taxonomie moléculaire
Il n'est pas question d'évoquer ici les 250 000 espèces végétales contenues dans cette classification. Nous allons juste aborder quelques exemples, qui remettent en cause les classifications antérieures et les hypothèses sur lesquelles elles se fondaient.
1. La remise en cause des critères des classifications traditionnelles
A l'embranchement des Ranunculales (ex : le coquelicot), se trouvent des familles comme les Buxacées et les Trochodendracées. La classification moléculaire contredit entre autre Takthajan, qui avait classé les Trochodendracées comme plantes très archaïques en raison du caractère primaire des vaisseaux conducteurs de sève.
Les Hamamélidacées, sont mises dans le même groupe que les pivoines. Or, les Hamamélidacées ont des fleurs très simples, contrairement aux pivoines, aux très nombreux pétales, les étamines s'étant transformés en pétales. Précédemment, les Vitacées (la vigne) étaient classées dans les Rhamnacées parce que leurs étamines alternent aux pétales. La phylogénie moléculaire montre que la vigne n'appartient pas aux Rhamnacées : c'était une erreur due à un processus de convergence évolutive.
Ainsi, ces exemples montrent que les caractères morphologiques, en particulier les étamines et les fleurs, ont souvent trompé les botanistes. Ces caractères se révèlent très variables, même entre espèces proches évolutivement.
2. Correspondance entre critères moléculaires et caractéristiques morphologiques
La question qu'on peut se poser, c'est de savoir si les taxons de la phylogénie moléculaire sont liés à des propriétés morphologiques ou physico- chimiques.
En 1998, l'équipe de Chasse met côte à côte deux familles : les Brassicacées (la famille de la moutarde), et les Caricacées (la papaye), dans l'ordre des Brassicales. Lors de la présentation de cette classification, il y a eu beaucoup de scepticisme : c'était impensable d'associer des familles aussi différentes. En revanche, le chercheur danois, Dahlgren, que j'ai évoqué précédemment, avait bien placé les papayes à côté de la moutarde car elles produisent toutes deux le même composé volatil, de l'essence de moutarde. Actuellement, les plantes classées dans les Brassicales produisent toutes cette essence de moutarde, et toutes n'étaient auparavant pas classées dans ce taxon.
Dans le groupe des Rosidées (la rose), la caractéristique commune est de posséder des ovules entourés de plusieurs couches de cellules - ou ovules crassinucellés. Dans le groupe adjacent, les Astéridées, au contraire, les assises de cellules s'amincissent au point de n'avoir presque qu'une couche de cellules autour de l'ovule. Ainsi, la taxonomie moléculaire a classé dans les Astéridées toutes les familles qui avaient des ovules tenuinucellés, et dans les Rosidées, toutes les familles à ovules crassinucellés (soit 149 familles). Deux grands ensembles monophylétiques sont ainsi définis par une caractéristique très sûre. De la même façon, l'ensemble des plantes à fleur partage la caractéristique de réaliser une double fécondation, c'est-à-dire la fécondation de l'Suf et la fécondation de l'endosperme.
La nouvelle classification APG, APG 2, en cours de publication, comporte une petite révolution : elle supprime la division des Angiospermes en monocotylédones et dicotylédones. Cette classification propose de diviser les plantes à fleur selon la nature du grain de pollen, ce qui distingue deux grands groupes : les Eudicotylédones et les Magnoliides. Chez les Eudicotylédonnes, le grain de pollen présente trois pores (pollen tri-apperturé) ; les Magnoliides sont mono-aperturées (le grain de pollen n'a qu'un pore). Ainsi, dans le groupe des Magnoliides sont classées les monocotylédones et d'anciennes dicotylédones. Les monocotylédones sont à présent considérées comme le groupe le plus récent dans l'évolution des angiospermes mono-aperturées.
3. La convergence évolutive
En fondant la classification sur des caractéristiques morphologiques, on peut se heurter à des problèmes de convergence évolutive. Il s'agit d'homoplasie c'est-à-dire qu'on compare des caractères qui ne descendent pas d'un ancêtre commun et sont apparus indépendamment, par des voies différentes.
Je vous en présente un seul exemple, parmi beaucoup d'autres connus. Les Nymphéacées sont actuellement considérées comme une des familles les plus primitives, située à la base des plantes à fleur : ce sont les nénuphars. Les botanistes traditionnels, même Cronquist , associaient le lotus au Nymphéacées. Vous avez une convergence formidable de la fleur qui a longtemps fait penser que ces familles étaient très proches. En réalité, la phylogénie moléculaire a révélé que les familles du lotus et du nénuphar sont très éloignées dans l'histoire évolutive. Si on examine les grains de pollen, ceux des Nymphéacées ont un pore ; ceux du lotus, trois pores. Le classement selon les apertures de grains de pollen est pertinent.
La Nature par des mécanismes encore méconnus a produit des formes qui se ressemblent beaucoup, mais n'ont absolument pas la même origine phylogénétique.
4. Classification moléculaire et classification traditionnelle
Comment se situent les botanistes traditionnelles par rapport à la nouvelle classification des plantes à fleur ?
Bessey, le véritable initiateur des systèmes de classification évolutifs, avait déjà vu l'origine des monocotylédones très proches du groupe des Magnolia. Bessey avait une vision de l'origine des plantes particulièrement efficace. Au contraire, le système de Cronquist est très déstabilisé par la phylogénie moléculaire, notamment parce qu'il avait accordé une importance excessive à la formation des étamines.
Dahlgren, en donnant une classification se fondant sur des critères physico- chimiques, a obtenu une vision proche de la vision moléculaire, à quelques doutes près, en raison du caractère trompeur de étamines chez certaines familles (famille du thé, famille du Camélia).
D. Les apports évolutifs
1. L'origine des plantes à fleurs
A la base des Angiospermes, vous avez la famille des Amboréllacées. Cette famille n'a qu'un seul représentant, un petit arbuste de Nouvelle Calédonie. Actuellement, cinq études indépendantes ont confirmé ce résultat : pour l'heure, la plante la plus ancienne connue serait Amborella de Nouvelle Calédonie.
2. Datation : l'hypothèse de l'horloge moléculaire
La phylogénie moléculaire offre la possibilité d'évaluer la date d'apparition des espèces. Cette estimation se fonde sur l'hypothèse de l' horloge moléculaire, selon laquelle l'ADN évolue régulièrement dans le temps. Ainsi, le nombre de différences moléculaires constatées entre les séquences de deux espèces est lié au temps qui les séparent depuis leur premier ancêtre commun. Cela reste une hypothèse à tester, qui peut être source d'erreurs.
Selon cette méthode, on a estimé qu' Amborella, la plus vieille Angiosperme connue serait apparue il y a 132 millions d'années. Les Nymphéacées seraient apparues il y a 130 millions d'années. Or, événement remarquable, on a découvert au Portugal des fossiles particulièrement bien conservés datés à 125-120 millions d'années. En 2002, de manière assez inattendue aussi, dans le New Jersey, un fossile qui ressemblait à des feuilles de Triuris (famille des Triuridacées) a été mis à jour. Il s'agit d'une plante saprophyte qui pousse sans chlorophylle et représente la plus ancienne dicotylédone connue. A côté des Triuris, on trouve une plante connue exclusivement au Japon, Japonelirion, également saprophyte, qui est estimée à 110 millions d'années.
L'apparition des Platanacées et des Nelumbonacées (le lotus) est située à 108 par l'horloge moléculaire et à 100 millions d'années par les fossiles. L'horloge moléculaire a minimisé l'ancienneté des Magnolias et des Pipéracées, qui seraient apparues il y a 90 millions d'années. Les Ranunculacées, les légumineuses et les composées (Rosidés, Astéridés, Renonculacées) seraient apparues il y a 30 millions d'années, à la fois par estimation selon le principe de l'horloge moléculaire et par les fossiles connus de ces groupes.
Actuellement, un engouement énorme pousse les chercheurs à intégrer les données de la paléobotanique et celles de la phylogénie moléculaire, afin de comparer la fiabilité des données de part et d'autre.
III. Les mécanismes de l'évolution et de la spéciation chez les plantes
A. Polyploïdie et hybridation
La diversification des végétaux repose une propriété qui leur est particulière : la possibilité d'être polyploïde [voir ploïdie]. Chez les animaux, la polyploïdie est létale. Chez les plantes, cette propriété crée des possibilités supplémentaires de spéciations, par l' hybridation entre espèces.
Des familles entières seraient issues de la polyploïdie (rosacées, oléacées, salicacées, etc). On considère même que 70 à 80 % des Angiospermes seraient issues de la polyploïdie. La polyploïdie permet l'hybridation c'est-à-dire le croisement d'espèces différentes. Certaines espèces ont une capacité d'hybridation considérable. Ainsi, les Dactyloriza, des orchidées de nos régions, s'hybrident si rapidement qu'il est difficile d'en définir les espèces.
L'exemple le plus connu d'hybridation artificielle, cité comme cas d'école, est la tentative de croisement réalisée par un scientifique russe, Karpenchenko. Son idée était de croiser le radis et le chou, pour obtenir un hybride avec des racines de radis et des feuilles de choux - et doublement comestible. En première génération (notée F1) de ce croisement, il a obtenu des hybrides stériles, diploïdes, à 2n=18 chromosomes. Ensuite, il a doublé le nombre de chromosomes et obtient des individus allotétraploïdes à 4n chromosomes. Ces hybrides, s'ils sont croisés avec l'un ou l'autre des parents, donnent des individus triploïdes, 3n stériles (comme la plupart des triploïdes). Ce mécanisme est responsable de la spéciation car les hybrides ne peuvent pas se recroiser avec leur parents, mais seulement entre eux. Ainsi, Karpenchenko a obtenu une nouvelle espèce, Raphanobrassica. Hélas ! Pas de chances : elle a les racines du chou et les feuilles du radis !
La plante la plus utilisée au niveau des modèles végétaux est Arabidospis thaliana, dont le génome est complètement séquencé. Elle est utilisée pour mettre au point les méthodologies moléculaires permettant d'étudier l'hybridation ou l'origine des espèces. Jusqu'à présent, la seule façon d'apporter la preuve d'une hybridation était de croiser les parents supposés de l'hybride. On pouvait observer des morphologies « intermédiaires » chez les descendants obtenus en laboratoire et les comparer à l'hybride supposé. Cependant, c'était très long et aléatoire.
Des techniques moléculaires sont actuellement développées et mises en oeuvre dans cette perspective. Elles consistent :
1) Premièrement, à marquer par sonde des séquences d'ADN. Une sonde permet de déterminer si une séquence d'ADN est présente chez un individu. Les sondes des parents vont pouvoir être détectée - ou non - chez l'hybride, où les deux lots de chromosomes sont mélangés.
2) Les techniques RAPD permettent d'identifier les allèles hérités d'un parent ou de l'autre.
3) La visualisation de l'ADN chimériques, des séquences où les nucléotides proviennent d'un mélange des nucléotides des parents.
Ces techniques ont permis de déterminer quelles sont les espèces « parents » de plantes supposées hybrides. Une étude a porté sur les Tragopogons, une espèce de salsifis. Certaines espèces de salsifis ont été introduites aux Etats-Unis, autour de 1900, en provenance d'Europe. Deux espèces notamment, T. dubius et T. pratensis se sont répandues dans tous les Etats-Unis. Environ 50 ans après, des espèces hybrides, tétraploïdes, sont apparues. Leur ITS de ces espèces sont chimériques provenant en partie de T. dubius, une autre partie de T. pratensis : cela prouve qu'il s'agit d'hybrides. Ces hybrides présentent des propriétés physiologiques modifiées par rapport aux parents, qui leur confèrent la capacité de s'installer dans des zones rudérales. Elles ont ainsi prospéré. Il n'y a pas eu de spéciation géographique : ces hybrides coexistent dans la même zone que leur parents. Ce type de spéciation est dite « sympatrique ».
Les Encelia illustrent le phénomène inverse. Deux espèces existent : E. actoni et E. frutescens. Une nouvelle espèce à morphologie intermédiaire est apparue, supposée hybride, ce qui est prouvé par ses ITS, chimériques. Ces espèces vivent dans des zones géographiques différentes. E. actonis vit dans les zones montagneuses à l'est de la Californie, dans des aires tempérées, tandis que E. frutescens s'établit dans des zones désertiques du Nevada, où il fait très chaud. L'hybride aime les températures intermédiaires, ni trop chaud, ni trop froid : il s'établit dans l'Utah. Ainsi, il s'est développé dans une aire voisine de l'aire de répartitions de ses parents : il s'agit d'une spéciation « parapatrique ».
B. La co-évolution
L'hybridation et la polyploïdie n'ont pas été les seuls mécanismes, ou forces, de l'évolution. Un élément de l'évolution des plantes à fleur est l'interaction avec les insectes.
Je développerai l'exemple du figuier pour illustrer ce phénomène. Le figuier est un genre qui regroupe de très nombreuses espèces. Les figues ne peuvent être pollinisées que par un seul insecte, une petite guêpe : un blastophage. Une espèce de blastophage ne peut polliniser qu'une seule espèce de figue et réciproquement, une espèce de figue ne nourrit qu'une espèce de blastophage. On compte ainsi autant d'espèces de figuiers que d'espèces de blastophages.
La phylogénie basée sur des ITS et celle fondée sur les critères morphologiques ne coïncident absolument pas. Pourtant, chez les figuiers, il n'y a aucun phénomène d'hybridation connue, c'est une plante diploïde à 2n=20 chromosomes. On n'arrive pas à expliquer les différences entre les deux classifications par les artéfacts classiques en génétique.
En revanche, la classification moléculaire des insectes correspond parfaitement à la classification moléculaire de figuiers. En fait, les blastophages ont joué le rôle de taxonomistes : ils ont sélectionné des caractères. Il y a eu une co-évolution étroite entre insectes pollinisateurs et les figuiers.
Cet exemple pourrait être multiplié par des milliers. Je n'en mentionne qu'un, mais c'est un facteur extrêmement important dans l'évolution des plantes à fleur.
III. Les limites des phylogénies moléculaires
A. L'exemple du coton
Le coton offre un exemple intéressant de contradictions entre phylogénies. Cette plante a plusieurs origines : africaine, américaine, et australienne. Quand on établit la phylogénie des espèces sauvages, en considérant deux gènes différents (gène chloroplastique, ITS), les résultats sont complètement contradictoires.
A partir des ITS, toutes les espèces australiennes sont monophylétiques, c'est-à-dire se trouvent dans la même branche. De même, tous les cotons africains appartiennent à une même branche, ainsi que les cotons sauvages du nouveau monde. En revanche, avec l'étude des gènes chloroplastiques, on n'arrive pas à différencier les cotons sauvages américains des cotons sauvages africains. Pourtant, il est clair que depuis la formation de l'océan atlantique, antérieure à l'apparition du coton, la spéciation a différencié les cotons sauvages de chacun des continents.
Ainsi, les ITS donnent une bonne image de l'évolution de l'espèce. En revanche, les gènes chloroplastiques se sont dupliqués sans évoluer, indépendamment du reste du génome (on parle de gènes égoïstes). Ce qu'il faut retenir, c'est que des gènes ont évolué, ont suivi l'histoire de l'espèce - les ITS - tandis que d'autres gènes - les gènes du chloroplaste- n'ont quasi pas évolué, et ne font pas apparaître les divergences entre les espèces des différents continents.
On est confronté à la limite de la méthode. En utilisant des gènes différents, on peut obtenir des phylogénies très différentes. Cette étude a été le point de départ de nombreuses recherches pour comprendre ces contradictions entre les phylogénies fondées sur différents gènes.
B. Comment expliquer ce problème de contradiction entre phylogénies ?
L'évolution concertée
Les erreurs résultent de l'utilisation de familles multi-géniques pour construire les classifications. Par exemple, le gène de l'ARN ribosomique est constitué de deux sous unités. Pour chacune, le gène est répété 100-200 fois dans le génome. Ces unités répétées sont très homogènes : toutes les petites sous unités (18S) sont semblables ; toutes les grandes sous-unités (28S) sont identiques entre elles. Un phénomène d'évolution concertée agit comme système de régulation et permet cette homogénéité des séquences. Si une mutation apparaît au niveau des ITS, au cours de l'évolution, cette mutation est réparée, de telle sorte que les ITS deviennent homogènes au sein de l'espèce.
De la même façon, quand une espèce apparaît par hybridation, les séquences provenant des parents s'homogénéisent avec le temps au sein de la nouvelle espèce, de telle sorte que le polymorphisme dû aux deux origines de gènes disparaît. Pourtant, on a vu précédemment qu'il est possible de distinguer les ITS provenant de deux parents - les séquences restent « chimériques ». Cela n'est possible que lorsque l'hybridation est très récente : l'homogénéisation des ITS par évolution concertée n'a pas eu le temps de se produire et le polymorphisme « parental » est conservé à l'intérieur d'individus de même espèce.
En pratique, pour certaines espèces ayant divergé il y a très longtemps, ce polymorphisme se rencontre encore. Pourquoi ?
Les conditions de l'évolution concertée
En biologie végétale, un des modèles les plus utilisés est la pivoine. La reine des fleurs, « la reine des herbes » dans la Grèce Antique est devenue la reine des cytologistes. Elle offre l'avantage de posséder un petit nombre de chromosomes de grosse taille. Par la méthode de fluorescence in situ, la fameuse méthode FISH, on peut notamment localiser les gènes sur ces chromosomes.
Les pivoines seraient apparues dans le bassin méditerranéen, il y a près de 20 millions d'années. L'évolution concertée a Suvré - leurs ITS sont parfaitement homogènes. En l'étudiant, on s'est aperçu que les gènes utilisés pour construire les phylogénies se situent souvent près des centromères. C'est une zone particulière au niveau des chromosomes. Cette position des gènes favoriserait l'homogénéisation des séquences. Il semblerait que la proximité des centromères est responsable d'une bonne homogénéisation des ITS, qui, par conséquent, permettent une bonne différentiation entre espèces.
Cependant, quand on compare Arabidopsis à des Brassica, bien que leur divergence remonte à plus de 20 millions d'années, il existe encore un très fort polymorphisme. Apparemment, le temps n'est pas suffisant pour homogénéiser les familles multigéniques par évolution concertée dans ce cas. Pour résoudre cette contradiction, les auteurs ont regardé la position des gènes ribosomiques chez les Brassica. Ils se situent très loin des centromères, ce qui peut expliquer le polymorphisme des ITS.

