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LES FONCTIONS ... |
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MATHÉMATIQUES
Un analogue de l'analyse complexe
mathématiques - par Philippe Pajot dans mensuel n°481 daté octobre 2013 à la page 18 (591 mots) | Gratuit
Les mathématiciens souhaitent étudier les fonctions sur les entiers d'une nouvelle manière. Pourquoi ?
Jérôme Poineau* Prenons l'ensemble Z des entiers relatifs. L'étude de cet ensemble est toujours faite en le considérant comme sous-ensemble de R (l'ensemble des réels), par exemple. En procédant ainsi, Z n'est pas étudié de manière intrinsèque, mais comme plongement dans un ensemble plus grand. Or, ce plongement fait perdre des informations sur l'ensemble, notamment des informations arithmétiques.
Qu'apporte dès lors votre approche ?
J.P. Avec cette approche, on considère justement l'ensemble Z de manière intrinsèque et non comme sous-espace d'ensembles plus grand. Avec cette démarche, on pourrait traiter les fonctions dont les coefficients sont des entiers relatifs de la même manière que l'on traite les fonctions d'une variable complexe dans C, l'ensemble des nombres complexes. L'avantage est que l'on disposerait alors du puissant outillage analytique associé à l'étude du plan complexe et développé depuis plus d'un siècle, ce qu'on appelle l'« analyse complexe ». Ce que j'ai fait est précisément de trouver les premiers résultats en direction d'un analogue de l'analyse complexe pour l'ensemble Z (lire « Les fonctions à coefficients entiers », p. 19).
Est-ce la première fois qu'un analogue à l'analyse complexe est recherché ?
J.P. Non, dans les années 1960, l'Américain John Tate avait cherché un tel analogue, mais pour les nombres p-adiques, nombres qui s'écrivent comme développement infini de puissance des nombres premiers. Mais l'approche de Tate était assez compliquée à mettre en place et l'analogie avec l'analyse complexe n'était pas toujours claire. La difficulté est que si l'ensemble R peut être représenté par une droite continue, l'ensemble des nombres p-adiques est un ensemble de points totalement discontinu : les éléments de cet ensemble ne sont pas reliés entre eux. Du coup, c'est plus dur d'y faire de l'analyse.
Comment la situation s'est-elle débloquée ?
J.P. En 1990, Vladimir Berkovich a imaginé de nouveaux espaces liés aux nombres p-adiques, que l'on peut se représenter comme un arbre très touffu, ressemblant à une figure fractale : à chaque point p-adique, de nombreuses branches partent, et sur ces branches, d'autres branches qui partent, etc. Cette idée permet d'avoir un véritable espace topologique de sorte qu'on retrouve la notion de segment, qui manquait dans l'approche de Tate. Or cette notion est essentielle pour faire quelque chose qui ressemble à de l'analyse. L'autre avantage de la définition de Berkovich est que non seulement on peut considérer un espace construit à partir des nombres p-adiques, mais aussi construit à partir de l'ensemble Z. Berkovich a défini cet espace, mais ne l'a pas étudié.
C'est en revanche ce que vous avez fait. Quels sont les premiers résultats de votre étude ?
J.P. Dans ma thèse, j'ai d'abord étudié l'espace construit à partir de l'ensemble Z en dimension 0 et 1 (la figure donne une idée de cet espace en dimension 0) [1]. Puis, j'ai montré que pour les espaces de Berkovich sur Z, quelle que soit la dimension considérée, on a des propriétés analogues à celle des espaces analytiques complexes [2]. Par exemple on peut y définir correctement la notion de dimension. J'ai aussi trouvé sur ces espaces l'analogue du principe du prolongement analytique, essentiel en analyse complexe (le fait qu'il suffise de connaître une fonction au voisinage d'un point pour la connaître partout sur le plan complexe). On ne dispose pas encore sur l'espace de Berkovich sur Z de la richesse des outils dû au développement historique de l'analyse complexe. Mais ces résultats prometteurs laissent augurer que l'on pourra aborder les polynômes à coefficients entiers de manière radicalement nouvelle.
