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ÉVEIL DE LA PERCEPTION

 

L'éveil de la perception


Dossier spécial cerveau - par Olivier Houdé, Grégoire Borst dans mensuel n°477 daté juillet 2013 à la page 46 (2113 mots) | Gratuit
Comment le bébé perçoit-il son environnement ? Et comment, à partir de ces informations, construit-il le réel, selon l'expression de Jean Piaget, de l'université de Genève ? Au-delà de la simple perception du monde, le jeune enfant doit en effet utiliser des outils cognitifs pour apprendre à penser et à mémoriser de façon cohérente le monde perçu : réaliser des opérations de catégorisation (pour définir les qualités des objets), de dénombrement (quantité d'objets) et de raisonnement (inférer, déduire, etc.).

Ces capacités naissantes sont explorées par les psychologues. Lesquels ne cessent, depuis quelques années, de révéler l'étendue des compétences des tout-petits. Des découvertes récentes en sciences cognitives indiquent, par exemple, que très tôt, avant même l'apparition du langage (soit avant deux ans), les bébés font déjà des statistiques pour comprendre et anticiper les événements qu'ils perçoivent.

Mais en amont de ces capacités, des goûts, des odeurs et des sons animent déjà la vie du foetus ! Dès trois mois après la fécondation et alors qu'il ne mesure que 10 centimètres environ, ce dernier commence, dans le ventre de sa mère, à découvrir les saveurs et les odeurs à travers le liquide amniotique qu'il avale par la bouche, qu'il déglutit en partie et qu'il souffle par le nez. Une carte perceptive des goûts et des odeurs, associée sans doute aux toutes premières émotions, se met ainsi en place dans le cerveau en construction. Cette carte prénatale va orienter les préférences postnatales du bébé. C'est l'aube des sens. Il en est de même pour les sons. On sait que les foetus perçoivent partiellement et mémorisent les voix familières et la musique. Quant à la vision, elle ne se mettra réellement « au point » qu'après la naissance, lors de l'ouverture des yeux sur le monde des objets tridimensionnels. Le regard du bébé gagnera alors en acuité au fil des mois. Mais avant la naissance, déjà sensible aux ombres et aux nuances dans la forte lumière, le système visuel du foetus, comme tous les autres systèmes sensoriels et perceptifs, se prépare déjà.

Capacités des prématurés
Dans ce domaine d'étude des tout débuts de la vie, les découvertes scientifiques récentes ont porté sur l'observation des capacités des prématurés, ces bébés nés un peu ou beaucoup trop tôt, auxquels les meilleurs soins sont aujourd'hui prodigués dans les services de néonatalogie. L'observation des prématurés offre aux psychologues qui se rendent à leur chevet une fenêtre temporelle exceptionnelle pour mesurer « en avant-première » les mécanismes perceptifs par lesquels le monde vient aux bébés. C'est ainsi que deux expériences ont montré récemment que le monde des formes et des sons vient très tôt à l'esprit des bébés et que leur cerveau, non encore achevé, travaille déjà avec finesse et subtilité.

Édouard Gentaz, du CNRS à Grenoble, et ses collaborateurs ont ainsi étudié comment deux mois avant le terme, c'est-à-dire à sept mois de grossesse, des bébés sont déjà capables d'apprendre à reconnaître des formes géométriques par le toucher [1]. Dans cette étude, les chercheurs ont utilisé une méthode expérimentale simple qui s'appuie sur un principe universel : le désintérêt progressif que nous manifestons pour un objet familier et le regain d'attention que nous marquons pour un objet nouveau.

Les psychologues ont d'abord placé dans une main de chaque bébé un petit objet en forme de prisme ou de cylindre. Dès que le bébé lâchait l'objet, les psychologues le lui remettaient dans la main et mesuraient la durée pendant laquelle il le conservait. Ils ont ainsi observé qu'au fil des essais le bébé gardait l'objet de moins en moins longtemps.

Pour vérifier que cela n'était pas dû à la fatigue, ils ont ensuite présenté à la moitié des bébés un objet de forme différente, et à l'autre moitié le même objet. Résultat : les bébés confrontés au nouvel objet l'ont tenu plus longtemps que celui qu'ils connaissaient déjà. En revanche, le temps de tenue des autres bébés n'a pas augmenté.

Cela prouve que ces prématurés savent distinguer deux objets de formes différentes avec leurs mains. Il ne s'agit pas de simples réflexes, mais d'un apprentissage par habituation et réaction à la nouveauté. Les performances de ces prématurés ont ensuite été comparées avec celles de bébés nés à terme. Or leurs aptitudes manuelles étaient similaires, que ce soit avec la main droite ou avec la main gauche. Seule différence : les prématurés se désintéressaient plus rapidement de l'objet, probablement en raison d'une fatigue cognitive due à leur état.

Pour cette expérience d'exploration tactile, les régions sensorimotrices du cortex cérébral suffisent, en l'occurrence celles liées à la discrimination par le toucher. On sait qu'elles sont les premières zones du cerveau à arriver à maturation, bien avant les régions préfrontales, liées au contrôle cognitif élaboré. Cette étude montre donc que ces régions sensorimotrices sont fonctionnelles à sept mois de grossesse. Chez les prématurés nés deux mois avant le terme, les fondements neurocognitifs de la catégorisation des formes, voire de la géométrie, sont ainsi déjà en construction. Une découverte précieuse pour les professionnels de néonatalogie : ils pourront facilement reproduire ce type d'exercice actif d'apprentissage pour éveiller l'intelligence de ces bébés, à condition de ne pas trop les fatiguer.

Réseau du langage
L'équipe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale de Ghislaine Dehaene à NeuroSpin près de Paris, est, quant à elle, parvenue à visualiser l'activité du cerveau de bébés prématurés, de deux à un mois avant le terme, lors d'une tâche de discrimination auditive de syllabes [2]. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé au chevet des prématurés un équipement de spectroscopie proche infrarouge, qui permet d'observer l'activité cérébrale de très jeunes enfants en contextes naturels. Bien que le cerveau soit loin d'être mature à cet âge, les résultats ont révélé chez le prématuré l'activation d'un circuit du cortex semblable au réseau adulte du langage, avec une spécialisation déjà en place dans l'hémisphère gauche.

