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L'HOMME -ÉVOLUTION

 

 

 

 

 

 

 

homme
(latin homo, -inis)

Consulter aussi dans le dictionnaire : homme
Cet article fait partie du dossier consacré à l'évolution.
Primate caractérisé par la station verticale, par le langage articulé, un cerveau volumineux, des mains préhensiles, etc.

ANTHROPOBIOLOGIE
INTRODUCTION

En dépit de la position tout à fait particulière au sein du monde vivant que lui confèrent la richesse de sa culture et l'incomparable diversité de ses comportements, l'espèce humaine est néanmoins une espèce animale. Dans la classification biologique, l'homme est un mammifère de l'ordre des primates et de la famille des hominidés, famille qui comprend également ses ancêtres fossiles. En outre, les recherches actuelles sur l'évolution de la lignée humaine conduisent à classer dans la même famille l’orang-outan, le gorille et le chimpanzé, abolissant ainsi certaines frontières biologiques entre l'homme et les grands singes.
Puisque, du point de vue de la biologie, l'être humain est un animal, il doit être défini en fonction des autres espèces animales et selon les caractéristiques qui lui sont propres. Du point de vue des sciences de l'évolution, il possède en outre une histoire, dont les origines remontent à plusieurs millions d'années : la recherche de ces origines, ainsi que l'étude de cette histoire font l'objet d'une discipline particulière, la paléontologie humaine, qui s'appuie sur d'autres disciplines, telles que les sciences de la préhistoire, la génétique et la primatologie.

LA PLACE DE L'HOMME DANS LE MONDE ANIMAL

Doué d'intelligence et communiquant par le langage, l'homme se caractérise également par son cerveau volumineux (dont la masse, rapportée à la masse totale du corps, est la plus importante parmi les animaux vertébrés), par ses mains, qui permettent la manipulation fine d'objets, et par sa station debout, avec une marche sur deux jambes (bipédie). L'ensemble de ces particularités anatomiques et comportementales le distinguent de ses plus proches parents actuels, les chimpanzés.

CLASSIFICATION

Au sein de la classe des mammifères, l'espèce humaine appartient à l'ordre des primates, que l'on divise en deux ensembles, celui des strepsirrhiniens, formé par les lémuriens (jadis appelés prosimiens), les galagos et les loris, et celui des haplorrhiniens, les tarsiers et les « singes » (anciennement simiens). La classification des primates a beaucoup varié depuis l'identification du groupe par le Suédois Carl von Linné (1707-1778). On en a définitivement exclu certains animaux (comme les chauves-souris), mais de nombreux savants du xixe s., tel le Britannique Richard Owen (1804-1892), en ont également retiré l'homme, qu'ils ne souhaitaient pas classer parmi les singes.
Dans le modèle de classification qui tend à s'imposer actuellement, l'homme est bien classé parmi les haplorrhiniens, au sein d'un groupe qui englobe aussi les grands singes (singes anthropomorphes, ou anthropoïdes, tels les chimpanzés). Jusqu'à la fin des années 1990, le modèle dominant séparait ce groupe en trois familles, celle des hylobatidés (gibbons et siamangs), celle des pongidés (orang-outan, gorille et chimpanzé) et celle des hominidés (homme).

LES HOMINOÏDES ET L'HOMME

Les données paléontologiques recueillies au cours des années 1990, ainsi que des études de biologie moléculaire, rapprochent les premiers ancêtres de l'homme (genre Australopithecus ou Ardipithecus) de ceux des grands singes. On a ainsi créé un nouvel ensemble pour regrouper les hommes, les grands singes et leurs ancêtres fossiles, sous le nom d'hominoïdes (terme jadis réservé aux seuls hommes).
Le groupe des hominoïdes rassemble deux petites familles : la famille des hylobatidés (gibbons) et celle des hominidés, divisée elle-même en deux sous-familles, celle des ponginés (orangs-outans) et celle des homininés (gorille, chimpanzé et homme).
On sait que les hominoïdes étaient autrefois plus diversifiés (au cours d'une période s'étendant entre −15 et −2 millions d'années). C'est particulièrement vrai pour les hominines, tribu de la sous-famille des homininés, réduite aujourd'hui à notre seule espèce (Homo sapiens), mais dont il existe plusieurs représentants fossiles.

L'ASCENDANCE DE L'HOMME

Après Aristote (384-322 avant J.-C.), qui décrit et classe de nombreuses espèces animales, et jusqu'au xixe s., les savants considèrent l'homme comme le but ultime d'une création divine et le placent, seul, au sommet de l'échelle des êtres. Quelques-uns, toutefois, tels Galien (130-200), puis Linné, soulignent sa grande ressemblance avec les singes. Pour Charles Darwin (1809-1882), fondateur de la théorie de l'évolution, comme pour Jean-Baptiste Lamarck (1744-1829), auteur des premières idées évolutionnistes, il ne fait plus de doute que l'homme descend du singe.
En outre, Darwin s'oppose à toute idée de hiérarchie au sein du monde vivant : il n'y voit que le résultat de variations aléatoires conduisant à la diversification des espèces sous l'effet des contraintes extérieures (ce qu'il appelle la « sélection naturelle »). Pourtant, une fois ses idées évolutionnistes admises, l'homme est encore perçu comme une espèce unique, supérieure, issu en droite ligne d'un « chaînon manquant », intermédiaire entre la lignée simienne et la lignée humaine.
Aujourd'hui, si la quête du chaînon manquant peut paraître vaine (aucun être fossile ne s'est vu attribuer ce statut), l'évolution des ancêtres et des proches parents de l'homme n'est plus perçue comme une voie rectiligne, le long de laquelle les caractères primitifs (mode de vie arboricole, petite taille, petit cerveau…) laissent progressivement la place à des caractères humains. Au contraire, les voies évolutives apparaissent multiples, les caractères typiquement humains deviennent incertains et les espèces se multiplient au rythme des découvertes.

PALÉONTOLOGIE ET PRÉHISTOIRE
Les outils de pierre taillée, œuvres des ancêtres de la lignée humaine, sont connus depuis l'Antiquité. Pourtant, il faut attendre le xixe s. pour voir la naissance d'une véritable science ayant pour objet l'histoire de l'homme et de son « industrie » (outils et autres vestiges de son activité) avant le développement des premières civilisations. Cette science, qui regroupe aujourd'hui plusieurs disciplines, est la préhistoire.
Le Français Jacques Boucher de Crèvecœur de Perthes (1788-1868) soutient que les pierres taillées retrouvées à côté d'ossements fossiles sont l'œuvre d'hommes préhistoriques. Édouard Lartet (1801-1871), puis Gabriel de Mortillet (1821-1898) définissent la succession des périodes de la préhistoire. La publication de Lartet, Sur l'ancienneté géologique de l'espèce humaine (1860), est considérée comme l'ouvrage fondateur de la paléontologie humaine. L'abbé Henri Breuil (1877-1961) étudie les vestiges archéologiques et les peintures rupestres, interprétant leur évolution.

LES DÉCOUVERTES DE FOSSILES
Au xixe s., le premier parent fossile de l'homme moderne dont on étudie des ossements est l'homme de Neandertal, découvert en 1856. En 1891, sur l'île de Java (Indonésie), un Néerlandais, Eugène Dubois, découvre un fossile baptisé « pithécanthrope », qui se voit attribuer le nom latin de Pithecanthropus erectus, mais que l'on nommera ensuite Homo erectus, en le classant dans le même genre que l'homme moderne, le genre Homo. Les paléontologues qui consacrent leurs travaux aux fossiles humains et pré-humains deviennent des paléoanthropologues.
Le premier australopithèque est découvert en 1924, en Afrique du Sud, par Raymond Dart (1893-1988). Après de longues controverses, les australopithèques sont reconnus, dans les années 1950, comme les plus anciens représentants de la lignée humaine, ce que confirme la découverte, par Mary Leakey (1913-1996) et Louis Leakey (1903-1972) d'un squelette d'australopithèque associé à des outils de pierre taillée, dans les gorges d'Olduvai, en Tanzanie. De nombreux autres hominidés fossiles seront mis au jour sur le continent africain.

L'ANTHROPOLOGIE MOLÉCULAIRE

Chacun des chromosomes de nos cellules est constitué d'une longue molécule d'ADN (associée à des protéines). Cet ADN est le support des gènes, qui représentent à la fois le plan d'édification de chaque organisme et les fondements de ses caractères et de ses aptitudes. C'est sur les molécules d'ADN que portent les mutations génétiques qui, lorsqu'elles concernent les cellules reproductrices, peuvent être transmises d'une génération à l'autre. Certaines mutations consistent en des modifications ponctuelles n'ayant pas de conséquence néfaste sur l'individu qui les porte. Elles peuvent s'additionner régulièrement au cours du temps. Ainsi, l'anthropologie moléculaire peut-elle estimer le degré de parenté entre les individus, les populations et les espèces, en fonction des variations observées au sein de portions données de l'ADN, ou des protéines formées à partir de celles-ci.
À la lumière des données recueillies par l'anthropologie moléculaire, les grands singes africains (chimpanzé, gorille) apparaissent plus proches de l'homme que des autres singes. En outre, les mutations ponctuelles s'accumulent à un rythme que les généticiens estiment stable sur de longues périodes. Cette véritable « horloge moléculaire » permet de dater (avec toutefois un large degré d'approximation) le moment où la lignée des grands singes s'est séparée de celle de l'homme. Ainsi, la lignée humaine pourrait-elle avoir divergé de celle des grands singes il y a 8, voire 10 millions d'années, une période pour laquelle on dispose de peu d'indices fossiles.
L'analyse particulière de l'ADN des mitochondries, ces éléments des cellules qui sont transmis par la mère et non par le père (car elles sont absentes de la partie du spermatozoïde qui pénètre l'ovule lors de la fécondation), indique que, si certains ancêtres ont pu migrer hors d'Afrique, notre propre espèce, Homo sapiens, serait apparue en Afrique. C'est le modèle génétique de l'« Ève mitochondriale ».

AUTRES APPROCHES DE L'ÉVOLUTION DE L'HOMME
La compréhension des mécanismes d'apparition de la lignée humaine se fonde en grande partie sur l'étude des conditions écologiques qui pouvaient régner en Afrique il y a 5 à 10 millions d'années. En effet, conformément à la théorie de l'évolution, les conditions écologiques (climat, ressources alimentaires, compétition avec d'autres espèces…) jouent un rôle fondamental dans l'expression de nouveaux caractères adaptatifs et dans l'apparition d'espèces nouvelles.

L'EAST SIDE STORY, UN SCÉNARIO ABANDONNÉ
En 1983, le Français Yves Coppens propose un modèle explicatif de l'origine de la lignée humaine à l'est du continent africain. Il y a environ 8 millions d'années, l'effondrement de la vallée du Rift (qui s'étend de la mer Rouge au Mozambique et parcourt l'est africain) et le soulèvement de la bordure occidentale de cette vallée entraînèrent des changements climatiques. L'est du continent africain s'assécha et se couvrit de savanes, alors que l'ouest demeurait humide et forestier.
Selon cette théorie, les ancêtres communs des hommes et des grands singes auraient évolué séparément de part et d'autre du Rift : à l'ouest, ils seraient demeurés arboricoles, alors qu'à l'est l'environnement faiblement arboré aurait favorisé l'acquisition de caractères pré-humains, notamment la marche bipède. Ce scénario, baptisé par son auteur East Side Story, a été réfuté par Yves Coppens lui-même (2003) à la suite de la découverte de deux représentants de la lignée humaine à l’ouest du Rift, au Tchad : Abel (un australopithèque, baptisé Australopithecus bahrelghazali), en 1995, et Toumaï (Sahelanthropus tchadensis, un membre de la lignée humaine âgé de 7 millions d’années, en 2001.

L'ÉTUDE DES GRANDS SINGES
Puisque les chimpanzés et les gorilles sont les plus proches parents actuels de l'homme, l'étude précise de leurs aptitudes et de leurs comportements peut aider les paléoanthropologues à comprendre certaines étapes de l'évolution de l'homme.
La Britannique Jane Goodall (née en 1934) a été la première à entreprendre des études sur le terrain (en Tanzanie) du comportement des chimpanzés : ses observations révèlent une organisation sociale et des aptitudes à l'apprentissage (utilisation d'outils) insoupçonnées. D'autres primatologues, comme l'Américaine Dian Fossey (1932-1985) qui étudie les gorilles de montagne au Ruanda, contribuent à réduire l'ampleur du fossé social et culturel traditionnellement placé entre l'homme et les grands singes africains.
En outre, on reconnaît, depuis 1929, deux espèces chez les chimpanzés : le chimpanzé commun (Pan troglodytes) et le chimpanzé « nain », ou bonobo (Pan paniscus). Le bonobo n'a été observé pour la première fois dans son habitat naturel (forêt du sud du fleuve Congo) qu'au cours des années 1970 : outre son comportement social, très « humain », il présente la caractéristique d'être aussi à l'aise dans les arbres qu'au sol, où il marche redressé, ce qui le rend à la fois plus arboricole et plus bipède que les autres grands singes. Ainsi, la locomotion dans les arbres n'interdit-elle pas la bipédie, elle semblerait même dans ce cas la favoriser, la suspension par les bras permettant le redressement du corps.

LE CLADISME
Mis au point par l'Allemand William Hennig (1913-1976), le cladisme est une méthode de classification des espèces qui se fonde sur les caractères évolués hérités d'un ancêtre commun. Ainsi, les plumes représentent le caractère évolué, hérité d'un ancêtre reptile (un dinosaure), qui suffit à identifier le groupe des oiseaux. Cette forme de classification, qui recherche les parentés exclusives entre les espèces pour les regrouper, confirme notamment la proximité entre l'homme et les chimpanzés.

L'ORIGINE DES LANGUES
En comparant les quelques milliers de langues parlées actuellement dans le monde, les linguistes peuvent les regrouper en familles. Or, depuis le milieu des années 1990, l'Américain Merritt Ruhlen soutient, sur la base d'une recherche des mots partagés par toutes les familles de langues actuelles, que celles-ci dérivent d'une seule langue ancestrale, d'origine africaine.

ORIGINE ET ÉVOLUTION DE LA LIGNÉE HUMAINE
La lignée humaine est issue de primates vivant en Afrique. On considérait jusqu'au début des années 2000 qu'elle débutait avec les australopithèques, il y a 4 à 6 millions d'années. Cependant, des fossiles découverts en 2000 et 2001 (l'« Ancêtre du Millénaire » [Orrorin tugenensis], daté de 6 millions d'années, et « Toumaï » [Sahelanthropus tchadensis], daté de 7 millions d'années) pourraient représenter des ancêtres plus anciens et plus proches de la lignée des grands singes.

DES ORIGINES MYSTÉRIEUSES
Daté d'environ 20 millions d'années, Proconsul, singe au mode de vie largement terrestre, mais à la locomotion quadrupède, était considéré comme l'ancêtre probable des grands singes et des australopithèques. Depuis 1997, on connaît un autre candidat à ce statut : Moropothecus (17 millions d'années), aux mœurs arboricoles, mais dont la capacité à se tenir suspendu aux branches, qui provoquait le redressement du corps, favorisait peut-être la station debout et la bipédie.
Découvert en Afrique de l'Est, le kenyapithèque est peut-être apparenté à l'otavipithèque (Afrique du Sud et Namibie). Ses fossiles, datant de 15 à 12 millions d'années, sont fragmentaires.

LES AUSTRALOPITHÈQUES

Deux genres, d'une ancienneté supérieure à 4 millions d'années, représentent les premiers hominidés. Il s'agit du genre Australopithecus (les australopithèques), représenté par au moins quatre espèces, et du genre Ardipithecus (deux espèces mises au jour en Éthiopie : Ardipithecus Ramidus, en 1992, et Ardipithecus kadabba, en 2001). Si les Ardipihecus présentent des caractères les rapprochant à la fois des australopithèques et des grands singes africains (gorille et chimpanzé), la tribu des hominines (lignée humaine) semble bien issue des australopithèques.

LUCY ET LES AUTRES AUSTRALOPITHÈQUES
L'espèce Australopithecus afarensis est bien connue depuis la découverte, en 1976, du squelette presque complet de « Lucy » (3,2 millions d'années). Célébrée comme notre « arrière-grand-mère », Lucy ne représente pourtant plus les ancêtres directs de l'homme depuis la mise au jour, dans les années 1990, de plusieurs autres fossiles d'australopithèques. Trois espèces, Australopithecus africanus, Australopithecus anamensis et Australopithecus bahrelgahazali, (Abel), se révèlent plus proches de la souche ancestrale du genre humain (Homo) et, parmi eux, Australopithecus africanus possède le crâne le plus « humain ».
L'étude des australopithèques révèle que leur marche bipède était encore imparfaite (petites enjambées accompagnées d'un fort balancement du corps) et qu'ils pouvaient très bien grimper aux arbres. D'une taille comprise entre 1,10 m (Lucy) et 1,50 m, ils avaient un petit cerveau (de l'ordre de 400 cm3) et une face proéminente au niveau des mâchoires (prognathisme).

LES PARANTHROPES
Découverts en Afrique à partir de 1938 et identifiés dans les années 1960 comme des australopithèques « robustes » à cause de leurs fortes mâchoires, les paranthropes ont retrouvé un statut distinct de celui des australopithèques. Contemporains des premiers humains (genre Homo), ils représentent un autre genre d'homininés, à la dentition adaptée à une nourriture végétale coriace (racines, graines…), mais au cerveau plus développé que celui de la plupart des australopithèques. En outre, ils devaient présenter une plus grande aptitude à la bipédie, ainsi qu'une meilleure dextérité manuelle (Paranthropus garhi).
Les paranthropes vivaient durant une période de diversification des homininés, entre 2,5 et 1,4 million d'années, qui faisait suite à l'« âge des australopithèques ». Ils cohabitaient en Afrique avec plusieurs représentants du genre Homo (Homo habilis, Homo rudolfensis, puis Homo ergaster et Homo erectus). Si leurs liens de parenté avec les australopithèques sont encore mal établis (Paranthropus robustus pourrait descendre de Australopithecus africanus), on considère qu'ils se sont éteints sans descendance.

