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LA BOMBE À HYDROGÈNE

 


Docteur Edward & Mister Teller

physique - par Alan Lightman dans mensuel n°359 daté décembre 2002 à la page 60 (4528 mots)


Père de la bombe à hydrogène américaine et soutien inconditionnel du projet de « Guerre des étoiles » lancé par Ronald Reagan, Edward Teller est le représentant par excellence de la face sombre de la physique. Son autobiographie suggère toutefois une personnalité complexe, fidèle dans certaines amitiés et intransigeant vis-à-vis du communisme soviétique.

A la fin 1951, dans un train de nuit qui l'emmenait de Chicago à Washington, Edward Teller rêva qu'il se trouvait seul, dans l'une de ces tranchées qui l'avaient tant effrayé alors qu'il était enfant, pendant la guerre, en Hongrie. Dans son rêve, ses assaillants étaient au nombre de neuf, soit un de plus que les balles contenues dans son arme - une froide analyse mathématique, même au milieu de la confusion d'un cauchemar.

Le rêve de Teller était peut-être simplement causé par l'anxiété que lui procurait son imminent passage devant la Commission pour l'énergie atomique AEC*, auprès de laquelle il plaidait la création d'un nouveau laboratoire de recherche en armement. Mais, plus profondément, ce rêve révèle le sentiment, qui l'habita toute sa vie, d'être assiégé, assailli, et de livrer seul la bataille du bien contre ses nombreux ennemis et contre les forces du mal. À l'époque où il travaillait à Los Alamos sur le Projet Manhattan*, poursuivant ses propres objectifs plutôt que ceux assignés à son équipe, Teller « commença lentement à comprendre... que ses opinions divergeaient de celles de la majorité » concernant notamment sa peur de la Russie communiste et son soutien inconditionnel à une suprématie militaire des États-Unis, bien au-delà de la Seconde Guerre mondiale.

Bientôt, l'amitié de Teller avec Robert Oppenheimer et Hans Bethe, deux de ses éminents collègues à Los Alamos, s'aigrit, et ils commencèrent à se critiquer mutuellement, un scénario qui allait se répéter tout au long de la vie de Teller. Après la réussite de la bombe atomique et la fin de la guerre, Oppenheimer, Bethe et de nombreux autres physiciens retournèrent à leurs enseignements universitaires et à des recherches pacifiques. Teller ressentit alors son isolement dans le soutien au développement de la bombe à hydrogène. Les meilleurs scientifiques, pensait-il, « s'efforçaient de démontrer l'impossibilité de construire une bombe à hydrogène ». Il reprochait notamment à Norris Bradbury, successeur d'Oppenheimer à la tête du laboratoire d'armement de Los Alamos, son manque d'enthousiasme au sujet de la bombe à hydrogène, appelée la « Super » à cause de sa puissance et de son pouvoir destructeur potentiellement illimités. Teller accusait par ailleurs Carson Mark, le nouveau chef du département de physique théorique poste précédemment occupé par Bethe de « prendre un malin plaisir à m'agacer de manière subtile » lire « Au diable les torpilles », p. 66. Bref, Teller semblait entouré d'ennemis.

Le lien fragile entre Teller et ses collègues se brisa finalement au moment de son témoignage très contesté contre Robert Oppenheimer lors des auditions qui se déroulèrent en 1954, en plein maccarthysme. Le brillant et charismatique Oppenheimer se vit retirer son accréditation militaire, et Teller fut à tout jamais désavoué par une grande partie de la communauté scientifique. Peu de temps après les auditions, Teller aperçut à l'occasion d'une réunion un physicien, ami de longue date, et il se dirigea vers lui pour le saluer, mais ce dernier « me lança un regard froid, ignora la main que je lui tendis, et tourna les talons ». Teller avait déjà été contraint deux fois à l'exil pour échapper à des gouvernements tyranniques et à l'antisémitisme : il avait fui la Hongrie au début de l'année 1926, et l'Allemagne en 1933. « Alors, à l'âge de 47 ans, se souvient-il, j'ai été forcé une nouvelle fois à m'exiler. »

Une influence sociale indiscutable

Parmi les grands physiciens qui ont fait entrer le monde dans l'ère nucléaire moderne, seuls trois sont encore en vie : Edward Teller, 94 ans, Hans Bethe, 95 ans, et John Wheeler, 90 ans. Ernest Rutherford, James Chadwick, Niels Bohr, Werner Heisenberg, Lise Meitner, Otto Hahn, Eugene Wigner, Enrico Fermi et bien d'autres ont disparu. Comparés à Teller, le méticuleux Bethe et le modeste Wheeler ont mené des vies monacales. L'imposante personnalité publique et l'influence de Teller ne sont égalées que par une poignée de scientifiques du XXe siècle, parmi lesquels Albert Einstein, Linus Pauling et James Watson. Quant à son caractère toujours sur la défensive et polémique, il demeure sans pareil. Edward Teller, l'un des pères de la nouvelle physique quantique, l'un des principaux architectes de la bombe à hydrogène, fondateur et pilier du laboratoire géant de Livermore, farouche partisan de la puissance nucléaire et de la défense anti-missile, professeur et conférencier charismatique, pianiste amateur et interprète de Beethoven et de Bach, lecteur de Platon, doit être considéré comme un visionnaire et comme l'initiateur de progrès gigantesques, quoi que l'on puisse par ailleurs penser de ses prises de position politiques, de son attitude tyrannique et de ses faux-fuyants.

Ses mémoires, publiées récemment sous le titre Memoirs : A Twentieth-Century Journey in Science and Politics témoignent de son étonnante énergie, de ses facultés mentales, ainsi que de sa vivacité d'esprit. Certains souvenirs de Memoirs contredisent de manière flagrante les propos d'autres personnes, tandis que d'autres sont simplement enjolivés ou déformés. Heureusement, de nombreux récits critiques, comme The Making of the Atomic Bomb et Dark Sun de Richard Rhodes, Tellers War de William Broad, et une abondante documentation nous permettent de cerner le véritable Edward Teller. Après avoir étudié les nombreuses incohérences et contradictions de sa personnalité, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il existe deux Edward Teller. D'un côté, un Teller chaleureux, vulnérable, honnêtement torturé et idéaliste ; de l'autre, un Teller maniaque, dangereux et sournois. En outre, à l'instar du Dr Jekyll, Teller est pleinement conscient du côté sombre de sa personnalité. Et cette prise de conscience, que l'on devine dans Memoirs derrière ses mensonges et son auto-satisfaction, justifie l'angoisse existentielle de Teller et lui donne toute sa dimension tragique.

Teller se souvient d'« avoir éprouvé pour la première fois un sentiment de sécurité le jour où [il] découvri[t] la cohérence des chiffres ». Or, ce sentiment de sécurité fut à maintes reprises ébranlé. Lorsque, en 1919, les communistes s'emparèrent brièvement du pouvoir en Hongrie, le père de Teller fut considéré comme un capitaliste et devint un paria avec sa famille. Cette pénible expérience fut le premier contact de Teller, alors âgé de 11 ans, avec le communisme. Des années plus tard, en 1939, la haine de Teller pour le communisme fut exacerbée quand Staline jeta en prison son ami le physicien russe Lev Landau, accusé de trahison. Landau en sortit un an plus tard, complètement brisé. En 1962, au plus fort de la guerre froide, Teller écrira : « Avec le communisme russe, nous sommes face à un ennemi plus puissant, plus patient, et de loin plus dangereux que le nazisme allemand. »

Teller garde un très mauvais souvenir de ses années de lycée, où ses camarades de classe se moquaient de lui et le surnommaient « Coco », en allusion à un clown simple d'esprit. Quand il voulut changer d'école, il fut refusé parce qu'il n'était pas catholique.

Le jeune Teller conçut une passion pour la science. À l'automne 1929, il partit à Leipzig pour commencer son doctorat sous la direction de Werner Heisenberg, l'un des pères de la mécanique quantique. À seulement 27 ans, Heisenberg était déjà une légende. Il était entouré d'un groupe cosmopolite d'une vingtaine de jeunes gens passionnés, qui se réunissaient une soirée par semaine pour jouer au ping-pong ou aux échecs, et boire du thé. Sept jours par semaine, ils discutaient de physique, d'art et de la vie.

Teller et Heisenberg étaient très proches. Le mentor et son élève interprétaient tour à tour des préludes et fugues extraits du Clavier bien tempéré de Bach sur le magnifique piano à queue qui trônait dans l'appartement de Heisenberg. Après la Seconde Guerre mondiale, alors que la majorité de la communauté scientifique condamna Heisenberg pour avoir essayé de construire une bombe atomique pour le compte des nazis, Teller fut le seul à prendre la défense de son ami, écrivant avec indulgence, et peut-être aussi naïveté : « Il est inconcevable pour moi que Heisenberg ait jamais fait des recherches sur une telle [arme]. Il aimait son pays, mais il haïssait les nazis. »

Au cours des années qui suivirent, Teller épousa son amour d'enfance, passa un an à Copenhague pour travailler avec le grand Niels Bohr*, puis deux ans à l'University College de Londres.

La physique de la bombe

Un souvenir de son séjour à Copenhague prouve que Teller était conscient de la facilité avec laquelle il s'emportait et de sa propension à exagérer la vérité, des traits de sa personnalité qui lui causeront, ainsi qu'à d'autres, de graves ennuis tout au long de sa vie. Un jour, au cours d'une conversation informelle, Teller reprit une erreur dans une remarque de Bohr. Le physicien danois répliqua alors : « Si je ne peux pas exagérer, je ne peux pas m'exprimer. » Aujourd'hui, à 94 ans, Teller écrit : « J'ai cité [Bohr] dans de nombreuses discussions pour justifier mon droit à l'exagération. » Toutefois, les exagérations de Teller allaient avoir des conséquences bien plus graves, car elles concerneraient la course à l'arme nucléaire et coûteraient des milliards de dollars.