Par Philippe Pajot
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LE NOMBRE D'OR ... |
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MATHÉMATIQUES
Le nombre d'or, en trois lettres
mathématiques - par Benoît Rittaud dans mensuel n°429 daté avril 2009 à la page 28 (503 mots) | Gratuit
Dans quelles bases un nombre s'écrit-il de manière unique avec seulement trois chiffres différents ?
Un nombre x entre 0 et 1 étant donné, son développement décimal est la donnée d'une suite de chiffres entre 0 et 9. Ce mode de représentation utilise deux choses distinctes. La première est la valeur p de la base ici : p = 10, qui fixe les rapports entre les différents ordres de grandeurs. La seconde est l'« alphabet », formé des chiffres autorisés ici : 0, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9.
Depuis les travaux fondateurs d'Alfred Rényi en 1957, les mathématiciens s'intéressent à des systèmes de numération plus généraux. Une première généralisation concerne le choix de la base p , qui peut être un autre entier que le nombre 10 mais aussi, plus généralement encore, une valeur non entière. Une seconde généralisation concerne l'alphabet, que l'on peut choisir différemment du simple ensemble des entiers entre 0 et p - 1, comme nous y sommes habitués.
Vilmos Komornik, de l'université de Strasbourg, Anna Lai, de l'université La Sapienza de Rome, et Marco Pedicini, de l'institut de calcul appliqué Mauro Picone de Rome, se sont intéressés aux cas où l'alphabet a trois éléments, qu'une simple réduction permet de choisir égaux à 0, 1 et m où m est quelconque, au moins égal à 2 mais non nécessairement entier [1] . Selon la valeur choisie pour m, ils déterminent l'existence d'une valeur critique notée pm qui vérifie que, quel que soit p plus grand que pm , il existe toujours un nombre qui peut s'écrire d'au moins deux manières différentes en base p à l'aide des seuls chiffres 0, 1 et m.
La démonstration repose sur l'introduction de suites dites « admissibles », qui sont des suites de chiffres de l'alphabet considéré possédant certaines propriétés particulières. Selon la valeur de p, ces suites permettent ou non de définir un nombre possédant deux écritures différentes.
Pour un alphabet à deux éléments, que l'on peut toujours ramener, via une simple transformation, aux chiffres 0 et 1, l'existence d'une valeur critique pour la base était déjà connue : il s'agit du nombre d'or, 1 + Ï5/2, par ailleurs célèbre pour ses nombreuses propriétés mathématiques. Le travail des trois mathématiciens permet donc, d'une certaine manière, de déterminer les équivalents du nombre d'or pour trois lettres. En particulier, lorsque m est de la forme 2 k et seulement dans ce cas-là, on a pm = 2. Entre autres résultats complémentaires, ils donnent une expression explicite de la valeur de pm en fonction de m, et démontrent que pm dépend continûment de m , c'est-à-dire qu'à une petite variation de m correspond une petite variation de pm.
Un intérêt à ce type de travail est que, d'une façon générale, la manière dont un nombre s'écrit dans un système de numération donné est susceptible de fournir des renseignements précieux sur les caractéristiques mathématiques intimes de ce nombre. Ces renseignements diffèrent selon le système de numération employé, et il reste beaucoup à faire pour déterminer les mérites comparés des différents systèmes.
Par Benoît Rittaud
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STRUCTURE DE GROUPE ... |
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MATHÉMATIQUES
Le groupe de Cremona n'est pas simple
mathématiques - par Propos recueillis par Philippe Pajot dans mensuel n°459 daté janvier 2012 à la page 18 (604 mots) | Gratuit
Analysant la structure d'un groupe gigantesque à l'aide de nouveaux outils, les mathématiciens ont découvert des propriétés qui le rapprochent de groupes plus petits.
Vous venez de montrer que le groupe de Cremona n'est pas un groupe simple. Pourquoi est-ce important ?