LES PREMIERS HUMAINS
Considéré comme le premier représentant du genre humain, en dépit de nombreuses controverses scientifiques, Homo habilis est apparu en Afrique il y a environ 2,5 millions d'années.
HOMO HABILIS ET HOMO RUDOLFENSIS
Décrit en 1964 par Louis Leakey, John Napier et Philip Tobias, Homo habilis possède un cerveau bien plus volumineux que celui des australopithèques (650 cm3 en moyenne) et une dentition typiquement humaine. Cependant, sa taille demeure comparable à celle des australopithèques (1,10 à 1,40 m) et son squelette traduit un mode de vie à la fois terrestre et arboricole. Une autre espèce, contemporaine, Homo rudolfensis, montre un cerveau plus développé (750 cm3) et des mâchoires plus robustes, combinant des caractères plus humains, mais aussi plus « australopithèques ».
La comparaison des caractères deHomo habilis et de Homo rudolfensis avec ceux des autres membres du genre Homo, d'une part, et ceux des australopithèques, d'autre part, apporte des arguments aux paléontologues qui les considèrent non comme des humains, mais comme des australopithèques « récents ». En outre, si Homo habilis pouvait tailler et utiliser des outils de pierre (d'où son nom d'« homme habile »), cette capacité semble partagée par les derniers australopithèques.
HOMO ERGASTER ET HOMO ERECTUS
Il y a environ 1,8 million d'années, alors qu'Homo habilis n'a pas encore disparu de la scène préhistorique, Homo ergaster montre toute une panoplie de caractères typiquement humains. Bien plus grand (jusqu'à 1,80 m), c'est un excellent marcheur, doté d'un plus gros cerveau (800 cm3), qui construit les premiers campements et manipule différents outils. L'étude des empreintes de son cerveau sur son crâne permet d'affirmer qu'il maîtrisait le langage.
Avec Homo ergaster, la lignée humaine commence son expansion géographique : d'Afrique, il colonise l'Asie (pratiquement dès la période de son expansion en Afrique, il y a 1,8 million d'années), puis l'Europe (il y a plus d'un million d'années). En Asie, il donnera l'espèce Homo erectus (« pithécanthrope »). Il y eut plusieurs mouvements migratoires et certaines populations de Homo ergaster demeurèrent en Afrique (ou y revinrent). Ces migrations ont favorisé les différenciations génétiques compatibles avec l'apparition d'autres espèces. Quant à la conquête du feu, il est peu probable qu'on puisse l'attribuer à Homo erectus (les foyers les plus anciens clairement authentifiés datent de 450 000 ans).

NEANDERTAL ET CRO-MAGNON

On a identifié deux espèces, contemporaines de Homo ergaster, qui pourraient être à l'origine des derniers représentants de la lignée des homininés, l'homme de Neandertal et l'homme de Cro-Magnon. Il s'agit d'une part de Homo heidelbergensis (daté de 500 000 ans), africain et, d'autre part, de Homo antecessor, découvert en Espagne (sierra d'Atapuerca) et plus ancien (780 000 ans).

Quoi qu'il en soit, les Néandertaliens (Homo neanderthalensis) apparaissent en Europe il y a plus de 200 000 ans, à partir d'une longue lignée de « pré-néandertaliens », tel l'homme de Tautavel, daté de 450 000 ans. Quant à l'homme de Cro-Magnon ou « homme moderne » (Homo sapiens), c'est-à-dire notre espèce, il émerge probablement d'un groupe de « sapiens archaïques » ou « proto-Cro-Magnons », il y a environ 100 000 ans.

LES NÉANDERTALIENS
Longtemps considéré comme une sous-espèce de l'homme moderne (alors appelé Homo sapiens neanderthalensis), l'homme de Neandertal s'en distingue par de nombreux traits morphologiques. Des caractères anatomiques (au niveau de l'oreille interne) permettent de le considérer comme une espèce distincte. Son corps, plus trapu, traduit une adaptation au climat froid qui régnait en Europe durant les périodes glaciaires. À cause de sa face plus oblique et de son crâne allongé, on a fait de lui un être fruste, de faible intelligence. On sait aujourd'hui que son organisation sociale était élaborée. Son cerveau (1 600 cm3) se révèle plus volumineux que celui de l'homme moderne. Bon chasseur et fabricant d'armes et d'outils, il fut le premier à instaurer des rites funéraires.
Les Néandertaliens sont bien répandus en Europe il y a environ 100 000 ans. Une partie de leur population migre ensuite au Proche-Orient et en Asie centrale (il y a environ 75 000 ans). Là, ils rencontrent les précurseurs de l'homme moderne, qui s'installeront en Europe il y a 40 000 ans. C'est à cette époque que les Néandertaliens entament leur déclin. Confinés dans quelques territoires du sud de l'Europe, probablement à cause de l'expansion de l'homme moderne, ils s'éteignent il y a 30 000 ans.

LA FIN DE LA DIVERSITÉ HUMAINE

Les opinions divergent quant à l'origine géographique de l'homme moderne. En effet, on trouve ses représentants primitifs (des « proto-Cro-Magnons ») en Asie (notamment en Chine et au Proche-Orient) et en Afrique, et certains voient parmi les pré-néandertaliens d'Europe des précurseurs de l'homme de Cro-Magnon. Pourtant, l'anthropologie moléculaire et les données paléontologiques plaident en faveur d'une origine africaine.
Plus grand que les Néandertaliens et plus robuste que les hommes actuels, l'homme de Cro-Magnon va connaître une formidable évolution culturelle et sociale. Colonisant tout l'Ancien Monde et gagnant l'Amérique et l'Australie, il inaugure une période d'expansion sans précédent de la lignée humaine, dont il est pourtant l'ultime représentant.

 

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L'EXPRESSIONNSME

 

 

 

 

 

 

 

expressionnisme

Consulter aussi dans le dictionnaire : expressionnisme
Cet article fait partie du dossier consacré au style.
Tendance artistique caractérisée par une vision émotionnelle et subjective du monde, qui s'affirme notamment dans le premier quart du xxe s.
Voir également :
• expressionnisme [cinéma]
• expressionnisme [danse, musique]
• expressionnisme [littérature]

PEINTURE ARTISTIQUE ET SCULPTURE
Le terme « expressionnisme » se rattache à l'atmosphère de malaise et de révolte qui a précédé et suivi la Première Guerre mondiale et que les créateurs d'alors ont traduite par une esthétique violente et tourmentée.
Si, dans le domaine de la création plastique, on peut employer le mot « expressionnisme » pour désigner toute tendance à l'exagération expressive pouvant exister à toutes les époques et dans toutes les civilisations, au sens strict on l'emploie à propos d'un courant artistique qui s'est épanoui dans un champ chronologique plus restreint, et qui représente l'une des composantes majeures de l'art du xxe s.
Le mot « expressionniste » apparaît en 1911, lors de la XXIIe Exposition de la Berliner Sezession, groupement d'artistes allemands d'avant-garde, pour qualifier un groupe de peintres français, composé d'anciens fauves et de Picasso. Il est ensuite repris pour désigner tout courant artistique novateur et moderne. En 1914 enfin, plusieurs peintres et sculpteurs allemands seront regroupés sous ce vocable : Erich Heckel, Ernst Ludwig Kirchner, Max Pechstein et Karl Schmidt-Rottluff, tous anciens membres du groupe Die Brücke (« le Pont »), Vassili Kandinsky et Franz Marc, membres du Blaue Reiter (le « Cavalier bleu »), et l'Autrichien Oskar Kokoschka.
Tous ces artistes pratiquent un art dans lequel se remarquent de nombreux traits communs : des empâtements marqués et des couleurs violentes, une vision de la réalité souvent déformée et exagérée, des sujets permettant la création d'une atmosphère pathétique et traduisant des sensations et des sentiments exacerbés.
De manière générale, l'expressionnisme, tel que le mot est employé dans l'entre-deux-guerres, se définit plus par une attitude de l'artiste que par un style précis. Il s'agit pour celui-ci de chercher à communiquer au spectateur, par l'intermédiaire des couleurs et des lignes du tableau, la violence et la singularité d'une émotion. L'artiste expressionniste a le souci d'exprimer une conception du monde tourmentée et révoltée, et de partager avec le spectateur des sensations extrêmes et brutales.

AVANT 1914
LES PRÉCURSEURS
Si la tendance expressionniste s'est cristallisée en Allemagne avant 1914, ses signes avant-coureurs émanent de l'œuvre de puissantes personnalités originaires des régions périphériques de l'Allemagne : le Belge James Ensor, le Français Toulouse-Lautrec, le Hollandais Vincent Van Gogh, le Norvégien Edvard Munch.
ENSOR
Tourné vers l'insolite et la parodie, Ensor fait en effet figure, dès 1880, de précurseur, avec l'Entrée du Christ à Bruxelles, œuvre à la verve caricaturale mêlant les masques au thème religieux.
TOULOUSE-LAUTREC
Lautrec, essentiellement dessinateur, associe parfois à un trait volontiers elliptique des couleurs aux franches dissonances (la Femme tatouée, 1894).
VAN GOGH
De son côté, Van Gogh, au lieu de tenter de rendre le réel dans son apparence, cherche à le déformer, dans les lignes et dans la couleur, de manière à pouvoir transmettre par le tableau le tumulte de son âme. Sa fièvre créatrice, son usage d'une pleine pâte maniée avec emportement et son goût pour des couleurs violentes ouvrent une voie nouvelle à la peinture. L'apport de Van Gogh est double ; en 1885, il a déjà exécuté à Nuenen, en Hollande, les Mangeurs de pommes de terre, toile sombre, grassement peinte, aux intentions symboliques évidentes (éloge de la rusticité) et qui n'aura de véritable descendance que beaucoup plus tard ; son œuvre française retient par une psychologie plus profonde (Portrait dit « d'un acteur », 1888) et par le dynamisme coloré de l'exécution. Sa dernière toile, Champ de blé aux corbeaux (1890), est un paysage tragique, dans lequel le bleu intense du ciel et le jaune doré du champ de blé servent de fond à de grands oiseaux dont la noirceur semble faire écho au désespoir fatal du peintre.

MUNCH
Munch, qui doit tant à la virtuosité graphique du « Jugendstil », traduit le plus souvent son obsession de la mort dans des compositions synthétiques, fondées sur des lignes sinueuses. Dans le Cri (1893), un personnage debout sur un parapet proche de la mer semble saisi d'une terreur dont aucun élément du tableau ne permet de comprendre la cause. Cette image de l'angoisse, qui compte comme l’un des manifestes de l’expressionnisme, trouvera un écho dans l'Europe inquiète de cette fin de siècle.
Chez ces peintres, si différents l'un de l'autre, l'expérience vécue est inséparable de l'œuvre, et il s'agit de destins éminemment contrariés, par la fréquentation précoce de la maladie et de la mort (Munch), par le poids de l'infirmité (Lautrec), par la misère physiologique et sociale (Van Gogh), par l'entrave permanente d'un milieu stupide et hostile (Ensor).

COURANTS CONTEMPORAINS
À la fin du xixe s., la peinture européenne, largement dominée par le prestige de l'école française, était encore attachée au réalisme, soit dans la tradition de Courbet, soit dans celle, plus récente, de l'impressionnisme, et les précurseurs de l'expressionnisme ont tous bénéficié de l'apport technique de ce dernier, en faveur de l'émancipation de la couleur et de la liberté du métier. Le symbolisme, qui, de 1890 à 1900 environ, triomphe dans les métropoles artistiques (Paris, Bruxelles, Vienne, Munich), n'intéresse ces précurseurs que dans la mesure où l'intention compte désormais davantage dans l'appréciation de l'œuvre et entraîne une concentration des moyens (lignes et surfaces colorées) tout opposée à l'éparpillement de la touche impressionniste.

L'ALLEMAGNE
La situation de la peinture en Allemagne au début du xxe s. et une affinité particulière du génie germanique devaient faire de ce pays la terre d'élection de l'expressionnisme au tournant du siècle.

CONTEXTE ARTISTIQUE
Max Liebermann (1847-1935), Max Slevogt (1868-1932), Lovis Corinth (1858-1925) empruntent encore alors à l'impressionnisme des effets, assez appuyés, de facture ; sous l'influence du courant d'idées symbolistes, la jeune génération rejette cet art souvent lourd et superficiel, et, malgré la caducité de ses formules, est davantage touchée par l'idéalisme postromantique de Hans von Marées (1837-1887) et d'Arnold Böcklin.
Le renouvellement de l'intérêt pour les traditions nationales, né avec le romantisme, remet en faveur les peintres des xve et xvie s. (Grünewald et surtout Dürer) comme les techniques anciennes de la gravure, en particulier sur bois, à laquelle Munch s'initie à Berlin, où il fait en 1892 une exposition retentissante.
Après celle de Munch, l'œuvre des novateurs français, Gauguin, Cézanne, Lautrec, et celle de Van Gogh, présentée à Berlin (1903), à Munich (1904), à Dresde (1905), accélèrent l'évolution, au moment où le rêve édénique de Gauguin est l'aboutissement du vaste courant européen de retour à la nature – auquel le romantisme allemand avait été fort sensible – et qu'illustrent notamment les artistes réunis à Worpswede (dans le nord de l'Allemagne, près de Brême) à la fin du xixe s.

DIE BRÜCKE
Dresde
C'est à Dresde que le groupe « Die Brücke » (1905-1913), qui joint à la nostalgie de l'innocence primitive le goût de l'activité communautaire, fait la synthèse de ces éléments divers, où l'emportent nettement la tradition graphique médiévale ainsi que l'influence de la plastique africaine et océanienne, étudiée au musée ethnographique de Dresde.
Ernst Ludwig Kirchner, Erich Heckel, Karl Schmidt-Rottluff, Max Pechstein, Otto Mueller pratiquent, les trois premiers surtout, un art d'où toute nuance est bannie au profit de stylisations abruptes, anguleuses, où les couleurs, disposées en aplats, s'accordent moins qu'elles ne se heurtent (Kirchner, Femme au divan bleu, 1910 ; Schmidt-Rottluff, la Lecture, 1911).
Membre de Die Brücke en 1906-1907, Emil Nolde apporte à l'expressionnisme, à partir de 1909, une dimension métaphysique (fort étrangère au paganisme érotique de Die Brücke), où le sarcasme douloureux voisine avec la frénésie extatique, à l'aide d'un métier dru, d'une exécution tumultueuse (Légende de Marie l'Égyptienne, 1912).

Berlin 1911-1914
Transférée à Berlin en 1911, Die Brücke y rencontra un climat plus favorable qu'à Dresde et exposa dans la galerie ouverte par Herwarth Walden, directeur de la revue Der Sturm (fondée en 1910). La notion d'expressionnisme s'élabore à ce moment, et Der Sturm en généralise l'emploi : le terme est appliqué à la présence du fauvisme français à la Sécession de Berlin et au Sonderbund de Düsseldorf dans un compte rendu de la revue Die Kunst.
En 1912 sont ainsi qualifiées d'expressionnistes trois sélections, présentées par Der Sturm, d'œuvres très différentes : allemandes (Der Blaue Reiter), françaises (Braque, Derain, Friesz, Vlaminck) et belges (Ensor, Wouters).
L'« expressionnisme » recouvre donc en Allemagne, à cette époque, les tendances nouvelles internationales.

DER BLAUE REITER
L'équipe du Blaue Reiter (Kandinsky, Jawlensky, Marc, Macke, Campendonk) arrivant à notoriété à Berlin en même temps que Die Brücke, et le goût personnel de Walden l'inclinant davantage vers l'intellectualisme poétique de Kandinsky et de ses amis, Der Blaue Reiter fut pendant quelque temps à la pointe du mouvement expressionniste. Mais il était sollicité par de tout autres formes que celles qui avaient donné à Die Brücke son impulsion : cubisme français, futurisme italien (exposé à Der Sturm en 1912), tandis que Kandinsky jetait dès 1910-1911 les bases d'un art d'effusion pure, d'où la référence au visible était écartée.
C'est sur cette dernière voie que Marc, surtout, devait s'engager : son besoin de communion avec le monde le rapproche de Die Brücke, mais il s'exprime désormais par l'intermédiaire de l'animal, non plus de l'être humain (Chevreuils dans la forêt, II, 1913-1914).
Le visage humain est au contraire pour Jawlensky l'objet de multiples variations ; en quête d'une spiritualité toujours plus grande, il s'inspire de l'icône dans les tableaux antérieurs à 1914 (Femme au chapeau bleu, 1912-1913).

VIENNE 1910-1914

À Vienne, le courant expressionniste part du symbolisme décoratif et graphique de Gustav Klimt, dont procèdent à leurs débuts Richard Gerstl (1883-1908), disparu trop tôt pour avoir pu donner sa mesure, Egon Schiele et Oskar Kokoschka.
Le Suisse Ferdinand Hodler, dont la Sécession viennoise montra un ensemble important en 1904, est également une des sources de l'expressionnisme autrichien, notamment de celui de Schiele, que caractérisent une exaspération graphique et une tension égocentrique et érotique rarement atteintes (Figure féminine en noir, 1911). Collaborateur de Der Sturm dès 1910, Kokoschka fait preuve, en revanche, d'une réceptivité directe à autrui dans ses « portraits psychologiques » (1907-1914), où s'équilibrent les qualités du coloriste et du dessinateur (Portrait d'Herwarth Walden, 1910).

EXPRESSIONNISME ET FAUVISME
La diffusion de l'expressionnisme sous les auspices de Der Blaue Reiter, du cubisme et du futurisme, et favorisée par de grandes expositions (Sonderbund à Cologne, 1912 ; premier Salon d'automne allemand à Berlin, Der Sturm, 1913), toucha des artistes d'une génération antérieure, comme Christian Rohlfs (1849-1938), Corinth, ainsi que Wilhelm Morgner (1891-1917), Ludwig Meidner (1884-1966), fondateur à Berlin du groupe « Die Pathetiker », et Heinrich Nauen (1880-1940).
Die Brücke dut en effet autant à la conjoncture historique qu'à l'outrance de ses procédés de faire peu école, et ce sont plutôt ses artistes qui furent influencés par leurs contemporains. À cet égard, le fauvisme connut une situation analogue. Mais si l'emploi de la couleur pure, la simplification des formes, la référence fréquente à Van Gogh et le renouveau de la gravure sur bois en France comme en Allemagne justifient le rapprochement entre expressionnisme et fauvisme, ce dernier illustre le plus souvent un esprit beaucoup moins tourmenté, où le bonheur de peindre hérité de l'impressionnisme est encore fort sensible, quand les réussites de Die Brücke, foncièrement hostile à l'impressionnisme, sont d'ordre graphique plus que pictural. Les fauves atteignent pourtant, par moments, à l'expressionnisme, en particulier Vlaminck (de très bonne heure : Sur le zinc, 1900) et Van Dongen (Danseuse borgne, 1905) ; de telles rencontres sont plus fortuites chez Matisse et Derain. Au début du xxe s., en marge du fauvisme, Rouault donne une version française originale de l'expressionnisme – un peu à la manière de Nolde en Allemagne – , avec des aquarelles d'une magistrale aisance, sur des thèmes religieux ou inspirées par le spectacle de la comédie et de la déchéance humaines (Fille au miroir, 1906).