Pour éviter les erreurs dues au choix du gène, la règle de base pour la construction d'une phylogénie moléculaire, les études d'hybridation ou d'évolution, est d'étudier plusieurs séquences d'ADN. Cette règle va sans doute devenir obligatoire pour que les résultats d'une étude soient acceptés.

IV. Les risques de transgénèse

Je vais terminer cet exposé en vous présentant des exemples de risques de transgénèse. L'utilisation d'outils moléculaires a révélé que la spéciation par hybridation est un phénomène courant et parfois extrêmement rapide.
Le maïs fournit la base alimentaire d'une grande partie de l'humanité. Il a été domestiqué à partir d'une plante, la téosinthe, qui n'est pas très appétissante et produit peu de graines. L'ensemble des espèces de maïs, sauvages, cultivées, téosinthes, est tenu en collection au Mexique, une collection fantastique, unique au Monde. Cette collection a été contaminée par le transgène Bt, cultivé illégalement au Mexique. Ce transgène confère au maïs Bt la résistance à la pyrale grâce à l'introduction des gènes de résistance de la bactérie Bacillus thurigiensis. La publication (dans la revue Nature) qui décrivait cette contamination a soulevé une polémique, avec contestation des résultats. Il reste possible que cette introgression du Bt dans les collections ne soit pas stable et disparaisse... mais cela reste à prouver.
Le blé cause encore davantage de problème. Son ancêtre est probablement un Aegilops primitif, qu'on peut qualifier de « mauvaise herbe ». Parmi les espèces proches du blé, se trouvent l' Aegilops cylindrica et Hordeum maritimum, deux mauvaises herbes européennes. Toutes deux peuvent se croiser avec le blé - cela a été démontré. Il est donc interdit de cultiver des blés transgéniques en Europe. En revanche, ces blés transgéniques sont déjà cultivés en Amérique du Nord. Il y aura probablement de problème d'introgression de gènes chez des mauvaises herbes, tels qu' Aegilops ou Hordeum. On ne peut nier ce risque, il existe bel et bien.
Il est inutile de parler du cas des crucifères ( Brassica) - colza, moutarde... - qui peuvent s'hybrider avec n'importe quelle autre crucifère, même de genre différent. Chez les colzas, les éléments transgéniques passeraient très rapidement dans les espèces sauvages.

Conclusion
Lors de cette conférence, j'ai abordé de manière rapide les connaissances issues de la nouvelle classification des plantes à fleur. Les opportunités de recherches sur les questions d'hybridation sont nombreuses. Les exemples présentés datent de 2002 : c'est réellement un domaine scientifique très jeune et porteur.
Les hypothèses sur l'horloge moléculaire demandent encore confirmation. Cependant, on commence à posséder de bonnes bases puisque les estimations par techniques moléculaires concordent avec les données paléontologiques.
Je vous ai également mis en garde sur ces techniques, très puissantes. Actuellement, dans mon laboratoire, on peut produire des centaines de séquences d'ITS par jour. La capacité de production de données en laboratoire est devenue impressionnante. Cette information surabondante, est accessible à tous les chercheurs. Cela signifie qu'en cas de conflit entre taxonomistes, ils peuvent utiliser des éléments expérimentaux communs, accessibles gratuitement sur internet.
Même si l'information se multiplie, la compréhension des génomes reste parcellaire. Les gènes ne forment pas un ensemble homogène. Au contraire, le génome est une mosaïque complexe de gènes ayant des vitesses d'évolution différentes, avec des phénomènes de convergence, des comportements « égoïstes » de gènes, etc. On peut générer des résultats artefactuels si on se limite à des études peu approfondies.
Enfin, j'ai mentionné très rapidement les risques des transgènes. Il faut manipuler ces éléments avec d'infinies précautions pour ne pas polluer, à travers les phénomènes d'hybridation, les espèces proches. Ces modifications peuvent se passer très rapidement et modifier profondément les propriétés des plantes sauvages, à une échelle de temps humaine.