Teller se souvient aussi d'avoir discuté de la classification des caractères selon Aristote avec Carl Friedrich von Weizsäcker, un physicien allemand qui, par la suite, travaillera avec Heisenberg sur la bombe A allemande. « Carl Friedrich, raconte-t-il, avait correctement cerné mon tempérament, ni sanguin, comme certains de mes détracteurs l'affirmaient, ni mélancolique, comme je me sens parfois, mais colérique, un défaut contre lequel je me suis battu pendant ma jeunesse. »

À l'invitation du physicien George Gamow*, Teller émigra aux États-Unis en 1935. Il y passera le reste de sa vie, d'abord à l'université George Washington, pendant cinq ans, puis à l'université de Chicago, au laboratoire de Los Alamos, au laboratoire de Livermore, à Berkeley, et enfin à l'institut Hoover pour l'étude de la guerre, de la révolution et de la paix de Stanford. En 1935, la mécanique quantique, clé pour la compréhension de l'atome, en était encore à ses premiers balbutiements, et Teller comptait parmi la centaine de spécialistes de physique théorique qui s'y intéressaient. Déjà, il avait effectué des calculs complètement originaux sur la structure et la vibration des molécules.

Les événements politiques et scientifiques mondiaux allaient pourtant bientôt conduire Teller loin des amphithéâtres. En 1938, Hitler envahit l'Autriche. Un peu plus tard, cette même année, les chimistes allemands Otto Hahn et Fritz Strassmann démontrèrent que le noyau d'uranium pouvait être fractionné en deux « fissionné » s'il était bombardé par un minuscule neutron, ce qui libérait du même coup dix millions de fois plus d'énergie par gramme de matière qu'aucune autre réaction chimique. En fait, on allait se rendre compte ultérieurement qu'un type rare d'uranium, un isotope, appelé uranium 235, est extrêmement instable et prêt à fissionner.

Peu de temps après la découverte de Hahn et Strassmann, Leo Szilárd, un autre physicien hongrois et un proche de Teller, proposa que si la fission d'un noyau d'uranium libérait plusieurs neutrons en plus des deux moitiés de noyau, alors chacun de ces nouveaux neutrons pouvait à son tour provoquer la fission d'un autre noyau d'uranium proche, et ainsi de suite : on déclencherait une « réaction en chaîne ». Szilárd tint à effectuer lui-même l'expérience pour s'en assurer. Un soir, un mois plus tard, alors que Teller interprétait une sonate de Mozart, il reçut un appel à longue distance de Szilárd, qui lui annonça : « J'ai trouvé les neutrons. » Et Teller d'écrire : « Lorsque je me suis rassis au piano, je savais que le monde allait changer de manière radicale. »

Bientôt, le président Roosevelt reçut la fameuse lettre d'Einstein le mettant en garde contre l'existence éventuelle d'une bombe atomique et, surtout, d'une bombe atomique aux mains des Allemands. On demanda alors à Teller et à d'autres physiciens prestigieux de former un comité consultatif pour étudier la faisabilité d'une telle bombe. Parmi les formidables problèmes qui restaient à résoudre figurait la séparation de l'uranium 235, l'isotope d'uranium fissile, de l'autre isotope d'uranium bien plus répandu, l'uranium 238. Il fallait aussi trouver le moyen de mettre rapidement les matériaux fissiles de la bombe en contact, afin d'obtenir une « masse critique » d'uranium.

À l'automne 1940, alors que le concept de bombe atomique était encore sujet à discussion, Enrico Fermi fit une remarque décisive à Teller. Comme ils se rendaient à pied au laboratoire de physique de l'université de Columbia, Fermi demanda à Teller si, à son avis, la chaleur extrême dégagée par une bombe atomique ne risquait pas d'entraîner la fusion des atomes d'hydrogène, libérant ainsi une nouvelle source d'énergie. On savait en effet déjà que les atomes d'hydrogène ordinaires du Soleil fusionnent lentement et forment de l'hélium, et que cette réaction lente et constante, appelée réaction thermonucléaire, constitue la source d'énergie du Soleil et de nombreuses étoiles.

Fermi suggéra en outre que le deutérium, le plus rare des isotopes de l'hydrogène, pourrait fusionner beaucoup plus rapidement, donnant alors naissance à une bombe et non à une simple étoile. Une bombe atomique, placée à proximité ou au coeur du deutérium, pourrait servir de « détonateur ». Une bombe à hydrogène aussi appelée bombe thermonucléaire ou bombe à fusion serait nettement différente d'une bombe à uranium aussi appelée bombe atomique ou bombe à fission. Au coeur du noyau atomique, deux forces fondamentales s'opposent : la force électrique répulsive entre les protons, et la force nucléaire attractive entre les protons et les neutrons. Les protons qui se repoussent les uns les autres sont comme des ressorts comprimés, dans l'attente d'être libérés. Seule la force nucléaire attractive les empêche de s'éloigner les uns des autres à grande vitesse. La première force, qui prédomine lorsqu'un gros noyau d'uranium 235 est légèrement déformé après une collision avec un neutron, procure l'énergie de la bombe atomique. La seconde force, qui domine dans les petits noyaux lorsque les protons et les neutrons sont assez rapprochés, fournit la puissance de la bombe à hydrogène. Celle-ci ne peut être amorcée qu'en présence d'une chaleur élevée, parce que les noyaux de deutérium composés chacun d'un proton et d'un neutron doivent être rapprochés de force, de façon à ce que l'attraction nucléaire puisse vaincre la force électrique répulsive et réunir les noyaux.

L'idée de Fermi obséda Teller. Contrairement à une sphère d'uranium 235, qui est instable et doit donc être maintenue au-dessous de sa « masse critique », l'explosion d'une sphère de deutérium, quelle que soit la taille de celle-ci, ne peut être déclenchée que par une chaleur et par une compression extrêmes. Ainsi, il n'existe pas de masse critique, ni de taille maximale pour une bombe à hydrogène, contrairement à la bombe atomique. Les Soviétiques ont fait exploser une fois une bombe H d'une taille équivalente à 100 millions de tonnes de TNT, ou 100 mégatonnes. De plus, pour une même masse de matériau explosif, une bombe à hydrogène libère dix fois plus d'énergie qu'une bombe atomique. Enfin, le deutérium est abondant dans l'eau de mer, et il est beaucoup plus facile de le séparer de l'hydrogène ordinaire que de séparer l'uranium 235 de l'uranium 238. En résumé, une bombe H serait bien plus puissante et moins coûteuse qu'une bombe A.

Au printemps 1943, au milieu du désert aride du NouveauMexique, le laboratoire atomique secret de Los Alamos vit le jour, Robert Oppenheimer à sa tête. Son objectif : la mise au point d'une bombe atomique. Teller espérait être nommé chef du département de physique théorique, qui comptait 30 physiciens, mais Oppenheimer lui préféra Hans Bethe.

Bien que Teller ait fait plusieurs suggestions pertinentes concernant la bombe à fission, il refusa de collaborer à des calculs détaillés lorsque Bethe le sollicita. Teller, conformément à son désir, fut officiellement relevé de toute responsabilité précise, et il put ainsi se consacrer à la bombe à hydrogène.

Après la fin de la guerre, Leo Szilárd et d'autres brillants spécialistes de l'atome ne souhaitèrent pas poursuivre leurs recherches sur les bombes : Bethe, Fermi et Bohr, ainsi qu'Oppenheimer, qui, quelques années plus tard, s'opposa au développement de la bombe à hydrogène de Teller dans un rapport destiné au comité général consultatif de la Commission pour l'énergie atomique. Teller se sentit énormément frustré de n'être soutenu ni par le monde scientifique ni par le gouvernement, et de constater que ses collègues avaient « [perdu] leur envie de travailler sur les armes ».

Une arme encore plus puissante

Entre 1946 et 1951, Teller se lança dans une croisade personnelle pour défendre son projet de super bombe, alors que de nombreux physiciens mettaient en doute la faisabilité de cette dernière, même du point de vue théorique. Méfiant à l'égard du « pacifisme » d'Oppenheimer et de son manque de soutien, Teller chercha des appuis auprès de personnalités du monde politique et scientifique, dont l'Amiral Lewis Strauss, membre comme Oppenheimer de l'AEC, et le physicien Ernest O. Lawrence, lauréat du prix Nobel en 1939 pour l'invention du cyclotron.

Lorsque le mathématicien et physicien polonais Stanislas Ulam prouva en 1950 que Teller se fondait sur des données erronées, Teller devint, selon les propres termes d'Ulam « blanc de rage ». Fait étonnant, moins d'un an plus tard, Ulam et Teller découvrirent un nouveau concept qui fonctionna. Teller ne reconnut jamais la contribution d'Ulam contribution pourtant spécifique et essentielle, saluée par les physiciens de l'époque : il avait démontré que la compression extrême du deutérium résoudrait certains problèmes, et notamment éviterait la perte sous forme de radiation de la chaleur nécessaire au déclenchement de la fusion. Teller et Ulam se détestaient ouvertement. Dans Memoirs, Teller écrit même avec un certain mépris que « Ulam ne comprenait pas mon nouveau projet et disait à qui voulait l'entendre qu'il ne fonctionnerait jamais ».