Grâce à ce réseau neuronal, ces bébés, y compris les prématurés très jeunes de l'échantillon (vingt-neuf semaines de gestation), sont capables de discriminer finement les changements de phonèmes (ba ou ga) et de voix humaines (une voix masculine ou féminine). De fait, les variations de ces stimulations ont pu être corrélées avec l'activité de régions frontales inférieures situées à l'avant de leur cerveau. Enfin, les résultats de l'étude montrent que ces deux types de changements (phonèmes et genre de la voix) mobilisent des régions frontales droites, alors que seul le cortex frontal gauche s'active spécifiquement pour la discrimination de phonèmes.

Ce dernier point confirme la mise en place extrêmement précoce d'une spécialisation à gauche pour la perception de stimuli linguistiques dans le cerveau humain. Le résultat remarquable de cette étude est aussi que la partie frontale du cerveau du tout-petit travaille déjà pour catégoriser sélectivement les informations du monde sonore. Une surprise. Car on pensait jusqu'à présent que cette partie avant du cerveau n'entrait en action que bien plus tardivement au cours du développement cognitif de l'enfant.

Depuis plusieurs décennies, les psychologues du bébé ont déjà démontré, au niveau comportemental, que durant la première année de la vie les nourrissons sont beaucoup plus intelligents que ne l'avait imaginé Piaget. Bien avant l'apparition du langage articulé (vers l'âge de 2 ans), il est aujourd'hui établi, par l'étude des réactions visuelles des bébés, qu'ils comprennent très tôt des principes élémentaires d'unité et de permanence des objets, de nombre, ainsi que de causalité physique ou mentale. Dans le prolongement de ces découvertes, un nouveau courant a récemment émergé, considérant le bébé comme un véritable petit scientifique qui fait des statistiques pour comprendre et anticiper les événements qu'il perçoit. Ce serait donc par les statistiques que le monde vient aux bébés ! Et pas n'importe quelles statistiques : celles au nom barbare de principes « bayésiens ».

Capacité d'abstraction
C'est la psychologue américaine Alison Gopnik, de l'université de Californie, à Berkeley, qui est le principal chef de file de ce nouveau courant de recherche [3]. Selon elle, les bébés et les jeunes enfants sont des statisticiens bayésiens, autrement dit des petits penseurs qui déjà imaginent des structures abstraites à partir des données perceptives de leur environnement. Ainsi, les bébés détectent des motifs statistiques et les utilisent pour tester des hypothèses, c'est-à-dire des attentes assez précises qu'ils ont à propos des objets et des personnes.

Par exemple, en utilisant une technique de réactions visuelles, Fei Xu, de l'université de Colombie-Britannique à Vancouver, a montré que des bébés de 8 mois sont sensibles à des motifs statistiques dans une expérience avec des balles de ping-pong [4]. L'expérimentatrice montrait aux bébés une grande boîte remplie de balles blanches et rouges. Ensuite, elle fermait les yeux et prenait au hasard quelques balles de la boîte pour les disposer dans une autre boîte, plus petite, à côté [fig. 1]. Si l'échantillon tiré était réellement aléatoire, alors la distribution des balles dans la petite boîte devait correspondre à celle de la grande boîte.

Après le tirage, les bébés voyaient un échantillon de balles dans la petite boîte qui, selon les conditions expérimentales, soit correspondait à la distribution probabiliste (événement statistiquement attendu), soit n'y correspondait pas (événement non attendu). Résultat : quand l'événement perceptif était non conforme aux probabilités, les bébés étaient surpris et regardaient plus longtemps la scène. Ils ont donc perçu l'erreur et détecté la transgression du motif statistique. Dans une condition contrôle, les bébés voyaient exactement la même séquence d'actions mais l'expérimentatrice tirait les balles de sa poche et non de la grande boîte. Dans ce cas, aucune réaction de surprise n'a eu lieu.

Un autre groupe de chercheurs, dont Vitorrio Girotto, du CNRS à l'université d'Aix-Marseille, a également confirmé que les bébés possèdent dès 12 mois d'étonnantes capacités de raisonnement probabiliste lors de la perception de configurations complexes d'objets en mouvement [5]. D'autres études encore, menées dans le même esprit, ont révélé que les bébés utilisent déjà des motifs statistiques pour tester des hypothèses à propos de séries d'images, de phrases parlées, etc. Il y a donc bien de véritables petits statisticiens cachés dans les berceaux ! Et c'est grâce à ce cerveau « proto-mathématique » - en apparence passif mais très actif et lucide - que le monde vient aux bébés.

Marqueur de la conscience
Lucidité ? Oui. De fait, Sid Kouider, du CNRS et de l'École normale supérieure de Paris, avec l'équipe de Ghislaine Dehaene, vient de montrer que le bébé possède dès 5 mois une conscience perceptive proche de celle de l'adulte : il présente en effet un marqueur électrophysiologique de la conscience analogue au nôtre [6]. Comme l'adulte - et avant même qu'il ne puisse s'exprimer par le langage -, son cerveau répond en deux temps à la perception d'un événement extérieur.

Dans un premier temps, il traite les informations de façon non consciente, ce qui se caractérise par une activité neuronale linéaire proportionnelle à la durée de présentation de l'événement. Puis, dans un second temps, la réponse neuronale n'est plus linéaire, signal que le seuil de la conscience est franchi. Cette seconde étape est atteinte en 300 millisecondes (ms) environ chez l'adulte, contre 900 ms chez le bébé de 5 mois, et 750 ms chez celui de 15 mois. Démontrer un tel phénomène chez des bébés qui ne parlent pas encore était un véritable défi scientifique. Les chercheurs l'ont relevé en présentant aux bébés des images de visages plus ou moins visibles. L'accès conscient à ces images a été indirectement mesuré par la technique des potentiels évoqués cérébraux dont on connaissait déjà très bien la séquence temporelle chez l'adulte.

Erreurs de raisonnement
Il y a toutefois un paradoxe. Si, comme on vient de le voir, le cerveau des prématurés est déjà prêt, avant terme, à rapidement travailler et qu'ensuite, dès la première année de vie, les bébés perçoivent le monde de façon aussi lucide, intelligente et scientifique, alors pourquoi les enfants plus grands à l'école et même les adultes font-ils autant d'erreurs systématiques de raisonnement logique ? Comme Piaget l'avait bien identifié chez les enfants d'âge préscolaire et scolaire et, après lui, le Prix Nobel Daniel Kahneman, de l'université de Princeton, chez les adultes, notre cerveau raisonne le plus souvent de travers, obéissant davantage à des biais heuristiques ou à des intuitions perceptives qu'aux règles logiques et mathématiques abstraites.