S.C. Le groupe de Cremona est le groupe essentiel de la géométrie algébrique, la géométrie où les formes que l'on regarde sont définies par des polynômes. De manière générale, la structure de groupe est liée à la notion de symétrie. En géométrie classique, euclidienne, le groupe est celui des translations et des rotations ; en géométrie algébrique plane, c'est le groupe de Cremona. Sa définition, elle, s'énonce simplement : c'est le groupe dont les éléments sont des transformations du plan qui envoient toute courbe polynomiale sur une autre courbe polynomiale. Autrement dit, il préserve cette propriété qu'un objet défini par une équation polynomiale reste défini, après transformation par un élément du groupe, un polynôme. Il faut une infinité de paramètres pour lister tous les éléments de ce groupe. C'est donc un groupe infini gigantesque. Federigo Enriques a conjecturé en 1894 que ce groupe est simple, ce qui signifie qu'il est insécable, autrement dit que son étude ne peut être réduite à celle de groupes plus petits. Avec Stéphane Lamy, de l'université Toulouse-III, nous avons réfuté cette conjecture [1] .
Comment vous y êtes-vous pris ?
S.C. Les groupes ont été introduits d'abord comme outils pour comprendre des problèmes de géométrie ou d'algèbre. Par exemple les groupes de Galois qui sont des groupes de symétries internes aux solutions d'une équation algébrique. À la fin du XIXe siècle, on a compris que l'étude du groupe apporte plus d'informations que la géométrie ou l'équation sous-jacente. Puis on s'est mis à étudier les groupes en tant que tels, comme objets géométriques propres. Grâce à ce changement de point de vue, on obtient de nouvelles techniques sur de nouveaux objets. Notamment, les équations de la mécanique des fluides incompressibles peuvent être retrouvées en étudiant les groupes de transformation de l'espace qui préservent les volumes. Ce sont ces outils issus de l'algèbre, des systèmes dynamiques et de nouvelles méthodes géométriques que j'ai appliqués simultanément au groupe de Cremona lire « Géométrie hyperbolique », ci-dessous.
Quel objet vous a intéressé ?
S.C. Rappelons que l'on travaille dans le plan avec deux variables, x et y . Du coup, on peut écrire les transformations du groupe ses éléments comme des transformation du plan : x et y sont transformées en x' et y' ; les formules de transformations sont des polynômes ou, plus généralement, des quotients de polynômes. Les degrés de ces polynômes pouvant être arbitrairement grands, le groupe de Cremona dépend d'une infinité de paramètres. Une des difficultés est que les transformations ne sont pas forcément bien définies en tout point. Ainsi, si x' = x/y, une indétermination apparaît lorsque x et y s'annulent simultanément. Le groupe de Cremona n'est donc pas, à proprement parler, constitué de transformations du plan dans lui-même. En revanche, une construction de géométrie algébrique permet de réaliser ce groupe comme un ensemble d'isométries les transformations qui conservent les longueurs d'un espace hyperbolique : c'est
là que les techniques mentionnées précédemment vont s'appliquer.
Que vous a appris cette étude ?
S.C. D'abord que les techniques qui fonctionnaient bien pour étudier des groupes avec un nombre fini de paramètres permettent d'étudier certains groupes de dimension infinie, tel le groupe de Cremona [2] . Ce dernier partage ainsi des propriétés essentielles avec des groupes plus petits, comme les groupes linéaires des groupes avec un nombre fini de paramètres. L'interaction entre la géométrie des groupes à la Gromov et la géométrie classique a été très fructueuse.
Par Propos recueillis par Philippe Pajot
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UNE LILITE UNIVERSELLE POUR LES CARTES |
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MATHÉMATIQUES
Une limite universelle pour les cartes
mathématiques - par Propos recueillis par Philippe Pajot dans mensuel n°458 daté décembre 2011 à la page 18 (655 mots) | Gratuit
En faisant tendre vers l'infini le nombre de domaines délimités sur une carte plane, les mathématiciens ont obtenu un objet abstrait, la « carte brownienne ». Ils commencent à en étudier les propriétés.