Le refus catégorique de Teller d'attribuer à Ulam le mérite qui lui revient est difficilement excusable, mais il est au moins en partie explicable par l'investissement personnel de Teller dans la bombe à fusion pendant des années, preuve d'une passion personnelle, d'un engagement affectif et d'une possessivité, courants chez les chercheurs. Il ne fait aucun doute que sa peur des Russes, son sens du devoir, et sa conviction que la paix ne serait garantie que par des armes puissantes, étaient sincères et véritables. Toutefois, son ambition personnelle semble avoir été encore plus forte.

Malgré un enthousiasme croissant pour l'idée de Teller et d'Ulam concernant la bombe à fusion, Teller lui-même avait le sentiment que seule la création d'un deuxième laboratoire atomique concurrent, placé bien entendu sous son contrôle, pallierait l'ambiance hostile et timorée qui régnait à Los Alamos. Dans Memoirs, Teller nie avoir fait campagne pour le nouveau laboratoire avant de quitter Los Alamos, en octobre 1951 : « Il serait inconvenant de préconiser la création d'un second laboratoire tout en travaillant à Los Alamos. » Pourtant, selon le journal de Gordon Dean, alors directeur de la puissante AEC, Teller le rencontra à Washington le 4 avril 1951, et plaida pour la création d'un nouveau laboratoire atomique.

Avec l'aide déterminante d'Ernest Lawrence, de l'université de Californie à Berkeley, et celle de l'AEC, le nouveau laboratoire atomique de Teller vit le jour à Livermore, en Californie, en 1952. Avec ses milliers d'employés, il devait devenir aussi gigantesque que celui de Los Alamos. Le laboratoire a formé de nombreux jeunes chercheurs sur les questions touchant aux armes atomiques, et il a constitué, en association avec l'université de Californie à Davis, un Département de sciences appliquées novateur, pour la formation des étudiants de troisième cycle. Teller, qui évoque avec une tendresse presque paternelle ses jeunes disciples de Livermore, écrit « de toutes les choses que j'ai faites dans ma vie, c'est de mon rôle dans la création et le travail du laboratoire de Livermore dont je suis le plus fier. »

Si le laboratoire Livermore demeure la plus grande fierté de Teller, son témoignage aux auditions d'Oppenheimer en 1954 constitua sa plus terrible erreur, qu'il avoue aujour-d'hui regretter. L'affaire débuta à la fin de 1953, lorsque William Borden, ancien directeur de l'un des comités de l'AEC, écrivit à J. Edgar Hoover, alors directeur du FBI, qu'Oppenheimer était peut-être un agent communiste, ou du moins qu'il soutenait des agents communistes, et que l'on ne pouvait donc pas lui faire confiance à propos des secrets militaires. Hoover transmit la lettre de Borden au président Eisenhower.

D'après les retranscriptions des entretiens avec le FBI et d'autres archives de cette époque, Teller ne pensait pas que « Oppie » était subversif ni traître, mais qu'il avait mal conseillé le gouvernement au sujet de la mise au point des bombes, notamment en s'opposant à la bombe H et à la création du laboratoire de Livermore. Teller reproche à Eisenhower d'avoir ordonné des auditions qui ressemblaient à une chasse aux sorcières, et il écrit : « Avec le recul, je me rends compte que j'aurais dû dire au début de mon témoignage que ces auditions étaient une sale affaire, et que je ne dirais rien. » En fait, Teller déclara qu'il « aimerai[t] voir les intérêts vitaux de ce pays entre des mains qu'[il] compren[d] mieux, et donc en lesquelles [il a] une plus grande confiance ».

Dans Memoirs, Teller donne une explication alambiquée et biaisée des circonstances et des motifs de son témoignage. L'explication la plus fiable se trouve peut-être dans les notes d'une réunion que Teller eut, six jours avant son témoignage, avec Charter Heslep, du Service d'information des États-Unis. Dans un compte rendu de cette rencontre destiné à Lewis Strauss, Heslep écrit que Teller « regrette que l'affaire soit placée sur le plan de la sûreté de l'État parce qu'il a le sentiment qu'elle est indéfendable... Cela étant, Teller se demande s'il existe un moyen "d'alourdir les charges" pour ajouter des documents prouvant que Oppenheimer a "en permanence donné des mauvais conseils" ». Ce compte rendu suggère clairement que Teller avait décidé d'utiliser les auditions, aussi injustifiées soient-elles à ses yeux, pour évincer un ennemi puissant qui s'était opposé à lui depuis les premiers jours de sa présence à Los Alamos, et qui avait tenté de contrecarrer bon nombre de ses projets.

Au-delà de l'aveu de Teller selon lequel il a été « stupide » et a eu tort de témoigner dans des auditions qui n'auraient jamais dû avoir lieu, au-delà de son angoisse consécutive à la perte de collègues et d'amis qui en a résulté, on sent qu'il était en proie à un conflit intérieur sur la conduite à adopter. Concernant l'affaire Oppenheimer, on peut dire que, dans une certaine mesure, Teller apparaît autant comme victime que comme coupable.

Se protéger contre les missiles

Il est assez surprenant de constater à quel point les amis de Teller comptaient pour lui. Certains d'entre eux, comme Leo Szilárd, John von Neumann, John Wheeler et Maria Mayer, tous d'éminents physiciens ou mathématiciens, lui restèrent proches pendant et après l'affaire Oppenheimer.

En se fondant sur les récits de certains d'entre eux et sur le livre de Teller, celui-ci apparaît comme capable d'être à la fois un bon ami et un ennemi redouté, simple et sincère à un moment, se transformant en bonimenteur l'instant d'après, combatif et vulnérable, un politique sournois et naïf, honnête et malhonnête. Et, de temps à autre, conscient de ces traits de caractère contradictoires.

Au début des années quatre-vingt, bien longtemps après avoir été nommé professeur honoraire de l'université de Californie, bien longtemps après avoir pris sa retraite du laboratoire de Livermore, Teller se trouva impliqué dans la dernière grande polémique de sa vie : l'Initiative de défense stratégique IDS, plus connue sous le nom de « Guerre des étoiles ». Depuis des décennies, Teller s'était intéressé de près à la défense contre les bombes nucléaires, et notamment les bombes montées sur des missiles. L'idée d'un « laser à rayons X », une bombe nucléaire lancée dans l'espace qui produirait un intense faisceau laser à rayons X capable de se focaliser rapidement sur des missiles et de les détruire peu de temps après leur lancement, avait passionné des chercheurs à Livermore. Teller soutint avec ferveur le concept, et il le soumit à son ami, le président Reagan. Lorsque ce dernier demanda à l'enthousiaste Teller si un tel bouclier anti-missile pouvait fonctionner, Teller lui répondit : « Nous avons de bonnes raisons de croire que oui. » Le président Reagan prononça alors son fameux discours sur l'IDS du 23 mars 1983, par lequel il engagea implicitement des milliards de dollars.

En réalité, les raisons de croire que le laser à rayons X pourrait fonctionner étaient minces, et elles ne s'appuyaient que sur des expériences préliminaires peu concluantes. Rien ne prouve encore de manière incontestable qu'un tel système est scientifiquement possible, et même s'il l'était, de nombreux analystes estiment qu'un laser à rayons X ne pourrait jamais être intégré dans un système de défense utilisable.

En 1962, Teller écrivait : « Dans un monde hostile, nous n'obtiendrons la paix que si nous sommes forts. » Un tel credo militaire est certainement défendable, mais dans les mains de Teller et d'autres il a abouti à des demandes inconsidérées concernant les capacités de certaines armes. Par ailleurs, il a été utilisé pour exiger non seulement une force militaire « suffisante », mais aussi une force maximale et supérieure, sans aucune limitation. Comme de nombreux analystes l'ont souligné, la sécurité pourrait être beaucoup mieux assurée, pour un coût raisonnable, avec une force plus modeste mais suffisante pour contrer des dangers réalistes, et surveillée par des traités de contrôle des armes. Globalement, les quelques traités d'armement que nous avons signés avec l'ex-Union soviétique sont des succès.

À la lecture des nombreuses déclarations de Teller, et en prenant en considération son opposition permanente et inflexible aux traités sur le contrôle de l'armement malgré les changements géopolitiques radicaux des quinze dernières années, on peut se demander si son véritable but n'est pas la suprématie mondiale plutôt que l'obtention d'une force militaire suffisante.

À l'occasion d'une réception à la Maison-Blanche en l'honneur du numéro un soviétique Mikhaïl Gorbatchev, le 8 décembre 1987, le président Reagan présenta Teller à son invité en disant : « Voici le Dr Teller. » Teller tendit la main, Gorbatchev resta de marbre. Reagan précisa : « Voici le célèbre Dr Teller. » Toujours immobile, Gorbatchev répondit : « Il y a beaucoup de Teller. » Il avait vu juste.

CONTEXTE Edward Teller a participé, à partir de la fin des années vingt, à la révolution quantique, avec des mentors aussi prestigieux que Heisenberg ou Bohr. Poussé hors d'Europe par le nazisme, il a assez naturellement rejoint les concepteurs de la bombe atomique américaine. Mais contrairement à la plupart de ses confrères il a poursuivi dans cette voie après la fin de la Seconde Guerre mondiale : il n'a jamais cessé de défendre la nécessité d'une suprématie militaire des États-Unis. Ses positions lui ont valu de nombreuses et violentes critiques, et son effigie a même été brûlée lors de manifestations pacifistes dans les années soixante. À l'occasion de la publication de son autobiographie, Alan Lightman nous livre une analyse nuancée du personnage. La Recherche propose aussi un extrait traduit de l'ouvrage.