Expliquer ce paradoxe des compétences précoces et des incompétences tardives est la tâche principale de la psychologie actuelle du développement cognitif. L'une des façons de lever ce paradoxe est de considérer que le cerveau humain, notamment sa partie préfrontale, doit encore apprendre à inhiber, au cas par cas durant l'enfance et même à l'âge adulte, certains automatismes perceptifs acquis plus ou moins précocement [7]. Par conséquent, si le monde perceptif s'impose à nous très tôt dans le développement, il faut aussi apprendre à lui résister pour bien raisonner. Et cela ne va pas de soi !

Par Olivier Houdé, Grégoire Borst

 

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LES FOURMIS ...

 

Paris, 18 Janvier 2016
Comment les fourmis s'auto-organisent pour construire leur nid

Les fourmis construisent collectivement des nids dont la taille peut atteindre plusieurs milliers de fois celle des individus et à l'architecture parfois très complexe. Leur capacité à coordonner plusieurs milliers d'individus pour bâtir leurs nids demeure cependant une énigme. Pour comprendre les mécanismes impliqués dans ce phénomène, des chercheurs du CNRS, de l'Université Toulouse III – Paul Sabatier et de l'Université de Nantes1 ont combiné des techniques d'analyse comportementale, d'imagerie 3D et de modélisation. Leurs travaux montrent que les fourmis s'auto-organisent en interagissant avec les structures qu'elles construisent et grâce à l'ajout d'une phéromone à leur matériel de construction. Ce signal chimique contrôle localement leur activité bâtisseuse et détermine la forme du nid. Sa dégradation au cours du temps et par les conditions environnementales permet également aux fourmis d'adapter la forme de leurs nids. Ces travaux font l'objet d'une publication dans la revue PNAS le 18 janvier 2016.
Chez la fourmi noire des jardins, Lasius niger, le nid est composé d'une partie souterraine constituée par un réseau de galeries et d'un dôme en terre constitué d'un grand nombre de chambres en forme de bulles, étroitement imbriquées les unes aux autres. A l'aide de techniques d'imagerie 3D comme la tomographie aux rayons X2 et le scanner 3D, les chercheurs ont caractérisé les structures tridimensionnelles réalisées par les fourmis ainsi que la dynamique de construction. Par ailleurs, ils ont analysé les comportements de construction de ces insectes à l'échelle individuelle.

Dans la partie située au-dessus du sol, les insectes entassent leurs matériaux de construction pour former des piliers qui servent à délimiter les chambres. Les fourmis déposent préférentiellement leurs boulettes de terre dans les zones où d'autres amas ont déjà été réalisés. Elles ajoutent en effet une phéromone à leurs matériaux, ce qui incite leurs congénères à construire aux mêmes endroits et conduit à la formation de piliers régulièrement espacés. Lorsque ces colonnes atteignent une hauteur correspondant à la longueur moyenne d'une fourmi, les ouvrières façonnent alors des « chapiteaux » au sommet des piliers. Elles utilisent leur corps comme gabarit pour déterminer quand elles doivent cesser de construire verticalement et commencer à déposer des boulettes latéralement. Les fourmis disposent donc de deux types d'interactions indirectes pour édifier des architectures complexes.

Par ailleurs, la phéromone se dégrade avec le temps, plus ou moins vite selon les conditions climatiques, ce qui permet à la construction de s'adapter à l'environnement. Ainsi, dans un environnement sec, la quantité de phéromone diminue rapidement et il y a donc moins de piliers construits. Les chambres sont alors plus grandes, ce qui permet aux fourmis de s'y agréger afin de conserver le peu d'humidité. A l'inverse, dans un environnement humide, la phéromone persiste plus longtemps ce qui conduit à un nombre de piliers plus élevé et à des chambres plus petites.

Les chercheurs ont ensuite conçu un modèle mathématique en 3D de la construction du nid, obtenu grâce à l'analyse du comportement individuel des fourmis. Ce modèle montre que les deux formes d'interactions indirectes, utilisées par les fourmis pour coordonner leurs activités, reproduisent fidèlement la dynamique de construction et les structures construites lors des expériences. Il souligne également le rôle clé joué par la phéromone de construction dans la dynamique de croissance et les formes des nids.

 

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LES SOURCES ABYSSALES , BERCEAU DE LA VIE

 

Les sources abyssales, berceau de la vie ?


spécial mer - par Franck Zal dans mensuel n°355 daté juillet 2002 à la page 22 (2425 mots) | Gratuit
D'étonnantes communautés animales prolifèrent au plus profond des océans, là où les sources hydrothermales créent un environnement que l'on croyait très défavorable à la vie. Or, ces conditions drastiques sont, en bien des points, semblables à celles qu'offrait la Terre primitive. Peut-on pour autant en déduire que la vie est née dans les abysses ?

« Il est aussi absurde de réfléchir à l'origine de la vie que de réfléchir à l'origine de la matière. » Le 17 septembre 1835, le HMS Beagle, avec à son bord l'auteur même de ce propos, Charles Darwin, touchait terre sur une île de l'archipel des Galapagos, dans le Pacifique. Tandis que Darwin s'émerveillait des différents morphotypes* d'espèces qu'il y découvrait et qui seront à l'origine de sa théorie sur l'évolution, il ne se doutait pas que les abysses de cette même région du Globe seraient le théâtre, cent quarante deux ans plus tard, d'une fabuleuse découverte.

Le 15 février 1977, une mission océanographique américaine regroupant des géochimistes et des géologues, et dirigée par John Corliss, de l'université de l'Oregon, découvrit par 2 600 m de fond sur la dorsale océanique des Galapagos une communauté animale tout à fait étonnante, constituée d'organismes le plus souvent inconnus de la science. La présence d'une telle densité biologique non suspectée, ni même imaginée, sauf peut-être par le célèbre romancier d'avant-garde Jules Verne, demeura une véritable énigme durant plusieurs années. En effet, tous les écosystèmes sur la Terre, qu'ils soient terrestres ou aquatiques, dépendent de la présence d'organismes dits autotrophes, c'est-à-dire capables de synthétiser des molécules organiques à partir du dioxyde de carbone puisé dans leur environnement. C'est notamment le cas des végétaux, qui utilisent l'énergie solaire pour réaliser ces processus chimiques lors du phénomène de photosynthèse. Toutefois, la photosynthèse est impossible à grande profondeur, en raison de l'obscurité totale. Comment la vie pouvait-elle se développer dans ces ténèbres ? Une fois leur surprise passée, les scientifiques remarquèrent que cette luxuriance animale était restreinte aux zones d'hydrothermalisme sous-marin. La dorsale océanique, chaîne montagneuse d'environ 60 000 km de long qui jalonne les fonds océaniques aux limites des grandes plaques constituant l'écorce terrestre, possède en son centre un canal, ou graben, caractérisé par une très forte activité volcanique à l'origine du phénomène de tectonique des plaques. Le magma en fusion monte, puis s'étale et se solidifie... tout en se craquelant. L'eau de mer s'infiltre alors dans ces profondes fissures, se réchauffe au contact du basalte, puis remonte par d'autres fissures. Elle est alors très chaude 300 à 400 °C, acide son pH est compris entre 2,0 et 5,9, totalement dépourvue d'oxygène et enrichie en sels minéraux, en ions polymétalliques et en composés toxiques tel que l'hydrogène sulfuré. La rencontre de ce fluide hydrothermal avec l'eau de mer provoque une précipitation des sels polymétalliques qu'il contient et engendre de hautes cheminées hydrothermales dépassant parfois 20 m : les fumeurs noirs. C'est à l'interface entre fluide hydrothermal et eau de mer, où les conditions du milieu sont agressives et temporellement hyper variables, que l'on observe les luxuriantes communautés animales des abysses.