Vous venez de démontrer un résultat important sur les graphes à deux dimensions. De quoi s'agit-il ?
J.-F.L.G. Les objets étudiés sont les graphes planaires, des graphes avec des sommets et des arêtes dessinés dans le plan, ou plutôt sur la sphère, ce qui revient au même par projection. À partir d'un graphe, on obtient une carte planaire, un peu analogue à une carte géographique. Ces cartes planaires sont utilisées par exemple dans le « théorème des quatre couleurs » : celui-ci stipule que l'on peut colorier entièrement une carte planaire avec seulement quatre couleurs sans avoir deux couleurs identiques adjacentes. On appelle faces les régions délimitées par les arêtes. Ce que j'ai montré, c'est que, quand le nombre de faces tend vers l'infini, la limite de ces cartes planaires aléatoires est, dans un certain sens, toujours la même : elle est unique.
Comment avez-vous étudié cette limite ?
J.-F.L.G. Le point de départ consiste à prendre un cas particulier de carte où toutes les faces sont des triangles. Si l'on étudie le nombre de manières dont les triangles peuvent s'agencer les uns par rapport aux autres, on s'aperçoit qu'il y a un nombre fini de configurations en disant que deux triangulations sont équivalentes si on peut passer de l'une à l'autre par déformation continue. Ensuite, on choisit au hasard, pour un nombre n de faces donné, une triangulation dans cet ensemble de configurations. Le but est d'obtenir les propriétés typiques de cette triangulation, de cette carte aléatoire, en particulier les propriétés liées aux distances, ce que l'on appelle la métrique.
Qu'est-ce que la distance sur un graphe ?
J.-F.L.G. Sur une carte ou sur un graphe, la distance est le plus petit nombre d'arêtes sur un chemin qui va d'un sommet à un autre. Il a été montré récemment que le « diamètre » d'un graphe planaire typique à n faces, autrement dit la plus grande distance entre deux sommets, est de l'ordre de n 1/4 lorsque n tend vers l'infini.
Comment résumer votre démarche ?
J.-F.L.G. À partir de cette triangulation à n faces choisie au hasard, on opère un changement d'échelle en divisant les distances par le facteur n 1/4 puis, lorsque n tend vers l'infini, on se retrouve avec une suite d'espaces métriques aléatoires. En analysant la convergence de cette suite et en étudiant le comportement des géodésiques voir l'encadré, j'ai réussi à montrer que cette suite d'espaces métriques aléatoires converge vers un espace aléatoire limite unique, qu'on appelle la carte brownienne [1] . Mon collègue de l'université Paris-Sud Grégory Miermont est arrivé de son côté au même résultat en partant des quadrangulations de la sphère [2] : on recouvre la sphère de quadrilatères plutôt que de triangles.
À quoi ressemble cette carte brownienne ?
J.-F.L.G. C'est un objet abstrait que l'on ne peut pas représenter dans l'espace ordinaire. Mais on sait que topologiquement il est équivalent à une sphère. On peut l'imaginer un peu comme une sphère de dimension 3 une hypersphère de dimension plus grande que la sphère ordinaire pleine de piquants.
Cet objet abstrait apparaît-il dans d'autres domaines ?
J.-F.L.G. La carte brownienne est un bel objet mathématique. Mais elle intervient aussi en physique. Les liens entre les cartes planaires et la physique fondamentale ont été établis dès les années 1970 dans le cadre des théories de jauge, des théories des champs fondés sur des groupes de symétrie. Aujourd'hui encore, les surfaces aléatoires intéressent beaucoup les physiciens théoriciens. Les cartes planaires et leur limite continue, la carte brownienne, pourraient ainsi fournir une approche mathématique rigoureuse à ce qu'on appelle la gravité quantique en dimension deux. L'interaction entre physiciens et mathématiciens est constante dans ce domaine.
Par Propos recueillis par Philippe Pajot
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