SCULPTURE
En sculpture, l'expressionnisme présente très tôt la même ambiguïté de signification que dans la peinture. Une réaction très volontaire contre Rodin, contre l'Italien Medardo Rosso – soit contre la sculpture « impressionniste » – explique seule, en effet, que des œuvres encore fortement imprégnées du symbolisme « fin de siècle » aient pu jouer un rôle révolutionnaire. Ce fut le cas pour Wilhelm Lehmbruck (1881-1919), dont la grande figure de bronze, Agenouillée (1911), fut célébrée à Cologne, lors du Sonderbund, comme le manifeste de l'expressionnisme.
À la même époque, Alexander Archipenko présente à Der Sturm la Femme au chat (1911, albâtre), dont les formes ramassées, issues de l'archaïsme alors très prisé à Paris, sont en tout point contraires à l'étirement maniériste de celles de Lehmbruck. Les sculptures les plus connues d'Ernst Barlach (1870-1938) ont été exécutées au cours des années antérieures à la guerre (le Solitaire, 1911, bronze ; le Vengeur, 1914, bronze). Mais, échappant au milieu berlinois de Der Sturm, elles ne prirent vraiment valeur historique que plus tard, quand Barlach, à cause de l'accent pessimiste de son œuvre, devint un des artistes les plus persécutés par les nazis. Les sources de son inspiration demeuraient pourtant celles d'un homme de la fin du xixe s., redécouvrant la sculpture gothique, les retables de bois aux figures véhémentes et denses.

GRAVURE
Barlach a influencé Käthe Kollwitz (1867-1945), dont la longue et féconde carrière de dessinateur et de graveur – plus encore que de sculpteur – illustre, mieux qu'aucune autre, le « passage » entre symbolisme, expressionnisme et réalisme social. La Mère et l'enfant mort de 1903 (eau-forte) l'emporte sur les pages les plus désespérées de Picasso à cette époque ; la Mort et la femme (1921, bois) joint à la technique de taille des gravures pratiquée par tous les peintres de Die Brücke la massivité plus lisible des formes de Barlach. Enfin, la longue suite pathétique des autoportraits prend place à côté de ceux de ses contemporains Kirchner et Beckmann.

APRÈS 1914
L'ALLEMAGNE
La Première Guerre mondiale entraîna le déclin, puis la disparition de l'expressionnisme allemand tel qu'il s'était manifesté peu avant. Les réactions au conflit, désormais individuelles, engendrèrent de nouvelles cristallisations expressionnistes, chez Kirchner (Autoportrait en soldat, 1915), chez Kokoschka (Autoportrait, 1917) et ce recours à l'autoportrait trahit une prise de conscience douloureuse.
Mais d'autres artistes, qui devaient constituer après la guerre le courant de la « Neue Sachlichkeit » (« Nouvelle Réalité » ou « Nouvelle Objectivité »), réalisent alors quelques œuvres où l'accent de revendication sociale et de révolte contre la guerre l'emporte nettement : Hommage à Oscar Panizza (1917-1918) de George Grosz, dans une esthétique très proche de celle du futurisme, mais où la ville et les masses qu'elle emprisonne se heurtent dans une atmosphère d'émeute et de rage impuissante ; la Nuit (1918-1919, Düsseldorf) où Max Beckmann, tout en empruntant aux retables des primitifs leur dessin dur, leur composition serrée et leur gesticulation véhémente, crée une œuvre d'un irréalisme fantastique sans précédent. C'est au contraire sur l'excès même de la description naturaliste que reposait l'effet de la Tranchée (1920-1923), tableau disparu d'Otto Dix, atroce vision du carnage né du déferlement d'une haine aveugle et stupide. Après de telles prémisses, la Neue Sachlichkeit pouvait difficilement ne point se départir de l'objectivité qui était son ambition, et Beckmann, Grosz et Dix portèrent violemment témoignage contre la mentalité de l'après-guerre. En Allemagne, le « post-expressionnisme » restait fidèle à ses origines ; seul l'éclairage psychologique s'était modifié : à la réaction inquiète, spontanée de l'individu contre son destin se substituaient la satire des milieux, la protestation délibérée contre la coercition qu'ils exerçaient.

LA BELGIQUE
La Première Guerre mondiale eut également pour résultat la formation d'un mouvement expressionniste cohérent en Flandre belge, dont les pionniers furent des artistes de l'école dite « de Sint-Martens-Latem » (Laethem-Saint-Martin), du nom d’un village des environs de Gand : Constant Permeke, Gustave De Smet, Frits Van den Berghe, Albert Servaes (1883-1966), Gustave Van de Woestijne (1881-1947).
Les origines de ce mouvement sont tout autres que celles de l'expressionnisme germanique : l'indifférence relative des peintres de Laethem pour la vie artistique bruxelloise (très ouverte aux apports français) donna à la leçon des primitifs flamands (exposés à Bruges en 1902) une vertu qui ne devait point se démentir, mais seulement se nuancer par la suite. L'exaltation du terroir et de l'existence âpre et fruste qu'il implique (dont on prend exemple chez Bruegel) est d'abord le fait de Servaes (les Ramasseurs de pommes de terre, 1909). Pendant la guerre, Permeke, évacué en Angleterre, inaugure un style plus ample, encore prisonnier pourtant de la mise en page, à tendance décorative, du symbolisme (le Buveur de cidre, 1917). Réfugiés à Amsterdam, De Smet et Van den Berghe eurent la révélation du cubisme, dont l'implantation en Hollande est due surtout au Français Henri Le Fauconnier, qui, de 1915 à 1918, pratiqua un expressionnisme que son pessimisme onirique rapprocherait de celui des Allemands, mais dans une technique du clair-obscur très septentrionale (le Rêve du fumeur, 1917). Parallèlement à Le Fauconnier, le Hollandais Jan Sluyters (1881-1957) connaît de 1915 à 1917 une phase expressionniste dans laquelle le souvenir du Van Gogh de Nuenen est explicite, mais avec une mise en forme dérivée du cubisme (Famille de paysans de Staphorst, 1917). En outre, les Belges prirent contact, par l'intermédiaire de revues, avec l'expressionnisme allemand et l'art nègre. De Smet suivit plutôt Sluyters, en choisissant un site privilégié, le village de pêcheurs de Spakenburg, au bord du Zuiderzee, et en empruntant au cubisme la simplification expressive du dessin (Femme de Spakenburg, 1917). Van den Berghe se situe d'abord dans le sillage de Die Brücke, qui le porta à s'intéresser à l'art nègre et à pratiquer la gravure sur bois (l'Attente, 1919).

L'EXPRESSIONNISME FLAMAND (1920-1930)
À Bruxelles, après la guerre, la revue et la galerie Sélection patronnèrent l'« expressionnisme flamand » (ainsi nommé par analogie avec l'Allemagne) ; la première exposition (août 1920) rendait hommage au cubisme et à l'école de Paris, dans le sens large du terme (Picasso, Modigliani…), auxquels le nouveau mouvement devait beaucoup. Permeke en devenait le chef de file.
L'expressionnisme flamand, que n'entachait point (sauf chez Van den Berghe dès 1925-1926) l'érotisme obsessionnel, le sentiment foncier d'angoisse et d'oppression de son homonyme germanique, fut plutôt un réalisme expressif dont les moyens sont judicieusement calculés pour célébrer les mérites d'une terre et de ses habitants : Permeke, avec un souffle épique qu'aucun de ses compagnons n'égale, les pêcheurs, les paysans, les aspects de la mer et des saisons ; De Smet et Van den Berghe au début, mais avec plus d'ironie, les bonheurs paisibles d'une province demeurée rustique (De Smet : l'Eté, 1926) ; Edgard Tytgat (1879-1957), les images naïves d'une collectivité surprise dans son loisir (Dimanche matin à la campagne, 1928) ; Jean Brusselmans (1884-1953), la permanence du paysage brabançon.
À ces peintres, il faut joindre les sculpteurs Oscar Jespers (1887-1970) et Jozef Cantré (1890-1957), très marqués par Ossip Zadkine (1890-1967), et le graveur sur bois Frans Masereel (1889-1972), proche de la « Nouvelle Objectivité » allemande.
Après 1930, la saturation du marché d'art et le retour offensif d'un réalisme n'admettant guère de transposition sont causes du déclin de l'expressionnisme, dont seul Permeke continue à enrichir le domaine. En marge du mouvement, Servaes créa entre 1919 et 1922 une série d'œuvres religieuses qui renouvelaient l'expression moderne de l'« art sacré », comme Rouault en France et Nolde en Allemagne l'avaient fait, et dont les formes exsangues, dégagées d'un réseau graphique enchevêtré, firent scandale (Chemin de croix dessiné et peint ; Pietà).

LA HOLLANDE
La Hollande développa un art plus dispersé que celui des Flamands, malgré l'impulsion initiale donnée par la diffusion de l'œuvre de Van Gogh ; pendant la guerre, Le Fauconnier fut l'animateur de l'école de Bergen, dont Sluyters, Leo Gestel (1881-1941) et Charley Toorop (1891-1956) furent les membres les plus importants.
En 1918, à Groningue, H. N. Werkman (1892-1945) et Jan Wiegers (1893-1959) fondèrent le groupe « De Ploeg » (la Charrue) ; tandis que Werkman évoluait vers une figuration très dépouillée, presque abstraite, Wiegers, lié avec Kirchner, s'orienta vers un expressionnisme proche de celui de Die Brücke (Paysage aux arbres rouges). Si Herman Kruyder (1881-1935) s'est dégagé de l'influence des Flamands et a laissé place à l'imaginaire dans son inspiration, Hendrik Chabot (1894-1949) a sauvegardé sa personnalité tout en interprétant des sujets voisins de ceux de Permeke (le Maraîcher, 1935).

LE MEXIQUE ET LE BRÉSIL
À la cohésion du groupe flamand correspond seulement, au cours de la même période, celle des Mexicains Diego Rivera, J. D. A. Siqueiros, Rufino Tamayo et J. C. Orozco, des Brésiliens Cândido Portinari (1903-1962) et Lasar Segall (1885-1957). S'ils se réfèrent, comme les Flamands, à leur terroir traditionnel (en exaltant leurs origines indiennes), ils y ajoutent une dimension révolutionnaire et sociale qui les a conduits à être davantage décorateurs (grandes fresques murales) que peintres de chevalet.
Dans les mieux venues de leurs toiles, ils évoquent, sans l'égaler par la qualité picturale, le lyrisme de Permeke, Rivera en particulier (la Broyeuse, 1926). Les cycles de décorations murales, que Rivera inaugure en 1921 à l'École nationale préparatoire de Mexico, ont eu le mérite de remettre en honneur la peinture monumentale ; mais, malgré l'intérêt du dessein et l'évidente dignité des thèmes (lutte du prolétariat, glorification du travail humain), le réalisme emphatique du style nuit à l'efficacité de ces réalisations (Rivera : École nationale d'agriculture de Chapingo, 1927 ; Orozco : université de Guadalajara, 1936-1939). Tamayo, plus jeune, évita l'emprise d'un folklore qui paraissait impliquer une certaine soumission à la vision conventionnelle, et l'influence de Picasso fut, chez lui, libératrice.
Au Brésil, Portinari développa un expressionnisme analogue, où la tension acérée du dessin, la stylisation violente des formes sont informées, là encore, de Picasso (l'Enterrement dans le hamac, 1944).

L'EXPRESSIONNISME EN FRANCE ET L'ÉCOLE DE PARIS
L'expressionnisme proprement dit répugne au génie français ; Rouault est une exception. Mais l'école de Paris fut le creuset d'un expressionnisme illustré surtout par des peintres et des sculpteurs d'origine israélite, sans qu'un style collectif ait été élaboré.

PEINTURE
Chagall
Marc Chagall exerça une certaine séduction sur Der Blaue Reiter et notamment sur Campendonk. Mais il dépassa rapidement l'expressionnisme dû à ses premiers contacts parisiens (avec le fauvisme : le Père, 1911) ou inhérent à certains motifs (le Rabbin vert) au profit d'une poétique qui traite avec une grande désinvolture les rapports logiques.
Modigliani
Exposé en Belgique, ainsi que Chagall, au lendemain de la guerre, Amedeo Modigliani retint l'attention de Permeke lui-même par ses dessins ; mais on parlerait mieux du « maniérisme expressif » de Modigliani, tant chez lui le style, avec ses licences, canalise l'émotion, exception faite pour quelques portraits d'une verve inattendue, celui de Diego Rivera par exemple (1914-1915).
Pascin
La vie et la mort de Julius Pascin parent d'une aura singulière une œuvre demeurée fidèle à une réalité sans doute trouble – celle des maisons closes – , mais peu transposée sur le plan de l'art.
Soutine
Parmi ces peintres, seul Chaïm Soutine, du début à la fin de sa carrière, est un expressionniste pur ; sans cesse en conflit avec lui-même pour ordonner le chaos de ses visions pathétiques, il frôle l'échec total ou atteint au chef-d'œuvre (la Femme en rouge, 1922).
Vers 1924, au moment où le groupe flamand et la Neue Sachlichkeit allemande proposent un expressionnisme moins tourmenté, plus accessible, une tendance analogue se constitue en France, autour de Marcel Gromaire, d'Édouard Goerg (1893-1969), d'Amédée de La Patellière (1890-1932). Une affinité existe entre l'art de La Patellière et de Gromaire et celui des Flamands, mais l'esprit cartésien des Français s'exerce en faveur de l'équilibre de la composition et ne s'attache guère à privilégier telle partie, tel détail en tant que foyers d'intensité émotionnelle et plastique, sauf dans quelques tableaux de Gromaire (le Faucheur flamand, 1924). Plus intéressantes paraissent les œuvres exécutées par Charles Dufresne (1876-1938) entre 1918 et 1924, qui anticipent nettement sur l'expressionnisme tant français que flamand (les Ondines de la Marne, 1920).
Picasso
Élaborées en France, les périodes bleue et rose de Picasso avaient montré déjà combien les rapports entre le symbolisme (elles s'y rattachent par leur monochromie, leurs solutions essentiellement graphiques) et l'expressionnisme sont subtils au début du siècle. Mais, entre 1937 et 1941, le brutal stimulus affectif de la guerre d'Espagne conduisit l'artiste à faire la synthèse de ses expériences plastiques précédentes et à en tirer un expressionnisme à la mesure des drames de l'époque : Guernica (1937), la Femme qui pleure (1937).

SCULPTURE
En sculpture, Ossip Zadkine et Jacques Lipchitz, tous deux épigones du cubisme, se sont orientés, surtout après 1930, vers une plastique plus véhémente et démonstrative. Comme c'est souvent le cas, une des œuvres les plus expressionnistes qui soient a été réalisée plus tard et en dehors d'une référence esthétique précisément formulée : l'Homme foudroyé (également intituléla Ville détruite) de Zadkine (1951), érigée, en commémoration du bombardement de Rotterdam en 1940, au milieu d'une place de la ville. Toutes proportions gardées, cette statue atteint à la même vertu du témoignage irrécusable que Guernica et, comme la peinture, elle est la synthèse de leçons stylistiques antérieures.

LA SECONDE APRÈS-GUERRE
INTRODUCTION
Eu égard à l'exceptionnelle densité de ces réalisations apparaît peu convaincante la brève flambée expressionniste des années qui suivirent en France la Libération, avec Francis Gruber (1912-1948) et Bernard Buffet, dont la manière anguleuse et sèche, le pessimisme morbide justifièrent le terme de misérabilisme qui servit à désigner cette tendance. Car la stylisation n'empêchait point l'esprit d'être fort réaliste, surtout chez Buffet. Un expressionnisme plus original, participant d'une évolution où les références à la réalité sont de moins en moins littérales, sinon absentes, est alors inauguré par Jean Fautrier et surtout par Jean Dubuffet.
Le premier avait déjà, avant la guerre, donné des gages à l'expressionnisme avec des figures, des natures mortes d'un coloris sombre et d'une exécution raffinée (1926-1928) ; les mêmes thèmes sont traités à partir de 1942 dans une relation très allusive entre le sujet et son interprétation.
Dubuffet, dans ses suites de portraits, de nus et d'études d'animaux, fait preuve d'un expressionnisme beaucoup plus franc en s'inspirant de différents modèles de spontanéité : graffiti, dessins d'aliénés, d'enfants.
Cette attitude et cette curiosité expérimentale rejoignent celles du groupe belgo-hollando-danois Cobra (1948-1951). Mais si Cobra, durant sa période d'activité collective, se réfère également à la poétique « surréalisante » de Klee et de Miró, les itinéraires personnels d'Asger Jorn, de Karel Appel, de Pierre Alechinsky, expérience faite des techniques non figuratives, sont maintes fois vivifiés par un expressionnisme que signale son humour agressif.
L'EXPRESSIONNISME ABSTRAIT AMÉRICAIN
À partir de 1950 environ, l'inspiration issue des foyers traditionnels, désormais exsangue, va permettre à l'Amérique de prendre le relais – par le biais de l'« expressionnisme abstrait ».

CONTEXTE HISTORIQUE
Celui-ci, a-t-on pu écrire (Barbara Rose), est la conséquence de deux catastrophes : la dépression économique des années 1930 et la Seconde Guerre mondiale. La première, qui toucha durement les artistes américains, vit, pour atténuer immédiatement ses effets, la création du « Federal Art Project » (1935-1943), destiné à fournir du travail aux peintres en leur faisant décorer maints lieux publics (gares, écoles, aéroports…) sous l'influence, au début du moins, des Mexicains (Rivera, Orozco), qui avaient également travaillé aux États-Unis. Cette expérience donna aux Américains le goût des très grands formats, et cette notion d'« échelle américaine » (american scale) devint une référence essentielle de leur peinture. La Seconde Guerre mondiale contribua, d'autre part, à faire mieux connaître aux États-Unis, et particulièrement à New York, les tendances européennes contemporaines. Nombre d'artistes avaient cherché refuge à New York : Chagall, Léger, Grosz, Beckmann, Lyonel Feininger et le groupe surréaliste presque au complet (Breton, Dali, Ernst, Masson, Matta).