Débat relancé. Plusieurs années passèrent avant que l'origine de cette biocénose* fût découverte. Les résultats de prélèvements de fluides hydrothermaux révélèrent la présence de fortes concentrations en hydrogène sulfuré autour des animaux. Quelques années plus tard, le groupe de Holger Jannasch, de l'institut océanographique Woods Hole, et celui de David Karl, de l'université d'Hawaii, démontrèrent l'existence de bactéries autotrophes autour et dans ces organismes1. Ces bactéries sulfoxydantes pouvaient transformer du dioxyde de carbone en molécules organiques en utilisant non pas l'énergie solaire, mais l'oxydation de l'hydrogène sulfuréI. Elles étaient donc à la base de la chaîne alimentaire de cet écosystème.

Cette découverte étonnante relança le débat sur l'origine de la vie sur TerreII. L'hydrothermalisme océanique en serait-il la clé ? Selon le Russe Alexandre Ivanovitch Oparin, biochimiste de formation, et le biologiste anglais John Haldane, ce sont les conditions physico-chimiques engendrées par la genèse de la Terre - il y a 4,55 milliards d'années - qui auraient permis la formation des molécules organiques indispensables à la vie. Ces chercheurs comparaient les conditions originelles à une réaction chimique impliquant trois éléments essentiels : l'atmosphère terrestre comme réacteur ; le Soleil comme source d'énergie ; les gaz et composés chimiques émis par le Soleil ou engendrés par le dégazage du manteau terrestre comme réactifs. Selon leur théorie, énoncée en 1922, la clé du problème des origines de la vie réside en une bonne compréhension de l'atmosphère primitive de la Terre, constituée d'une part de méthane, d'ammoniac et de vapeur d'eau provenant du Soleil, d'autre part de dioxyde de carbone, d'hydrogène sulfuré et de vapeur d'eau issus du dégazage du manteau terrestre. Les radiations UV émises par le Soleil, les décharges électriques ou encore l'énergie volcanique auraient, en rompant les liaisons chimiques de ces cinq molécules, entraîné la formation de radicaux libres réagissant très rapidement les uns avec les autres pour donner de nouvelles molécules de plus en plus complexes. Le dioxyde de carbone et le méthane induisant un effet de serre qui élève la température de la surface du Globe, la vapeur d'eau se serait condensée, formant des nuages dans la haute atmosphère avant de retomber en pluie, entraînant avec elle, dans les océans ainsi formés, les nouvelles molécules organiques composées d'atomes de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d'azote.

Cette vision conceptuelle de l'origine de la vie fut, dans les années 1950, testée par un jeune doctorant, Stanley Miller, qui travaillait à l'université de Chicago. Il conçut un réacteur fermé, parfaitement stérile, dans lequel il était possible de faire le vide. Il introduisit dans ce système de l'eau H2O et les gaz mentionnés par Oparin et Haldane CH4, NH3 et H2S. Sous l'effet de la chaleur produite par une flamme, l'eau est vaporisée et se mélange aux gaz : c'est l'atmosphère primitive. Deux électrodes produisent des étincelles qui simulent les éclairs : c'est la source d'énergie. Un système de refroidissement provoque la condensation de la vapeur d'eau, qui entraîne avec elle les molécules nouvellement synthétisées : c'est la pluie. Finalement, le tout s'accumule au bas du système : c'est la soupe primitive constituant les océans. Après analyse, S. Miller met en évidence la synthèse d'un certain nombre de molécules organiques, notamment des sucres et des acides aminés. L'ère de la chimie prébiotique était née.

Toutefois, cette chimie bute sur un certain nombre de problèmes, au coeur d'ardentes discussions à l'heure actuelle. La composition de l'atmosphère primitive n'était probablement pas celle décrite par Oparin et Haldane. Elle aurait été moins réduite et plus riche en CO2, ce qui est indispensable à la création d'un océan liquide par le biais de l'effet de serre... mais peu propice au développement d'un organisme vivant ! De plus, la concentration des molécules organiques dans l'océan primitif aurait été extrêmement faible, du fait de l'énorme dilution subie. En outre, les interactions chimiques dans la soupe primitive devaient obligatoirement faire intervenir des catalyseurs ou des inhibiteurs, dont la présence n'est pas expliquée par la théorie de la « soupe prébiotique ». Enfin, une atmosphère primitive sans oxygène, donc sans couche d'ozone, laissait forcément passer toutes les radiations UV à l'origine de la formation de radicaux libres, cytotoxiques pour quelque organisme que ce soit, même primitif. Si la surface des océans semble donc, au final, peu propice à la naissance de la vie, qu'en est-il de ses profondeurs ?

Selon la théorie proposée par le chimiste - et avocat en brevets - Günther Wächtershäuser, la vie serait apparue en quelques fractions de seconde dans un milieu chaud dépourvu d'oxygène mais contenant de l'eau liquide, du monoxyde de carbone, du sulfure d'hydrogène, du cobalt, du nickel et de l'ammoniac, le tout à la surface d'un catalyseur solide constitué de sulfure de ferIII. Or, le sulfure de fer ou pyrite est précisément l'un des minéraux majoritaires qui composent les cheminées hydrothermales, et les autres composés sont présents aux alentours immédiats des fumeurs noirs. De plus, de nombreuses molécules biologiques présentent ce qui ressemble à une « signature hydrothermale » : les métalloprotéines, par exemple, possèdent au niveau de leur site actif des atomes de fer, de nickel, de molybdène, de cuivre, de cobalt ou encore de zinc. Par ailleurs, le thermodynamicien et géochimiste Everett Shock a, quant à lui, montré que les synthèses organiques étaient possibles dans les contraintes de l'environnement hydrothermal, environnement qui existe probablement depuis le dégazage du manteau de la Terre et devait être très actif, il y a plus de 4 milliards d'années.