Par Alan Lightman

 

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LHC, un défi technologique sans précédent


physique - par Jacques-Olivier Baruch dans mensuel n°358 daté novembre 2002 à la page 68 (2689 mots) | Gratuit
Dans les 27 kilomètres de tunnel du futur LHC, les faisceaux de protons lancés à 7 milliards d'électrons-volts entreront en collision frontale pour recréer des conditions voisines du Big Bang. Les physiciens espèrent vérifier leurs théories, mais s'attendent aussi à quelques surprises. Le projet prend du retard et dépasse les 2 milliards d'euros.

Le pari est encore loin d'être gagné. Mais aujourd'hui, au pied des monts du Jura, près de Genève, à la frontière franco-suisse, les 2 600 physiciens, ingénieurs, informaticiens et techniciens du CERN, le laboratoire européen pour la physique des particules, oeuvrent ensemble pour mettre en oeuvre ce qui sera le plus grand accélérateur de particules au monde : le Large Hadron Collider LHC. Promoteur de ce projet gigantesque, le CERN a promis son ouverture pour l'année 2007.

Bâtir le LHC ? Une tâche difficile, ardue. Huit ans après la décision officielle, le projet a accumulé deux ans de retard et dépassé de 18 % son budget initial de 2,8 milliards de francs suisses environ 2 milliards d'euros. Témoin des difficultés que les ingénieurs et les physiciens du CERN rencontrent dans la mise au point de leur nouvel outil pour sonder la matière. Il faut dire qu'accélérer des centaines de milliards de protons à des vitesses proches de celle de la lumière, les faire se rencontrer 1 034 fois par seconde et analyser ces chocs dont l'énergie avoisine les 14 TeV* en détectant toutes les particules secondaires qui en ressortent, n'est pas une mince affaire sur le plan technologique. Surtout en ces temps de restrictions budgétaires pour les vingt Etats membres du laboratoire européen et cela malgré les apports financiers des Etats-Unis, du Japon, de la Russie, de l'Inde ou du Canada. Mais le LHC ne représente pas moins l'avenir du CERN, a estimé, le 21 juin dernier à Genève, le Conseil du laboratoire européen, qui a mobilisé à cet effet tout le personnel du centre de recherche. Le boson de Higgs, qui véhiculerait la masse des particules, n'a qu'à bien se terrer ! Le LHC pourra, espérons-le, aider les concepteurs de Susy, la théorie supersymétrique, à supplanter le modèle standard de la physique des particules et à résoudre la question de la masse manquante de l'Univers. De même, il pourrait se révéler un outil indispensable aux théoriciens des cordes pour dévoiler au monde les dimensions cachées de l'Univers.

Les physiciens en rêvent, mais ils n'en sont pas encore là. Pour l'heure, les bâtisseurs du LHC doivent faire face à des difficultés technologiques qui n'ont pu être totalement aplanies malgré les très nombreuses études qui se sont succédé depuis le début des années 1980. Quand, en 1994, la décision de construction est prise, le CERN se soucie d'économie : pas d'habitacle sur mesure pour le LHC mais une installation du nouvel accélérateur dans le tunnel du LEP, le collisionneur électron-positon, que l'on démontera. Premier défi technologique remporté par les ingénieurs : depuis février dernier, le tunnel circulaire de 26,659 kilomètres de circonférence, enfoui à environ 100 mètres sous la frontière franco-suisse, est vide après le démontage des derniers éléments du LEP.

Collision de protons

Ce ne seront donc plus des électrons et leurs anti-particules, les positons, qui seront lancés les uns contre les autres à une vitesse proche de celle de la lumière, mais des protons, 1 840 fois plus massifs. Dans le LHC, ils circuleront en sens inverse le long de deux faisceaux séparés qui ne se rejoindront qu'en quatre « places fortes » : les détecteurs ATLAS*, CMS*, ALICE* et LHC-b*. Les deux premiers détecteurs rechercheront le boson de Higgs, tandis qu'ALICE étudiera le plasma de quarks et de gluons né des interactions très énergiques entre des noyaux de plomb. LHC-b, quant à lui, recueillera des données sur l'apparent déséquilibre entre matière et antimatière.

Faire une place à ATLAS et CMS s'est révélé une tâche particulièrement complexe : notamment, les spécialistes du génie civil ont dû travailler alors que le LEP était encore en fonctionnement. Pour loger les deux dispositifs, deux gigantesques cavernes - et quatre puits de descente - ont dû être aménagées à même la molasse jurassienne un mélange de grès et de marne. 450 000 tonnes de déchets ont été évacuées et l'on a dû, parfois, congeler le sol pour éviter les infiltrations des sources souterraines. Les travaux d'excavation de la caverne d'ATLAS - 35 mètres de large, 55 mètres de long sur 40 mètres de hauteur - se sont terminés fin avril dernier. Non sans mal. Car, avec une telle hauteur de plafond, il a fallu creuser la caverne en deux fois ! Les entreprises suisse, allemande et autrichienne qui s'y sont attelées ont d'abord creusé le sol sur 12 mètres afin de pouvoir fabriquer la voûte, constituée de 11 000 tonnes de béton. Avant de continuer à creuser les 28 mètres restants, la voûte a été suspendue par 38 filins d'acier fixés dans des galeries d'ancrage situées 25 mètres plus haut. Reste aujourd'hui à terminer le bétonnage des murs de la caverne sur laquelle la voûte sera fixée définitivement... Et à commencer, à la fin 2003, à descendre les énormes détecteurs.

Supraconducteurs

Les quatre expériences devraient être prêtes pour l'ouverture du LHC en 2007, malgré de nombreux retards pris dans leur construction. Quant à préciser cette échéance... Tout dépendra de l'état d'avancement du coeur battant du nouvel accélérateur, l'anneau « lanceur » de protons. Le choix de ces particules massives, qui seront à la fois arme et cible, a un avantage... et beaucoup d'inconvénients. L'avantage est énorme : l'utilisation des protons permettra aux physiciens d'atteindre l'énergie colossale de 14 TeV par collision à comparer à la limite absolue d'environ 0,2 TeV atteinte par le LEP, le collisionneur circulaire d'électrons et de positons. Mais, revers de la médaille, la masse importante des protons a posé de nombreux problèmes technologiques lorsque l'on a envisagé leur accélération et leur maintien dans un faisceau étroit et circulaire de quelques millimètres de diamètre. Avec des aimants « normaux », la circonférence d'un accélérateur circulaire dévolu à cette tâche aurait dû avoisiner les 120 kilomètres ! Impossible, si l'on ne veut pas faire exploser les coûts. Dans le « petit » anneau circulaire de 27 kilomètres du CERN, la solution passe par la mise en oeuvre de champs magnétiques très puissants 8,33 teslas, susceptibles de dévier la trajectoire des protons de 0,6 millimètre par mètre. Même si cela ne s'est jamais fait à cette échelle, les ingénieurs n'avaient qu'une solution pour ne pas consommer trop d'énergie : les 1 248 aimants dipolaires de 15 mètres de long seront supraconducteurs. Ils n'opposeront ainsi aucune résistance au passage du courant intense requis de 50 ampères.

« Ce sont des objets technologiques extrêmement complexes », prévient le physicien du CERN Daniel Froidevaux. C'est le cas aussi des autres aimants - quadripolaires, sextupolaires ou octupolaires - qui doivent refocaliser les faisceaux de protons ou éliminer les courants de Foucault* induits dans les bobines. Il a fallu du temps - il en faut encore - pour concevoir et fabriquer en série ces dipôles supraconducteurs dont la bobine est constituée de câbles tressés de fils en niobium-titane insérés dans une matrice de cuivre. Pour la première fois dans l'histoire presque cinquantenaire du CERN, les prototypes ont été élaborés en collaboration avec des industriels qui ont évidemment remporté les marchés de leur fabrication. « Cette stratégie nous a permis d'obtenir une qualité très poussée tout en diminuant les coûts », affirme Luciano Maiani, le directeur général du CERN.

Le casse-tête technologique ne s'est pas arrêté là. L'un des aspects les plus ardus de l'entreprise LHC a consisté à se procurer 7 000 kilomètres de fils de bobines et à les tresser en câbles trapézoïdaux. Soit un poids total de 1 200 tonnes, ce qui représente, sur cinq ans, environ 30 % de la production mondiale de ces fils habituellement destinés aux appareils d'IRM imagerie par résonance magnétique nucléaire. Mais la qualité demandée pour l'accélérateur pureté, homogénéité, tressage des brins est bien supérieure. Sans compter que les 1 248 aimants doivent être identiques à 0,01 % près pour toutes leurs caractéristiques. Et, comme si la difficulté n'était pas assez grande, le câble doit être d'un seul tenant sur sa longueur de 650 mètres par aimant. S'il se cassait, comme cela s'est déjà produit, des morceaux d'au moins 165 mètres peuvent néanmoins servir aux câbles des aimants quadripolaires dont les spécifications ont été modifiées, dans ce sens, en 1995 : la récupération a du bon !