SOURCES D’INSPIRATION
La génération expressionniste américaine, menée par Jackson Pollock et Willem De Kooning, arrivés respectivement à New York en 1929 et en 1926, médita deux leçons apparemment contraires : celle de Picasso, dont la verve lui paraissait mieux convenir à l'expression du sentiment moderne que l'abstraction géométrique de Mondrian, lui aussi réfugié à New York ; celle du surréalisme – auquel Picasso avait d'ailleurs apporté une éloquente contribution – pour son aspect expérimental et technique, sous le signe de la spontanéité « automatique » qui caractérisait les activités du groupe. Max Ernst, sans doute, révéla à New York le procédé du dripping, dans lequel la couleur s'égoutte de boîtes de conserve perforées sur la toile. Enfin, l'espace ouvert des tableaux surréalistes (Miró, Matta, Tanguy) pouvait accueillir plus librement des expériences techniques nouvelles et réaliser la synthèse, toujours difficile, entre l'imagination et l'expression. Les derniers tableaux d'Arshile Gorky peuvent ainsi se situer à la charnière du surréalisme et de l'expressionnisme abstrait (Le foie est la crête du coq, 1944).

POLLOCK
Soutenu par Peggy Guggenheim, Pollock allait incarner au plus haut degré l'expressionnisme américain. Il s'essaya dès 1941-1942 au dripping, mit au point le procédé du all over (toute la surface de la toile recouverte de peinture pour suggérer la continuité de la création) et travailla debout, ses immenses formats posés sur le sol. Une telle disposition exigeait une mobilité constante à laquelle tout le corps – et plus seulement le bras et la main comme naguère – participe : d'où le terme d'action painting, que l'on doit au critique d'art Harold Rosenberg. Les foisonnants lacis de couleur de Pollock restituent au niveau de la toile une émotion brute ; çà et là émergent parfois des repères figuratifs (têtes, membres), auxquels l'artiste allait revenir de façon plus explicite dès 1951 (Number 27).

DE KOONING
À cette sollicitation insidieuse du personnage (qui révèle combien l'expressionnisme abstrait est ambigu), de Kooning céda beaucoup plus. Le thème de la femme, traitée fort irrévérencieusement, est une constante de son œuvre ; s'y mêlent des réminiscences nettement picassiennes, jointes à un « lâché » des contours à la manière de Gorky, dont il avait un moment partagé l'atelier (Femme à la bicyclette, 1952-1953).

MOTHERWELL
Chez les autres peintres ayant participé, entre 1948 et 1960 environ, à l'expressionnisme new-yorkais (qui n'a guère d'équivalent en sculpture), la référence à l'abstraction l'emporte nettement. Robert Motherwell, de bonne heure associé à eux, mais plus cultivé, moins instinctif que Pollock et de Kooning, est rapidement parvenu à un équilibre formel voisin de l'abstraction classique et qui annonce déjà les lendemains de l'expressionnisme abstrait. Une suite capitale de ses tableaux est intitulée Élégie pour la République espagnole (à laquelle a succédé plus récemment une Élégie irlandaise) elle est traitée en grands contrastes clairs et sombres, et cette rigueur est une manière de réponse au pathétique picassien.

KLINE
Franz Kline, proche de Motherwell par le goût du noir et blanc, s'en distingue en revanche par sa facture plus explosive, où de grandes balafres noires sillonnent la toile en tous sens afin de restituer des équivalents abstraits et expressifs des spectacles enregistrés par l'artiste (Neuvième Rue, 1951).

NEWMANN
Quant à Barnett Newman, s'il se rallia à l'expressionnisme abstrait, il s'en distingua immédiatement par son souci de structure, réalisée en juxtaposant de vastes champs colorés, par son attitude méditative et sa prédilection pour le symbolisme mystique – caractères qui ont fait de lui un des maîtres les plus écoutés de la jeune génération américaine.
Les autres peintres affiliés au courant expressionniste des années 1950, tels Mark Rothko, Clyfford Still et Adolph Gottlieb, rattachés comme Newmann au courant du colorfield painting y découvrirent surtout un moyen de dépasser le problème de la figuration européenne, expressionniste ou surréaliste, comme celui de l'abstraction trop dogmatique de Mondrian : chacun put se constituer un style et adapter à son tempérament une façon particulière de peindre. Cet individualisme « existentiel », s'il demeure bien conforme au génie foncier de l'expressionnisme, ne devait pas tarder à susciter une violente réaction, celle du pop art.

DERNIERS AVATARS EUROPÉENS (1955-1970)
Difficilement présentable en Europe en raison de l’ampleur des formats, l’expressionnisme abstrait n’est découvert par les peintres européens qu’à la faveur de leurs voyages aux États-Unis (New York attira désormais autant que Paris) ou par les reproductions.
L'abstraction française, qui triompha entre 1950 et 1960, laissait peu de place à l'expressionnisme.
Ce sont quelques étrangers qui, en territoire parisien, ont maintenu l'expressionnisme : Appel (qui se rendit à New York en 1957) et Jorn en particulier. Le seul peintre français qui ait alors témoigné, avec plus d'harmonieuse mesure, d'un souci d'expression analogue est probablement Paul Rebeyrolle avec ses figures originales des années 1956-1957 (l'Homme à la cigarette), sorte de réponse courtoise à la suite contemporaine de W. de Kooning.

Le cas du Belge Émile Hecq est curieux : après des débuts parfois très proches de Cobra, la découverte de Picasso stimula chez lui, à l'instar des Américains, une prise de conscience expressionniste qui interféra rapidement, entre 1954 et 1956, avec la tradition narrative du Nord, au profit d'une peinture de très grands formats sur des thèmes à la fois épiques et burlesques (les Mauvais Juges, 1955).
Les choses changèrent quelque peu vers 1960, quand la saturation du marché de l'abstraction et l'avènement du nouveau réalisme semblèrent redonner leur chance à d'autres tendances. Une « nouvelle figuration » naquit donc, trop souvent inspirée des beaux jours de Cobra. Quelques tempéraments puissants se sont dégagés et imposés : le Suédois Bengt Lindström, l'Anglais John Christoforou et surtout l'Espagnol Antonio Saura.

La révélation du peintre anglais Francis Bacon, exposé pour la première fois à Paris en 1957, a cautionné cette résurgence expressionniste. Mais ces réussites isolées, fort diverses au demeurant, prouvent bien que les grandes convergences historiques sont actuellement révolues dans ce domaine. Bacon a tiré excellemment parti de l'espace du tableau abstrait, dans lequel il place ses personnages en situation pénible, triste ou incongrue – reflet du quotidien contemporain –, tandis que son talent de portraitiste révèle et dérobe à la fois un visage en le soumettant à une « défiguration » (pour reprendre un terme de Jorn) semblable à celle que renvoient les miroirs faussés. (→ figuration.)

ARCHITECTURE
Y a-t-il une architecture expressionniste ? La question a été souvent éludée : l'expressionnisme apparaît surtout comme un art littéraire ou pictural, dont la transposition dans le langage de l'architecture ne s'est pas faite aisément. Depuis quelques années, pourtant, la notion d'expressionnisme en architecture s'est trouvée remise en honneur : la tendance a été alors d'englober sous ce terme la totalité des mouvements extérieurs au fonctionnalisme, depuis l'Art nouveau jusqu'à l'architecture organique. Une telle extension de sens est quelque peu abusive, et l'on se doit de ramener le mouvement à un cadre plus étroit.

C'est ainsi que les œuvres de Peter Behrens (1868-1940) et de Hans Poelzig (1869-1936), autour de 1910-1920, peuvent être qualifiées d'expressionnistes (Poelzig est d'ailleurs l'architecte de Max Reinhardt), de même que celles qui sont issues de l'activité du Novembergruppe de Berlin – une association de peintres et d'architectes étroitement liée au spartakisme et à laquelle on doit un projet de réforme de l'architecture, la publication d'albums d'architecture fantastique ainsi que l'organisation d'une exposition en avril 1919 : le vocabulaire de l'architecture moderne s'y est défini à travers les projets théoriques de Mies van der Rohe et les esquisses utopiques des frères Taut (Bruno [1880-1938] et Max [1884-1967]), des Luckhardt (Hans [1890-1954] et Wassili), de Hermann Finsterlin ou de Hans Scharoun. Puis le mouvement s'est concrétisé dans des œuvres telles que l'observatoire d'Einstein à Potsdam (1920) par Erich Mendelsohn (1887-1953), le temple à plan centré d'Essen (1922-1930) par Otto Bartning (1883-1959), la ferme de Garkau (1923) par Hugo Häring (1882-1958) ou le théâtre d'Iéna (1923) par Walter Gropius, depuis peu directeur du Bauhaus de Weimar.

Pourtant, l'architecture expressionniste n'a pas eu grand avenir : seule l'utopie lui convenait ; bientôt, l'expérience du Bauhaus aboutira au fonctionnalisme. Dès lors, l'expressionnisme n'est plus qu'une manifestation irréaliste (Goetheanum de Dornach [1924-1928] par Rudolf Steiner, fondateur de la théosophie) ou provinciale (école de Hambourg), quand elle ne tombe pas dans un simple régionalisme (école d'Amsterdam, dont la revue Wendigen est pourtant le grand manifeste de l'architecture expressionniste). L'expressionnisme ne devait reprendre vie qu'après la Seconde Guerre mondiale, dans l'œuvre tardive de Hans Scharoun (Philharmonie de Berlin, 1963), dont le style vigoureux régénérait l'excessive élégance de l'esthétique puriste, devenue conventionnelle.

 

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MUSSOLINI

 


 

 

 

 

 

Benito Mussolini

Cet article fait partie du dossier consacré au totalitarisme.
Homme d'État italien (Dovia di Predappio, Romagne, 1883-Giulino di Mezzegra, Côme, 1945).

Au lendemain de la marche sur Rome, fin octobre 1922, Benito Mussolini établit la première dictature fasciste en Europe. Son alliance avec l'Allemagne hitlérienne entraîna l'Italie dans le chaos de la défaite au cours de la Seconde Guerre mondiale.

Du socialisme au fascisme (1883-1919)
Né dans une famille modeste, d’abord instituteur, Mussolini adhère au socialisme et à sa dénonciation des inégalités d’une Italie qui n’a pas achevé son unité. Devenu journaliste, il se retrouve en 1912 à la tête de la fraction révolutionnaire de son parti.
Pourtant, dès 1914, il rompt avec le socialisme, en se prononçant pour l’entrée de l’Italie dans la guerre, dont il attend une régénérescence globale. En 1919, au sortir d’un conflit décevant pour le pays, il fonde, avec d’anciens combattants et des ultra-nationalistes, les Faisceaux de combat, dont l’objectif est la prise du pouvoir.
Du mouvement fasciste à la dictature totalitaire (1919-1926)
Au bout de trois ans d’une lutte mêlant habilement participation électorale légale et violence comme moyen d'affirmation, Mussolini devient en 1922 président du Conseil. Alors que ses adversaires croient à la normalisation du fascisme, le régime va se transformer par étapes en une dictature, après l’épreuve de force de l’affaire Matteotti (1924-1925), qui a failli entraîner sa chute.
Du Duce à la république de Salo (1926-1945)
Devenu le Duce (chef, guide) incontesté de l’Italie, Mussolini obtient d’indéniables succès intérieurs (politique sociale) comme extérieurs (conquête de l’Ethiopie). Mais son rapprochement avec l’Allemagne nazie à partir de 1936 l’incite à durcir le régime et à mettre sur pied une politique raciale et antisémite. L’entrée dans la Seconde Guerre mondiale s’avère catastrophique pour l’Italie ; elle aboutit en 1943 à la chute de Mussolini, provoquée par son entourage. Rétabli par Hitler dans le nord du pays à la tête d’un Etat fantoche, la république de Salo, Mussolini est exécuté en 1945 par la Résistance italienne.

1. LES ANNÉES OBSCURES (1883-1912)
1.1. UNE JEUNESSE MARQUÉE PAR LA RÉVOLTE
Benito vient au monde le 29 juillet 1883 dans le village de Predappio, au sein d'une famille modeste de Romagne. Son père Alessandro est forgeron et petit entrepreneur. Sa mère Rosa Maltoni est issue de la petite bourgeoisie. L’unité italienne n’est achevée que depuis 1870 et elle reste fragile : le déséquilibre entre le Nord et le Sud de la péninsule et les tensions sociales l’affaiblissent. Avec son caractère anarchiste et brutal, le jeune Mussolini regimbe contre la misère des classes populaires, qu'il partage lui-même. Il doit cependant brider son tempérament turbulent au collège des religieux salésiens de Faenza, puis à l'école normale de Forlimpopoli, d’où il sort avec le diplôme d’instituteur en 1901.
Entre-temps, son père est devenu aubergiste à Forli et écrit dans les journaux locaux des articles enflammés contre la bourgeoisie gouvernante. C’est lui qui inculque à Benito la haine des autorités, des nantis, de tous ceux qui réussissent. Mais parallèlement, après le désastre d'Adoua (1896), où l’armée coloniale italienne subit une lourde défaite face aux Éthiopiens, il collecte de l'argent pour les malades et les blessés revenus de la guerre, et son fils de treize ans jure avec ses camarades d'école de venger les morts d'Adoua.
Ainsi, dès son plus jeune âge, cohabitent en Mussolini le sentiment nationaliste, qui le guidera plus tard, et la rébellion du plébéien dont le Parti socialiste italien (PSI), d'inspiration marxiste, auquel il adhère en 1900, va désormais orienter pour un temps les revendications.

1.2. L'EXPÉRIENCE DU SOCIALISME (1901-1912)
Qu'a fait Mussolini pendant les dix années obscures au cours desquelles il s’écarte progressivement de la collaboration de fait entre le socialisme naissant et le chef inamovible de la majorité parlementaire (1901-1914), le libéral Giovanni Giolitti ? Alors que sous l’effet de la politique sociale plutôt conciliante de ce dernier, le courant réformiste devient prédominant au PSI, son évolution personnelle suit une direction diamétralement opposée.

OUVRIER EN SUISSE (1902-1904)
Son diplôme d'instituteur ne lui a pas servi : l'école forme des maîtres qui restent souvent sans emploi. Ce sera le cas de Mussolini pendant deux ans d'amertume et de débauche désordonnée, au cours desquelles il abandonne toute pratique religieuse. En 1902, une municipalité socialiste très modérée l'appelle enfin en Émilie. Il s'y ennuie au bout de quelques mois et décide de passer en Suisse pour y devenir ouvrier.
À Genève, puis à Lausanne, Mussolini trouve surtout des révolutionnaires et des anarchistes originaires de l'Empire russe principalement, dont l’émigrée ukrainienne Angelica Balabanoff, future dirigeante de l’Internationale communiste, qui exercera une influence essentielle sur son évolution politique révolutionnaire.
Mussolini travaille durement comme maçon, parfois sans abri, au contact des palaces luxueux où affluent les riches étrangers, et sa révolte s'aigrit contre une société inégalitaire. À l'âge où il aurait dû rentrer en Italie pour faire son service militaire, il déserte. Les services du recrutement le condamnent pour la forme à un an de prison.
Il fréquente l'université, les bibliothèques, guide ses lectures des écrivains révolutionnaires Kautsky, Nietzsche, Stirner, Blanqui. Plus tard, il découvre Georges Sorel, dont il exploitera les Réflexions sur la violence, plus tard encore Machiavel. Sa culture et son courage physique le mettent assez rapidement en relief parmi les ouvriers italiens et il devient secrétaire de l'association des maçons de Lausanne. Il s'exerce aussi à parler et à écrire. Sa personnalité inquiète les autorités suisses, qui l'expulsent vers la France, où il restera peu de temps.

AGITATEUR RÉVOLUTIONNAIRE : LE JOURNALISTE MILITANT (1904-1912)
En 1904, une loi d'amnistie permet à Mussolini de rentrer en Italie pour y accomplir son service militaire, mais la police continue à le tenir pour un « dangereux anarchiste ». Il passe deux ans sous les drapeaux des bersaglieri où il laisse le souvenir d'un excellent soldat. On peut alors lui offrir sans crainte un poste d'instituteur à la frontière autrichienne, puis il est nommé professeur de français à Oneglia, dans un collège technique, dont il effraie la direction par ses articles dans le journal des socialistes de Ligurie, La Lima.
1908 le revoit dans son village romagnol auprès des siens. Le jeune homme, tout en retrouvant avec joie le cadre familial, vit sur place les tensions sociales entre propriétaires, souvent très modestes, et braccianti, ouvriers agricoles qui, eux, n'ont pour toute richesse que leurs bras.
Fin 1908, Mussolini gagne le Trentin. La province est alors autrichienne, mais peuplée en majorité d'Italiens. En Suisse, Mussolini a appris aussi l'allemand, et, à Trente, il collabore à deux journaux de langue italienne, auprès du militant révolutionnaire irrédentiste (c’est-à-dire favorable au rattachement à l’Italie des provinces restées autrichiennes après l’indépendance, le Trentin et l'Istrie) Cesare Battisti. Mais lui-même est venu prêcher le socialisme, non l'irrédentisme, et plus tard les nationalistes lui en feront sévèrement grief.
Rentré à Forli en 1909, Mussolini se fiance à Rachele Guidi, qu'il épousera en 1915 et qui restera jusqu'à la fin sa compagne officielle, en dépit des nombreuses liaisons adultérines qu'il entretiendra. Dans cette ville, il est directeur et principal rédacteur du journal socialiste La Lotta di classe. Son inspiration, nourrie de ses lectures et de ses souvenirs de Suisse, est bien plutôt, d'ailleurs, anarchiste que socialiste.
En 1912, une véritable émeute éclate à Forli à l'occasion du départ d'un train chargé de troupes pour la Libye, dont l'Italie entreprend la conquête. « Pas un homme, pas un sou » est le mot d'ordre du parti, et Mussolini l'applique à la lettre. Peu après, il est arrêté et condamné à cinq mois de prison ; admis au régime politique, il écrit sa première autobiographie.
À sa sortie a lieu le congrès de Reggio nell'Emilia (1912), où il devient le porte-parole de la fraction maximaliste du PSI ; puis, grandi par sa participation à l'action révolutionnaire, il est nommé à l'unanimité directeur du journal Avanti !. Mussolini est désormais un personnage politique de premier plan.