Glossaire




Espèce : ensemble des individus capables par reproduction de donner des descendants non stériles.

Étamine : appareil reproducteur mâle, où se forment les grains de pollen

Evolution concertée : tendance de différents gènes d'une famille de gène à évoluer de conserve, c'est-à-dire que chaque locus de la famille a tendance à présenter le même variant, la même séquence génétique.
Famille de gènes : un ensemble de gènes liés qui occupent différents endroits (ou locus) dans l'ADN, la plupart sont issus de la duplication d'un gène ancêtre et présentant la même séquence. Les membres d'une famille de gène peuvent être très proches fonctionnellement, ou, au contraire, très différents.

Phylogénie : science qui décrit les relations évolutives entre organismes

Ploïdie :
Chaque espèce a un nombre n donné de chromosomes. La plupart des organismes sont diploïdes, ce qui est noté 2n: chaque chromosome est présent en deux exemplaires. Un lot de n chromosomes est apporté par le père, l'autre par la mère - les cellules reproductrices (ou gamètes) mâles et femelles sont haploïdes, contenant n chromosomes. On estime que le tiers des plantes à fleurs contiennent plus de deux lots de chromosomes : on dit qu'elles sont polyploïdes.
Une cellule diploïde peut connaître un doublement du nombre de ses chromosomes: il en résulte une cellule tétraploïde, à 4n chromosomes. Ce phénomène a peu de probabilité de se réaliser spontanément, mais par utilisation de produits chimiques, on peut ainsi obtenir de tétraploïdes à haute fréquence en laboratoire. Un autre processus de doublement est quant à lui fréquent : l'union de gamètes restés diploïdes 2n - des gamètes non réduits. Les tétraploïdes peuvent être :
- autotétraploïdes : les lots de chromosomes sont homologues, i.e. chaque lot de n chromosomes sont identiques. Cela se produit par doublement du nombre de chromosomes d'une cellule diploïde, ou par union de gamètes diploïdes de même espèce.
- allotétraploïdes : des lots de chromosomes non homologues sont mis en présence. Cela peut se produire par union de gamètes 2n provenant d'espèces diploïdes différentes. Ces allotétraploïdes se comportent comme une nouvelle espèce.

Taxonomie : science qui nomme et classe les organismes

Saprophytes : organisme hétérotrophe vivant sur de la matière organique non vivante

Gène : unité d'information héréditaire, composée d'une séquence d'ADN. Un gène comprend l'ensemble des séquences impliquées dans la production d'une protéine c'est-à-dire les séquences codantes (qui codent a proprement parlé pour la protéine) et les séquences régulatrices (qui permettent de moduler l'expression du gène).

 

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CLONAGE REPRODUCTIF

 

Texte de la 28ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 28 janvier 2000 par Jean-Paul Renard
Le Clonage
La naissance du mouton Dolly "a fait la une" dans les médias du monde entier. Chez cette brebis, le noyau qui contient son patrimoine génétique a été prélevé de la glande mammaire d'une de ses congénères. Il a ensuite été transplanté dans un ovule prélevé sur une autre brebis, ovule dont on avait préalablement retiré le matériel génétique, c'est à dire les chromosomes maternels. Preuve était faite que même les mammifères peuvent se reproduire par une autre voie que la voie sexuée ! D'où la grande inquiétude : serait-il possible de faire chez l'homme ce que l'on a fait chez l'animal ?
Qu'est-ce qu'un clone ?
Un clone est un ensemble d'organismes génétiquement identiques.. Il est possible de cloner des molécules, des cellules ou des êtres vivants, qu'il s'agisse de micro-organismes, de végétaux ou d'animaux. Le clonage est un mode de reproduction naturel chez de nombreuses espèces. Ainsi, les bactéries peuvent se reproduire par scissiparité, les plantes par bouturage ou marcottage, et de nombreux invertébrés (abeille, puceron, daphnies) par parthénogenèse.
Dans tous les cas et contrairement à une idée répandue, le clone au sens de copie conforme n'existe pas en biologie : car même s’ils sont génétiquement identiques, deux organismes vivants manifesteront très vite des différences dues au fait que l’environnement vient moduler l’action des gènes.
Telle était la définition du clone avant l’annonce de la naissance du mouton Dolly. Depuis, la publicité que lui a consacré la revue scientifique “ Nature ” a fait évoluer l’usage de ce mot: il sert maintenant le plus souvent à désigner un animal, fut il unique, obtenu à partir du noyau d’une cellule non reproductrice, c’est à dire d’une cellule somatique, prélevée sur un animal adulte. Dolly était unique puisque l’animal sur le quel avait été prise la cellule donneuse de noyau, cellule qui avait été cultivée puis conservée à l’état congelé, était mort bien avant la naissance du fameux mouton. Mais Dolly fut appelée “ clone ”. Depuis, d’autres mammifères clonés ont vu le jour, notamment des veaux et plus récemment des souris, quelques chèvres et quelques porcs. Depuis deux ans, nous avons produit quelques souris et une douzaine de veaux clonés de la race Holstein au laboratoire de l’INRA de Jouy-en-Josas. Certains de ces veaux sont issus de noyaux provenant du même animal donneur et sont donc bien génétiquement identiques. Pourtant la répartition des taches noires et blanches de leur pelage diffère d’un individu à l’autre ; placés au milieu d’autres veaux non clonés, on a quelques difficultés à les reconnaître ; si on les observe plus attentivement , on constate par exemple que leur comportement alimentaire est en certains points très semblable, mais en d’autres très différents.. On est loin de la vision simpliste du clonage comme ” photocopieuse ”.