Hélium superfluide

Bris de câble ou de machine, problèmes de mise au point, défaut d'approvisionnement des fils, toutes ces raisons ont été invoquées pour justifier le retard d'environ un an pris par les industriels français Alstom-Jeumont, allemand Vaccumschmelze, italien Europa Metali, finlandais Outokumpu avec le Suisse Brugg et américain IGC. « Seul le Japonais Furokawa est ponctuel », précise Philippe Lebrun, le chef de la division LHC au CERN. Arrivés sur le site genevois, les câbles sont vérifiés, assemblés et retournés, avec tôles et divers composants, à Alstom-Jeumont, Noell ou Ansaldo afin qu'ils puissent finir d'assembler les aimants. Ce n'est pas aisé, car, pour cette première application des supraconducteurs pour des courants forts 50 ampères et des champs magnétiques pouvant atteindre 8,33 teslas, les bobines et les masses qui sont à leur contact doivent être immergées dans un bain d'hélium superfluide à 1,9 K - 271,3°C. Mis au point par un labo du CEA à Grenoble, le système de cryogénie est alimenté par une usine installée sur le centre genevois par l'Allemand Linde et le Français Air Liquide qui fournissent le fluide et le matériel acheté aux Tchèques et aux Japonais. Avec ses 27 kilomètres de tuyaux et ses 94 tonnes d'hélium, ce sera le plus grand centre de cryogénie au monde. Ses ingénieurs devront être attentifs au moindre changement de température pour conserver aux aimants leurs propriétés supraconductrices. Auparavant, il aura fallu ausculter les aimants un par un afin d'éviter que des points chauds ne se forment dans les bobines, rompant ainsi la supraconductivité et affaiblissant l'intensité du champ magnétique. Ces défauts sont habituels pour des câbles dont le tressage n'est pas exactement parfait. Avant de les déclarer bons pour le service, les ingénieurs du CERN doivent faire « quencher les aimants », c'est-à-dire provoquer l'apparition de ces points chauds afin que les fils supraconducteurs prennent leur place définitive et idéale. « On escompte bien obtenir 100 % de réussite. Mais on verra à la fin », avance le responsable des tests, Roberto Saban.

Ces tests sur aimants produits en série pour l'anneau accélérateur ne sont pourtant que routine par rapport à la mise en oeuvre de quelques exemplaires bien particuliers : les aimants des grandes expériences ATLAS et CMS. Leur conception a été internationale. Des travaux franco-anglais du CEA, de l'IN2P3 et du Rutherford Laboratory ont posé les bases, tandis que d'autres centres - INFN italien, ITH de Zürich Suisse, Fermilab américain - se sont chargés d'une partie des études de détail. Cette répartition des tâches résulte du système de financement de ces deux grandes expériences. Car, contrairement à l'accélérateur, le CERN n'est pas leur seul bailleur de fonds. Une grande partie de l'argent provient de pays volontairement contributeurs. Ainsi, ATLAS est le fruit du travail de 1 700 scientifiques issus de 150 laboratoires de 34 pays différents. CMS, pour sa part, n'a que 32 pays contributeurs. Un match met en compétition ces deux expériences similaires : il s'agit de rechercher le boson de Higgs et les éventuelles « sparticules » inventées dans le cadre de la théorie supersymétrique SUSY.

D'immenses détecteurs

Le gigantisme des deux installations est à l'image du défi à relever. Avec ses 12 500 tonnes, CMS est aussi massif que la tour Eiffel, aussi grand qu'un immeuble de cinq étages. Comme sa demi-soeur ATLAS, ce monstre ne doit rien perdre des quelque 100 000 particules issues de chaque collision proton-proton. Pour être le plus étanche possible, les énormes masses de métal et les instruments sont jointifs à quelques millimètres près. Une distance qui se réduit à rien, ou presque, quand les masses se déforment sous la force des champs magnétiques de 4 teslas 1 tesla pour ATLAS créés lors du fonctionnement du détecteur. ATLAS comme CMS sont formés de divers instruments installés en pelure d'oignon dans le but de détecter les diverses particules. Au centre, un trajectographe ou « tracker » détermine la trajectoire des particules chargées, leur vitesse, le signe de leur charge électrique et leur temps de vol depuis le point d'interaction. Viennent ensuite les calorimètres hadronique et électromagnétique. C'est par scintillation dans des cristaux transparents de tungstène et d'oxyde de plomb pour CMS, par ionisation dans un mille-feuilles de plomb plongé dans l'argon liquide pour ATLAS que seront détectés les électrons ou les photons issus de la désintégration du boson de Higgs... s'il existe. Seuls les neutrinos et les muons parviendront à s'échapper du système. Pas pour longtemps en ce qui concerne ces derniers. Une dernière couche les identifiera et mesurera leur impulsion et leur charge, tandis que les neutrinos seront comptabilisés par défaut en calculant la différence entre l'énergie de collision et la somme des énergies des particules détectées. Là encore, supraconductivité oblige, le tout est immergé dans un bain glacé à 4,5 K. Différence majeure entre les deux expériences ? Encore les aimants. Celui d'ATLAS est formé de trois fois huit bobines en forme de tore dont les plus grandes mesurent 25 mètres de long, une première mondiale pour la partie externe, et d'un solénoïde plus petit 2 teslas et 2 mètres de diamètre. Celui de CMS est plus classique mais plus robuste que ce qui a été fait auparavant : c'est un unique solénoïde, une grosse bobine de 7 mètres de diamètre fournissant un champ magnétique de 4 teslas. Afin de dissiper la chaleur, son câble de 2,5 kilomètres de long est inséré dans une matrice en aluminium pur à 99,998 %, elle-même enrobée de résine.

Garder la mémoire

Les obstacles ne sont pas seulement technologiques. Ils peuvent être aussi humains. Car un projet d'une telle envergure met à contribution plus de la moitié des physiciens des particules du monde : il faut communiquer, se comprendre, réaliser les documentations explicatives en même temps que les divers instruments. « Le LHC intègre des composants techniques réalisés dans toutes les régions du monde, avec des normes et des savoir-faire différents », écrit Philippe Lebrun [1]. La mémoire technique est un enjeu fondamental dont il a fallu tenir compte dès le commencement : la plupart des physiciens-concepteurs partiront à la retraite avant l'arrêt de leur expérience ! De plus, les méthodes de travail diffèrent d'un pays à l'autre. Ce que les chercheurs connaissent depuis longtemps, les ingénieurs ont dû l'apprendre sur place. « Je reviens de Russie, raconte Jean-Pierre Rifflet, ingénieur au CEA. Outre la langue, les études effectuées ne sont pas conduites de la même façon. Mais on s'y fait grâce à la documentation ». D'où l'importance de la mise en place d'une mémoire du projet, baptisée EDMS Engineering data management system. Elle fera le lien entre les générations : en 2015, par exemple, le successeur d'un ingénieur russe qui a mis au point, au Fermilab américain, un aimant supraconducteur installé au LHC genevois pourra, grâce à ce système, prendre note des divers paramètres de fabrication et des éventuelles modifications et formuler des recommandations.

Avec ses aimants, sa cryogénie, le nombre de chercheurs impliqués dans ses expériences, le CERN aura collectionné les records. Ses concepteurs ont eu aussi la folie des grandeurs... informatiques. Afin de gérer les 1015 octets de données reçus chaque seconde lors du fonctionnement des expériences, il a fallu trouver des systèmes de sélection, de stockage, mais surtout de calcul. Les ordinateurs du CERN ne suffisant pas, les physiciens veulent utiliser tous les ordinateurs de la planète : grâce au concept de grille Grid testé actuellement, chaque événement pourra être analysé par l'un des ordinateurs disponibles dans les laboratoires de la planète les créateurs de l'Internet et beaucoup d'autres spécialistes se sont engagés dans leur mise en réseau. En somme, quand on n'a pas la possibilité de réaliser seul ses projets, autant utiliser les moyens des autres : cette simple loi s'impose à tous, y compris aux nouveaux pharaons des particules.

Par Jacques-Olivier Baruch

 

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PHYSIQUE DES PARTICULES

 

Robert Aymar : « Pour une physique des particules européenne »


l'entretien - par Robert Aymar dans mensuel n°373 daté mars 2004 à la page 65 (2245 mots) | Gratuit
Le laboratoire de physique des particules du CERN fêtera cette année son cinquantenaire. Son nouveau directeur général va devoir gérer la fin de réalisation du projet LHC, le grand accélérateur de protons et préparer le futur du laboratoire. Son expérience le fait aussi réagir aux atermoiements concernant le site d'ITER comme aux menaces pesant sur la recherche fondamentale.

La Recherche : Le CERN connaît depuis 1996 une réduction de ses ressources humaines et financières. Il concentre ses moyens sur un seul objectif : le futur accélérateur de particules LHC [1]. Maintenant que vous êtes aux commandes, vous devez appliquer les recommandations que vous avez proposées en 2002 dans le cadre du Comité d'audit externe ERC. Comment allez-vous vous y prendre ?

Robert Aymar : Jusqu'en 2002, la réduction des moyens n'a pas réellement été prise en compte dans le choix de l'ensemble des objectifs expérimentaux. De plus, le financement des surcoûts prévisionnels de la réalisation du LHC est brutalement apparu comme irréalisable dans le calendrier affiché. Les recommandations de l'audit externe concernant la gestion du projet LHC étaient de bon sens. Elles ont été approuvées par le Conseil, et les directions du CERN et du projet ont immédiatement entrepris leur mise en oeuvre. La principale suggestion était de décomposer le projet du LHC en une série de tâches à réaliser et de les confier à des groupes de scientifiques et de techniciens du CERN sous la forme d'un quasi-contrat avec la direction, qui énonce les objectifs à atteindre et indique les moyens agréés comme le calendrier à respecter. Ces tâches sont ensuite décomposées en workpackages successifs, chacun avec un coût prévisionnel, un résultat constatable et une durée, environ trois mois. En décomposant l'ensemble du projet sur toute sa durée en quelques milliers de workpackages, d'une part, on n'oublie rien et, d'autre part, on a une appréciation de tous les instants sur l'état d'avancement de l'ensemble et de la variation éventuelle du coût global. Cette surveillance automatique et transparente fonctionne depuis septembre 2003. Nous avons ainsi, tous les mois, une vision globale des progrès de la réalisation de la future machine, l'accélérateur de protons.

Le personnel s'inquiète d'un retard supplémentaire qui ferait glisser la première exploitation scientifique du LHC en 2008, voire plus loin. Le risque de démotivation n'est-il pas grand ?