2. DU SOCIALISME AU FASCISME (1912-1919)

2.1. MUSSOLINI DIRECTEUR DE L'AVANTI ! (1912-1914)
Au journal, Mussolini élimine les éléments qui lui déplaisent ; il réussit, par de constantes surenchères, à faire monter le tirage de 20 000 à 100 000 exemplaires (chiffre énorme pour l'époque). Mais ses provocations inquiètent les esprits les plus pondérés de la direction du parti.
Toujours en cette année 1912, où Giolitti accorde le droit de suffrage à tous les hommes de vingt et un ans ayant accompli leur service militaire ou ayant atteint trente ans (ce qui fait passer le corps électoral à 8 millions), Mussolini, candidat à Forli, est battu largement, sauf dans son bourg natal ; il est probable que cet échec, alors que 52 socialistes sont élus, l'incite secrètement à réfléchir sur la pertinence de son choix politique.
Néanmoins, il renforce encore son action révolutionnaire dans la forte instabilité sociale qui agite le pays. À Milan, au printemps de 1913, éclate une grève générale de deux jours dans l'industrie, qui se reproduit de nouveau en octobre et se prolonge l'année suivante à Parme, avec un caractère encore plus anarchisant. À Ancône, le 7 juin 1914, une manifestation antimilitariste, dont la répression fait trois morts, déclenche une grève générale en Romagne et dans les Marches ; à Ravenne, on malmène les officiers et l'on va jusqu'à planter des arbres de la liberté. Cette « semaine rouge », dont le souvenir restera longtemps, commence à faire réfléchir les milieux conservateurs.
Giolitti cède alors le gouvernement au libéral de droite Antonio Salandra, qui n'est nullement disposé à prolonger la faveur accordée par son prédécesseur aux organisations socialistes.

2.2. LA RUPTURE AVEC LES SOCIALISTES (1914)
C'est alors qu'éclate la Première Guerre mondiale. En accord avec la majorité de ses camarades socialistes, Mussolini prône la neutralité absolue. Mais à la mi-septembre, la victoire française de la Marne ébranle la confiance des dirigeants et des nationalistes italiens dans la victoire des Empires centraux, Allemagne et Autriche-Hongrie ; après avoir magnifié l'alliance germanique, le journal l'Idea Nazionale, le premier, tourne casaque et rappelle que l'Italie a des comptes à régler avec l'Autriche.
Mussolini, lui, hésite encore ; il insère dans l'Avanti ! la protestation irrédentiste de Battisti contre les Italiens qui feraient bon marché des vœux de leurs compatriotes encore soumis à un joug étranger. Puis, sous prétexte qu'une « neutralité active et agissante » serait préférable à la neutralité absolue, Mussolini préconise un changement de position que les chefs du PSI repoussent sans hésitation en même temps qu'ils lui retirent la direction de l'Avanti !.
Déjà Mussolini a pris contact avec un des commanditaires du quotidien bolonais Il Resto del Carlino, qui lui a procuré le papier nécessaire à un nouveau journal – Il Popolo d'Italia (Le peuple d'Italie). D'autres concours lui viennent de grosses firmes industrielles et peut-être de partis socialistes étrangers.

2.3. MUSSOLINI ET LA GUERRE
Le gouvernement, de son côté, poursuit durant l'hiver 1914-1915 une politique irrédentiste en négociant avec l'Autriche les compensations qui pourraient être accordées à l'Italie en échange de sa neutralité. Mais c'est une voie dangereuse qui peut la contraindre à la guerre alors que le pays n'y est préparé ni moralement ni militairement. Moralement, la grande masse du peuple italien ne voit aucune raison de participer au conflit entre grandes puissances ; militairement, au lendemain de la guerre de Libye (→ guerre italo-turque, 1911-1912), les officiers d'active sont très peu nombreux et peu exercés, l'aviation est inexistante – et les magasins sont vides. Néanmoins, l’Italie entre en guerre en mai 1915, mais au côté de l’Entente (France, Grande-Bretagne, Russie), qui s’est montrée plus généreuse, en lui promettant non seulement le Trentin et Trieste, mais aussi l’Istrie et la côte dalmate, également revendiquées par la Serbie, au nom de laquelle l’Entente est pourtant entrée en guerre !

PATRIOTISME
Engagé en 1915, Mussolini combat au front du Carso ; promu rapidement caporal, il est gravement blessé par l'éclatement d'une bombe en 1917. Le roi Victor-Emmanuel III va le visiter à l'hôpital et le félicite. Pour Mussolini, la guerre est finie. Son journal a continué de paraître sous la direction de son frère Arnaldo ; il le retrouve à son retour du front et en accentue encore la tonalité ultra-patriotique, surtout après la cuisante défaite de Caporetto (oct. 1917) puis les victoires de la Piave et de Vittorio Veneto (oct. 1918).

CRÉATION DU PREMIER FAISCEAU DE COMBAT (MARS 1919)
À ces éléments exaltés qu'enflamme le Popolo d'Italia il se mêle des troupes d’élite démobilisées après le conflit mondial, les arditi. Une association d'arditi. Pour ces « ardents », le grand homme est encore le poète (et héros militaire) Gabriele D'Annunzio, qui va bientôt s’enliser dans l’aventure de l’occupation de Fiume (sept.1919). C’est en s’appuyant sur certains des arditi que, le 23 mars 1919, Benito Mussolini fonde le premier des Faisceaux de combat (i Fasci di combattimento), autrement connus sous le nom de Chemises noires.

3. VERS LE POUVOIR (1919-1922)
3.1. UNE SITUATION PRÉ-RÉVOLUTIONNAIRE
Le succès de la révolution de 1917 en Russie a enflammé nombre d'esprits dans les couches populaires et créé une atmosphère favorable aux pires désordres. Ceux-ci ne manquent pas de se produire : grèves incessantes et ruineuses dans l'Italie du Nord, occupations de propriétés foncières dans le Midi pour les mettre en exploitation directe par les paysans pauvres, insultes aux officiers d'une guerre, qui même victorieuse, n'a pas été voulue par le peuple et a causé plus de 500 000 morts. Tout cela va alarmer la bourgeoisie et y alimenter un esprit de vengeance qui explosera en 1920, après l'échec de l'exploitation directe des usines par les ouvriers.
Dans l'immédiat, le mécontentement croissant qui s'instaure en Italie durant toute l'année 1919 profite aux partis de masse : le PSI qui, aux élections de novembre, obtient 156 élus, et le PPI (parti populaire italien), catholique qui en rafle une centaine. Pourtant, le fascisme n'en tire pas encore bénéfice. Mussolini, candidat à Milan sur la seule liste fasciste d'Italie, a essuyé un cuisant échec : 5 000 voix sur les 80 000 qu'il escomptait. C'est que l'agitation de rue provoquée par les anciens combattants des Faisceaux reste superficielle et n'entame guère les couches profondes d'une population ouvrière ou rurale, disciplinée par le socialisme ou par l'Église.
En d'autres circonstances et en tout autre pays que l'Italie, les deux partis vainqueurs des élections auraient fait alliance pour exercer le pouvoir, tout en concédant quelques ministères techniques aux diverses formations libérales. Les chefs du socialisme réformiste – Turati, Modigliani – y étaient disposés, de même que le leader des catholiques du PPI, don Luigi Sturzo, qui depuis longtemps collaborait avec les socialistes sur le plan administratif et municipal. Mais il n'en pouvait être question à la direction du PSI, que le modèle soviétique avait poussée vers le « maximalisme » révolutionnaire.

3.2. MUSSOLINI ET L'AGITATION SOCIALE
L'USAGE DE LA VIOLENCE
Le champ est donc libre pour la bourgeoisie possédante et les théoriciens du nationalisme, qui cherchent une revanche, les premiers sur les classes populaires, les seconds sur la « victoire mutilée » de 1918 – une revanche dans la violence, avec la complicité passive de nombreux corps constitués et d'abord de la police et de l'armée. Les squadristi, groupes paramilitaires issus des Faisceaux, pourchassent bientôt, illégalement et en toute impunité, grévistes, syndicalistes, socialistes et démocrates, que Mussolini rend responsables de la crise du pays.
En favorisant cette violence multiforme, Mussolini regagne le terrain perdu et l'élargit même de façon inespérée, car il reste le seul nom connu des foules parmi tous les jeunes gens qui, de plus en plus nombreux, viennent s'agglutiner autour des gagliardetti (bannières) fascistes et font régner la terreur dans les campagnes en détruisant par le feu et par le pillage coopératives, maisons du peuple, centres récréatifs socialistes, dont ils molestent et parfois tuent les dirigeants, sûrs de rester impunis.

L'ENTRÉE AU PARLEMENT
Le mouvement s'accentue après le retour de Giolitti au gouvernement à l'été 1920. Usant de la tactique temporisatrice qui lui a si bien réussi par le passé, Giolitti contraint d'abord les ouvriers révoltés à constater l'échec de leur tentative d'autogestion des usines. Puis, au printemps 1921, il dissout la Chambre et mise sur les fascistes qu'il inclut dans un « bloc national » de libéraux et de sans-parti qui recueillera les faveurs de l'administration. Trente-cinq fascistes pénètrent ainsi au Parlement, avec leur chef Mussolini et leurs principaux leaders. Mais ils y retrouvent, eux aussi renforcés, leurs adversaires populistes et socialistes, auxquels s'ajoute désormais une petite cohorte de communistes qui viennent de se séparer du PSI.

3.4. « NOUS VOULONS GOUVERNER L'ITALIE »
LE CHOIX CONFIRMÉ DE LA VIOLENCE
Curieusement se révèle alors un Mussolini transformé, mesuré dans ses paroles, respectueux et même bienveillant envers l'Église catholique comme envers la monarchie.
Ce n'est pas une feinte. L'ancien révolutionnaire envisage à ce moment de partager le pouvoir avec le parti populaire et la fraction modérée des socialistes, auxquels il propose, le 3 août 1921, un Pacte de pacification. Mais il a compté sans la rancune de ses anciens compagnons les socialistes maximalistes, et surtout la réaction de ses propres partisans qui, scandalisés par cette volte-face, désavouent le Pacte. Quelques mois plus tard, à Bologne, sommé de choisir entre la honte d'un reniement apparent des principes du fascisme et la surenchère de la violence, Mussolini opte pour celle-ci.

LA CRÉATION DU PARTI NATIONAL FASCISTE (NOVEMBRE 1921)
Puis, pour ressouder ses troupes, Mussolini décide de transformer le mouvement en un parti de masse : le Parti national fasciste (PNF), fondé en novembre 1921 au congrès de Rome, au cours duquel il est réélu triomphalement en tête de la commission exécutive des Faisceaux. C'est durant ce même congrès que l'alliance avec le grand capital est renouée, les fascistes renonçant aux nationalisations envisagées dans le programme initial de 1919.
Dès lors, la vague fasciste est en marche : lors de la grève générale des chemins de fer, déclenchée par les extrémistes du syndicat des cheminots, les fascistes se substituent même aux forces de l'ordre pour contraindre les grévistes, sous la menace du revolver ou du gourdin, à reprendre le travail. De même ils triomphent des coopératives d'ouvriers du port de Gênes.

MUSSOLINI EN « RECOURS PROVIDENTIEL »

Des tractations secrètes sont engagées par Mussolini avec les chefs du parti libéral – les anciens présidents du Conseil Giolitti, Nitti et Salandra – pour savoir quelle place ceux-ci lui réserveraient à leur côté. Dans la famille royale, outre la reine mère Marguerite, Mussolini s'est assuré le concours éventuel d'un cousin du roi Victor-Emmanuel III, le duc d'Aoste. Il n'en aura pas besoin.
Lorsque Luigi Facta, qui a succédé comme président du Conseil à Bonomi, se décide à réagir en décrétant à Rome l'état de siège, il est trop tard. Le roi refuse et sur la suggestion de ses conseillers nationalistes fait appel à Mussolini, qui le 29 octobre accepte de former le nouveau gouvernement.
La « marche sur Rome », organisée parallèlement par Mussolini comme une menace et une démonstration de force, sonne le glas de la démocratie italienne.

4. LE DICTATEUR (1922-1945)
4.1. L'INSTALLATION AU POUVOIR : ENTRE COMPROMIS ET DÉSORDRES
La classe politique escomptait que l’expérience du pouvoir assagirait le fascisme. Et, en effet, Mussolini constitue son premier ministère en y incluant des représentants de tous les partis, excepté les socialistes. Il a pris pour lui, avec la présidence du Conseil, l'Intérieur et les Affaires étrangères, et trois fascistes seulement reçoivent des portefeuilles : Justice, Finances, Terres libérées, assortis, il est vrai, de nombreux sous-secrétariats d'État. Les catholiques du parti populaire italien ont le Trésor et le Travail ; le leader nationaliste Luigi Federzoni, les Colonies ; les autres ministères se répartissent entre les différentes tendances du parti libéral.

Les futurs chefs de la démocratie chrétienne (Alcide De Gasperi, Giovanni Gronchi) votent la confiance, ainsi que les dissidents déjà sortis de ses rangs. Seul don Sturzo reste inébranlable dans son refus, se sachant encore appuyé par l'immense masse de la jeunesse catholique, sinon par le Vatican, où il ne trouve compréhension et appui qu'auprès du seul Pie XI.
Ce moment d'euphorie relative – salué par l'accueil favorable, et parfois enthousiaste, de l'opinion étrangère – se dissipe rapidement. L'arrogance et les exactions des fascistes compromettent le désir d'union de leur chef. En novembre 1922, celui-ci obtient du Parlement les pleins pouvoirs pour rétablir l'ordre que ses propres partisans ont largement contribué à mettre à mal.
Dès 1923, Mussolini met fin à la collaboration avec le parti populaire italien, dont les membres sont obligés de quitter son gouvernement. Les attentats aux biens et aux personnes des socialistes continuent comme par le passé.

4.2. MUSSOLINI ET L'AFFAIRE MATTEOTTI (MAI 1924-JANVIER 1925)
C'est alors que le 30 mai 1924, le député Giacomo Matteotti, secrétaire du groupe socialiste, prononce à la Chambre un véritable réquisitoire contre le gouvernement et demande le rejet de la validation des élections, qui viennent de donner la majorité à une alliance entre fascistes et anciens combattants (65 % des voix), mais où aucun électeur, en fait, n'a été libre de son choix.
Le discours, assorti d'une foule de courageuses précisions, dure deux heures. Écouté en silence par Mussolini, il est haché d'interruptions par ses partisans armés, qui remplissent les tribunes et la majeure partie de l'hémicycle. Le 4 juin, Matteotti récidive, attaque cette fois directement le Duce (le Guide). Le 10, Matteotti ne paraît pas à la Chambre : la preuve est rapidement fournie qu'il a été assassiné.
Il est inutile de laisser croire que Mussolinil n'a pas directement voulu le meurtre de Matteotti : il en a assez dit pour faire comprendre qu'il le souhaitait. Seuls les détails de l'exécution ont été laissés à l'initiative des tueurs.
Ce qui est sûr, c'est que l'émotion provoquée par ce crime sur l'opinion est telle qu'en quelques jours les fascistes perdent toute foi en leur pouvoir, désertent même les ministères, dissimulent leurs insignes et se terrent. Mussolini se voit isolé, vaincu par un coup du sort imprévisible, et fait démissionner d'office les deux membres de son entourage qu'il juge les plus compromis.
Comme il a laissé jusque là une liberté à peu près complète à la presse, les plus importants journaux se déchaînent contre lui, parmi lesquels Il Popolo, créé alors par don Sturzo, et où le jeune démocrate-chrétien Giuseppe Donati orchestre une campagne implacable contre le régime. C'est ainsi qu'est publié le mémoire terriblement accusateur de Cesare Rossi, l'un des sous-ordres limogés par le Duce. Le roi refuse pourtant d'en prendre connaissance, et affirme qu'il n'y a pas eu de crise parlementaire justifiant la nomination d'un nouveau Premier ministre.
Devant le Sénat, où l'opposition au fascisme a fini par grouper une trentaine de sénateurs, Mussolini déclare qu'il obéira au roi si celui-ci exige sa démission : gageure bien inutile, car il pressent bien que le souverain n'en fera rien. Enfin, le 3 janvier 1925, il revendique cyniquement « assumer la responsabilité politique, morale et historique de tout ce qui s’est passé » et réclame d’un même élan « tout le pouvoir pour tout le fascisme ».
Alors commence la vraie dictature.

4. 3. LE DUCE, MAÎTRE ABSOLU DE L'ITALIE (1926-1939)

Avec les lois de « défense de l'État » (dites lois « fascistissimes ») que Mussolini fait voter en 1925-1926 les opposants sont réduits au silence, et le chef du gouvernement n'est plus responsable devant le Parlement. Très vite le Duce agit en homme seul, intervenant souverainement dans tous les domaines, organisant autour de lui un véritable culte de la personnalité, qui n'ira qu'en s'accroissant. Dès 1928, il impose le système de la liste unique (qui transforme les élections en plébiscite) et du parti unique, ce qui élimine définitivement toute opposition interne et lui permet de se lancer dans des aventures extérieures, dont l'Éthiopie sera la première étape. En 1929, il recherche le soutien de l'Église et réconcilie, par les accords du Latran, l'État et le Saint-Siège, s’attachant du même coup le monde catholique. Sa popularité est alors à son faîte.


LE RÉGIME FASCISTE

De 1929 à 1936, la population apporte son consentement, sinon son soutien, au régime, qui tire profit des accords du Latran et d'une politique sociale volontariste. Mettant en œuvre un programme antilibéral, antidémocratique et antisocialiste, Mussolini organise un modèle d'État totalitaire, fondé sur le système des corporations, qui encadrent les travailleurs, sur d'actives organisations de jeunesse (inscription obligatoire) et sur le culte de la personnalité : par le verbe et par le geste, Mussolini éprouve son pouvoir de fascination sur les foules. Se présentant comme un surhomme tout entier voué à la grandeur du peuple italien, il forge son image martiale à grand renfort de propagande et de mobilisation des masses pour des démonstrations de force.
→ totalitarisme.
Secondé par le Grand Conseil fasciste, Mussolini se lance dans une politique qui prétend renouer avec le glorieux passé de la Rome antique : grands travaux (assèchement et mise en valeur des marais Pontins, autoroutes, stades), « bataille du blé » et industrialisation poussée. C'est également dans cette visée que s'inscrit la recherche d'un empire colonial, avec l'annexion de l'Abyssinie (Éthiopie) en 1936.
Pour en savoir plus, voir l'article fascisme.