Vie fossilisée. Pour autant, existe-t-il des preuves de l'existence d'une forme de vie au niveau de sites hydrothermaux fossilisés ? Les théories et expériences rapportées ci-dessus ont certes fourni des éléments de réponse quant à la chimie des origines de la vie, mais on est encore loin de comprendre comment, des molécules organiques initialement formées, ont pu naître les premiers organismes vivants. Certaines traces géologiques tendent toutefois à montrer qu'une ou plusieurs formes de vie étaient présentes dans l'hydrosphère de la Terre naissante au début de la période archéenne il y a au moins 3,5 milliards d'années, à la fin de la phase de l'intense bombardement de météorites qui a affecté la surface de la Terre2-4. Ces premiers « organismes » semblent avoir eu des formes très simples, de sphères et de bâtonnets de quelques micromètres. Des vestiges indirects ont été découverts au sud-ouest du Groenland, plus précisément au niveau de la ceinture d'Isua, constituée de roches et de dépôts sédimentaires de plus de 3,8 milliards d'années. Ces roches sédimentaires portent des traces de globules dont le caractère biotique est confirmé par le rapport isotopique du carbone et par la détection d'hopanes, molécules caractéristiques de la membrane bactérienne. Ou plutôt « semblait confirmé » : ces résultats viennent d'être remis en cause dans un article publié le 24 mai par la revue Science5.

Dans des roches de 3,5 milliards d'années, datant donc cette fois du milieu de la période archéenne, ont été identifiés de nombreux fossiles de biofilms bactériens et de stromatolites, ces structures organo-sédimentaires produites par des bactéries généralement - mais pas exclusivement - photosynthétiques6. Sur ces roches découvertes en Afrique du Sud jaspes du groupe du Fig Tree, Swaziland et en Australie North Pole, des filaments cellulaires rappelant la morphologie des cyanobactéries étaient bien visibles. Par ailleurs, d'autres micro-fossiles filamenteux vieux de 3,2 milliards d'années ont été trouvés dans des dépôts soufrés d'origine volcanique dans l'ouest de l'Australie. Cette découverte semble prouver que la vie était présente au niveau des sources hydrothermales océaniques au milieu de la période archéenne7. Difficile, toutefois, de préciser l'exacte nature de ces vestiges, comme en témoignent les récentes divergences analytiques de filaments observés dans les sédiments australiens de Chinaman Creek, vieux de 3,46 milliards d'années. Si l'équipe dirigée par William Schopf de l'université de Californie, à Los Angeles et celle menée par Martin Brasier de l'université d'Oxford s'accordent sur l'existence d'une forme de vie dans ces roches, les premiers assimilent les filaments observés à des fossiles de bactéries, les seconds, à des concrétions purement minéralesIV.

Les roches archéennes plus récentes présentent, quant à elles, de très nombreuses traces de vie. Des stromatolites fossiles bien développées, et datant d'environ 3 milliards d'années, ont été découvertes à Steep Rock, dans l'Ontario, et à Pongola, en Afrique du Sud. Des micro-fossiles provenant de l'ouest de l'Australie et datant de 2,7 milliards d'années ont quant à eux fourni des évidences plus directes : on y a mis en évidence des lipides d'origine biologique. Or ces molécules hydrocarbonées, en particulier le 2a-méthylhopane, sont des biomarqueurs qui caractérisent les cyanobactéries8. Cette découverte indique donc que les mécanismes de la photosynthèse étaient présents à la fin de la période archéenne. Les Eucaryotes devaient l'être également : on a retrouvé leur signature, en l'occurrence des molécules appelées stéranes, dans des roches de cette époque.

Toutefois, l'hypothèse selon laquelle l'ancêtre commun de toutes les bactéries aurait vécu à haute température dans les sources hydrothermales ne remporte pas tous les suffragesV. En effet, elle semble contradictoire avec celle, de plus en plus défendue, selon laquelle les organismes à ARN auraient précédé ceux à ADN. Or, qui dit ARN dit très faible stabilité face à la chaleur. L'hypothèse du « monde à ARN » implique en outre que l'environnement de ces premières formes de vie ait été riche en phosphate, pour permettre aux molécules d'ARN d'avoir accès à cette source indispensable à leur processus d'auto-réplication. D'un point de vue géologique, un tel environnement est principalement présent à proximité de systèmes volcaniques alcalins continentaux. Néanmoins, on trouve aussi des phosphates dans des roches telles que celles qui constituent une grande part du plancher océanique les serpentinites et dans les laves très riches en magnésium émises à l'Archéen. Or, même si la plupart des sources hydrothermales découvertes à ce jour traversent des sols basaltiques, il en existe aussi qui reposent sur des serpentinites, comme l'a montré la découverte du site de Lost City la Cité perdue en 20019. Ces sources hydrothermales, hors dorsale océanique, ne proviennent pas d'une activité volcanique. Elles sont formées de dépôts carbonatés qui résultent d'une réaction exothermique entre l'eau de mer et certains composants de la lithosphère* océanique, lors de la formation des serpentinites. Le fluide qui s'en échappe est très alcalin son pH peut dépasser 9 et relativement froid 40 à 75 °C, soit des conditions plus compatibles avec le « monde à ARN » que celles offertes par les sources hydrothermales localisées dans l'axe des dorsales, et constituées majoritairement de sulfures polymétalliques.

Alors la vie est-elle née dans l'océan au niveau des sources hydrothermales ? Rien n'est moins sûr, même si un solide faisceau de présomptions le laisse supposer. Ne proviendrait-elle pas plutôt... de l'espace ? Cette théorie alternative est soutenue par les exobiologistes, qui postulent que les premiers stades de la vie seraient apparus sur Mars10. Il n'y a pas de véritable consensus quant à l'existence passée ou présente d'un mode de vie sur la planète Rouge. Cependant, en dépit d'une forte activité volcanique lors de sa genèse, les conditions de vie sur Mars auraient été plus clémentes que celles qui existaient sur la Terre à la même période. Comme des collisions de météorites avec Mars sont vraisemblables, elles auraient pu provoquer l'éjection de matériaux de Mars jusqu'à la Terre. Devant ce panel d'explications plus ou moins invérifiables, la fuite en avant est de rigueur. Les explications repoussées vers des contrées interplanétaires, et accessibles quasi uniquement au travers de scénarios de science-fiction, sont de mise. Néanmoins, il arrive parfois que le rêve rejoigne la réalité, avec les missions interplanétaires, passées ou futures, organisées par la NASA sur Mars ou EuropeVI, VII.