Les voies du clonage
Trois techniques très différentes permettent d'obtenir des animaux génétiquement identiques : la dissociation, la section ou le transfert de noyaux.
La dissociation consiste à prendre les cellules d'un tout jeune "embryon". Le mot embryon est utilisé ici comme un nom générique désignant les premiers stades du développement depuis le stade “ une cellule ”, c’est à dire celui de l'œuf fécondé, jusqu’au stade blastocyste à partir duquel se réalise l’implantation dans l’utérus de la mère. Au delà commence le développement du fœtus, même si souvent on réserve l’usage de ce mot à la période plus tardive à partir de laquelle apparaît une forme organisée (avec une partie antérieure et une partie postérieure) qui prendra ensuite un aspect caractéristique de l’espèce concernée. Pour obtenir un clone par dissociation, il faut partir des cellules issues soit de la première (deux cellules), de la deuxième (quatre cellules), ou, tout au plus, de la troisième (huit cellules) division de l’œuf. En les replacant soit seules, soit par groupe de deux dans la petite coque de glycoprotéines qui entoure l’œuf, la zone pellucide, on obtient autant d’embryons qui peuvent ensuite, chacun ou par groupe de deux, être transplantés dans une femelle porteuse. Le singe “ Tétra ”, né récemment dans un laboratoire de l’Oregon aux USA, a été obtenu de cette façon. Une équipe canadienne de l’Université de Guelph a pu, il y a quelques années, produire 4 veaux à partir des huit cellules d’un embryon ce qui constitue un record. 
La scission d'un embryon se fait à un stade un peu plus tardif au stade blastocyste (ou blastula). A ce stade, les cellules de l’embryon viennent juste de commencer à se différencier en deux types bien distincts, celles qui ne donneront que le placenta, et celles qui donneront le fœtus et une partie du placenta. La zone pellucide commence à se fendre ce qui permettra au blastocyste de s’implanter. Si on coupe en deux parties ce blastocyste, en prenant soin de répartir à peu près également les deux types cellulaires facilement reconnaissables, on peut obtenir des jumeaux. C'est d’ailleurs ce qui se produit naturellement, mais très occasionnellement quand, au moment de s’échapper de la zone pellucide, l’embryon se trouve momentanément géné par une ouverture qui se révèle être de façon fortuite trop étroite. Telle est l’origine, chez l’homme, des jumeaux vrais, c’est à dire issus du même œuf. Et ce n’est pas injure leur faire que de dire que biologiquement parlant, les vrais jumeaux sont bien des clones ! Il y a quelques années, nous nous étions appuyé sur ces observations pour produire des jumeaux bovins par scission de blastocyste ; la technique s’est avérée très efficace puisque la moitié des vaches gestantes après transfert des deux demi embryons avaient donné naissance à des jumeaux ! Mais couper un blastocyste en quatre révéla vite son défaut, les quatre lots de cellules étant alors trop petits pour pouvoir chacun reformer un blastocyste capable ensuite de pouruivre son développement. 
Le transfert de noyau consiste à placer au contact d'un ovule énucléé (sans chromosomes maternels) une cellule provenant d'un tissu déjà différencié, qui contient donc les deux stocks de chromosomes parentaux. En pratique on utilise des ovules provenant de femelles différentes dont on ne garde que le cytoplasme; ainsi, dans le cas de la vache, ces ovules peuvent être ponctionnées directement dans les follicules d’ovaires récupérés dans des abattoirs, ce qui permet de disposer très rapidement de plusieurs dizaines de cytoplasme receveurs pour les noyaux. On a recours à différents procédés pour s’assurer que le noyau de la cellule donneuse rentre dans l'ovule receveur. Une des étapes de cette opération minutieuse consiste à fusionner la membrane de la cellule donneuse de noyau avec celle de l’ovule. Pour cela on se sert d’une courte impulsion électrique qui ne dure que quelques microsecondes mais qui suffit pour déstabiliser très transitoirement les membranes et permettre à la fois leur fusion et l’activation de l’œuf, c’est à dire la mise en route de modifications chimiques qui conduiront à la réalisation de la première division. Le développement de "l'œuf reconstitué" peut alors commencer. Transplanté dans une mère porteuse, le veau obtenu sera génétiquement identique à la vache donneuse de noyau, qu'il s'agisse d’une cellule de glande mammaire, comme cela a été le cas pour Dolly en février 1997, ou de celui d’un muscle comme pour la vache Marguerite née à l’INRA en février 1998. Le rôle du cytoplasme de l’ovule mérite ici d’être souligné car c’est lui qui va réorganiser le noyau pour lui faire retrouver un état embryonnaire. Cet étonnant pouvoir est encore loin d’être compris : on sait seulement que l’ovule est une cellule tout à fait particulière qui contient plusieurs millions de molécules fabriquées au cours de l’ovogénèse, c’est à dire pendant cette longue période qui commence dés la vie fœtale de la femelle après que se soit différenciée la gonade. Ces molécules sont indispensables au contrôle des premières divisions de l’œuf car le noyau est à ce moment là incapable par lui-même de toute activité de synthèse. Il ne deviendra véritablement actif que progressivement et après que le cytoplasme de l’ovule l’ait profondément réorganisé. Ces premiers échanges entre le noyau et le cytoplasme sont déterminants pour la suite du développement. On commence à réaliser qu’ils peuvent affecter le fonctionnement de gènes qui ne s ‘expriment que plus tard au cours de l’embryogénèse et l’on soupçonne même que ces effets peuvent se faire sentir après la naissance ! En outre le cytoplasme de l’ovule est riche en ces organites cellulaires que sont les mitochondries qui jouent un rôle essentiel dans le contrôle du métabolisme cellulaire. Les mitochondries possèdent leur ADN propre qui ne sera utilisé qu’après plusieurs divisions, un peu avant le stade blastocyste,et en interaction avec l’ADN du noyau. Il faut donc qu’un “ dialogue ” constructif puisse s’établir rapidement entre le cytoplasme de l’ovule et le noyau donneur alors même que celui ci a en quelque sorte leurré le cytoplasme programmé chez les mammifères pour accueillir un spermatozoïde. Comprendre comment le noyau se trouve ainsi être dé-différencié en un noyau embryonnaire est la question fondamentale de biologie que pose le clonage
Technique, science :technoscience et clonage 
Quelque soit l’espèce considérée, le rendement de la technique de transfert de noyaux est faible : un à trois pourcents seulement des embryons reconstitués se développement à terme alors qu’après fécondation in vitro, ce taux est d’environ 50%. Il est vrai que nous n'avons que très peu de recul, à peine trois ans, mais ce faible rendement est aussi un fait chez la grenouille où pendant de nombreuses années des chercheurs tentèrent, sans succès, d’obtenir un animal adulte (au delà du stade larvaire) à partir du noyau d’une cellule somatique elle même prélevée sur un autre adulte. Les données qui commencent à être publiées suggèrent que l’efficacité diminue quand le noyau provenant du même type cellulaire (par exemple un fibroblaste) est prélevé sur un animal adulte par rapport à un fœtus sans que l’on puisse dire pour l’instant si cette différence est due au fait qu’une plus grande partie des noyaux donneurs est porteuse d’anomalies génétiques après prélèvement chez l’adulte ou si il s’agit d’une moins grande aptitude à subir les remaniements imposés par le cytoplasme de l’ovule. Si on utilise des noyaux de cellules embryonnaires (prélevés juste avant l’implantation) l’efficacité est plus élevée et on peut obtenir (chez le bovin) en moyenne 10 veaux pour cent embryons reconstitués. Par contre l’âge de l’animal adulte semble peu affecter les résultats. Une autre observation est que dans tous les cas, et contrairement à ce qui se produit aussi bien dans les conditions de reproduction naturellles qu’après insémination artificielle ou fécondation in vitro, le taux d’avortements tardifs est élevé, un peu comme si le filtre que constitue l’implantation fonctionnait moins bien pour les embryons clonés. Les causes sont apparemment multiples et comme nous le verrons plus loin, pas seulement génétiques. 
A ce jour, environ cent cinquante veaux clonés sont nés dans le monde, une quarantaine de moutons, moins de vingt chèvres, quelques porcs.. C’est peu au regard des cinq milliards de veaux nés par insémination artificielle depuis 1950, des deux millions nés après transfert d'embryons depuis 1975 ou des cent mille issus de fécondation in vitro depuis 1988 ! Curieusement, les premiers clones de souris n’ont été obtenus que près de deux ans après la naissance du mouton Dolly, et ceci malgré les nombreux efforts réalisés pendant près de vingt ans par plusieurs équipes. Ces échecs avaient fait considérer le clonage comme “ biologiquement impossible ” chez les mammifères ! Aujourd’hui, les succès avec cette espèce sont encore peu nombreux. Mais la situation pourraient changer: en jouant à la fois sur les conditions techniques de reconstitution de l’embryon et sur la composition du milieu de culture avant transfert dans une femelle receveuse nous venons de montrer que l’on pouvait obtenir un taux d’implantation élevé, et que c’était surtout la mortalité fœtale tardive qui était responsable du faible rendement. Les quelques souris obtenues sont par contre physiologiquement normales et peuvent se reproduire normalement. 
Les clones commencent donc à naître régulièrement dans les laboratoires et ils forcent au constat suivant : un clone est un animal dont la généalogie brouille très vite les repères auxquels nous sommes habitués. Avec le clonage, un animal donneur de noyau peut avoir plusieurs clones d’âge différents dont peuvent être dérivés des clones de clones si l’opération de transfert de noyaux est répétée à partir de cellules prélevées sur un animal lui même issus de clonage. Un clone femelle peut avoir cinq mères : la “ mêre ” donneuse de noyau ; celle qui a donné le cytoplasme receveur ; la mère porteuse ; la mère qui l’allaite (nous avons fréquemment recours à cette mêre car les mêres porteuses que nous utilisons sont des vaches de la race charolaises moins bonne laitières que celles de la race Holstein) ; et… la mêre génétique, c’est à dire celle qui a donné naissance à la mêre donneuse de noyau en lui transmettant ses gènes ; il a dans tous les cas un pére, le père génétique, indispensable chez le mammifères où la parthénogénèse (c’est à dire le développement à terme d’un ovule activé sans fécondation), n’est pas possible. Si ce clone est un mâle, il a un deuxième père, le donneur du noyau et jusqu’à quatre mères. Quand aux clones de clones, leur grand-mère donneuse de noyaux est aussi leur soeur génétique (même père et même mère) et les autres membres du premier lot de clones sont à la fois leurs tantes (ou oncles) et leurs sœurs (ou frères). Nous venons, à des fins expérimentales de constituer une telle tribu de 10 vaches à l’INRA : définir un système d’identification pour ces animaux n’est pas une mince affaire ! 
Génèse, épigénèse : le clonage, un outil pour la recherche fondamentale
Le clonage est d’abord un nouvel outil pour l’une des grands thématiques de la recherche fondamentale : celle de la différenciation cellulaire. Au fur et à mesure que les tissus se forment, les cellules se spécialisent dans différentes fonctions ; dans de très nombreux tissus, on trouve des cellules qui en se divisant sont capables de donner à la fois une cellule identique à elle-mêmes et une autre cellule différenciées : ces cellules multipotentes sont aussi appelées cellules souches. La transformation d'une cellule souche en une cellule différenciée obéit à un mécanisme contrôlé qu'il convient de comprendre. En effet, le dérèglement de cette division reproduit ce qui se passe quand des cellules se mettent à proliférer de façon anarchique et à devenir cancéreuses. Comprendre avec le transfert de noyaux comment une cellule peut en quelque sorte revenir en arrière en modifiant le programme de développement qui l’avait faite passer de l’état d’œuf à celui de cellule différenciée devrait nous conduire à mieux cerner les conditions qui engagent une cellule à devenir tumorale. Avec le transfert de noyaux, la cellule fusionnée avec le cytoplasme de l’ovule retrouve un état totipotent, c’est à dire un état qui lui permet, à elle toute seule, de redonner toutes les cellules de l’organisme. Cet état redonne une vigueur nouvelle aux cellules. C’est ce que montre l’expérience suivante réalisée récemment chez la vache. Elle consiste, dans un premier temps, à mettre en culture des cellules prélevées sur un animal, par exemple des fibroblastes qui se divisent un certain nombre de fois, environ 30 à 50 , avant de rentrer dans un état de sénéscence ; dans un deuxième temps, on produit par clonage un fœtus à partir du noyau de ces cellules et on met à nouveau des fibroblastes en culture : on constate que ceux ci peuvent alors à nouveau se diviser autant de fois que lors de la première culture; et peut être même plus ! 
Cette jouvence cellulaire observée en culture a éveillé le fantasme d’immortalité qu’évoque le clonage alors que quelques mois auparavant, mais en sens opposé, on affirmait que Dolly vieillissait plus vite que son âge parce que certaines régions de ses chromosomes, les extrémités ou télomères (qui jouent un rôle clé pour maintenir normal le nombre de chromosomes à chaque division), étaient plus semblables à celles de l’animal donneur de noyaux agé de six ans qu’à celle d’un animal de deux ans ! Dans les deux cas, c’est extrapoler rapidement de la cellule en culture à l’animal vivant, en oubliant d’intégrer toute la complexité des régulations qui permettent à un organisme complexe d’exister : on a sans doute plus l’âge de ses artères que celui de ses télomères, et Dolly et les autres clones ont bien l’âge physiologique qui correspond à leur naissance! Seuls quelques type cellulaires ont à ce jour été utilisés comme source de noyaux. Et aucun d’entre eux ne correspondaient à des cellules ayant atteint un stade de différenciation terminal in vivo. L’étude des remaniements du noyau de ces cellules après clonage serait pourtant très précieux pour comprendre comment l’environnement cellulaire peut dicter à une cellule les conditions qui aboutissent à son engagement dans une fonction spécialisée, comme c’est le cas par exemple pour les cellules neuronales ou bien les kératinocytes qui forment la surface de notre peau. 
Le clonage permet aussi d’aborder de nouvelles questions fondamentales. C’est le cas par exemple pour celle qui concerne le rôle important et jusqu’à une date récente ignoré, de l’environnement de l’embryon sur le développement fœtal et celui du jeune après la naissance. L'environnement est pris ici dans un sens très large puisqu'il peut s'agir de l'environnement du noyau avec le cytoplasme de l'ovule, de l'environnement de l'embryon cloné avec son milieu de culture ou celui que constitue l'environnement utérin au cours de la vie fœtale. Le clonage révèle que cette épigénèse, c’est à dire l'ensemble des mécanismes qui se surimposent à ceux déterminés par l'ADN et qui influencent un caractère, est de fait à l’oeuvre dès les premiers stades du développement. L’effet à long terme de l’environnement sur l’activité du noyau s’est manifestée de façon spectaculaire avec deux de nos clones bovins, dont l’un était la vache Marguerite, née tout à fait normalement après clonage somatique. Deux mois après leur naissance, soit au moment du sevrage, ces animaux n’ont pu activer leur système immunitaire et sont morts en quelques jours d’une infection généralisée avec gangrène fulgurante ; l’autopsie révélera que toutes les fonctions s’étaient développées normalement à l’exception de la fonction immunitaire, le thymus n’étant pas devenu mature. Aucune anomalie génétique ne put être décelée sur les tissus, et nous pûmes conclure que ce déréglement physiologique trouvait son origine dans le transfert de noyau qui n’avait pourtant pas empéché la mise en place des autres fonctions de l’organisme. D’autres manifestations tardives du clonage commencent maintenant à être documentées : les clones issus de cellules somatiques différenciées sont, à la naissance, en moyenne plus lourds que les veaux nés après insémination artificielle (6 kg en moyenne), et 20 à 30 % d’entre eux ont un surpoids de 10 à 25 kg avec des manifestations de type diabétique et des anomalies cardio-vasculaires. Ces dysfonctionnements semblent résulter du fait que, par rapport aux fœtus normaux, les fœtus clonés ont une croissance qui semble se synchroniser plus difficilement avec les variations d’apports nutritifs du milieu utérin. Ces désynchronisations sont aussi observées après reproduction normale, mais avec un fréquence faible, quand l’alimentation de la mère est mal adaptée aux besoins du fœtus. Les clones bovins se révèlent être des bons modèles pour mieux comprendre l’origine fœtale (et non seulement génétique) de physiopathologies prévalentes dans notre propre espèce