Robert Aymar : Les scientifiques s'inquiètent toujours. Dans son rapport, l'ERC a reconnu que techniquement et financièrement la date d'avril 2006 ne pourrait être tenue, qu'il faudrait un an de plus. Tout est prévu pour que, durant l'été 2007, l'ensemble du système soit opérationnel. Mais cette date-là ne dépend pas que du CERN. Des impondérables peuvent survenir et entraîner des retards imprévus : une usine peut prendre feu, un industriel déposer le bilan. Depuis l'année dernière, la production indus-trielle a atteint, avec du retard, des taux de production raisonnables par rapport au débit nécessaire pour arriver juste à temps. Sans accident ou incident, les délais peuvent être tenus, mais nous n'avons aucune marge.

Vous parlez de l'accélérateur de particules. Qu'en est-il des détecteurs qui recueilleront les données ?

Robert Aymar : Les détecteurs ne sont pas de la responsabilité du CERN ; ils sont fabriqués par des centaines d'instituts scientifiques à travers le monde. Contrairement à celle de l'accélérateur de protons, la contribution de ces instituts aux détecteurs n'est pas directement financière mais en nature. C'est pourquoi le déroulement de la construction des détecteurs est beaucoup plus difficile à contrôler. De toute façon, ces détecteurs sont des ensembles de sous-systèmes indépendants ; s'il manque un élément, par suite d'un retard, le détecteur pourra néanmoins enregistrer des données appréciables. L'accélérateur de protons, quant à lui, doit être complet pour pouvoir démarrer.

Votre prédécesseur, Luciano Maiani, a réussi à sauver une ligne budgétaire pour des efforts de recherche et développement R&D, et à maintenir son projet d'un faisceau de neutrinos entre le CERN et l'Italie. Ces efforts seront-ils poursuivis ?

Robert Aymar : Je considère que tous les engagements pris doivent être tenus. Le flux de neutrinos qui partira du CERN pour être analysé dans le tunnel du Gran Sasso en Italie fonctionnera comme prévu en 2006. Le LHC est pour 2007. C'est demain. Quant à la R&D, c'est l'avenir du CERN à plus long terme. À ce sujet, le message de l'ERC est très important. Dans la convention fondatrice du laboratoire, ratifiée en 1954, le Conseil avait deux fonctions : la supervision du laboratoire, mais aussi la coordination, sur toute l'Europe, des programmes de recherche en physique des particules et en physique nucléaire. Cette seconde fonction n'a jamais été réellement entreprise par le Conseil. Vu la difficulté de la tâche, ce n'est pas un oubli. Il n'empêche que la discipline a besoin de cette coordination. Elle peut s'organiser maintenant dans le cadre de la politique proposée par la Commission européenne. L'accord de Lisbonne sur la création de l'Espace de recherche européen permet, par des liens nouveaux créés entre les acteurs européens d'une même discipline, d'atteindre plus facilement la masse critique qui augmente l'efficacité de chacun. Cette politique est une excellente idée. Pour ce faire, on a besoin d'une coordination qui soit gérée directement par les institutions scientifiques concernées. En physique des particules, c'est le Conseil du CERN qui doit en être chargé. Pour cela, des représentants du laboratoire doivent collaborer partout avec leurs collègues européens. Nous n'avons pas, actuellement, de ressources humaines disponibles pour remplir totalement cet objectif. Il faudra néanmoins y parvenir. C'est un besoin stratégique pour le laboratoire comme pour l'ensemble de la communauté.

Quel sera le futur grand accélérateur de particules ? Le Département de l'Énergie DOE américain a classé ses priorités pour les vingt ans à venir [2]. Le projet de réacteur expérimental de fusion nucléaire ITER est classé en tête, mais aucun grand instrument de physique des particules n'apparaît dans les dix premiers. La communauté scientifique n'en a-t-elle pas besoin ?

Robert Aymar : Dans la liste du DOE, la demande des physiciens d'un accélérateur linéaire de particules, collisionneur d'électrons et de positrons, un Linear Collider, n'arrive qu'en 13e position. Il est envisagé un maximum de financement autour de 2015 après une décision de construction probablement en 2010-2012. Néanmoins, l'Europe n'a pas fait le même exercice prévisionnel que les États-Unis. Seul le Research Council britannique s'y est essayé. Cela permet de caler les idées, même si cela n'engage à rien. C'est une façon de focaliser les énergies. Il est certain qu'il n'y aura qu'une seule machine à l'échelle mondiale. Pour le CERN aussi, le collisionneur linéaire est clairement affiché comme priorité. C'est le complément du programme scientifique du LHC.

Beaucoup de projets de collisionneur linéaire fleurissent dans le monde. Au CERN, vous travaillez sur le CLIC, le Compact Linear Collider...

Robert Aymar : Effectivement, le CERN développe depuis plus de quinze ans un concept original, le collisionneur linéaire électrons-positrons permettant d'atteindre une énergie de plusieurs TeV 1012 électronvolts. Certains scientifiques considèrent qu'une machine de 500 GeV 5.1011 électronvolts serait suffisante, mais d'autres pensent qu'il faut aller au-delà de 1 TeV, car cela donnerait des possibilités de découvertes beaucoup plus grandes. Les développements technologiques réalisés aux États-Unis, en Europe ou au Japon sont tous limités entre ces deux valeurs. Il n'y a que la proposition du CERN, le CLIC, qui permet d'aller jusqu'à 4 ou 5 TeV, si la preuve est apportée de sa faisabilité complète. Certains poussent à décider, dès maintenant, dans un cadre mondial, les spécifications du collisionneur et à limiter l'énergie à moins de 1 TeV dans le centre de masse. Si pour une raison pertinente, financement ou attente des résultats du LHC, la décision de construction du collisionneur devait n'être prise qu'après 2010, il serait souhaitable que la preuve opérationnelle du fonctionnement du concept CLIC soit disponible à cette date, de manière à choisir le concept le plus adapté et l'énergie la plus susceptible de nouvelles découvertes. C'est pourquoi il a été proposé au Conseil du CERN, en décembre 2003, d'accélérer le développement expérimental du CLIC de manière à confirmer la confiance dans le concept en temps utile, soit en 2009. La contribution des États membres du CERN pourrait être « à la carte », comme ce qui se fait pour les détecteurs, dans lesquels les pays intéressés mettent des forces en commun.

Les grands projets demandent la coopération des grandes nations. Au CERN, à côté des pays européens, les États-Unis, le Japon et la fédération de Russie ont un statut, même si ce n'est que celui d'observateur et non de décideur. Votre prédécesseur a signé, début décembre, un accord de participation de la Nouvelle-Zélande au projet LHC. S'oriente-t-on vers un CERN mondialisé ?

Robert Aymar : Le CERN est déjà un centre mondial. Ce qui se fait ici a attiré l'intérêt de tous les physiciens des particules du monde. Il faut poursuivre cette démarche. Pas seulement parce qu'elle permet de bénéficier de moyens financiers supplémentaires, mais parce que le CERN a toujours eu un rôle politique. Il a permis que des relations scientifiques et humaines de bonne qualité soient établies et maintenues entre des pays que des politiques séparaient solidement.

Ces relations préliminaires ont ensuite permis des rapprochements, puis des coopérations nationales. Nous avons collaboré avec des scientifiques de l'Union soviétique bien avant la chute du rideau de fer et de la Chine avant qu'elle soit acceptée dans la communauté internationale. Ce rôle du CERN au bénéfice de l'humanité est très important, et nous devons collaborer avec les scientifiques de tous les pays qui le souhaitent et qui soutiennent l'existence d'une communauté nationale de physique des particules. Mais que tous les pays deviennent des États membres me semble impossible. La gestion du CERN deviendrait aussi difficile que celle de l'ONU.

Le CERN doit rester européen au sens le plus large, avec des collaborations multilatérales quasi permanentes pour monter différents projets et les faire vivre.

Nous avons un exemple de collaboration qui achoppe. C'est ITER. Vous avez été, jusqu'en septembre dernier, le directeur de cet ambitieux projet de réacteur expérimental de fusion nucléaire. Que pensez-vous des derniers atermoiements ?

Robert Aymar : La recherche en physique des plasmas et son application à la fusion nucléaire existent depuis quarante ans. Les résultats ont considérablement progressé ces quinze dernières années, mais tout n'est pas encore compris. On ne peut pas encore modéliser tous les détails du fonctionnement physique d'un réacteur, car dans le plasma très chaud se produisent des turbulences non linéaires. Néanmoins, les performances, réalisées sur les différentes machines, qui couvrent trois ordres de grandeur, peuvent être rassemblées dans une seule loi expérimentale. Ce qui ne veut pas dire que l'extrapolation à la taille d'ITER continuera à suivre la même loi, mais je pense que le risque que cela ne fonctionne pas est très faible. Les valeurs des paramètres physiques individuels à atteindre sont garanties par les expériences actuelles ; elles permettent d'assurer l'énergie récupérée par rapport à celle injectée, ainsi que la durée de fusion réalisée.

Avec ITER, le gain en énergie sera d'au moins un facteur dix. La grande différence avec les expériences précédentes est que les performances et l'évolution du plasma d'ITER seront contrôlées par la source d'énergie de fusion interne et non plus par celle injectée de l'extérieur. ITER est donc une étape indispensable si l'on veut utiliser un jour la fusion. De plus, les scientifiques sont prêts ; c'est le moment d'y aller, même si l'on aurait pu le faire il y a six ou sept ans. J'ai quitté le projet ITER le 1er septembre dernier, en m'imaginant que tout était bien préparé pour une décision simple après deux années de négociations internationales. Et puis tout a été remis en question, probablement par un mélange entre des intérêts politiques à court terme et des intérêts scientifiques à très long terme. Tout était organisé pour que la décision soit prise à l'été 2003, mais vous avez vu ce qui s'est passé.