Par Franck Zal


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CELLULES SOUCHES ...

 


BIOLOGIE
Cellules souches, résultats embryonnaires


biologie - par Cécile Klingler dans mensuel n°382 daté janvier 2005 à la page 38 (2927 mots) | Gratuit
En 2004, il ne s'est guère passé un mois sans que les cellules souches embryonnaires attirent l'attention des médias. Un discours rituel s'est instauré, qui les présente comme susceptibles de guérir, un jour, les maladies de Parkinson et d'Alzheimer, le diabète, les maladies cardiaques... Mais du fantasme à la réalité il y a un monde.

Autoriser le cannabis à usage médical dans le Montana, augmenter le salaire minimum à 6,15 $ de l'heure en Floride, approuver une loterie d'État en Oklahoma... et accepter de financer la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines en Californie : le 2 novembre, jour d'élection présidentielle, les électeurs devaient aussi se prononcer sur les mesures les plus diverses [1]. Approuvée par 59 % des votants, la proposition 71 ouvre la porte à la création du California Institute for Regenerative Medicine, un institut consacré à la recherche sur les cellules souches embryonnaires - les cellules ES -humaines. Les recherches financées seront prioritairement celles qui ne peuvent bénéficier de l'argent fédéral. Autrement dit, celles portant sur des lignées de cellules ES humaines autres que celles établies avant le 9 août 2001 et recensées par les National Institutes of Health vingt-deux à ce jour. C'est environ 3 milliards de dollars que la Californie devrait injecter, sur dix ans, en émettant des obligations d'État. Soit 300 millions de dollars par an, alors qu'en 2003 l'État fédéral n'en a alloué « que » 25 millions aux travaux sur les lignées autorisées. Autant dire que le chaos législatif qui règne aux États-Unis n'empêchera pas les recherches sur les cellules ES de disposer de budgets colossaux. Chaos législatif ? L'expression n'est pas trop forte : à chaque État sa loi quant au type de recherches autorisées ou non, et pas de loi fédérale, à part celle citée plus haut concernant certains financements. Pas même de loi fédérale bannissant le clonage reproductif !

Un pays, une loi

En France, c'est le contraire. Depuis le 6 août 2004, date d'inscription au Journal officiel de la loi de bioéthique révisée [2], le cadre législatif est clair : le clonage reproductif et le clonage « thérapeutique » sont interdits ; les recherches sur les cellules souches embryonnaires issues d'embryons produits dans le cadre de la procréation médicalement assistée sont autorisées, par dérogation, pour cinq ans. Côté finances, en revanche, c'est encore le flou... De l'autre côté de la Manche, la Grande-Bretagne, pragmatique, dispose quant à elle d'un cadre législatif bien défini - clonage reproductif banni, autorisation des travaux sur les cellules souches embryonnaires, quelle que soit leur source, sous le strict contrôle de la Human Fertilisation & Embryology Authority la HFEA*. Le pays investit des sommes importantes, qu'il s'agisse de financements gouvernementaux ou de fonds privés et associatifs. Ainsi le Medical Research Council l'équivalent de l'Inserm a-t-il alloué en mai 16,5 millions de livres, soit 20 millions d'euros, à des équipes « cellules ES » dont certaines travaillent sur les cellules ES humaines, puis 1,5 million de livres en juin, pour le futur Institut des cellules souches de Cambridge. Un institut dont le reste du financement - d'un montant global de 16 millions de livres - sera assuré par d'autres sources, dont la Juvenile Diabetes Research Foundation.

Qu'il s'agisse des États-Unis ou de la Grande-Bretagne, les fondations consacrées à telle ou telle pathologie sont très mobilisées. Et pour cause : les cellules ES ne sont-elles pas censées, un jour, guérir « les maladies de Parkinson et d'Alzheimer, le diabète, les maladies cardiaques », pour reprendre la liste la plus fréquemment énumérée ? Ces cellules, que l'on extrait d'embryons au stade blastocyste fig. 1, sont en effet pluripotentes, c'est-à-dire potentiellement capables de se différencier en n'importe quel type de cellule.

Maîtriser cette capacité in vitro, voilà le défi qui fait le plus de bruit ! Les articles se succèdent, qui décrivent l'obtention de divers types de cellules à partir de cellules ES humaines. Toutefois, « il s'agit plutôt de l'observation d'une différenciation spontanée des cellules ES, souligne Michel Puceat, directeur de l'équipe « cellules ES et différenciation cardiaque » du CNRS, à Montpellier. On arrive à définir des conditions qui favorisent la croissance ou la survie de tel ou tel type cellulaire parmi tous ceux issus de la différenciation spontanée. Mais nous sommes encore loin de pouvoir nous affranchir de ce phénomène, et de savoir engager le devenir des cellules ES vers un seul et unique type cellulaire ».


Maîtriser la différenciation

Cela dit, la maîtrise in vitro de la différenciation des cellules ES est-elle un préalable incontournable à leur lointaine utilisation clinique ? Pas forcément. Car bien des critères entrent en ligne de compte, selon l'objectif affiché.

Côté coeur, par exemple : veut-on régénérer le muscle après un infarctus, ou traiter des troubles du rythme ? Dans le premier cas, ce sont des centaines de millions de cellules mortes qu'il faudra remplacer. Or, il semble difficile, d'une part, d'obtenir in vitro suffisamment de cellules musculaires cardiaques des cardiomyocytes qui ne soient pas contaminées par d'autres types cellulaires et, d'autre part, de transplanter cette grande quantité de cellules sans les endommager leur appareil contractile, très actif, est fragile. Pour Michel Puceat, la technique la plus appropriée serait donc d'injecter les cellules ES indifférenciées, directement dans le muscle cardiaque. « Cela marche assez bien chez le rat et la souris, avec des cellules ES de souris, indique-t-il. Une bonne part de ces cellules se différencient, la zone nécrosée est réparée, et on constate une restauration de la fonction cardiaque. Mais il arrive aussi qu'on observe des tumeurs, chez la souris... [3] » Aussi son équipe s'est-elle lancée dans un perfectionnement de cette approche, en prétraitant in vitro les cellules ES avec un facteur cardiogénique qui oriente leur différenciation en cellules cardiaques après la greffe. Chez le mouton, les expériences menées en collaboration avec le professeur Philippe Menasché, spécialiste de chirurgie cardiovasculaire à l'hôpital Georges-Pompidou de Paris, ont été concluantes : des cellules ES de souris, prétraitées, se sont différenciées en cardiomyocytes. Du coup, des expériences de validation du concept chez les singes auront lieu en 2005.