Parce qu’il procède à la fois d’une dissociation entre noyau et cytoplasme et d’une multiplication d’organismes génétiquement identiques, le clonage rend aussi possible l’étude du rôle spécifique des gènes nucléaires dans la genèse et la réalisation de caractères complexes comme la résistance à des maladies, le comportement ou le vieillissement. . Disposer de plusieurs animaux génétiquement identiques permet donc de mieux distinguer dans les caractères d'un animal ce qui est dû à ses gènes de ce qui est dû à l'environnement; en d'autres termes, quelle est la part de l'inné et celle de l'acquis. Le clonage devrait aussi permettre de définir l’importance de l’héritage mitochondrial maternel et de connaître les fonctions qu’exerce le cytoplasme de l’ovule au cours du développement. Plusieurs expériences montrent clairement que la fusion entre une cellule somatique d’une espèce et le cytoplasme d’un ovule énuclée d’une autre espèce permet de reconstituer un embryon capable de se différencier en blastocyste. Des lignées de cellules embryonnaires ont même pu être établies après mise en culture d’ embryons chimères mouton/vache, ou singe/vache ! Savoir si de tels embryons peuvent s’implanter ou non, c’est mieux comprendre ce qui fait la spécificité d’une espèce et découvrir que certaines combinaisons nucléo cytoplasmiques seront peut être tout à fait viables . 
Semblables, différents : à quoi serviront les clones ?
Les premières applications du clonage vont concerner non pas tant l’obtention de lots d’animaux domestiques génétiquement identiques, avec la menace d’un appauvrissement des populations animales que certains ont tout de suite évoqué à l’annonce de la naissance du mouton Dolly, que l’utilisation et l’aide au maintien… de la diversité génétique. Le paradoxe n’est qu’apparent et il montre en tout cas que les premières craintes n’étaient pas les plus justifiées.
La première perspective du clonage est de devenir un outil pour la transgénèse animale. Il y a deux raisons à cela. La première concerne l'efficacité de la transgénèse. Des premiers succès obtenus chez la brebis, la chèvre ou la vache montrent l'avantage du transfert de noyaux par rapport à la microinjection d'ADN directement dans l'oeuf (au stade une cellule). Cette technique est utilisée depuis plusieurs années pour obtenir l'intégration d'une séquence d'ADN étranger dans un noyau hôte. La transgénèse permet de produire des molécules complexes en utilisant ce biotransformateur performant qu'est la mamelle et les nombreuses possibilités de cette approche seront développées dans la conférence de L.M.Houdebine. Le clonage devrait donc contribuer à réduire le coût de production de molécules complexes d'intérêt pharmaceutique pour obtenir des molécules à haute valeur ajoutée (comme par exemple le facteur IX qui intervient dans le processus de coagulation du sang), ou des anticorps qui pourraient alors être utilisés beaucoup plus largement à des fins de diagnostics. C‘est ce que démontre le veau ” Lucifer ”, né en juillet 1998 à l’INRA. Dans cette expérience, on a comparé l’efficacité de la microinjection d’un transgène avec celle du transfert de noyaux de cellules somatiques transgéniques . Il nous a fallu injecter plus de 2100 embryons de stade “ une cellule ” pour obtenir un fœtus transgénique alors que le transfert de 20 blastocystes, obtenus à partir de seulement 175 embryons reconstitués chacun avec un noyau transgénique, a suffi pour obtenir “ Lucifer ” avec un coût trois à cinq fois plus faible que pour la microinjection. Ce veau est porteur d’un gène semblable à celui qui chez le ver luisant, produit de la lumière : la luciférase. On a fait en sorte que le gène s’exprime dans toutes les cellules, mais seulement après un stress. On dispose ainsi d’un animal modèle chez lequel on peut mesurer très finement l'état de stress et ceci par une méthode non invasive puisqu'il suffit de prélever quelques cellules de la muqueuse buccale par exemple pour faire le test. 
La seconde raison tient au fait que l'on peut envisager, dans un avenir sans doute proche, d'utiliser le clonage pour garantir le bon fonctionnement du transgène. A ce jour, son intégration après microinjection ou après transfection des cellules donneuses de noyaux se fait au hasard, et le plus souvent sous forme de copies multiples. Ces intégrations non contrôlées affectent fréquemment le patron d'expression de l'ADN étranger et compromettent les longs efforts requis pour produire les animaux. Elles contribuent à l'augmentation de la fréquence d'apparition de troubles physiologiques, une situation que le respect dû au bien être des animaux d'élevage ne peut tolérer. Or, le fait de pouvoir disposer d'un grand nombre de cellules en culture permet de recourir à des stratégies moléculaires pour cibler l'intégration du transgène dans un endroit préalablement choisi du génome, par exemple une région où l'environnement chromatinien favorisera un niveau élevé de son activité. Le clonage devient alors un enjeu pour obtenir directement ces animaux transgéniques en utilisant des cellules donneuses de noyaux où les séquences du transgène se sont recombinées à des séquences endogènes préalablement choisies. Compte tenu du grand nombre de divisions nécessaires pour sélectionner ces rares événements de recombinaison, l'obtention de lignées de cellules totipotentes qui peuvent être maintenues pendant très longtemps en division active in vitro sera sans doute requise. Ces cellules n'existent à ce jour que chez la souris. 
Une exigence supplémentaire, au moins pour les espèces domestiques, sera d'éliminer toute séquence d'ADN utilisée pour trier les cellules où s'est produit la recombinaison homologue entre les séquences endogènes visées et le transgène. Plusieurs technologies récentes devraient permettre de débarrasser ainsi les noyaux donneurs de ces auxiliaires de fabrication que sont les gènse de résistance aux antibiotiques, ou les gène rapporteur du fonctionnement effectif du transgéne. Plus question donc, avec l’animal, de produire des organismes génétiquement modifiés par bricolage comme cela a été le cas avec les plantes. L’objectif de la recherche est une transgénèse propre qui ne fera que substituer par exemple un allèle à un autre. Les applications du clonage chez l'animal conduiront donc en pratique à développer les technologies de transgénèse, pour façonner directement les animaux d'élevage et non seulement pour mieux sélectionner les meilleurs à partir de lots d'animaux de méme génotype. Dans un premier temps, il est probable que la recombinaison homologue entre l'ADN exogène et des séquences endogènes sera utilisée pour des applications médicales, comme par exemple la création d'animaux immunocompatibles avec l'homme (le porc) et pour tenter de rendre effective la pratique des xénotransplantations. A plus long terme, c’est une véritable ingéniérie des animaux domestiques qui pourrait voir le jour et rendre plus rapide les méthodes classiques de la sélection animale. Le clonage devrait aussi aboutir à l'établissement de nouveaux modèles animaux tant pour approfondir nos connaissances sur les régulations des principales fonctions de l'organisme que pour étudier des maladies pour lesquelles le recours à la souris comme modèle s'est avéré décevant. 
Mais le clonage a commencé aussi à être utilisé pour maintenir des génotypes animaux exceptionnels. Les Néo-zélandais par exemple viennent d’obtenir plusieurs veaux clonés à partir d'une cellule prélevée sur une vache de dix-sept ans, une des rares survivantes d'un troupeau qui s'était adapté au climat très rigoureux d’une ile du sud du pays. Les Japonais ont aussi cloné un taureau de vingt trois ans, un âge canonique chez cette espèce. Dans les deux cas, ces clones ont pu se reproduire tout à fait normalement permettant ainsi d’ introduire ces génotypes d’intérèt dans les schémas classiques de la sélection animale. Avec un collègue généticien de l’INRA, nous avons montré qu’il suffit de disposer d’environ 5,ou tout au plus 10 clones d’un animal d’intérèt pour accéder, à partir de mesures faites sur les clones eux mêmes ou sur leurs descendants, à une connaissance à la fois plus précise et plus rapide de la valeur génétique de l’animal. 
L’animal, l’homme : clonage reproductif et clonage thérapeutique
Avec les exemples présentés ci-dessus, l’objectif est d’obtenir la naissance de clones après transfert, dans une femelle porteuse, d’embryons reconstitués avec des noyaux somatiques prélevés sur un organisme adulte: c’est ce que l’on appelle le clonage reproductif. Mais on peut aussi envisager de ne pas transplanter les embryons reconstitués et de les cultiver pour obtenir des lignées de cellules multipotentes embryonnaires ou différenciées qui auront les mêmes caractéristiques génétiques que celles du donneur : c’est ce que l’on appelle le clonage thérapeutique ou aussi le clonage non reproductif.. Cette distinction, établie par le Comité Consultatif National d’Ethique dès 1997 est essentielle pour comprendre comment le clonage pourrait être appliqué à l’homme. 
A ce jour, il existe dans le monde entier un très large mouvement pour interdire le clonage reproductif humain. Il y a deux ans, dix-neuf pays européens ont signé un protocole dans ce sens. Bien sûr, on peut toujours justifier le recours pour l’homme au clonage reproductif. : il permettrait par exemple d’augmenter les chances de grossesse lorsqu’un seul embryon a pu être obtenu in vitro, ou de perpétuer le lignage biologique en cas de procréation impossible. Mais de telles pratiques, techniquement possibles, ouvriraient la voie à la reproduction par clonage d’un enfant sur le point de mourir, à celle d’un être cher ou d’une personne “exceptionnelle”, sans parler du fantasme de faire naître plusieurs enfants génétiquement identiques. Le clonage reproductif apparaît alors comme une inadmissible instrumentalisation de la personne humaine, une atteinte dégradante à sa dignité. Il suscite aujourd’hui la prise de conscience quasi unanime de la nécessité d’un accord international visant à une interdiction. L’énoncé d’un tel accord marquerait une nouvelle avancée de la démarche éthique dans l’accompagnement et le contrôle de l’avancée des connaissances scientifiques. 
Le clonage thérapeutique par contre vise une utilisation très différente du transfert de noyaux: celle qui ouvre la voie à de nouvelles formes d'autogreffes. L'annonce aux USA de premiers succès dans l'isolement de lignées de cellules totipotentes établies à partir de la culture de blastocystes humains surnuméraires donnés à la recherche par des couples de patients (engagés dans un programme de procréation médicalement assitée) a considérablement renforcé l’intérèt pour cette approche. L’idée est de produire, par transfert de noyaux, un blastocyste à partir par exemple de cellules donneuses prélevées par biopsie sur un patient atteint de leucémie, puis de cultiver les cellules de cet embryon et dériver différents types cellulaires dont des cellules précurseurs du lignage hématopoïétique ; ces cellules pourront alors être, sans danger de rejet, réintroduites dans la moelle osseuse du malade après avoir éventuellement été modifiées génétiquement pour les rendre saines. 
La mise en oeuvre effective du clonage thérapeutique nécessitera encore beaucoup de recherches avant de pouvoir devenir réalité mais elle est promise à de très nombreuses applications médicales, notamment pour les maladies neurodégénératives. Cette forme de clonage pourrait à son tour n’être qu’une étape transitoire de la recherche. En effet, on s’est aperçu récemment que des cellules souches isolées à partir de tissus spécialisés, tissus nerveux, sanguins ou musculaires, peuvent voir leur destin réorienté quand on modifie directement leur environnement in vitro sans faire pour autant appel au transfert de noyaux : en plaçant par exemple des cellules nerveuses dans la circulation sanguine de souris, ces cellules acquièrent un phénotype de cellules sanguines. Les mécanismes de cette transdétermination dont semblent capables plusieurs types de cellules somatiques sont encore peu compris. Mais ces derniers résultats nous placent de fait devant un véritable débat éthique que l’on peut formuler en deux questions : 
Pour établir des lignées de cellules embryonnaires humaines multipotentes à partir de noyaux de cellules somatiques, il faut d’abord définir les conditions de culture qui permettront de dériver des lignées de cellules à partir de blastocyte. En France, ceci est impossible, car toute recherche , même sur les embryons surnuméraires des programmes de procréation médicalement assistée, est interdite par la loi de Bioéthique de 1994. Mais cette loi doit être prochainement révisée. D’où la première question posée au législateur : faut il, en prenant en compte les nouvelles données de la recherche, continuer à interdire ou au contraire autoriser la mise en culture de ces embryons surnuméraires, avec bien sûr un contrôle approprié ? Pour réaliser le clonage thérapeutique, il faut reconstituer des embryons donc créer des embryons humains, à partir d’ovules humains, pour les besoins de la recherche. En France, comme dans de nombreux pays, cette création “ d’êtres humains potentiels ” pour reprendre l’expression proposée par le Comité Consultatif National d’Ethique pour définir le statut de l’embryon humain, est interdite. D’où la deuxième question, sans doute plus difficile : peut on autoriser, même transitoirement la création d’embryons humains pour la recherche? Interdire, autoriser : le clonage thérapeutique appelle une exigence supplémentaire : celle d’apprendre à mesurer à leur juste valeur les avancées très rapides de ce monde des technosciences auquel appartient le clonage. Entre un rejet global et une défense aveugle, suivre une ligne de crête sans doute plus courageuse : celle le long de laquelle il faut , en temps voulu, décider d’avancer ou de faire marche arrière. Contre la peur, une telle démarche devient un acte de sagesse.
Conclusion 
En moins de trois ans, le clonage animal est devenu à part entière un outil pour la recherche fondamentale. Il aide à mieux comprendre les mécanismes de la différentiation cellulaire et la nature moléculaire de la grande plasticité fonctionnelle du génome de nos cellules. Il montre aussi que nous ne sommes pas que le produit de nos gènes et devrait permettre de mieux comprendre comment, chez les mammifères, l’environnement de l’embryon modèle son destin. Associé à la transgenèse, le clonage permettra de façonner l'animal et d’engager une véritable ingéniérie de leur génome. 
Là, science et applications avancent déjà de paire, côtoyant le marché pour qui le vivant est avant tout une activité minière. Là, les esprits curieux qui voudraient connaître la complexité de l’ontogénèse rencontrent les téméraires pour qui science et techniques sont aussi des instruments de puissance de l’homme sur le vivant. Là se dessinent de nouvelles utilisations de l’animal qui pourraient redéfinir les contours de notre représentation de l’homme. 
Avec le clonage, l’activité scientifique semble se confronter aux plus forts de nos mythes fondateurs : celui de l’immortalité avec ses pactes qui confèrent une éternelle jeunesse ; celui du pouvoir qui rapproche des dieux façonnant les êtres vivants de notre entourage ; celui enfin du double et donc de l’indifférenciation qui conduit au crime. Les chimères modernes semblent prêtes à sortir des laboratoires et la peur mais aussi la fascination qu’excerce le clonage animal se lisent à longueur de médias. Mais être partagé entre l’attrait et l’effroi, n’est ce pas en définitive ce qui accompagne notre regard quand nous le portons sur cette terre irremplaçable pour mieux en ressentir la beauté ” !.

