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L'HUMANITÉ A-T-ELLE UN AVENIR ? |
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L'humanité a-t-elle un avenir? texte intégral
et aussi - par Theodorius Dobzhansky dans mensuel n°99 daté mai 2000 à la page 24 (5672 mots) | Gratuit
Depuis des millénaires, chaque groupe humain a modifié son environnement physique et culturel immédiat en fonction de ses besoins et de ses possibilités locales. Par un effet en retour, ces actions plus ou moins anarchiques ont affecté de tout temps l'évolution de l'espèce humaine. Mais le progrès technique accélère la cadence de ces modifications, amplifie la puissance des moyens mis en jeu, élargit à l'échelle de la planète tout entière l'environnement de chaque être humain, jadis limité à une « niche écologique » relativement étroite. La communauté humaine se trouve acculée aujourd'hui à un choix décisif et urgent : l'homme va-t-il prendre en main sa propre évolution, ou la laisser se poursuivre sans contrôle ? Ecologistes, démographes et généticiens sonnent l'alarme. Alarme à la destruction de la biosphère, alarme à la surpopulation, alarme à la dégénérescence de l'espèce humaine. Theodosius Dobzhansky, l'un des maîtres actuels de la génétique des populations, recense les moyens que la science met ou mettra à la disposition des hommes pour limiter et améliorer leur population. Aux problèmes ici décrits, il n'existe pas de solution purement technique : la morale, la politique, l'économie ont leur mot à dire. Mais, si déplaisante qu'elle soit, nous ne pouvons plus éluder la question que Bertrand Russell, dans un contexte différent, choisissait déjà, il y a une dizaine d'années, comme titre d'un recueil d'essais l'humanité a-t-elle un avenir ?
La condition humaine a, durant le XXe Siècle, subi des changements sans précédent. L'homme a découvert que le monde était trop petit pour lui. Les ressources naturelles de la planète sont insuffisantes pour ses habitants. L'espèce humaine, devenue trop nombreuse, croît à un taux alarmant : un milliard d'êtres humains en 1850, deux milliards en 1925, trois en 1960 ; on en prévoit quatre pour 1980 et cinq pour 1990. Une consommation très inégale des ressources naturelles aggrave encore cet état de choses : ainsi la population des Etats-Unis, qui ne représente qu'environ 6% de la population totale du globe, consomme à elle seule plus de la moitié des matières premières produites. Il semble improbable que le reste de l'humanité puisse atteindre un tel niveau dans l'immédiat, a fortiori avec l'effectif prévu pour la fin du siècle.
Amère ironie de cette situation ! l'humanité est menacée par son propre succès. L'espèce humaine est un produit de l'évolution biologique ; l'accroissement de sa population et l'expansion de son aire de répartition, critères habituels du succès évolutif de toute espèce biologique, risquent de se retourner contre elle. Le monde n'a déjà plus de territoires inoccupés, et le nombre croissant de ses habitants fait planer des menaces de famine et d'étouffement. Il est donc clair que l'homme ne peut plus laisser sans contrôle l'évolution de sa propre espèce. L'évolution biologique de l'humanité n'est pas terminée, ni remplacée par l'évolution culturelle celles-ci ne sont ni exclusives ni indépendantes elles sont au contraire étroitement liées.
N'est-ce pas le summum de la présomption que de croire l'homme capable de contrôler l'évolution de l'humanité, de l'imaginer apte à assumer cette effroyable responsabilité dont l'enjeu n'est rien de moins que le devenir du genre humain lui-même ? Qui déterminera les buts vers lesquels l'humanité doit être dirigée ? Questions terriblement difficiles auxquelles je ne prétends pas fournir de réponses toutes prêtes. Les problèmes envisagés ne sont que partiellement biologiques ; les aspects sociologiques et éthiques sont, eux aussi, considérables. Pourtant, l'homme n'a plus le choix entre la prise en main ou le rejet du fardeau que représente le contrôle de son évolution. Il n'a plus le choix, car il a découvert qu'il évolue. Or la connaissance des lois de l'évolution croît rapidement et la biologie évolutive a, de nos jours, fait de si remarquables progrès que la décision de ne rien faire reviendrait à fuir gravement nos responsabilités. D'une façon ou d'une autre, il faut faire face au problème du contrôle de l'évolution humaine.
Surpopulation et limitation des ressources.
De tous les problèmes socio-biologiques que l'humanité doit résoudre, celui de la surpopulation est le plus critique, le plus urgent, le plus essentiellement vital. La population que la terre peut faire vivre a des limites finies, limites que personne ne connaît exactement. Elles dépendent de la capacité de production des substances nécessaires à la vie, capacité qui augmente par suite du progrès technique. Elles dépendent aussi du niveau de vie, c'est-à-dire du taux de consommation de ces substances.