La recherche française est en crise. En particulier, le Dapnia*, le département de recherche fondamentale du CEA, que vous avez créé et organisé pendant quatre ans, est menacé. Quelle est votre analyse ?

Robert Aymar : L'existence de la recherche fondamentale au CEA est un résultat de l'histoire, car elle n'a pas été proposée initialement. Mais les décideurs ont vite compris qu'il n'y a aucune chance de réussir à maintenir un organisme d'excellence en recherche appliquée ou focalisée sans un support important de la recherche fondamentale. L'intérêt d'une recherche fondamentale forte a toujours été très grand au CEA, à condition d'accepter qu'elle irrigue la recherche appliquée. C'est ce que j'ai voulu faire lorsque j'y étais directeur de la recherche fondamentale.

L'idée de supprimer cette recherche sous la contrainte de difficultés financières toujours contingentes est une erreur fondamentale. Que des contraintes budgétaires conduisent à réduire les moyens de tel ou tel secteur pendant un certain temps, c'est normal. Ce sont des décisions difficiles à prendre, il y en aura toujours. Partout, que ce soit au CERN, au Dapnia ou à l'IN2P3*, il faut être focalisé, être visible sur des objectifs importants et reconnus.

Le but n'est pas d'orienter les recherches, mais d'atteindre une masse critique sur un sujet donné. De même, si les ingénieurs et les techniciens du CEA sont impliqués dans de nombreuses expériences à la fois, il peut être facile de limiter le nombre de coopérations aux expériences et ainsi de se séparer logiquement de certaines ressources humaines. Ce serait encore une erreur. Pour être plus efficace, il faudrait rassembler les moyens existants sur les objectifs les plus importants. En période de vaches maigres, être visible est indispensable pour être reconnu et ne pas mourir.

Propos recueillis par Jacques-Olivier Baruch

Photos : Guillaume Atger

Par Robert Aymar

 

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LES ATOMES FROIDS

 

La preuve par les atomes froids


dossier spécial - par Frédéric Chevy dans mensuel n°393 daté février 2006 à la page 70 (2676 mots) | Gratuit
À quoi pourraient servir les gaz d'atomes refroidis à très basse température où, entre autres comportements étranges, la viscosité est nulle ? À fabriquer un nouveau type d'ordinateur, ont montré des physiciens en s'appuyant sur des travaux engagés depuis une dizaine d'années.

Comment se comportent les noyaux atomiques, les étoiles à neutrons ou encore les matériaux supraconducteurs qui

conduisent l'électricité sans perte d'énergie ? Pour répondre à cette question, les physiciens butent sur un problème : les calculs concernant ces systèmes composés d'un grand nombre de particules en interaction sont d'une énorme complexité. Même les ordinateurs les plus puissants sont incapables de les effectuer en des temps raisonnables.

Pour contourner les obstacles posés par ces systèmes à « n-corps quantiques », une approche consisterait à simuler leur comportement avec des systèmes physiques modèles, en réalisant ce qu'on appelle un « calculateur analogique quantique ». Depuis quelques années, les physiciens étaient de plus en plus nombreux à penser que des gaz d'atomes refroidis à quelques milliardièmes de degrés au-dessus du zéro absolu constitueraient d'excellents candidats. Cette intuition a été confirmée, en juillet 2005, par les travaux de Wolfgang Ketterle et son équipe au MIT. En identifiant un nouvel état de la matière où la viscosité est nulle, ils ont franchi un premier pas vers la réalisation d'un simulateur quantique, laissant poindre la résolution d'autres problèmes fondamentaux de la physique [1] .

Calcul analogique
Les calculateurs analogiques sont fondés sur un principe foncièrement différent de celui des ordinateurs que nous utilisons aujourd'hui. Ces derniers sont des dispositifs programmables qui, pour résoudre un problème donné, réalisent une série d'opérations élémentaires « ET », « OU », « NON », etc.. Leur nombre est d'autant plus grand que l'on souhaite un résultat précis. Or, pour satisfaire cette exigence, le temps de calcul peut parfois excéder la durée de vie d'un chercheur ! Cette difficulté ne se pose pas pour les calculateurs analogiques dont le principe consiste à résoudre un problème mathématique en s'appuyant sur un système physique qui obéit à la même équation : des résultats de mesures sont utilisés pour répondre à la question initiale. Pour un ordinateur analogique, le temps de calcul correspond ainsi à la durée de la manipulation. Et la précision n'est limitée que par celle des instruments de mesure.

Historiquement, le calcul analogique préexiste au calcul numérique. Son origine est même très ancienne. Vers - 100 avant notre ère, par exemple, la machine dite d'Anticythère simulait la marche apparente du Soleil et de la Lune. Constitué d'une vingtaine de roues dentées, d'axes, de tambours et d'aiguilles mobiles, ce mécanisme était l'ancêtre des horloges astronomiques du Moyen Âge et de la Renaissance, comme celle d'une douzaine de mètres de haut que l'on peut toujours admirer dans la cathédrale de Strasbourg.

Polyvalence du numérique
Pendant des siècles, les calculateurs analogiques ont été utilisés pour résoudre des problèmes divers. Ainsi, dans les années 1930, l'armée américaine calculait encore les trajectoires balistiques avec des ordinateurs analogiques mécaniques. Mais en dépit de leurs performances en termes de temps de calcul, ces machines présentaient un inconvénient de taille : leur manque de souplesse. On ne pouvait les utiliser que pour résoudre un seul type de problème. Après la Seconde Guerre mondiale, ce concept fut progressivement abandonné au profit des ordinateurs numériques, programmables et beaucoup plus polyvalents, avec le succès que l'on sait.

Quelques physiciens, comme le Prix Nobel Richard Feynman, continuèrent de penser que l'ordinateur analogique n'avait pas dit son dernier mot : devant les difficultés posées par l'étude des systèmes à n-corps quantiques, il constituerait un atout précieux [2] . Mais les contraintes étaient très fortes. Le système ne devait contenir aucune impureté de manière à correspondre le plus exactement possible aux modèles théoriques. Et tous les paramètres physiques, en particulier l'intensité des interactions entre les constituants, devaient pouvoir être contrôlés afin de simuler le comportement d'autres systèmes physiques. Faute

de candidats valables, l'idée de Feynman resta temporairement sans suite.

Il fallut attendre l'essor des gaz d'« atomes froids » pour qu'une piste crédible se révèle enfin. Dans les années 1980, grâce à la lumière laser, les physiciens avaient appris à refroidir des gaz à des températures jamais atteintes par l'homme. Les initiateurs de cette technique, Steve Chu, de l'université Stanford, Claude Cohen-Tannoudji, de l'École normale supérieure, et William Phillips, du National Institute of Standard and Technology, obtinrent le prix Nobel de physique en 1997. Si les atomes froids apparaissaient comme de si bons candidats pour la réalisation d'un simulateur analogique quantique, c'est parce que leur très basse température ainsi que leur faible densité permettent un contrôle quasi total des propriétés physiques du gaz. Et, puisque dans de telles conditions les atomes se déplacent lentement, on peut effectuer des mesures d'une très grande précision, comme le prouvent les dernières générations d'horloges à atomes froids : à ce jour, elles fournissent les étalons de fréquence, et donc de temps, les plus précis au monde.

Un prototype à portée de main
Dans la pratique, le paramètre physique le plus difficile à moduler sur une large gamme était l'interaction entre particules. En 1999, l'observation d'un phénomène quantique appelé « résonance de Feshbach * » permit de passer outre cette difficulté : en utilisant des champs magnétiques, les physiciens apprirent à contrôler la force des interactions entre les atomes froids [3] . Cette découverte laissa penser au groupe de théoriciens dirigés par Ignacio Cirac et Peter Zoller, de l'université d'Innsbruck, en Autriche, qu'un prototype d'ordinateur analogique était à portée de main. Ils réussirent à convaincre plusieurs groupes de théoriciens et d'expérimentateurs, issus de l'optique quantique, la physique atomique, la physique des solides et la physique nucléaire, de combiner leurs talents et de se lancer dans cette aventure.

La validité de l'approche analogique devait d'abord être testée dans la situation la plus simple, en l'occurrence un système contenant une seule espèce d'atomes. À très basse température, on savait que le comportement d'un groupe de particules était dominé par une propriété quantique fondamentale, le « spin », qui, en quelque sorte, décrit la vitesse de rotation de chaque particule sur elle-même à la manière d'une toupie. Le spin ne peut pas prendre de valeurs quelconques : il peut être soit entier 0, 1, 2, etc., soit demi-entier 1/2, 3/2, etc.. Dans le premier cas, la particule est appelée « boson », dans le deuxième, c'est un « fermion ». Or, contrairement aux bosons comme les photons, par exemple dont le comportement était relativement bien compris, les fermions posaient de multiples questions qui résistaient aux spécialistes du domaine. Il parut donc opportun de développer un ordinateur analogique utilisant des atomes fermioniques.