LES VISÉES EXPANSIONNISTES DE MUSSOLINI

Se posant en porte-parole des nations mécontentes du traité de Versailles, Mussolini ambitionne ensuite de manipuler les puissances qui réviseront les frontières. Ainsi, de 1933 à 1935, il tente un rapprochement avec les démocraties occidentales, puis il inspire le pacte à Quatre (Italie, France, Grande-Bretagne, Allemagne), du 7 juin 1933, qui ne sera jamais ratifié.
Lors de l'assassinat du chancelier autrichien Dollfuss par les nazis (juillet 1934), Mussolini mobilise sur la frontière du Brenner et, en avril 1935, il constitue avec Londres et Paris le front de Stresa afin d'enrayer l'avancée allemande (dès janvier 1935, il a signé un accord franco-italien avec Pierre Laval). Mais l'attaque qu'il lance contre l'Éthiopie (octobre 1935) met fin à la politique de Stresa. Ulcéré par l'hostilité de l'Angleterre, qui entraîne la France, et par les sanctions économiques de la SDN, Mussolini achève victorieusement sa guerre coloniale le 5 mai 1936, sans se soucier des condamnations internationales (→ campagnes d'Éthiopie).

L'ALLIANCE AVEC HITLER (1936-1939)
Cette victoire et une intervention commune Espagne auprès des franquistes pendant la guerre civile rapprochent Mussolini et Hitler. Le 1er novembre 1936, Mussolini proclame l'Axe Rome-Berlin ; plus qu'un accord politique et militaire (négocié en secret), c'est l'amorce d'un resserrement de liens qui vont devenir de plus en plus étroits entre les deux régimes.

Subjugué par la personnalité de Hitler, le Duce désire lui plaire. Pour cela, il sacrifie l'Autriche, annexée par l'Allemagne le 11 mars 1938, et la Tchécoslovaquie qui va subir le même sort (→ accords de Munich, sept. 1938). Surtout, il inaugure en Italie même une politique raciale (lois racistes de 1938 et persécution des Juifs) jusqu'alors inexistante, qui le met dans le sillage de l'idéologie nazie. Enfin, en avril 1939, comme en réplique aux annexions hitlériennes, il annexe l'Albanie mais confirme de ce fait qu'il a perdu toute initiative au profit de Hitler (traité de Berlin, ou pacte d'Acier, 22 mai 1939).

4.4. VERS LA CHUTE (1939-1945)
A LA REMORQUE DE L'ALLEMAGNE

Quand débute la Seconde Guerre mondiale, Mussolini s'en tient tout d'abord à la neutralité, considérant que l'Italie n'est pas prête militairement. Mais, le 10 juin 1940, contre la volonté d'une grande partie de son entourage, il entre en guerre aux côtés de l'Allemagne nazie. Son offensive contre la France (10-24 juin 1940) n'est pas glorieuse, et le conflit dans lequel il s'engage contre la Grèce le 28 octobre 1940 tourne au désastre. Le Duce essuie de lourdes pertes : les colonies africaines sont perdues, 240 000 soldats se retrouvent à partir de 1941 sur le front de l'Est pour épauler la Wehrmacht contre l'URSS et des centaines de milliers de travailleurs italiens partent pour l'Allemagne.
Pour en savoir plus, voir l'article Seconde Guerre mondiale.

LA CHUTE DU DUCE (1943)
À mesure que s'accumulent ces déboires, on s'inquiète, au sein même du mouvement fasciste, de l'obstination du Duce. En fait, celui-ci songe à une paix séparée, mais il n'ose pas s'en ouvrir à Hitler. Des complots se forment et, au cours de la nuit du 24 au 25 juillet 1943, les chefs du parti réunis (Ciano, Dino Grandi, Emilio De Bono, etc.) le somment de remettre ses pouvoirs au roi. Celui-ci le fait arrêter dès le lendemain et le remplace par Pietro Badoglio.

LA RÉPUBLIQUE DE SALO (1943-1945)
Interné dans les Abruzzes, Mussolini est délivré par un commando de parachutistes allemands le 12 septembre 1943 et, sur l'injonction de Hitler, prend la tête d'une « République sociale italienne », État fantoche qui s'installe à Salo, sur les rives du lac de Garde (→ république de Salo). Mussolini fait exécuter les chefs fascistes qui l'ont destitué en juillet, parmi lesquels son gendre Ciano et tente vainement de mettre en place un nouvel ordre, plus radical et antisémite que le fascisme d'avant-guerre.
Lors de la déroute hitlérienne, il s'installe à Milan, d'où il essaie de traiter avec les Alliés, puis, chassé par l'entrée des résistants dans la ville, tente de gagner la Suisse avec une colonne allemande. Arrêté le 27 avril 1945 à Dongo, près du lac de Côme, il est jugé par un tribunal de partisans présidé par le colonel Valerio (Walter Audisio) puis fusillé le lendemain, avec sa maîtresse, Clara Petacci.

 

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INDE

 

 

 

 

 

 

 

Inde : histoire


1. PRÉHISTOIRE ET PROTOHISTOIRE

Le sous-continent indien dans son ensemble, donc l'Inde actuelle, le Pakistan et le Bangladesh, est extrêmement riche en gisements préhistoriques. Malheureusement, faute encore de pouvoir rattacher à un cadre chronologique suffisamment précis les trouvailles faites sur de très nombreux sites disséminés sur la presque totalité de cet immense territoire, on se contente jusqu'à présent de classer les outils de pierre, seuls vestiges d'une activité protohumaine, puis humaine, en trois grands groupes correspondant à trois périodes successives du paléolithique, qui doivent coïncider, en termes d'évolution humaine, avec le passage de l'archanthropien au néanthropien, c'est-à-dire à l'homme actuel, dont on situe l'apparition entre −35000 et −15000 environ. Les industries microlithiques sont donc entièrement son œuvre puisqu'en Inde celles-ci ne paraissent pas antérieures à l'holocène, soit à −10000 environ.
Il est actuellement impossible de dire avec certitude si les premiers hominiens ont pénétré dans le sous-continent par le Nord-Ouest, comme on l'imagine parfois, ou si cette évolution s'est faite dans l'Inde même, ou encore si la péninsule a été colonisée dès ces temps reculés par des populations venues d'outre-mer.


1. 1. LA CIVILISATION DE L'INDUS

La « révolution néolithique », définie par l'apparition d'une économie de production, dont on situe les débuts, dans l'Ancien Monde, dans le Croissant fertile au Proche-Orient, entre les IXe et VIIe millénaires avant J.-C., apparaît, depuis la découverte de sites tels que celui de Mehragarh au Pakistan, pratiquement aussi ancienne dans le sous-continent indien. Il est vraisemblable que la présence dès cette époque de villages dans cette partie du Baloutchistan qui domine le bassin de l'Indus explique en partie que la première civilisation indienne, celle dite « de l'Indus » (ou « de Harappa », ou encore « harappéenne »), soit née dans cette région du sous-continent, alors que partout ailleurs dans le reste de l'Inde les populations en sont encore à un stade de civilisation bien moins avancé.
Avec la civilisation de l'Indus, qui dut commencer à se développer au IVe millénaire avant notre ère, commencent l'âge du bronze et, en fait, la protohistoire de l'Inde puisque cette civilisation, à son apogée, entre environ 2500 et 1750 avant J.-C., connaît l'écriture. Mais l'écriture harappéenne non plus que la langue qu'elle note ne sont encore déchiffrées. Ainsi, cette civilisation, par ailleurs assez bien connue sous ses aspects matériels, constitue une énigme.

1.2. LA QUESTION ARYENNE
Le millénaire qui suit la disparition de la phase brillante de la civilisation de l'Indus et qui se prolonge jusqu'aux débuts de l'histoire proprement dite (traditionnellement le vie s. avant J.-C., à l'époque du Bouddha) est, lui aussi, énigmatique. Il est en effet presque tout entier concerné par la fameuse question « aryenne », qui, très succinctement, se pose de la façon suivante. D'une part, le corpus littéraire indien le plus ancien : le Rigveda, puis les recueils suivants, ensemble composé en sanskrit védique, langue indo-européenne, sont supposés avoir été élaborés à partir de la seconde moitié du Ier millénaire avant notre ère dans l'Inde du Nord-Ouest.
D'autre part, les archéologues n'ont, pour cette période et dans ces régions, jusqu'à présent, guère trouvé de traces nettes de migrations de populations. On ne retrouve dans le Pendjab, pakistanais aussi bien qu'indien, que des vestiges de cultures harappéennes tardives auxquels font suite, mais après une période d'abandon qui peut avoir duré plusieurs siècles, des vestiges d'une culture qui paraît nouvelle, caractérisée par d'autres types de céramique (en particulier par une poterie grise peinte), et qui, surtout, se développe dans le Doab (l'interfluve entre le Gange et la Yamuna) et dans la haute vallée du Gange.
À cette culture qui doit commencer vers le début du Ier millénaire avant J.-C. fait suite, cette fois sans interruption, une autre culture définie par une forme évoluée de la poterie grise et centrée sur la moyenne vallée du Gange. Cette dernière culture appartient déjà à l'histoire puisqu'elle se prolonge dans la seconde moitié de ce Ier millénaire avant notre ère. À moins de nouvelles découvertes, la pénétration aryenne en Inde n'est donc encore imaginable qu'en termes de langue et de civilisation, les tribus véhiculant langue et idéologie indo-européennes ayant été d'ailleurs, on le sait, nomades et, pour cette raison, n'ayant peut-être pas laissé de traces durables de leurs mouvements.
Il faut enfin ajouter que cette question de la pénétration indo-européenne en Inde devrait être réexaminée si l'une des grandes hypothèses sur la nature de la langue harappéenne se révélait exacte, c'est-à-dire s'il s'a

2. LA FORMATION DE L'INDE ANCIENNE

2.1. LES SOURCES
Les limites chronologiques que l'on assigne habituellement à l'histoire de l'Inde ancienne sont l'époque du Bouddha d'une part, et l'instauration du premier pouvoir musulman à Delhi, en 1206 après J.-C., d'autre part. Les raisons de ce choix sont, avant tout, qu'à chaque fois, avec l'apparition d'une nouvelle religion, un changement se produit dans les sources littéraires qui servent à écrire l'histoire de ce pays (et non un changement radical, politique ou social : pour importants qu'aient été en Inde le bouddhisme et l'islam, l'Inde a toujours été et est toujours majoritairement hindoue).
L'historicité des sources est ici seule en cause. Celle des sources bouddhiques est donc plus nette que celle de la littérature védique (Veda), dont l'élaboration, d'ailleurs, paraît s'achever au milieu du Ier millénaire avant notre ère. D'autre part, près de 2000 ans plus tard, l'histoire en tant que discipline intellectuelle est introduite en Inde par l'islam.
On touche ici à l'un des plus graves problèmes auxquels se heurtent les historiens de l'Inde ancienne. Les sources littéraires, qui restent les sources principales, qu'elles soient bouddhiques, jaïna ou brahmaniques – ces dernières étant de loin les plus considérables –, sont des œuvres religieuses (au sens large) ou purement littéraires. Cela explique que l'histoire proprement dite de l'Inde ancienne, en des temps où fleurit l'une des plus grandes civilisations du monde, soit si schématique en face d'une histoire des idéologies beaucoup plus consistante, sans qu'on ait guère pu, jusqu'à présent, intégrer l'une à l'autre. En d'autres termes, une chronologie, élaborée difficilement pour les temps les plus anciens, puis plus facilement lorsque apparaissent monnaies et surtout inscriptions, ne fournit que des listes de rois dont les activités principales sont l'attaque et la défense, cependant que l'histoire sociale se réduit pratiquement à l'image, figée et certainement passablement idéalisée, que les brahmanes donnent d'une société où ils réclament la première place.
Il est une évolution, toutefois, qui semble s'esquisser dès la fin de l'époque des Gupta (550 après J.-C. environ) et qui conduit, dans les siècles qui suivent, à ce que l'on appelle, assez improprement, le Moyen Âge indien : celui-ci commence à partir du moment où l'on a la preuve qu'aux donations royales de terres, qui, jusque-là, n'étaient que des donations pieuses faites à des brahmanes, à des communautés religieuses diverses ou à des temples, s'ajoutent des donations à des officiers du roi en rétribution de leurs services. Et, peu à peu, lorsque ces donations entraînent, en contrepartie, l'obligation d'entretenir des troupes pour les mettre au service du souverain, lorsque, surtout, d'abord limitées dans le temps, elles deviennent héréditaires, une sorte de noblesse féodale se constitue.
L'histoire de bien des royaumes indiens médiévaux est ainsi celle de dynasties qui ont su profiter de ces attributions de terres pour devenir indépendantes jusqu'à ce qu'à leur tour d'autres profitent de leur faiblesse. Telle est sans doute la raison de l'étonnante « plasticité » de nombre de dynasties qui, tantôt suzeraines, tantôt vassales, durèrent des siècles.

2.2. LES PREMIERS ROYAUMES

À l'époque du Bouddha (vers 560-480 avant J.-C.), qui est celle aussi de Mahivara, le fondateur du jaïnisme, subsistent encore des sociétés tribales diverses, indigènes ou « aryanisées ». De telles sociétés persisteront d'ailleurs longtemps : il en existe même aujourd'hui et certaines avaient conservé, il y a moins d'un siècle, des modes de vie qui devaient être ceux du néolithique.
Ainsi, le Bouddha appartenait-il à une famille dirigeante de la tribu ou du clan des Shakya (d'où son nom de Shakyamuni, « Sage des Shakya »). Mais déjà des royaumes sont nés dans la vallée du Gange. La mise en valeur de cette vallée, qui a commencé après l'introduction de la métallurgie du fer dès la première moitié du Ier millénaire avant notre ère, a permis, vers le milieu de ce millénaire, la construction, le long du fleuve, des premières cités. Les sources bouddhiques mentionnent un certain nombre de ces royaumes, tous situés dans la moitié nord du sous-continent.
Parmi ces royaumes, celui du Magadha (sud du Bihar actuel), dont l’essor est probablement dû à ses très riches gisements de cuivre et de fer, tient un rôle central. Ses premiers rois connus sont Bimbisara, contemporain du Bouddha, et son fils Ajatashatru. Leur descendant Udayin transfère la capitale de Rajagrha à Pataliputra (Patna) sur le Gange. Vers 413 avant J.-C., la dynastie Nanda leur succède et Pataliputra deviendra, environ deux siècles plus tard, le centre du premier Empire indien sous la dynastie maurya.
Dans la moitié Sud, la préhistoire a duré plus longtemps, sans doute jusque vers 1500 avant J.-C., et la première mention de peuples méridionaux ne date que du règne d'Ashoka (vers 269-233 avant J.-C.).

2.3. LES PERSES ET ALEXANDRE LE GRAND
Dans la seconde moitié du vie siècle avant J.-C., Cyrus puis Darius Ier annexent à l'Empire perse la Bactriane et une partie du bassin de l'Indus. Si les textes indiens n’ont pas laissé de trace directe de cette domination, celle-ci a notamment introduit l'écriture araméo-indienne (kharosthi) en usage dans le Nord-Ouest de l’Inde pendant plusieurs siècles et par l’intermédiaire de l'empire achéménide, les premiers échanges commerciaux et intellectuels avec le monde méditerranéen (et grec) eurent ainsi lieu avant l’expédition d’Alexandre le Grand.
Entre 327 et 325 avant J.-C., Alexandre est aux confins de l'Inde du Nord-Ouest. Il franchit l'Indus, mais ne dépasse pas l'Hyphase (la moderne Bias, l'un des cinq grands fleuves du Pendjab). Aucune mention n'a été retrouvée de cette expédition dans les sources indiennes, mais les sources classiques permettent d'entrevoir que sa venue a précédé de très peu, si elle ne l'a pas favorisée, la prise du pouvoir par Chandragupta, le premier des Maurya, vers 320 avant J.-C.
Le souverain le plus célèbre de toute l'histoire de l'Inde ancienne est le fils de Chandragupta, connu sous le nom de Ashoka (v. 269-v. 233). Il fur le premier à faire graver, sur des colonnes et sur des rochers, à la manière des Achéménides de la Perse, des édits, uniques en leur genre dans l'histoire de l'Inde et qui sont les premières inscriptions indiennes. Ces édits renseignent sur l'étendue de son empire et sur sa politique, dite du dhamma (sanskrit dharma), qui est une exhortation à se conformer à l'« ordre » au sens le plus large, l'ordre cosmique, dont les formes concrètes sont l'ordre religieux et l'ordre politique, celui-ci se devant d'être le garant de celui-là. Cette notion, centrale dans le brahmanisme comme dans le bouddhisme, fonde en partie la politique de tolérance de cet empereur, lui-même bouddhiste.
Mais la cohésion de l'empire ne survit que peu de temps à Ashoka. L'histoire de son déclin est obscure, comme celle des pouvoirs des Shunga 'ou Sunga) et des Kanva qui succèdent aux Maurya à la tête d'un royaume certainement de plus en plus petit (sans que l'on sache le situer avec précision) jusque vers le milieu du ier s. avant J.-C. Ashoka est le seul souverain de l'Inde ancienne qui soit aussi concrètement connu.

3. L'INDE « CLASSIQUE » ET MÉDIÉVALE
Après une période assez obscure marquée par des invasions de Scythes puis de Kouchans, autres nomades issus du Turkestan – qui donnent naissance à l’empire de Kanishka, à cheval sur l’Inde et l’Iran, et de ses successeurs –, on voit apparaître, vers la fin du iiie siècle après J.-C., la brillante dynastie des Gupta, que l’on connaît toutefois aussi très mal faute de documents précis.