Le premier des besoins est, évidemment, la nourriture. De remarquables progrès ont été faits au cours des dernières années dans ce domaine, plus particulièrement en Orient. Grâce à ces progrès, la consommation alimentaire par tête s'est non seulement maintenue, mais a légèrement augmenté malgré l'accroissement de population. Toutefois il est peu probable que cela puisse se prolonger indéfiniment. Même si l'humanité pouvait envoyer son excédent de population sur d'autres planètes ce qui relève évidemment de la fantaisie pure, la nourriture et les autres ressources deviendraient insuffisantes à plus ou moins brève échéance. C'est d'ailleurs déjà le cas puisque les deux tiers de la population du globe sont sous-alimentés tandis que l'autre tiers est suralimenté. Il est fort douteux que l'on puisse produire assez de nourriture pour la population de 5 à 6 milliards d'hommes prévus pour la fin de ce siècle.
Le moyen d'arrêter l'accroissement galopant de la population est aussi simple dans son principe qu'il est difficile à mettre en pratique. Tant que le nombre moyen de naissances excède le nombre de décès par unité de temps, la population va croissant. Lorsque ces nombres sont égaux, la population est stationnaire ; lorsque les naissances sont moins nombreuses que les décès, la population diminue. Aucun individu sain d'esprit ne pouvant proposer de tuer les gens ou de raccourcir délibérément leur vie, la seule solution possible est de restreindre le nombre des naissances. Les moyens d'éviter les naissances indésirables étaient connus et ont été utilisés à tous les stades de développement culturel et technique par une minorité de la population. Ils vont du célibat au mariage tardif en passant par le coïtus interruptus, les substances abortives et l'infanticide. Mais aucun n'est satisfaisant : quelques-uns ne peuvent être pratiqués que par des individus exceptionnels, d'autres sont dangereux pour la santé, d'autres enfin sont considérés comme des crimes. Récemment, quantité de techniques mécaniques et chimiques ont été proposées, parmi lesquelles la pilule et le stérilet sont les plus largement utilisées, bien qu'aucune des deux ne soit absolument parfaite. Il est à peu près certain qu'elles peuvent être améliorées par des recherches ultérieures et l'on peut espérer que la prise de conscience croissante de la gravité du problème de la surpopulation stimulera les recherches dans ce domaine. L'opinion publique ne change pas aussi vite qu'on pourrait le souhaiter, mais elle se modifie tout de même rapidement ; il y a à peine plus d'une décennie, le président Eisenhower déclarait que rien ne concerne moins le gouvernement que le problème du contrôle des naissances et de l'augmentation de la population. Pareille attitude nous semble, aujourd'hui, antédiluvienne.
Les aspects sociologiques et éthiques des problèmes démographiques ne sont pas moins difficiles que les aspects biologiques. Il n'est que de considérer les continuelles et exaspérantes controverses relatives au refus des méthodes contraceptives dites «antinaturelles», comme si la distinction ahurissante entre méthodes «naturelles» et « antinaturelles avait un sens -biologique. Pourquoi la méthode Ogino, qui s'avère inefficace, est-elle considérée comme naturelle, alors que la pilule est dite antinaturelle ? Tertullien, au IIIe siècle, proclamait : « Ce que Dieu ne veut pas produire ne doit pas être produit par les hommes » ! Comment ceux qui utilisent l'avion pour voler, bien que Dieu ne les ait point pourvus d'ailes, osent-ils avancer un tel argument ? Et par-dessus tout, comment défendre ce point de vue quand nous savons que toute la nature, homme et culture compris, change et évolue ? Toutes les civilisations, toutes les techniques s'évertuent à changer la nature, et donc à lui donner des formes dénaturées.
Le contrôle de la natalité restera-t-il du ressort du couple ?
L'expansion galopante de la population soulève bien d'autres questions plus difficiles encore. Toutes les méthodes contraceptives et de planning familial, qu'elles soient dites naturelles ou antinaturelles, sont appliquées si et, quand le couple de parents potentiels le juge bon. Ces décisions sont du domaine le plus privé, le plus intime; chaque être humain est censé avoir un droit inhérent à mettre au monde le nombre d'enfants qu'il désire. Mais de nombreuses parties du monde devenant effroyablement surpeuplées et l'alarmante détérioration de l'environnement. étant de plus en plus généralement reconnue, on commence à se demander s'il n'y a pas lieu de limiter ce droit.