L'une des questions ouvertes concernait l'existence et la nature de la superfluidité des systèmes fermioniques, un état où la matière s'écoule sans frictions du fait de sa viscosité nulle. Cette propriété était habituellement associée aux particules bosoniques, car celles-ci ont tendance à se placer dans le même état énergétique. En 1924, Albert Einstein avait montré qu'il existait une température au-dessous de laquelle les bosons s'accumulaient dans l'état de plus basse énergie, formant ce que l'on nomme aujourd'hui un « condensat de Bose-Einstein » CBE. Dès les années 1930, le caractère superfluide de ce condensat avait pu être démontré dans l'hélium liquide. Plus récemment, en 1995, les premiers condensats de Bose-Einstein gazeux ont été observés par le groupe d'Eric Cornell et Carl Weinman, de l'université du Colorado, et par celui de Wolfgang Ketterle. Un tour de force expérimental qui est à l'origine des avancées les plus récentes en physique des atomes froids, et qui valut à ces physiciens d'être récompensé par le prix Nobel en 2001.

Contrairement aux bosons, les fermions sont « individualistes » : ils ne peuvent occuper à deux le même état énergétique. Pour placer des fermions, comme les électrons, par exemple, dans un piège, il est nécessaire de remplir un à un les niveaux d'énergie en commençant par le plus bas [fig. 1] : l'« énergie de Fermi » est alors associée au dernier état peuplé. En raison du comportement individualiste des fermions, on pourrait penser qu'il n'existe pas d'état superfluide dans un système composé de ce type de particules. Cette hypothèse était pourtant invalidée par l'existence des métaux supraconducteurs qui étaient connus depuis le début du XXe siècle, où la disparition de la résistance électrique est analogue à la perte de viscosité. Dans les métaux, les physiciens américains John Bardeen, Leon Cooper et John Schrieffer ont démontré dans les années 1950 que l'état supraconducteur résultait de l'appariement des électrons entre eux.

Interactions attractives
Or, lorsque deux particules s'associent pour former une paire, leurs spins peuvent s'ajouter ou se soustraire, mais celle-ci possède toujours un spin entier : c'est donc un boson. En formant une paire, des fermions soumis à des interactions attractives sont donc susceptibles de former un état superfluide. C'est la théorie dite « BCS », dont le domaine de validité était restreint aux interactions faiblement attractives entre fermions.

Cette théorie pouvait-elle être étendue à tout régime d'interaction ? Vers le début des années 1980, Philippe Nozières, Anthony Leggett et Stefan Schmitt-Rink en avaient fait l'hypothèse en se fondant qualitativement sur le fait que la distance entre les atomes d'une paire devait être d'autant plus faible que les interactions entre particules étaient attractives [4] . Pour des interactions fortes, on s'attend donc à obtenir des paires de très petite taille. Celles-ci peuvent alors être considérées comme des particules ponctuelles, ce qui nous ramène à la théorie d'Einstein appliquée à un gaz de molécules bosoniques. Lorsqu'on réduit l'intensité des interactions, la taille des paires augmente. Et lorsque l'attraction devient extrêmement faible, la distance entre deux particules d'une même paire devient bien plus grande que la distance entre deux paires. Nozières, Leggett et Schmitt-Rink retrouvaient ainsi les paires de Cooper telles qu'elles avaient été décrites, dans les années 1950, par Bardeen, Cooper et Schrieffer [fig. 2] .

L'argument précédent était relativement solide dans les régimes d'interactions très fortes ou très faibles, puisqu'on pouvait leur appliquer soit la théorie d'Einstein soit la théorie BCS. La situation était nettement plus confuse dans le régime d'interactions intermédiaire. En effet, les interactions y étaient trop importantes pour traiter le gaz comme un groupe de fermions sans interactions, et elles étaient trop faibles pour traiter les paires comme des particules ponctuelles. Or, d'un point de vue aussi bien théorique qu'expérimental, ce régime était le plus intéressant à étudier puisque celui-ci décrit des systèmes aussi divers que les étoiles à neutrons, l'un des stades ultimes de l'évolution d'une étoile, les matériaux supraconducteurs à haute température critique, dont l'interprétation théorique est controversée et dont les enjeux économiques sont potentiellement considérables, ou encore le plasma de quarks et de gluons, un état qui se serait formé quelques millionièmes

de secondes après le Big Bang !

Pour trancher entre l'hypothèse de Nozières, Leggett et Schmitt-Rink et d'autres modèles qui prédisaient notamment une transition non continue et un comportement instable dans le régime intermédiaire, la réponse ne pouvait venir que d'une résolution exacte du problème : soit en mobilisant des ressources informatiques très puissantes, soit, dans l'optique d'un calcul analogique en la

testant sur un système pour lequel il serait possible de faire varier l'intensité des interactions.

L'approche analogique a commencé à porter ses fruits en 2003 : des condensats moléculaires composés de fermions ont été observés presque simultanément par Rudolph Grimm, à Innsbruck, et Deborah Jin, à Boulder [5] . Mettant à profit les connaissances acquises sur les résonances de Feshbach, la transition CBE-BCS a ensuite pu être explorée. En accord avec les prédictions de Leggett, Nozières et Schmitt-Rink, un nuage d'atome pour toutes les intensités d'interactions a été conservé intact, sans qu'aucune des

instabilités prédites par les modèles concurrents ne se manifeste.

Suite à ce premier résultat qualitatif, une période d'activité expérimentale intense permit de caractériser plus précisément le régime de transition. L'existence d'un appariement entre fermions a pu être démontrée, et l'énergie du gaz entre le condensat de molécules et l'état BCS a été établie. Il s'avère que l'énergie de chaque particule est proportionnelle à l'énergie de Fermi du système. Et la constante de proportionnalité, que l'on note par la lettre grecque prononcez xi est un nombre « universel », au même titre que par exemple. Autrement dit, elle ne dépend pas du système physique auquel on applique ce modèle de fermions en interactions, qu'il s'agisse d'un gaz d'atomes froids ou d'une étoile à neutrons !

Tourbillons quantiques
En 2004, notre groupe de l'École normale supérieure a déterminé expérimentalement ce paramètre dans le régime intermédiaire en ouvrant brusquement le piège servant à confiner les atomes [6] . Le gaz « explose », et s'étend d'autant plus rapidement que que son énergie est importante.Ainsi, en mesurant le rayon du gaz après une milliseconde, nous avons pu remonter à une valeur de . Celle-ci était en profond désaccord avec la valeur prédite par Nozière, Leggett et Schmitt-Rink. Cependant, leur calcul était sujet à caution puisqu'il avait été réalisé en dehors du cadre de validité de la théorie BCS.

En travaillant sur un très petit nombre de fermions une trentaine, Vijay Pandharipande, de l'université d'Urbana-Champaign, a réalisé une simulation informatique numérique qui semble confirmer nos mesures [7] . D'autres simulations prenant en compte

plusieurs dizaines de milliers de particules, plus

réalistes et donc plus pertinentes, sont actuellement en cours. Elles nécessiteront une année de calcul,

et mobiliseront les plus puissants ordinateurs branchés en réseau, ce qui souligne la pertinence de l'approche analogique.

Mais en dépit des résultats et d'indices expérimentaux obtenus depuis 2003, il manquait encore une preuve directe de l'existence d'un état superfluide dans la transition CBE-BCS. Celle-ci est venue au printemps 2005 avec les expériences

de mise en rotation

de gaz de fermions dans le régime intermédiaire réalisées par le groupe de Ketterle. Lorsqu'un fluide classique, comme de l'eau par exemple, est placé dans un seau en rotation, la friction avec les parois entraîne le liquide : celui-ci se met à tourner « en bloc » avec le seau. Or, du fait de l'absence de viscosité dans l'état superfluide, une telle situation ne peut se produire. À la place, des tourbillons se forment. Ils ont le même diamètre et se manifestent par le trou qu'ils percent dans le nuage, puisque la force centrifuge rejette les atomes de leur centre. De tels tourbillons avaient été observés dans l'hélium superfluide par Richard Packard, de l'université de Californie, en 1974, et dans des gaz de bosons, par notre groupe, en 2001.

Dans l'expérience de Ketterle, des atomes de lithium sont piégés par un faisceau laser. Le gaz prend la forme d'un cigare allongé dans la direction du faisceau voir ci-dessus . Un deuxième faisceau permet de mettre le gaz en rotation. Lorsque sa vitesse est suffisament grande, des tourbillons apparaissent. Ils s'organisent selon un réseau triangulaire connu sous le nom de « réseau d'Abrikosov » [8] . Si l'existence des tourbillons résulte bien des lois de la mécanique quantique, le réseau d'Abrikosov est une conséquence d'effets hydrodynamiques et sa structure est le produit de deux forces en compétition : la poussée d'Archimède, qui tend à ramener chaque tourbillon vers le centre du piège, et la force de Magnus * , qui repousse les tourbillons tournant dans le même sens. Caractéristique du régime superfluide, l'observation de tourbillons dans un gaz de fermions montre bien que le nuage reste superfluide sur toute la transition CBE-BCS.

L'élucidation du comportement d'un gaz de fermions monoatomiques constitue un pas important vers l'élaboration d'un simulateur quantique capable d'étudier des systèmes composés d'atomes différents et dans des situations aussi variées que possible. Un enjeu important sera d'isoler les problèmes abordables ainsi que le système expérimental le plus polyvalent. Actuellement à l'étude, la possibilité de piéger des gaz d'atomes froids dans des réseaux optiques obtenus par l'interférence de plusieurs lasers ouvre des perspectives prometteuses.

EN DEUX MOTS Dans le monde quantique, celui de l'infiniment petit, les interactions

entre particules peuvent mener à des calculs

très complexes. Tellement que la puissance des ordinateurs ne suffit pas à les comprendre. Pour s'affranchir de cette difficulté, les physiciens cherchent à mettre au point un calculateur analogique

à l'aide d'atomes ultra-froids qui simuleraient

le comportement de particules en interaction. Un premier pas a été franchi au printemps 2005 par l'équipe du physicien allemand Wolfgang Ketterle.

Par Frédéric Chevy

 

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