3.1. L'EMPIRE GUPTA (V. 320-V. 550)
C’est également la moyenne vallée du Gange qui constitue le cœur du nouvel empire constitué au ive siècle par la dynastie Gupta, fondée par Chandragupta Ier (v. 320-330). Son fils Samudragupta est le vrai fondateur de l’empire, qui s’étendit sous le règne de Chandragupta II (v.375-v. 414) pour comprendre à son apogée l’ensemble de l'Inde au nord de la Narmada. C’est à cette époque dite « classique », que l’hindouisme, encouragé par les souverains de cette lignée, prend tout son essor parallèlement au bouddhisme et au jaïnisme également florissants.
Au milieu du ve siècle, Skandagupta parvient à repousser les Huns hephtalites qui s’imposent cependant jusqu’au milieu du vie siècle et ont raison de l'Empire gupta, qui s'émiette alors en principautés locales. Parmi ces dernières, celle fondée par Harsha (Harsavardhana) — connue grâce à l'un des très rares romans écrits en sanskrit, la Geste de Harsha du poète Bana et par les Mémoires du pèlerin chinois Xuanzang – restaure l’unité de l’Inde du Nord de 606 à 647 à partir de Kanyakubja (Kanauj, dans le Doab). Mais à la mort du souverain, l’Inde du Nord se morcelle de nouveau pendant six siècles.

3.2. L'ESSOR DE L'INDE DRAVIDIENNE
Dans le nord du Deccan, sur les ruines de l’empire maurya, les Andhra avaient déjà constitué un nouveau centre de pouvoir régional à partir de ce qui deviendra l’actuel Andhra Pradesh, qui devait se maintenir jusqu’au iiie siècle, favorisant la pénétration du brahmanisme vers le sud.
À la fin des Gupta, se détachent quatre grands royaumes : dans le Deccan occidental celui des Chalukya au vie siècle, auxquels succèdent les Rashtrakuta aux viiie-xe siècles, et, plus au sud, ceux des Pallava et des Chola qui marquent l’âge d’or de la civilisation tamoule.
Mal connue à ses débuts, c’est à partir du vie siècle que la dynastie des Pallava (d’anciens vassaux des Andhra) étend son influence de la côte sud-orientale autour de Kanchipuram vers le sud de la péninsule. Sous leur règne, un commerce prospère avec l’Asie du Sud-Est commence à se développer. En guerre, dans le nord contre les Chalukya puis contre leurs successeurs, les Rashtrakuta, mais devant aussi affronter au sud les Pandya, les Pallava cèdent finalement devant les Chola, d’anciens vassaux héritiers d’une principauté fondée au iiie siècle.
Ces derniers, à partir de leur capitale Tanjore, s’imposent dans l’ensemble de la péninsule méridionale de la fin du ixe siècle jusqu’au milieu du xiiie siècle, prenant le contrôle de toute la côte orientale après des incursions jusqu’au Bengale et l’Orissa dans le Nord-est, de l’île de Ceylan — qui passe sous la domination des Tamouls au xie siècle pendant quelques décennies – et menant des expéditions maritimes jusqu’en Malaisie et dans le nord de Sumatra. Le règne de Rajendra Ier (1012-1044) en constitue l’apogée. À partir de la fin du xiie siècle, leur puissance s’atténue et les Pandya s’imposent comme la première principauté d’une Inde du Sud de nouveau morcelée.

4. LES PREMIERS POUVOIRS MUSULMANS (1206-1526)

La première région indienne conquise par une armée musulmane est celle du Sind, en 712. Elle est l'œuvre d'Arabes commandés par Muhammad ibn al-Qasim, neveu et gendre de Hadjdjadj, gouverneur de l'Iraq. Auparavant, des commerçants arabes et iraniens s’étaient déjà établis sur les côtes orientales.

4.1. LE SULTANAT DE DELHI
Mais l'islam ne sera en fait introduit qu'un demi-millénaire plus tard, par des Turcs établis en Afghanistan, lorsque, en 1206, Qutb al-Din Aybak, lieutenant esclave du sultan Muhammad de Ghur, fonda le sultanat de Delhi. Les conquêtes de Muhammad de Ghur (prise de Lahore en 1186, de Delhi en 1193, du Bengale en 1202) seront précédées, entre 1000 et 1027, des raids, mais sans lendemain, du sultan turc Mahmud de Ghazni contre les plus grandes cités de l'Inde du Nord.
Le sultanat de Delhi devient vite la première puissance de l'Inde du Nord et, après s'être étendu au détriment des royaumes hindous, il va donner naissance à des régimes semblables à lui. Il reste cependant largement étranger à la société indienne sur laquelle il est surimposé et dont subsistent les autorités locales. Sans légitimité et règle précise de succession, si ce n’est la force du clan, il se retrouve à la merci des rébellions internes et des changements de dynasties. Sur ses ruines, en 1526, commencera de s'édifier l'Empire moghol (→ Grands Moghols).
Cinq dynasties, toutes turques, au moins d'origine, sauf la dernière, occupent le trône de Delhi de 1206 à 1526 : celle dite des Esclaves (1206-1290), celle des Khaldji (1290-1320), celle des Tughluq (1320-1414), celle des Sayyid (1414-1450), celle enfin des Lodi, qui appartenaient à un clan afghan établi en Inde, de 1451 à 1526. Iltutmich (1211-1236) et Balban (1265-1286) donnent au sultanat des assises solides et Ala al-Din (1296-1315), pour un temps, des dimensions impériales, grâce aux conquêtes de son général, Malik Kafür, aux dépens des derniers grands royaumes hindous du Deccan et du Sud : Yadava de Devagiri (conquis en 1307), Hoysala de Dvarasamudra au Mysore (1310), Kakatiya de Warangal au Telingana (1309), Pandya de Madurai, tout au sud (1311). Comme ses prédécesseurs, Ala al-Din contient les Mongols toujours menaçants au nord-ouest.

4.2. LE SULTANAT DES BAHMANIDES ET L'EMPIRE DE VIJAYANAGAR
Sous le règne de Muhammad Tughluq (1325-1351), des gouverneurs s’émancipent du pouvoir de Delhi, dans le Sud (sultanat de Madurai, 1334-1378) comme dans le Nord (Bengale en 1339 où le sultanat des Ilyas Chah se maintiendra jusqu’en 1487). Mais ce sont surtout deux grands royaumes qui se distinguent alors. L’un, musulman, est le sultanat bahmanide fondé en 1347 dans le Deccan occidental par Hasan Gangu, avec pour capitale Goulbarga (nord du Karnataka) ; l’autre hindou, est le royaume de Vijayanagar formé en 1336 par Hariha ra Ier au centre du Karnataka (Hampi) qui parvient à s’étendre sur l’ensemble du territoire méridional autrefois contrôlé par les Chola. Si ce nouvel empire, qui trouve son apogée sous le règne de Krishnadeva Raya (1509-1529), se présente comme le foyer d’une renaissance hindoue, il n’est inspiré par aucune volonté de « reconquête » et, tout en se maintenant pendant plus de deux siècles grâce notamment à un système efficace d’administration, il est finalement défait en 1565 par une coalition de sultans successeurs des Bahmanides.

4.3. LA FIN DU SULTANAT DE DELHI
Firuz Tughluq (1351-1388) saura conserver les territoires qui lui restent, mais il sera le dernier grand sultan de Delhi. En 1398, Timur Lang (Tamerlan) vient piller la ville et massacrer ses habitants. Cette invasion accélère la désintégration du sultanat : le Malwa, en 1401, le Gujerat, en 1403, deviennent des sultanats indépendants, les Rajputs du Rajasthan reconstituent leurs principautés au milieu du XVe siècle et le dernier des Lodi, Ibrahim (1517-1526), doit faire face à d'autres rébellions avant de trouver la mort face au premier souverain moghol, Baber, à Panipat.

5. L'ARRIVÉE DES EUROPÉENS (1498-1669)
Les Portugais, qui, avec les Espagnols, s'étaient partagé les mers en 1494 (→ traité de Tordesillas), sont les premiers Européens à atteindre l'Inde et à y établir des bases commerciales. Vasco de Gama touche Calicut en 1498 et Pedro Álvarez Cabral y commerce dès 1500. Cette installation, qui est loin d'être pacifique, devient définitive avec la prise de Goa au sultan de Bijapur par Albuquerque (1510).
Tant que durera l'empire de Vijayanagar (jusqu'en 1565), son allié et partenaire, le commerce portugais sera plus que florissant. Les Portugais restent, en tout cas, les maîtres de l'océan Indien pendant presque tout le xvie siècle.
L'échec de l'Invincible Armada (1588), la publication (1595) par les Hollandais (indépendants de la cration des Provinces unies en 1579) des cartes portugaises, jusque-là gardées secrètes, encouragent les puissances protestantes à briser le monopole hispanique sur le commerce des épices. Les Compagnies des Indes orientales anglaise (East India Company) et hollandaise (Vereenigde Oost-Indische Compagnie ou VOC) sont fondées, respectivement, en 1600 et en 1602. Les Anglais abordent à Surat (1608), alors principal port de l'empire moghol. C'est là qu'après de longues négociations ils obtiennent d'édifier leur première factorerie (1612).
Pour en savoir plus, voir les articles Compagnie anglaise des Indes orientales, Compagnie hollandaise des Indes orientales,
Le développement ultérieur des comptoirs anglais sera, en grande partie, la conséquence des heurts violents de 1623 avec les Hollandais en Asie du Sud-Est. La Compagnie anglaise se replie donc vers l'Inde et, pour y pratiquer le commerce « triangulaire » qui enrichissait tant ses concurrents, s'établit sur la côte de Coromandel : elle construit (1639), près de la future Madras, un fort qui sera baptisé Saint George. En 1658, elle occupe une ancienne factorerie portugaise sur l'Hooghly, principal affluent du Gange, à plus de 160 km au nord du golfe du Bengale. Son troisième point d'ancrage sera Bombay, cédée aux Anglais par la dot de la princesse portugaise Catherine de Bragance à l’occasion de son mariage avec le roi d’Angleterre Charles II, et confiée par la Couronne à la compagnie en 1668. Surat est alors abandonnée et Bombay fortifiée dès 1669. En Angleterre même, la Compagnie, qui avait failli disparaître sous Charles Ier mais que Cromwell avait sauvée (charte de 1657), obtient désormais des privilèges de plus en plus grands.
La France n'apparaît en Inde que dans la seconde moitié du xviie siècle. Colbert crée la Compagnie française des Indes orientales en 1664. Les premières occupations françaises dans le golfe du Bengale en 1671 à Surat et à Sao Tomé sont éphémères avant que François Martin puisse acquérir le droit auprès du sultan de Bijapur de s'installer à Pondichéry (1674) et du nabab du Bengale à Chandernagor (1688). Pondichéry sera pris par les Hollandais pendant la guerre de la ligue d'Augsbourg, puis restitué en 1699 après la signature du traité de Ryswick (1697). Les autres comptoirs français ne seront acquis qu'au xviiie siècle : Masulipatam, Calicut, Mahé et Yanaon (1721-1723), et Karikal en 1739.
Pour en savoir plus, voir l'article Inde Française.

6. L'EMPIRE MOGHOL

6.1. LES PREMIERS CONQUÉRANTS (1526-1556)

L'établissement de la dynastie moghole en Inde fut l'œuvre du Timuride Baber (ou Babur), qui, parce que ses espoirs de conquêtes en Asie centrale avaient été contrecarrés par la montée des Ouzbeks en ce début du xvie siècle, avait dû se tourner vers Kaboul et, de là, avait su profiter du déclin du sultanat de Delhi. Trois victoires – sur Ibrahim, le dernier des Lodi, à Panipat, en 1526, sur une confédération rajpute, à Khanua, en 1527, et sur une coalition afghane, près de la Gogra, en 1529 – lui assurent la maîtrise de l'Inde du Nord.
L'histoire de la dynastie moghole, officiellement fondée sur le sol indien en 1527, est alors, et pour près de deux siècles, jusqu'à la mort d'Aurangzeb, en 1707, avant tout celle des luttes et des guerres qui assureront son maintien et sa grandeur, guerres civiles pour des successions toujours férocement disputées, guerres de conquêtes (parfois de reconquêtes) lorsque les premières sont achevées. Cette sorte de sélection naturelle, qui tenait au fait qu'il n'existait pas de droit précis en matière de succession chez les Turcs Djaghataïdes, amena au pouvoir des conquérants remarquablement habiles et implacables.
Le fils de Baber, Humayun (1530-1556), n'aura pas assez de dix ans pour asseoir suffisamment son autorité face aux siens. Il perd en 1540 son royaume au profit d'un Afghan, Chir Chah, à bien des égards meilleur que lui, mais dont, à son tour, la descendance ne peut conserver le pouvoir. Humayun recouvre alors son héritage, quelques mois seulement avant de mourir.

6.2. AKBAR ET LA CONSTRUCTION DE L’EMPIRE MOGHOL (1556-1605)

Les extraordinaires capacités d'Akbar (1556-1605), tant militaires qu'administratives, jointes à une personnalité hors pair, font du royaume si fragile d'Humayun, son père, un empire solide et véritablement indien.
Une à une, les différentes puissances et les différentes régions, de l'Afghanistan au Bengale et de la bordure himalayenne au nord du Deccan, sont soumises et intégrées dans une structure impériale dont nombre d'aspects administratifs dureront au moins jusqu'aux premiers temps de la domination britannique. L'un des plus grands mérites de l'empereur est, en même temps, de reconnaître la diversité de son peuple et d'en tenir compte pour gouverner. Dans ce sens sont à comprendre des mesures comme la suppression de la capitation (qui, en territoire conquis par l'islam, frappe les infidèles) et la participation, jusqu'au plus haut niveau, d'hindous au gouvernement.
Des considérations politiques aussi, en même temps qu'une forte tendance au mysticisme et que la fréquentation curieuse d'hommes de religions diverses, le pousseront même à tenter d'instituer une forme de syncrétisme religieux lorsqu'il se voudra chef spirituel de ses sujets. L'art du nouvel empire, l'architecture notamment, témoignera de la même ouverture d'esprit.

6.3. LES SUCCESSEURS D’AKBAR ET L’APOGÉE DE L’EMPIRE (1605-1707)
Les règnes de Djahangir, de 1605 à 1627, puis de Chah Djahan, de 1628 à 1658, sont ceux de la plus grande splendeur moghole, à la cour du moins (à Agra puis, à partir de 1648, à Delhi) et dans les capitales provinciales.
Le règne de Djahangir, en fait celui de sa femme, la princesse persane Nur Djahan, voit Agra, alors deux fois plus grande qu'Ispahan, devenir un modèle d'élégance séfévide. Quant à Chah Djahan, il a laissé avant tout le souvenir du bâtisseur le plus magnifique que l'Inde ait connu. Le Tadj Mahall et la mosquée de la Perle, tous deux à Agra, et la septième cité de Delhi, Chah Djahanabad, sont son œuvre.
Mais, déjà sous ce dernier empereur, l'esprit de tolérance d'Akbar et de Djahangir a cédé la place à une réaction musulmane qui, avec Aurangzeb (1658-1707), deviendra fanatisme et contribuera sûrement au déclin de l'empire, en lui aliénant, entre autres supports, les Rajputs loyaux depuis le temps d'Akbar.
Déjà aussi sous Chah Djahan, le piège s'entrouvre où s'enlisera Aurangzeb. Ce piège c'est le Deccan, précisément les sultanats de Bijapur et de Golconde. Les campagnes successives, coûteuses et dévastatrices, pour annexer ces deux royaumes commencent dès 1631. Elles occuperont Aurangzeb de 1681 à sa mort.
Les guerres de succession, les guerres dans le Deccan, d'autres encore ont finalement ravagé de vastes territoires. L'Empire moghol n'a jamais été aussi étendu qu'à la fin du règne d'Aurangzeb, mais l'Inde est plus misérable qu'au temps d'Akbar. Des révoltes éclatent dans la seconde moitié du xviie siècle, auxquelles le fanatisme de l'empereur donne une coloration religieuse : les sikhs du Pendjab se soulèvent, ainsi que les Rajputs du Rajasthan et surtout les Marathes du Deccan (Sivaji commence sa carrière en 1647 et fonde le royaume marathe en 1674).

7. LE XVIIIe SIÈCLE
Les traits marquants de ce siècle sont le déclin de l'empire moghol, la montée de la puissance marathe, les débuts de l'ingérence des Anglais dans les affaires indiennes et la défaite des Français face aux Britanniques dans l'Inde du Sud.

7.1. LE DÉCLIN ET L’ÉCLATEMENT DE L’EMPIRE MOGHOL
Dans un premier temps, malgré bien des vicissitudes – luttes intestines à la cour, manifestations d'indépendance de la part de gouverneurs, attaques venues de la Perse (1739) puis de l'Afghanistan (à cinq reprises, de 1747 à 1761) –, l'Empire moghol reste la première des puissances indiennes jusqu'à la bataille de Panipat (1761), donc pendant plus de cinquante ans après la mort d'Aurangzeb.
Le principal responsable de la défaite de Panipat (militairement, celle de l'armée marathe face aux Afghans de Ahmad Chah) est, en fait, le vizir de l'empire, Imad al-Mulk. Sa gestion, de 1753 à 1761, a été si désastreuse qu'elle a affaibli Delhi au point de susciter une quatrième intervention afghane en 1757, puis une cinquième en 1759, l'obligeant à appeler encore les Marathes à son secours.
Après la défaite de Panipat, l'Empire moghol n'est plus qu'un royaume, celui de Delhi, qui, grâce d'abord au gouvernement du représentant du souverain afghan (1761-1772), puis grâce à celui de Nadjaf Khan (1772-1782), pour le compte du plus talentueux des derniers Moghols, Chah Alam (restauré en 1772), réussit à rester indépendant. Il cesse de l'être lorsque, faute d'une personnalité capable de succéder au khan, le général marathe, Mahadaji Sindhia, se voit offrir le titre de régent de l'empire en 1785.
Les Anglais, ensuite, occuperont Delhi en 1803 lors de leurs campagnes contre Sindhia et la dynastie moghole disparaîtra définitivement quand, après la « mutinerie » (→ révolte des cipayes) de 1857, ils enverront mourir en exil en Birmanie son dernier représentant, Bahadur Chah.

7.2. LES MARATHES
La plus grande puissance indienne du xviiie siècle, lorsque décline l'Empire moghol, est celle des Marathes de Pune. Tant que les peshva (Premiers ministres) conservent tout le pouvoir entre leurs mains (de 1714 à 1772), tenant à distance les quatre grandes familles de chefs de guerre qui forment avec eux une sorte de confédération, les Marathes règnent en maîtres, directement ou indirectement, sur l'Inde entière, à l'exception du Bengale. Mais l'affaiblissement de leur pouvoir central, en un temps où les Anglais viennent d'apprendre au Bengale et dans le sud de l'Inde à user de leur influence, conduit à trois guerres (1775-1782, 1803-1805, 1817-1818) qui finissent par anéantir les Marathes et par donner à leurs adversaires britanniques l'empire de l'Inde.