 

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VOLCANISME ET ÉVOLUTION DE LA VIE SUR TERRE

 

Texte de la 433e de l'Université de tous les savoirs donnée le 12 juillet 2002

Vincent Courtillot,« Volcanisme et évolution de la vie sur terre »

Depuis quelques dizaines d'années, l'impact climatique que peuvent causer les éruptions volcaniques n'est plus mis en doute. Chaque fois que se produisent des éruptions riches en soufre, le climat en est légèrement modifié, la couleur du coucher de soleil change pendant plusieurs mois, la température de la basse atmosphère baisse, de quelques dixièmes de degrés, ce qui est cependant suffisant pour avoir des conséquences sur le climat. Ainsi, l'éruption du Laki en Islande, en 1783, au cours de laquelle 10 km3 de lave ont été crachés, a modifié le climat de tout l'hémisphère nord pendant plus d'une année. Les poussières volcaniques et les gaz ont causé des brouillards s'étendant, durant l'été et l'automne 1783, sur la plus grande partie de l'Europe et sur les régions adjacentes de l'Afrique et de l'Asie, causant des récoltes particulièrement maigres. Certains disent que les famines qui s'ensuivirent dans toute l'Europe et plus particulièrement en France sont un élément à considérer dans l'origine de la Révolution française en 1789.
La question est de savoir si le volcanisme que l'on peut observer à une échelle historique, récente, a toujours existé, et à la même échelle. Les informations qu'amassent, entre autres, les géologues et géophysiciens, permettent d'affirmer qu'il y a eu au cours des temps géologiques des éruptions beaucoup plus violentes. L'évolution de la Vie sur Terre en a t'elle été affectée ?

Si l'on représente (Figure 1) le nombre d'espèces différentes présentes sur terre (estimé à partir des fossiles retrouvés par les paléontologues) en fonction du temps qui s'est écoulé depuis 550 millions d'années, au début de l'ère primaire, la courbe obtenue représente l'évolution de la biodiversité au cours du temps. Au cours du Cambrien, le nombre d'espèces explose, avant de s'effondrer de manière subite il y a 250 millions d'années. La courbe remonte, mais un nouvel événement fait chuter la courbe de manière brutale il y a 65 millions d'années, à la limite entre l'ère secondaire et l'ère tertiaire. C'est à ce moment que disparaissent, entre autres, les dinosaures. Après cette catastrophe, la vie repart de nouveau : elle est aujourd'hui plus diverse qu'elle ne l'a jamais été depuis 600 millions d'années.
La pente de cette courbe (Figure 1) représente le nombre d'espèces qui disparaissent par unité de temps, c'est-à-dire l'intensité des extinctions. Sans cesse, des espèces s'éteignent et d'autres apparaissent, ce qui fait partie du processus normal de l'évolution. Il y a cependant quelques moments particuliers durant lesquels les taux d'extinctions sont énormes : ce sont les grandes extinctions en masse. La plus sévère a eu lieu il y 250 millions d'années, elle définit la limite entre l'ère primaire et l'ère secondaire : 95 % des espèces et peut être 99 % des organismes vivants ont disparu en guère plus d'un million d'année. Ces extinctions sont bien recensées, de la plus ancienne il y a 440 millions d'années (à la limite Ordovicien/Silurien), à la plus récente, il y a 65 millions d'années (à la limite Crétacé/Tertiaire). Les causes de ces événements cataclysmiques sont toujours débattues, et plus particulièrement la raison de l'extinction à la limite Crétacé/Tertiaire. Deux grandes familles d'hypothèses sont avancées depuis quelques dizaines d'années. La théorie la plus connue est celle selon laquelle les dinosaures auraient succombé à la collision entre la terre et un astéroïde. La deuxième hypothèse attribue l'extinction des espèces aux gaz, aux aérosols, et aux poussières libérés (Figure 3) lors d'éruptions volcaniques gigantesques. Quelle hypothèse paraît aujourd'hui la plus valable ? Elle ne peut être validée que si elle peut donner lieu à des « prévisions », puis à des vérifications par l'observation sur le terrain ou l'expérimentation.

Vers la fin des années 1970, un géologue américain, Walter Alvarez, ramasse à Gubbio, en Italie, des échantillons de calcaire, et remarque une couche noirâtre d'argile, dans laquelle il ne retrouve aucune trace de vie. Il se rend compte que les espèces de foraminifères (des protozoaires marins) présentes sous cette couche sont typiques de l'ère secondaire, et ne sont pas retrouvées au dessus de la strate d'argile, au delà de laquelle on trouve d'autres espèces. La grande majorité des espèces n'a donc pas survécu à la période à laquelle s'est déposée la couche d'argile. Il est apparu par la suite que cette couche d'argile, retrouvée un peu partout sur la Terre, contenait en proportion importante de l'iridium, un métal extrêmement rare dans la croûte terrestre, mais présent dans les météorites. L'analyse des roches au microscope a montré des grains de quartz présentant des rayures noires caractéristiques d'une onde de choc telle qu'aurait pu en provoquer l'impact d'une météorite. La rareté de l'occurrence de ces observations a conduit Walter Alvarez à la conclusion qu'une météorite avait frappé la terre il y a 65 millions d'années. La trace du cratère de cet impact a été retrouvée à l'aide de l'étude des anomalies de pesanteur sous 3 km de sédiments dans la péninsule du Yucatan au Mexique. Son diamètre est d'environ 180 km. A titre de comparaison, le plus grand cratère observable à l'heure actuelle sur Terre, le Meteor Crater, ne fait qu'un peu plus de 1 Km de diamètre : il a été creusé il y a 20 000 ans par une météorite d'une centaine de mètres de diamètre. Le cratère du Mexique a été daté à 65 millions d'années. C'est sur la base de ces observations indiscutables que les scientifiques considèrent comme démontrée l'hypothèse de la météorite. Cependant, le lien entre l'impact et l'extinction en masse n'est pas complètement établi, et ce pour plusieurs raisons.