Rien à voir avec l'approche employée par l'équipe israélienne de Lior Gepstein, dont l'objectif est de s'attaquer aux troubles du rythme. En l'occurrence, il ne s'agit pas de remplacer des cellules, mais de coordonner le rythme de toutes celles présentes. Des premiers travaux avaient permis aux chercheurs d'Haïfa d'orienter en partie la différenciation spontanée de cellules ES humaines vers la production in vitro de cardiomyocytes, assemblés en petits conglomérats. Or, ces conglomérats battaient en mesure. D'où la tentative de s'en servir comme « pacemaker » chez des porcs, en les injectant dans leur coeur préalablement rendu arythmique. Résultat ? Un rythme régulier a été recouvré, indiquent-ils dans un article publié en ­octobre 2004 [4].

On le voit, la généralisation n'est donc pas de mise. Qu'en est-il du côté des maladies neurodégénératives, les plus citées par celui qui veut déclencher l'enthousiasme des foules vis-à-vis des cellules ES ? Laissons ici de côté la maladie d'Alzheimer, qui, n'en déplaise à Mme veuve Reagan, n'est pas la pathologie pour laquelle les cellules souches offrent le plus d'espoirs lire ci-contre « Alzheimer et cellules souches : un espoir excessif ? ». Prenons la maladie de Parkinson, qui, comme la chorée de Huntington, fait l'objet d'essais cliniques de greffes de neurones foetaux, essais qui constituent une solide base de travail pour qui voudra utiliser les cellules ES. « Les cellules souches peuvent trouver une application, mais pas en tant que telles, insiste Philippe Hantraye, spécialiste du système nerveux central dans l'unité CEA/CNRS du service hospitalier Frédéric-Joliot, à Orsay. Elles s'insèrent dans une démarche globale. Leur rôle principal est de répondre à la problématique suivante : nous n'avons pas, à l'heure actuelle, d'autres cellules à utiliser que les neurones embryonnaires humains, qui fonctionnent, mais sont en nombre limité et posent un problème d'éthique. Par ailleurs, les cellules greffées ne peuvent que remplacer les neurones perdus ; elles ne peuvent s'opposer à la progression de la maladie. »

Contraintes cliniques

Ces neurones perdus, quels sont-ils ? Les premiers affectés dans la maladie de Parkinson sont situés dans une zone appelée substance noire, et émettent des prolongements versune autre zone, le striatum, où ils libèrent de la dopamine. Chez l'animal malade, des cellules embryonnaires ont été injectées dans la substance noire. Mais une fois là elles n'émettent pas de terminaisons dopaminergiques jusque dans le striatum. D'où l'idée de les greffer directement dans ce dernier, où elles se différencient et libèrent la dopamine. « Dans ce cas précis, les cellules souches pourraient faire l'affaire, indique Philippe Hantraye. Mais leur utilisation devra certainement être combinée avec les techniques de transfert de gène : les cellules sont génétiquement modifiées in vitro pour faire en sorte qu'elles se différencient en neurones dopaminergiques après l'implantation, et qu'elles ne génèrent pas de tumeurs comme le font les cellules ES non modifiées [5]. »

La démarche a été tentée chez l'animal, avec des résultats encourageants [6]. Mais pourquoi ne pas plutôt greffer des cellules préalablement différenciées in vitro en neurones ? « Tout simplement parce que, si l'on procède ainsi, les projections neuronales sont cassées au cours de la transplantation, ce qui compromet gravement la survie des greffons », expose Philippe Hantraye. Il recommande par ailleurs de ne pas se livrer à des extrapolations excessives : « Plusieurs équipes ont ciblé Parkinson, car greffer quelques cellules dopaminergiques dans un striatum suffit à obtenir un effet réparateur significatif chez le rat, ce qui permet de publier rapidement [7]. Chez l'homme, les cellules ES représentent certes un potentiel, mais ce sera beaucoup plus compliqué ! » Du reste, à son avis, les premiers essais de greffes de cellules ES chez les humains concerneraient plutôt des patients atteints de chorée de Huntington, pour lesquels on ne dispose pas de moyens de masquer pendant un temps l'évolution de la maladie, comme c'est le cas pour Parkinson avec les médicaments.

Coeur, cerveau... pancréas ? Le 3 juin 2004, l'Inserm a annoncé le premier anniversaire de vie « greffée » d'un patient diabétique ayant bénéficié, au CHU de Lille, d'une transplantation d'îlots de cellules du pancréas celles qui, dans le diabète de type I, sont détruites par un mécanisme auto-immun. Cette technique de thérapie cellulaire, moins lourde que la transplantation de pancréas, est, comme cette dernière, mise en oeuvre quand l'insulinothérapie échoue à contrôler la glycémie. Dans ce contexte, quelle serait la place des cellules ES ? L'idée serait d'orienter in vitro leur différenciation en cellules, pour disposer de davantage de cellules à greffer.

Rejet ou non ?

Mais dans ce domaine, on en est « à peu près au point zéro », assène Raphaël Scharfmann, directeur de l'unité E0363 de l'Inserm, et spécialiste des organes endocrines. « De nombreuses publications sont sorties ces dernières années concernant la production de cellules à partir de cellules ES. Aucune de ces approches n'a tenté de reproduire à partir de cellules ES les étapes physiologiques du développement du pancréas. Et glo{Fbalement les données obtenues ne sont pas reproductibles. » François Pattou, spécialiste de thérapie cellulaire à l'université de Lille et à l'Inserm, insiste quant à lui sur la nécessité d'obtenir des cellules qui répondent physiologiquement au complet cahier des charges d'une cellule ß : des cellules productrices d'insuline, mais aussi parfaitement régulées par le glucose et donc capables de contrôler finement la glycémie. Il pointe également du doigt un autre problème : « L'obstacle majeur, c'est le rejet des greffons. Et ce problème ne sera peut-être pas surmonté avec les cellules souches. » L'immunologie des cellules souches en est certes à ses balbutiements, mais de premiers travaux in vitro indiquent en effet qu'une fois différenciées elles expriment des marqueurs de l'immunité, alors que ce n'est apparemment pas le cas à l'état indifférencié [8].