7.3. LA RIVALITÉ FRANCO-BRITANNIQUE
La guerre de la succession d'Autriche (1740-1748) dans laquelle s’opposent la France, l’Angleterre et leurs alliés respectifs, se double d’un conflit d’ordre colonial entre les deux puissances, notamment en Inde. Il a pour théâtre le Deccan oriental, plus précisément le Carnatic, portion sud-est de la péninsule entre les Ghât orientaux et la côte du Coromandel, et, plus au nord dans le centre, l’État de Hyderabad.
Si Pondichéry est défendue en 1748 avec succès par son gouverneur Dupleix , Madras, qui avait été prise en 1746 par la flotte de Mahé de La Bourdonnais, est rendue aux Anglais par le traité d'Aix-la-Chapelle (1748) en échange de la restitution de Louisbourg au Canada. Dupleix reprend alors la lutte contre les Anglais par princes indiens interposés. Il rencontre un certain succès (prise de Hyderabad en 1751) mais se heurte aux Anglais et à leurs alliés indiens au Carnatic (échec devant Trichinopoly, 1753) avant d’être rappelé par la Compagnie française des Indes et le gouvernement en 1754.
La guerre de Sept Ans (1756-1763) est l’occasion pour l’Angleterre d’écarter définitivement la concurrence de la France. Chandernagor tombe en 1757 ; Masulipatam en 1759 ; les troupes de Lally-Tollendal sont défaites par celles de sir Eyre Coote à Vandavachy (Wandiwash) en janvier 1760 et Pondichéry capitule l’année suivante avant d’être restitué par le traité de Paris (1763) mais le rôle de la France en Inde est désormais insignifiant.

8. LA FORMATION DE L'EMPIRE BRITANNIQUE DES INDES

Les menées agressives d'un jeune nabab du Bengale, Siradj al-Dawla, en 1756, face à une compagnie de marchands qui entend défendre ses droits, sont le choc initial qui déclenche un processus d'expansion qui, de la simple canonnade de Plassey (juin 1757), commandée par Robert Clive contre le nabab, conduit à la victoire de Buxar, en octobre 1764, cette fois face à une coalition indienne où figure l'empereur moghol.

8.1. L’EAST INDIA COMPANY, NOUVELLE PUISSANCE TERRITORIALE
En 1765, l’East India Company, dont la principale « présidence » est Fort William (à Calcutta) se voit confier par le traité d’Allahabad la perception des impôts et l’administration des Finances dans les trois provinces du nord-est (Bengale, Bihar et Orissa). La même année, elle prend en main les fonctions de défense et de maintien de l’ordre au Bengale. Ce pouvoir ne tardera pas à s’étendre pour devenir sans partage et la Compagnie devient de fait l’une des principales puissances territoriales du sous-continent, dotée d’une puissante armée recrutée parmi les brahmanes et Rajputs du Nord sous le commandement d’officiers britanniques et dont l’entretien absorbera près de la moitié de ses dépenses.
Mais loin d’être le fruit d’une politique délibérée, l'expansion britannique dans toute l'Inde (à partir des présidences de Calcutta, de Madras et de Bombay, avec une nette prééminence de la première à partir de 1793) apparaît plutôt comme un mouvement irréversible, dans lequel la Compagnie, obéissant à une logique à la fois mercantiliste et militaire, est entraînée pour augmenter ses revenus, mais aussi parfois seulement pour les conserver face à des États indiens encore puissants. Ainsi, pour Warren Hastings, gouverneur général du Bengale en 1772-1785, il s’agit avant tout de préserver les possessions britanniques déjà établies dans le Nord comme dans le Sud, en signant notamment un traité avec les Marathes (1782) tandis que son successeur, le général lord Cornwallis (1786-1793), n’entend qu’affaiblir le sultan Tippoo Sahib (troisième guerre du Mysore, 1790-1792) et non annexer son territoire. Sous le gouvernorat de Sir John Shore (1793-1798) la Compagnie privilégie de nouveau la diplomatie.

8.2. L’EXTENSION DU RAJ BRITANNIQUE
C’est à partir de l’arrivée au pouvoir de lord Richard Wellesley, gouverneur général de 1798 à 1805, que la compagnie se lance dans une politique systématique d’annexions territoriales. Tippoo Sahib est battu et trouve la mort en 1799 à l’issue de la quatrième et dernière guerre du Mysore. La majeure partie de ses territoires est annexée de même que le Carnatic en 1801, tandis que Tanjore est placée sous la protection de la compagnie.
Cette politique d’annexion est poursuivie dans le Nord et commence à inquiéter Londres et la direction de la compagnie. Le gouvernorat de lord Minto (1807-1813) marque ainsi une pause dans les conquêtes avant leur reprise sous celui de lord Hastings (1813-1823) : le royaume du Népal, transformé en État tampon, doit céder des territoires (1816) et, surtout, après trois guerres, les Marathes s’inclinent en 1818. À cette date, la Compagnie n’a plus de véritable rival dans le sous-continent à l’exception du plus lointain Pendjab et avec lequel les relations sont encore bonnes.
Elle est cependant engagée dans de nouveaux conflits dont certains en dehors du territoire indien au cours des années suivantes. Sous Amherst (1823-1828), la Birmanie perd la plus grande partie de sa façade maritime. Après un intervalle de sept années de paix sous lord William Bentinck (1828-1835), lord Auckland (1836-1842) cautionne la désastreuse expédition d'Afghanistan. Cette expédition devait s'assurer de ce pays face au péril russe. En 1841, l'armée anglaise de Macnaughten est totalement exterminée.
Lord Ellenborough (1842-1844) venge cette défaite en faisant la conquête (sanglante) du Sind (1842). Lord Hardinge (1844-1848) attaque la dernière grande puissance indienne indépendante, le royaume sikh du Pendjab, jusque-là ami mais en en proie à des troubles depuis la mort de son souverain, Ranjit Singh, en 1839.
La première guerre sikh s'achève (1846) par l'annexion de territoires, entre autres le Cachemire, qui est donné au Rajput Gulab Singh dont la famille régnera jusqu'après l'indépendance de l'Inde (1947). Lord Dalhousie (1848-1856), enfin, achève l'œuvre de son prédécesseur. La seconde guerre sikh aboutit (1849) à l'annexion du Pendjab.
En 1850, l'Empire britannique des Indes s'étend du Bengale à l'Indus, du Cachemire au cap Comorin. D'ultimes expéditions auront lieu contre la Birmanie (1852 et 1885) et contre l'Afghanistan en 1878-1880, sans plus de succès qu'en 1841. Les territoires conquis seront, dans leur grande majorité, administrés directement, mais des centaines d'États autonomes, protectorats en fait liés par traité à la Couronne, gouvernés par des maharaja, subsisteront jusqu'en 1947. Parmi les plus grands figurent le Cachemire et l'État de Hyderabad.

8.3. L'ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE
L'expansion territoriale britannique provoque des mesures destinées à l'administration du nouvel empire et qui touchent au statut de la compagnie des Indes elle-même. La centralisation de l'autorité à Calcutta (confiée au « gouverneur général et conseil de la présidence de Fort William ») s'accompagne du passage progressif de la compagnie sous le contrôle du gouvernement de Londres. La première loi témoignant de cette évolution est le Regulating Act de 1773. L’India Act de 1784, transfère le pouvoir de décision de la Cour des directeurs de la Compagnie à un Conseil de contrôle (Board of Control) relevant de la Couronne.
Puis, par le Charter Act de 1813, la Compagnie perd son monopole commercial. L'Inde est ouverte à l'entreprise privée. Par celui de 1833, elle perd ses activités commerciales pour ne plus être qu'un organisme de gouvernement et le gouverneur général du Bengale devient gouverneur général de l'Inde. Enfin, le Government of India Act de 1858, signant le démantèlement de la compagnie, en transfère toutes les fonctions et propriétés à la Couronne, qui par l’intermédiaire du vice-roi, gouvernera désormais le pays.
Les mesures administratives, pendant cette période, sont nombreuses. Il convient de mentionner le Code que laisse Cornwallis en 1793 et qui définit les règles selon lesquelles s'exercera l'autorité anglaise. La plus célèbre d'entre elles, le Permanent Zamindari Settlement, définit les modalités de la levée de l'impôt foncier au Bengale et fait des zamindar les propriétaires intermédiaires entre les paysans et l'Administration. Dans le Sud, la perception de cet impôt sera différente, dans son principe. L'impôt, aux termes du Ryotwari Settlement mis en place par Thomas Munro, gouverneur de Madras de 1820 à 1827, sera exigé directement des paysans par l'Administration. Dans le premier cas, l'Angleterre tente de substituer une sorte de « gentry » à l'ancienne noblesse moghole ; dans le second, elle tente de faire des paysans les seuls propriétaires des terres qu'ils cultivent, ce qui revient à vouloir changer les structures sociales traditionnelles…
D'une manière générale, toutes les mesures que les Anglais prennent, dans la première moitié du xixe siècle, amènent des transformations partielles de la société indienne. Par exemple, la levée (1833) de l'interdiction faite jusque-là aux missionnaires de venir exercer leurs activités en Inde ainsi que l'introduction, vers la même époque, de l'éducation anglaise font naître une culture anglo-indienne, illustrée d'abord par le mouvement dit de la « renaissance hindoue » au sein de l’intelligentsia bengali. Et les Britanniques tentent des réformes sociales (interdiction, par exemple, du suicide des veuves en 1829). En matière économique, de même, l'abolition du monopole commercial de la Compagnie rend l'Inde dépendante de l'étranger (c'est-à-dire de l'Angleterre). Mais cette mesure fait aussi naître un capitalisme indien…

8.4. LA « MUTINERIE »
L'œuvre du gouverneur général Dalhousie (1848-1856) résume assez bien les bouleversements que l'Angleterre impose à l'Inde pendant la première moitié du xixe siècle. Bouleversements techniques par le lancement de la construction du réseau ferré, et celle du réseau télégraphique, ainsi que par la mise en place d'un réseau postal uniforme. Bouleversements politiques par l'application de la doctrine dite du « lapse », selon laquelle, en l'absence d'héritier direct, un royaume revient à son suzerain, donc à la compagnie. Cette doctrine, contraire à la loi hindoue et à la loi musulmane, qui reconnaissent les droits des héritiers par adoption, permet à Dalhousie des annexions pacifiques et des économies substantielles, car le principe est également appliqué aux pensions.
Cette politique impérialiste culmine avec l'annexion de l'Aoudh, en 1856, non parce que son souverain n'a pas d'héritier, mais sous le prétexte de mauvais gouvernement. L'Aoudh est, en fait, l'une des régions les plus riches de l'Inde. Cette annexion est une erreur à laquelle viennent s'en ajouter d'autres commises par lord Canning (1856-1862), dernier gouverneur général de l'Inde et premier vice-roi.

Le 9 mai 1857, à Meerut (à environ 50 km au nord de Delhi), éclate dans l'armée du Bengale ce que les Anglais appelleront une « mutinerie », mais qui sera plus qu'une simple révolte de soldats, sans cependant atteindre les dimensions d'une révolte nationale, faute d'une direction et d'un idéal communs. C'est, sans doute, le « dernier sursaut d'un ordre condamné », dont certains éléments supportaient mal les spoliations et la pacification énergique de la puissance étrangère. Cette révolte qui, pendant l'été de 1857, ne fait vraiment perdre aux Anglais que le contrôle du cœur de la vallée du Gange, est rapidement matée, souvent avec une extrême cruauté.
La « mutinerie » (ou révolte des cipayes) aura de multiples conséquences. Un mur de défiance opposera désormais les deux communautés, et l'Angleterre, qui se voulait éducatrice et civilisatrice, n'essaiera plus de légiférer dans des domaines touchant à la religion et aux mœurs. L'évolution de l'Inde au siècle suivant sera bien davantage due au rôle économique que lui fera jouer la puissance coloniale, initiatrice, partenaire et rivale, et à la prise de conscience des Indiens de leur identité.

9. L'INDE COLONIALE

9.1. LE GOUVERNEMENT DE L'INDE
L'Inde britannique, résultat de cette politique de conquêtes et d'annexions, est devenue, au fil des années, un immense empire comprenant deux sortes de territoires : des territoires administrés directement et des territoires princiers (plus de 600 au début du xxe siècle) soumis au régime de l'administration indirecte, autonomes, mais sans aucune indépendance réelle.
L'Empire est, depuis Calcutta (depuis Delhi à partir de 1911), dirigé par un vice-roi (successeur du gouverneur général depuis 1858) nommé par le gouvernement anglais et dépendant du secrétaire d'État à l'Inde, ce dernier, membre du gouvernement de la Couronne. Le vice-roi est assisté d'un Conseil exécutif, purement consultatif, d'abord de six membres nommés par Londres. Son Conseil législatif est le même, mais augmenté de seize membres nommés par lui. L'administration impériale est absolument centralisée dans la mesure où les gouverneurs de province, assistés de leurs conseils, ne sont que des délégués du vice-roi qui les nomme. Cette centralisation autoritaire est pesante. Elle prend la forme, le temps passant, d'une machine bureaucratique énorme et conservatrice.
L'administration quotidienne repose, elle, presque entièrement sur la personne du collecteur de district, au début homme de terrain, homme à tout faire, aux fonctions à la fois exécutives et judiciaires. Puis, ses tâches ne cessant de croître, ce personnage devient un bureaucrate qui supervise, à la tête d'une administration indigène.
Les administrateurs britanniques appartiennent au corps de l'ICS (Indian Civil Service), dont les Indiens, longtemps, ne pourront faire partie puisque, jusqu'en 1922, le concours d'entrée se passera obligatoirement en Angleterre. Ce corps est resté célèbre pour l'esprit victorien qui l'animait, mais qui le rendait anachronique et incapable d'innover. Toutes les initiatives rendues nécessaires par la poussée nationaliste et par les grands événements mondiaux (les deux guerres mondiales, la crise de 1929) viendront toujours de Londres et se heurteront au conservatisme de ces fonctionnaires coloniaux.

L'Inde sur laquelle les Britanniques étendent leur empire est un pays rural (le pourcentage de la population urbaine est de 10 % en 1901 et ne sera que de 13 % en 1941) peuplé de villages (730 000 en 1901) isolés, pratiquement autarciques, aux structures sociales héritées d'un très long passé.
La société y est divisée en castes hiérarchisées et cette structure conditionne tous les aspects de la vie rurale. Si le nombre des castes, à considérer l'Inde dans son ensemble, apparaît presque infini, à l'intérieur d'un même village, trois groupes peuvent être, du point de vue économique, définis. Au sommet de la hiérarchie, la caste dominante possède la plus grande partie des droits sur la terre, sans la travailler elle-même. En dessous, et dépendant largement de la classe précédente, viennent les petits propriétaires, les tenanciers et les artisans ruraux. Les exploitations à ce niveau sont petites, guère plus du minimum vital, parfois moins. En bas, enfin, se tiennent les plus pauvres et les plus méprisés, les paysans sans terre et les castes de service impures, en général intouchables. C'est dans ce prolétariat que figurent les paysans non libres endettés dans des conditions qui ne leur permettent pas de racheter leurs dettes.
Dans ce monde, les Anglais introduisent un certain nombre de nouveautés qui, directement ou indirectement, transforment les structures agraires. Il s'agit d'abord de l'établissement de nouveaux systèmes fonciers (dès 1793) qui, en instituant le droit de propriété, bouleversent les droits traditionnels sur la terre, rompant par là l'équilibre de l'économie villageoise. Il s'agit ensuite de l'introduction des cultures industrielles et de la commercialisation croissante de l'économie agricole, phénomènes qui, joints à la concentration de la propriété foncière qui avait suivi l'institution de la propriété, vont déséquilibrer la production agricole et l'assujettir aux fluctuations des cours mondiaux. Enfin, aux facteurs de déséquilibre touchant une société bloquée, s'ajoute, à partir de 1921, le facteur démographique. À partir de 1921, en effet, le taux de mortalité chute de façon continue (il passe de 40 à 50 ‰ avant cette date à 31,2 ‰ en 1941) en face d'un taux de natalité stationnaire aux environs de 45 ‰.

9.3. L'INDUSTRIE PENDANT LA PÉRIODE COLONIALE
Le secteur moderne de l'économie indienne, de type capitaliste, est d'abord aux mains d'hommes d'affaires britanniques qui qui peuvent exercer leur activité fortement monopolistique grâce au système des agences de gestion (managing agency system) créé entre 1834 et 1847 à Calcutta puis généralisé à l’ensemble du territoire : les sociétés londoniennes, ignorantes du milieu indien, confient la gestion de leurs capitaux à de vieilles firmes implantées depuis longtemps en Inde.
Ces agences, qui détiennent, en le concentrant aux mains de quelques-uns, le pouvoir économique, fleurissent jusque dans les années 1920. Après quoi commence à se développer un capitalisme indigène, calqué sur le modèle anglais, œuvre de communautés précises (et d'abord celle des parsis, qui avaient commencé, au siècle précédent, à faire des affaires en tant qu'intermédiaires [compradores] dans le commerce du coton et de l'opium). Ce développement se produit à la faveur, notamment, d'une protection douanière (mais sélective) de l'industrie indienne, des difficultés auxquelles se heurte l'industrie en métropole dans les années 1930, et des succès que remporte le nationalisme indien. Les deux guerres mondiales, en isolant l'Inde et en augmentant la demande anglaise, favoriseront aussi l'essor de l'industrie indienne.

Cela étant, le bilan industriel de l'Inde au moment de l'indépendance ne sera nullement en rapport avec les besoins du pays. La raison principale en est que l'industrie indienne est longtemps restée de type colonial, c'est-à-dire déséquilibrée. Certains secteurs seulement ont été développés : fabrication du thé, industrie du coton dans l'Inde de l'Ouest, du jute au Bengale, extraction de la houille au Bihar et en Orissa, au détriment des industries de base que le gouvernement n'a pas aidées, laissant par ailleurs les frontières ouvertes aux importations de la métropole. L'une des conséquences de cette politique est que longtemps subsistera un vaste secteur inorganisé et archaïque. Enfin, l'industrie coloniale, centrée sur les ports, ne contribue pas au développement du reste du pays.
Pour en savoir plus, voir l'article Inde : vie politique depuis 1947.

 

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