Il est tout d'abord difficile d'enregistrer une extinction, et de déchiffrer les informations que les roches fournissent. Les sédiments, qui sont une des sources d'information, ne se déposent pas en continuité et peuvent même être absents en certains endroits (lacunes). Les phénomènes de bio-turbation (dus à des animaux fouisseurs) ou l'érosion peuvent perturber ou détruire le signal. Enfin, la fossilisation d'un être vivant est un événement extrêmement rare, donc il n'est jamais sûr que le dernier fossile trouvé soit contemporain de l'extinction de l'espèce. La lecture d'un enregistrement fossile est donc un travail difficile. Une extinction graduelle peut ainsi, si l'on n'y prend garde, passer pour une extinction massive, et inversement, du fait des caprices de l'enregistrement sédimentaire.
Des enregistrements de l'extinction Crétacé/Tertiaire observés au Texas et en Tunisie tendent à prouver que des extinctions se produisaient déjà quelques dizaines ou centaines de milliers d'années avant l'impact de la météorite. Comment expliquer cela ?
Une solution a pu être trouvée en allant chercher en Inde. On y trouve les traps du Deccan (Figure 2), une immense extension de plus de 500 000 km2 de laves basaltiques réparties en couches qui s'étendent sur des dizaines, voire de centaines de kilomètres, chacune faisant des dizaines, voire une centaine de mètres d'épaisseur. Il s'agit donc de coulées volcaniques dont le volume est étonnant : pour certaines plus de 1 000 km3, ce qui est à comparer avec les 10 km3 de la coulée de lave de 1783 en Islande, la plus grosse de mémoire humaine. Connaissant l'impact de cette éruption islandaise, il parait raisonnable d'imaginer que la séquence des énormes coulées du Deccan ait eu des conséquences climatiques significatives. La question qui se pose est de savoir de quand datent ces basaltes. Cette datation a représenté une grande partie du travail de plusieurs équipes entre 1985 et 1990. Les résultats obtenus à l'aide de trois méthodes de datation (l'une utilisant des éléments radioactifs (méthode sSur de la méthode au carbone 14), l'une basée sur la mémoire magnétique des roches et la troisième sur l'observation des fossiles) ont permis d'établir que ces traps ont 65 millions d'années.
On a pu ainsi évaluer la durée d'éruption des traps du Deccan. En premier lieu, cinq âges obtenus sur mille mètres d'épaisseur de lave sont séparés par un écart plus faible que la précision de la méthode de mesure, ce qui permet d'affirmer que ces laves se sont mises en place en très peu de temps. Par ailleurs, il est établi que le champ magnétique de la terre ne cesse de s'inverser. Pourtant, les mesures de la polarité magnétique de laves qui s'étendent sur deux mille mètres d'épaisseur montrent que le champ magnétique terrestre ne s'est inversé que deux fois pendant les éruptions. Cette observation démontre que le phénomène de mise en place des coulées a été très rapide. Enfin, la découverte de fossiles à la base des traps, mais aussi entre les différentes coulées (ce qui signifie que des lacs se sont mis en place entre des événements volcaniques, permettant ainsi la fossilisation des animaux) montre que le volcanisme a débuté à la toute fin de l'ère Secondaire. Les trois types d'observation amènent à dire que les traps du Deccan se sont mis en place il y a 65 millions d'années, en moins d'un million d'années et peut être même en une phase paroxysmale de quelques centaines de milliers d'années seulement, pendant la période qui a connu l'extinction Crétacé/Tertiaire. La limite de la précision, de l'ordre de quelques centaines de milliers d'années, ne peut être dépassée, car elle est imposée par la stratigraphie, la paléontologie et la géochronologie.
Cependant, la découverte de la couche d'iridium (témoin d'un phénomène qui avait lieu de l'autre coté du globe !) dans une couche sédimentaire entre deux coulées de laves dans la province du Kutch a permis d'établir avec certitude que le volcanisme était déjà en cours lorsque la météorite s'est écrasée sur Terre. Cet impact ne peut donc pas avoir déclenché les événements volcaniques.
Les traps du Deccan sont un événement volcanique d'une intensité exceptionnelle, comme il ne s'en est produit aucun depuis une trentaine de millions d'années sur Terre. Il paraît raisonnable d'imaginer que ces éruptions ont pu avoir un impact climatique. La recherche progresse beaucoup dans le domaine et permet d'avoir une idée de la manière dont ces éruptions peuvent altérer la biosphère et donc perturber la végétation et les chaînes trophiques (de nourriture) des animaux inférieurs vers les animaux supérieurs. L'émission de gaz sulfureux conduit à un refroidissement rapide de l'atmosphère, celle de gaz carbonique à un réchauffement global du à l'effet de serre ; de manière paradoxale, le gaz carbonique est ensuite absorbé par l'altération des laves et une période de refroidissement s'ensuit. L'érosion est accélérée par les pluies acides, des périodes de glaciation, de stagnation des océans et donc d'appauvrissement en oxygène (anoxie, dont la trace stratigraphique peut être retrouvée) se succèdent. Tous ces phénomènes peuvent conduire à des extinctions en masse aussi bien dans le domaine continental, terrestre, que dans le domaine marin.

Si la théorie d'une relation causale entre événements volcaniques massifs et extinctions en masse est juste, elle doit pouvoir être validée par d'autres exemples. Puisque ce sont les extinctions qui ont permis aux géologues de tracer les frontières entre les âges de l'échelle géologique, cela signifierait alors que ces limites marqueraient les âges des grandes catastrophes volcaniques. L'échelle de la vie sur terre deviendrait du même coup l'échelle de la dynamique du globe.
Les traps existants ont été répertoriés (Figure 4). Une dizaine seulement sont détectables à la surface de la terre : les traps du Deccan en Inde, les traps d'Ethiopie, ceux de la province du Karoo en Afrique du Sud, du Parana au Brésil, et ceux présents en Sibérie et au Groenland. De manière générale, ce qui a été découvert pour les traps du Deccan est aussi valable pour les autres.
A l'époque de la Pangée, il y a deux cents millions d'années, une immense province volcanique s'est formée, qui va précéder la naissance de l'océan Atlantique. Les laves étant très anciennes, elles ont été érodées, mais les fissures qui ont servi à alimenter ces coulées (les dykes, qui ont quelques dizaines ou centaines de kilomètres) ont été retrouvées en Amérique du Nord, en Afrique, au Nord-est de l Amérique du Sud et en Europe. Ces dykes datent de 200 millions d'années, ce qui correspond à la limite Trias/Jurassique et coïncide avec la deuxième plus vieille extinction en masse (Figure 1). La durée totale d'émission des laves a pu être évaluée de manière plus précise que pour les traps du Deccan : elle aurait duré moins de 600 000 ans.
Il y a 250 millions d'années se produit l'une des plus grandes éruptions volcaniques de tous les temps à l'endroit où se trouve aujourd'hui la Sibérie. Ces traps de Sibérie sont très riches en minéraux, associés à la mise en place du volcanisme. Partout où leur âge a pu être mesuré, ces roches ont été datées à 250 millions d'années, ce qui correspond bien à la plus grande extinction de tous les temps, la limite entre l'ère Primaire et l'ère Secondaire. Cependant, si l'on regarde en détail la diversité biologique en fonction du temps autour de cette limite, il apparaît déjà une extinction sérieuse à la fin du Guadaloupien : l'extinction répertoriée à la fin de l'ère Primaire semble donc être en réalité composée de deux extinctions massives, séparées d'environ 8 millions d'années. Il a d'ailleurs été noté que le niveau des mers avait brusquement baissé deux fois à ces deux moments. Si la théorie des traps a une valeur générale, un trap datant de 258 millions d'années devrait avoir existé. Cette « prédiction » a été proposée il y a huit ans, alors qu'aucun trap de cet âge n'était connu. Depuis, des traps ont été découverts à la frontière entre la Chine du Sud et le Vietnam. Ces traps n'avaient pas été détectés auparavant car depuis leur formation l'Inde est entrée en collision avec l'Asie, et les traps ont été en grande partie détruits. La méthode de datation à l'uranium et au plomb sur silicates de zirconium a permis d'établir leur âge à 259 millions d'années (à trois millions d'années près). Il existe donc quatre traps dont l'âge corrèle avec les quatre dernières grandes extinctions en masse.
D'autres échantillonnages sur les traps de Sibérie sont en cours, plus à l'ouest en collaboration des confrères russes. Des formations géologiques très particulières s'y trouvent, les pipes de kimberlite, qui sont des cheminées volcaniques produisant des laves très particulières auxquelles sont associées des diamants. Des mesures de paléomagnétisme (la direction magnétique fossilisée dans ces laves) ont permis de montrer qu'il y avait là deux groupes de roches d'âges différents. L'un correspond parfaitement aux traps de Sibérie, tant sur le plan de la direction magnétique que sur le plan de l'âge (250 millions d'années), et ces laves correspondent donc aux premières phases volcaniques de ces traps. L'autre groupe de roche a une direction magnétique très différente, et l'âge en serait de 350 à 370 millions d'années. Or, il y a 360 millions d'années se produisait une autre grande extinction en masse, à la limite Frasnien/Famménien, dont personne ne connaît encore la cause. Nous avons donc peut être trouvé sous les traps de Sibérie les derniers restes d'un trap qui se serait produit 110 millions d'années plus tôt, et qui serait la cause de cette extinction.
Les traps les plus jeunes, ceux d'Ethiopie, ont été datés à 30 millions d'années, avec une durée de mise en place inférieure à 800 000 ans. Les cendres de ces éruptions ont été retrouvées à des milliers de kilomètres de là dans l'océan Indien, lorsqu'on y a fait des forages. Les traps d'Ethiopie correspondent à un épisode majeur d'avancée des glaces, à une chute du niveau des mers, à un épisode d'aridité et à une baisse de la diversité des mammifères, donc à un phénomène bio-climatique significatif.

Dans l'état actuel des connaissances, la corrélation entre impacts de météorites et extinctions massives n'a été vérifiée, après vingt ans de recherche, qu'une seule fois, dans le cas du cratère du Mexique. Les âges des autres cratères qui ont été trouvés ne corrèlent en effet pas bien avec les limites entre les âges géologiques. En revanche, la correspondance entre l'âge d'un trap et celui d'une extinction massive (Figure 5) a été vérifiée dans huit cas, sans compter celui qui est en cours d'expertise.
La réalité de l'impact d'une météorite il y a 65 millions d'années n'est pas à remettre en cause. Cependant les arguments développés plus haut tendent à prouver que ce phénomène s'est produit dans un monde déjà stressé depuis plus de 200 000 ans par des éruptions volcaniques d'une ampleur colossale. Il existe huit autres exemples permettant d'affirmer que ce genre de phénomène peut provoquer une extinction massive. Il paraît donc raisonnable d'attribuer aux éruptions les extinctions survenues avant l'impact météoritique. Ce dernier a peut être causé d'un coup les deux tiers des extinctions, mais cela n'aurait pas pu advenir si la biosphère n'avait déjà été fragilisée.
En conclusion, si la corrélation entre les traps enfouis en Sibérie et la limite Frasnien/Famménien est validée, le modèle proposant de voir dans les grands événements volcaniques la cause des extinctions massives serait vérifié depuis 400 millions d'années. Un modèle qui pourrait bien servir aux climatologues qui tentent de prédire les effets des modifications que l'Homme impose à l'atmosphère.

 

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LA COÉVOLUTION

 

Texte de la 7ème conférence de l'Université de tous les savoirs réalisée le 7 janvier 2000 par Claude Combes

"La coévolution"

Qu'est que la coévolution?

Les virus informatiques sont de plus en plus élaborés.
Les anti-virus sont de plus en plus complexes.
Telle est l'image moderne que l'on peut donner de la coévolution. Les virus informatiques deviennent de plus en plus élaborés parce que les logiciels anti-virus existent, et ces derniers se renouvellent sans cesse parce que des virus plus performants sont mis en circulation.
La coévolution, c'est le processus sans fin dans lequel deux adversaires construisent sans cesse de nouvelles armes pour ne pas être distancé par "l'autre".