Du coup, que penser de l'annonce suivante ? Au printemps 2004, la HFEA a autorisé une équipe de Newcastle à tenter d'obtenir une lignée de cellules ES à partir d'embryons produits par clonage, en utilisant le noyau de cellules de patients diabétiques [9]. L'argument avancé par les chercheurs est que les cellules ES ainsi obtenues engendreraient des cellules compatibles avec le malade, permettant ainsi d'éviter le rejet et de s'affranchir d'un traitement immunosuppresseur. Cet argument tient-il la route ? « En ce qui concerne le diabète de type I, cela ne résoudrait rien ! réagit François Pattou. Car n'oublions pas que c'est une maladie auto-immune. On s'affranchirait certes du rejet allo-immun* , mais le système immunitaire du patient détruirait ces très hypothétiques cellules ß personnalisées comme il détruisait celles de son pancréas ! » Sans même parler de tous les aléas et incertitudes de la manoeuvre de clonage, et de son très faible rendement en matière d'obtention de lignée, tel qu'illustré par la tentative coréenne de mars 2004 lire « Clonage et cellules souches », p. 31.

Lignées malades

Du reste, côté rejet, certaines expériences avec des cellules ES « normales » provenant d'un embryon non cloné, ont donné des résultats surprenants. Ainsi l'équipe de Michel Puceat a-t-elle réalisé des greffes cardiaques de cellules ES en l'absence du moindre traitement immunosuppresseur, entre animaux de même espèce et entre animaux d'espèces différentes, sans qu'aucun rejet se produise, même après huit mois [10] ! D'autres équipes s'y sont également risquées, avec le même résultat : absence de rejet [11]. « Nous ignorons totalement quel est le mécanisme mis en oeuvre, avoue Michel Puceat. Mais, personnellement, je pense que le recours à des lignées issues d'embryons clonés n'est pas a priori justifié pour résoudre ce problème, et que l'argument d'immunocompatibilité avancé est trop dogmatique. On doit d'abord définir avec précision les caractéristiques immunologiques des cellules ES. »

Côté britannique, plutôt que de s'attarder sur la très « clonesque » annonce de la HFEA, on retiendra donc plutôt les résultats de l'équipe de Stephen Minger, du King's College à Londres. En septembre 2004, ils ont annoncé avoir produit une lignée de cellules ES humaines porteuses de l'anomalie génétique responsable de la mucoviscidose [12]. La première lignée « malade » disponible. Cette lignée a été dérivée d'un embryon obtenu par fécondation in vitro dans le cadre d'un protocole de diagnostic préimplantatoire DPI : une analyse est réalisée sur une des cellules de l'embryon à trois jours de développement, pour déterminer s'il est ou non porteur de la maladie, de façon à n'implanter chez la mère qu'un embryon dépourvu de la mutation. La technique est utilisable pour les maladies génétiques incurables pour lesquelles les gènes responsables ont été clairement identifiés - la mucoviscidose par exemple, mais aussi la chorée de Huntington, ou certaines maladies neuromusculaires.

L'intérêt de telles lignées est double. D'abord, elles consti­tuent un « modèle » cellulaire plus « humain » qu'une lignée de souris transformée avec le gène muté humain. « Cette démarche permettra d'acquérir des données précieuses sur les mécanismes qui font que les cellules meurent ou dysfonctionnent, appuie Philippe Hantraye. Avec cette réserve, nuance-t-il, que les cellules s'adaptent à l'in vitro, et que certains des mécanismes observés peuvent n'exister que dans ces condi­tions de culture. Donc, cela n'affranchit pas des études in vivo. »

Cellules voyageuses

Cette approche devrait sous peu être mise en oeuvre par des équipes françaises dans le cadre d'une collaboration européenne coordonnée par Marc Peschanski, qui dirige l'équipe chargée de mettre en place un futur institut des cellules souches financé par l'Inserm, le Genopole et l'AFM à Évry. Des embryons « malades », obtenus dans le centre de DPI strasbourgeois dirigé par Stéphane Viville, seront envoyés à l'Institut de recherche sur les cellules souches d'Édimbourg. Ils ne seront pas congelés, mais voyageront dans du milieu de culture et arriveront donc « frais » à destination. Là, l'équipe d'Austin Smith établira les lignées, lesquelles seront ensuite réexpédiées en France. Pourquoi ce périple ? D'une part, parce que les chercheurs français doivent se former à l'établissement de lignées de cellules ES humaines. D'autre part, en raison d'impératifs extra­scientifiques : si la loi de bioéthique inscrite au Journal officiel en août 2004 autorise ce genre d'expériences, le seul décret d'application paru pour l'instant ne permet que l'importation de cellules ES [13].

Les lignées porteuses d'une mutation pourront également être mises à profit pour tester l'effet de différentes molécules sur les cellules différenciées «malades ». Mais même les lignées de cellules souches ES normales pourraient être utilisées comme plate-forme de test. A priori, elles constituent en effet un outil intéressant pour évaluer l'impact de différents composés sur le potentiel de différenciation des cellules. Le potentiel de cette approche est pris en considération par les instances européennes, dans le cadre du 6e programme-cadre de la DG Recherche. Ainsi, l'un des contrats signés à l'issue du premier appel d'offres finance un projet de recherche, appelé ReProTect, dont une petite partie consiste à étudier la validité de l'utilisation des cellules ES humaines comme méthode alternative à l'expérimentation animale en embryotoxicologie [14]. il est difficile de prédire l'avenir, mais s'il est loin de n'appartenir qu'aux seules cellules souches embryonnaires, elles en feront indéniablement partie.

LE CONTEXTE : Dans la maison « cellules souches », deux familles cohabitent : les cellules souches embryonnaires et les cellules souches adultes. Les premières peuvent se différencier en tout type cellulaire. Les secondes n'engendrent normalement que les types cellulaires d'un ­lignage bien précis. Leur capacité à engendrer des cellules sans rapport avec leur lignage d'origine, démontrée in vitro, est très discutée dès qu'il s'agit d'in vivo. Cette incertitude renforce l'attrait des cellules souches embryonnaires. Les débats éthiques qu'elles suscitent ont contribué, dans plusieurs pays, à l'instauration de lois posant les limites des recherches sur l'embryon. Dans d'autres, ils sont si vifs qu'ils freinent l'adoption d'une législation. Mais dans beaucoup la recherche sur les cellules souches embryonnaires devient une réalité incontournable.

Par Cécile Klingler

 

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