Les pathogènes et leurs hôtes: un conflit sans merci

Un pathogène, qu'il s'agisse du virus de la grippe ou du pou des écoliers est un être vivant qui utilise un autre organisme vivant, l'hôte, à la fois comme habitat et comme source d'énergie. Très souvent, l'association entre le pathogène et l'hôte est caractérisée par une étroite spécificité: un pathogène donné a "son " hôte ou un petit nombre d'hôtes apparentés.
Pour l'étude de la coévolution, une notion est importante, celle de succès reproductif, que la littérature anglo-saxonne qualifie du mot évocateur de "fitness". Dans une association pathogène-hôte, la fitness du parasite augmente si la sélection naturelle lui permet de mieux exploiter l'hôte, tandis que l'hôte augmente la sienne si la sélection lui permet de mieux lutter contre l'infection.
On devine dès lors que toutes les conditions sont réunies pour une coévolution. Aux "armes" inventées par le pathogène répondent les "armes" inventées par l'hôte. Bien entendu, derrière le mot arme, il faut entendre des adaptations (comportementales, physiologiques, moléculaires) et derrière le mot "inventées", il faut entendre les choix de la sélection naturelle dans la variabilité génétique issue des mutations. Dans un tel conflit, où la coévolution oppose deux adversaires aux intérêts totalement divergents, les biologistes parlent couramment de courses aux armements, par comparaison avec deux pays rivaux qui maintiendraient un fragile équilibre, chacun inventant régulièrement de nouvelles armes capables de s'opposer aux initiatives de l'autre.
Dans les associations pathogènes-hôtes, les courses aux armements se font à deux niveaux successifs.
Les gènes qui permettent au pathogène de rencontrer son hôte avec une plus grande probabilité sont tout d'abord sélectionnés. Est sélectionné en réponse chez l'hôte tout gène qui lui permet d'éviter la rencontre avec le pathogène.
Les gènes qui permettent à l'hôte de détruire le pathogène, notamment par l'immunité, sont sélectionnés. Est sélectionné en réponse chez le pathogène tout gène qui lui permet de survivre dans le milieu hostile ainsi créé.
On devine que cette coévolution peut durer longtemps& C'est probablement pourquoi il existe autant de pathogènes et pourquoi il en existera vraisemblablement toujours. Cette coévolution ne diffère en rien de celles qui opposent les prédateurs à leurs proies: les chats ont d'excellentes adaptations pour attraper les souris, mais comme les souris ont d'excellentes adaptations pour éviter les chats, il existe toujours à la fois des chats et des souris. Les enfants savent bien que Jerry sait prendre les bonnes décisions qui font échouer les projets diaboliques et sans cesse renouvelés de Tom& Walt Disney a illustré la coévolution sans s'en douter.

Les orchidées et les papillons: un conflit quand même&

L'association formée par certaines orchidées de Madagascar et leurs papillons pollinisateurs n'entre plus dans le domaine du parasitisme mais dans celui du mutualisme. Quelle est la différence? Si, dans le parasitisme, l'un des partenaires de l'association exploite l'autre, dans le mutualisme, l'exploitation est réciproque. En d'autres termes, il y a toujours un pathogène et un hôte, mais ce dernier trouve un avantage à être colonisé par le pathogène&
De nombreuses espèces d'orchidées possèdent des pollinies, petites masses collantes contenant les grains de pollen, et des tubes cylindriques (nectaires) qui sécrètent un nectar sucré. Des papillons viennent boire le nectar à laide de leur trompe. Pour ce faire, ils heurtent la base des pollinies et celles-ci adhèrent à leur tête. Au cours de leurs repas successifs de nectar, les papillons transportent ainsi les pollinies d'une fleur à une autre, ce qui permet la fécondation des orchidées. Cependant, pour que les pollinies se collent sur la tête du papillon, il faut que la tête de celui-ci heurte les pollinies placées au dessus du nectaire avec une certaine force. Si l'accès au nectar est trop facile, le papillon ingurgite du nectar mais repart sans pollinies. Par conséquent, seules les plantes à nectaires longs, qui contraignent l'insecte à heurter la base des pollinies pour atteindre le nectar, se reproduisent: le caractère "nectaire long" est favorisé par la sélection. Parallèlement, celle-ci favorise chez le papillon le caractère "trompe longue", puisque les papillons à trompe courte n'atteignent pas le précieux nectar et, mal nourris, ne se reproduisent pas normalement. Un tel processus coévolutif a abouti à des orchidées aux nectaires interminables et à des papillons à la trompe démesurée. Par exemple, l'orchidée Angraecum sesquipedale a des nectaires de 28 à 32 cm de long et le papillon Xanthopan morgani qui la pollinise une trompe de plus de 25 cm.
On voit bien que le fait que l'association soit de type mutualiste et non parasitaire n'empêche pas qu'il y ait coévolution. L'explication est que tout être vivant est fondamentalement égoïste et n'a d'autre "objectif" que de transmettre ses gènes à la génération suivante. La collaboration entre le papillon et l'orchidée n'a rien d'un processus altruiste, même si elle donne l'image d'une entente parfaite.

La Reine Rouge de Lewis Carroll

Une question cruciale est celle du rôle de la coévolution dans le phénomène grandiose de l'Evolution elle-même (avec un "grand E"). La coévolution n'est-elle qu'un fait quelque peu anecdotique, propre à illustrer de belles histoires du monde vivant, ou est-elle au contraire un mécanisme fondamental?
Pour Leigh Van Valen, de l'Université de Chicago, le moteur principal de l'évolution de toute espèce vivante est représenté par les autres espèces avec lesquelles elle partage des ressources. Tout progrès dans la valeur adaptative d'une espèce quelconque modifie l'environnement des espèces qui l'entourent et les oblige à s'adapter. Cette adaptation provoque à son tour un changement dans l'environnement de la première espèce, ce qui la pousse à un nouvel épisode de sélection, et ainsi de suite. Cela se produit parce que les ressources sont limitées. Van Valen dit que les espèces jouent un "jeu à somme nulle" et a baptisé cette proposition du nom d'hypothèse de la Reine Rouge.
Lexpression "Reine Rouge" est empruntée à la nouvelle de Lewis Caroll "A travers le miroir", dans laquelle Alice tient la Reine Rouge par la main et court avec elle au pays des Merveilles. Alice, constatant avec surprise que le paysage autour d'elles ne change pas, interroge la Reine. Cette dernière répond qu'elles courent pour rester sur place et que c'est pourquoi le paysage paraît immobile. Les choses sont comparables dans les coévolutions: les espèces en conflit courent, c'est à dire "inventent" sans cesse de nouvelles adaptations, mais la qualité intrinsèque de chacune ne change pas. Le processus est d'autant plus marqué que deux espèces (ou un petit nombre d'espèces) forment une association "fidèle" dans le temps, compté en millions ou dizaines de millions d'années. Chaque fois que l'une d'elles acquiert par sélection un avantage quelconque, cet avantage modifie l'environnement des autres et les oblige à acquérir à leur tour par sélection des avantages compensateurs. Matt Ridley a écrit de manière imagée que, dans la vie, tout progrès n'est que relatif&
L'hypothèse de la Reine Rouge présente l'avantage d'expliquer l'accroissement ininterrompu de la complexité qui, en 3, 5 milliards d'années, a conduit l'être vivant de l'état de molécule à celui d'Homo sapiens. Si l'hypothèse est exacte, l'évolution, & c'est les autres. Accorder crédit à la "Reine Rouge" n'implique en aucune manière que les grands évènements physiques qui ont affecté la planète (émergence des terres, dérive des continents, grandes éruptions volcaniques, fluctuations climatiques, etc.) n'aient pas joué un rôle essentiel à certains moments de l'évolution, donnant à celle-ci un caractère bien moins "gradualiste" qu'on ne le croyait vers le milieu du XXème siècle.

La coévolution génome-culture

Avec l'apparition des hommes sur la Terre s'est installée une forme entièrement nouvelle de coévolution, non plus entre des espèces vivantes mais entre deux processus. On la qualifie de coévolution culture-génome.
Comme le notent Marcus Feldman, de l'Université de Stanford et Kevin Laland, de l'Université de Cambridge, aussitôt que les hommes ont su construire des outils de pierre, la compétence acquise dans cet exercice a pu être transmise de génération en génération, par un processus culturel et non plus génétique. Curieusement, les changements culturels chez les humains donnent raison à Lamarck: en matière de culture, il y a transmission des caractères acquis, qu'ils soient matériels, spirituels ou cognitifs.
On parle de coévolution culture-génome parce que, par leurs traditions culturelles, transmises d'une génération à la suivante, les hommes ont influencé de plus en plus fortement la sélection naturelle de l'information génétique.
On cite le plus souvent l'invention de l'agriculture. Celle-ci a permis que de petites inégalités initiales entre les individus se traduisent par la possession des terres et l'accumulation des richesses. Des inégalités de plus en plus grandes se sont manifestées et de là sont nés les royaumes, les empires et les féodalités& Ces bouleversements dans les "hiérarchies" entre les humains ont fortement perturbé la transmission des gènes. Matt Ridley montre que le "pouvoir" a été, jusqu'à une date très récente, associé à la production du grand nombre possible de descendants. Il cite l'empereur chinois Fei-Ti (5ème siècle après JC, dynastie Nan) et ses 10.000 concubines, et bien d'autres exemples. Laura Berzig rapporte que les empereurs de la dynastie Tang (7 et 8ème siècles après JC) allaient jusqu'à faire tenir un agenda détaillé des dates de menstruation de leurs concubines afin de ne pas gaspiller leur sperme& D'autres pratiques culturelles modifient les caractères génétiques des populations humaines. Tel est le cas de l'infanticide traditionnel qui déséquilibre la proportion des sexes. Quant aux progrès modernes de la médecine, ils contrarient certainement la sélection des gènes de résistance aux maladies. Même l'invention des lunettes doit avoir pour conséquence logique de laisser les gènes de myopie se répandre en toute liberté.
On peut enfin se demander si l'affaiblissement croissant de la structure familiale dans les sociétés occidentales ne relève pas d'un processus de coévolution culture-génome. L'accélération des acquisitions culturelles est telle que les parents ne peuvent transmettre à leurs enfants que des concepts démodés, de telle sorte que les enfants enrichissent davantage leurs connaissances par des mécanismes horizontaux (auprès d'individus de la même génération) que par des mécanismes verticaux (auprès d'individus des générations précédentes). Grand-père et grand-mère ont perdu leur pouvoir& Est-il utile enfin de dire que les interventions directes sur le génome humain, qui se feront au troisième millénaire, relègueront les processus naturels au rang d'accessoires obsolètes. Il reste à espérer qu'elles se feront seulement à des fins thérapeutiques, notamment pour lutter contre les maladies génétiques.
Les exemples qui précèdent démontrent que, si l'évolution des génomes dans la lignée des hominidés a conduit à l'émergence du cerveau de l'homme moderne et par conséquent à celle de la culture, celle-ci a profondément modifié à son tour les pressions sélectives s'exerçant sur les génomes. Terme paradoxal de cette évolution à l'aube du 3ème millénaire, les différentes cultures nées dans des entités géographiques autrefois cloisonnées ont bien plus tendance à se heurter dans un processus "darwinien" d'exclusion compétitive qu'à s'enrichir mutuellement. Si un processus de Reine Rouge s'installait entre elles, elles pourraient survivre les unes et les autres en s'enrichissant. Si au contraire la compétition pure et simple l'emporte, une seule culture dominante subsistera.

 

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