En 1953, Sir Charles Galton Darwin publia un petit livre au titre 'passablement ambitieux : The next million years « le prochain million d'années ». Selon lui, il est évident que tous les êtres humains ne vont pas mettre en oeuvre simultanément le processus de réduction du taux de natalité nécessaire pour désamorcer l'explosion démographique. Dans ces conditions, à la prochaine génération, la descendance de ceux qui contrôlent leur activité reproductrice le plus -tôt et le mieux sera relativement moins nombreuse que celle, des individus qui ne le font pas. Puis, au cours des générations ultérieures, le nombre des personnes désireuses de limiter leur famille ira s'amenuisant. Et une marée humaine submergera une humanité innombrable mais dégénérée.
Bien que le défaut de cette thèse soit l'affirmation implicite, mais fort douteuse, qu'avoir une famille nombreuse est un besoin génétique qui ne peut être . contrôlé par la raison, elle n'en mérite pas moins un examen sérieux. Les taux de croissance de la population sont fort différents d'une partie du monde à l'autre ; les plus hauts se rencontrent en Amérique latine et en Afrique, et les plus bas en Europe et en, Amérique du Nord.
On doit évidemment s'attendre à ce que les descendants des populations latino-américaines et africaines actuelles représentent dans l'humanité future une proportion plus forte qu'actuellement, tandis que, parallèlement, le nombre relatif des Européens et des Nord-Américains décroîtra.
Cela ne peut sembler particulièrement alarmant qu'à ceux qui sont convaincus que les gènes européens et nord-américains sont très supérieurs aux gènes africains et latino-américains. Mais considérons quelle sera la situation quand l'humanité viendra à manquer de nourriture. Ceux- qui ont trop de nourriture par tête devront-ils partager avec ceux qui laissent leur population s'accroître au-delà de la quantité de vivres disponible ? Par ailleurs, vous sentez-vous capable de savourer votre repas quand vous savez que votre voisin meurt de faim ? Ceux qui ont vu la misère des pauvres en Inde ou en Egypte savent que ce n'est pas une simple question de rhétorique. D'autre part, il est possible que l'on atteigne un stade où plus personne ne disposera de nourriture en quantité suffisante. Sera-t-il alors licite de dire : « nous partagerons avec vous. notre maigre pitance à condition toutefois que vous cessiez de faire croître- le nombre de bouches à nourrir, au-delà de ce que vous, et nous, pouvons leur assurer» ? Il ne s'agira plus alors d'une recommandation de réduire le taux de natalité, mais d'un ordre.
supposons maintenant que l'humanité, ou une partie de l'humanité, adopte cette politique de « taux d'accroissement nul ». Le nombre moyen d'enfants par famille nécessaire au maintien de l'effectif de la population serait de deux, ou un peu plus, pour tenir compte
des risques inévitables de mortalité. Pourrait-on alors laisser chaque famille libre de décider du nombre d'enfants qu'elle souhaite ? Plusieurs auteurs qui ont répondu à cette question par la négative ont fait des suggestions qu'aucune nation ou société n'est probablement prête à accepter actuellement.
L'une de ces suggestions est un « système de licences négociables pour avoir des enfants ». Supposons que chaque femme soit autorisée à produire, disons par exemple 2,2 enfants. Une femme souhaitant beaucoup d'enfants devrait acheter à une ou plusieurs autres femmes ne désirant qu'un seul enfant, ou pas d'enfant du tout, des points additionnels lui permettant d'avoir une plus grande famille. D'autres ont suggéré une sorte d'impôt qui, au lieu d'encourager les grandes familles, les découragerait. Des encouragements, financiers ou autres, aux parents de plus d'un enfant qui acceptent de se faire stériliser ont été tentés en Inde, sans grand succès jusqu'ici. Si farfelues que puissent paraître ces propositions, elles ont au moins le mérite d'inciter à en rechercher de meilleures.
Le fardeau génétique et l'humanité de demain.
Je n'aime pas les expressions comme « explosion démographique » ou « bombe démographique » qui ont un petit arrière-goût de propagande. Mais la situation qu'elles évoquent est réellement sérieuse, de plus en plus sérieuse, et soulève de graves problèmes éthiques, auxquels il faut prêter attention. Le problème des anomalies et maladies congénitales, secondaire par rapport à celui de l'accroissement de la population, ne doit pas toutefois être sous-estimé.
Les meilleures statistiques restent actuellement celles collationnées en Irlande du Nord par A.C. Stevenson, il y a vingt ans. D'après lui, 4 % au moins des enfants naissent avec des infirmités de nature génétique qui les handicaperont plus ou moins sérieusement à un moment quelconque de leur vie. À cela s'ajoutent les avortements et néo-mortalités, qui représentent 14 % des grossesses recensées et dont une proportion Inconnue mais substantielle est d'origine génétique. En Irlande du Nord, environ 26 % des lits hospitaliers étaient occupés par des malades atteints d'affections de nature génétique ; les malades de ce type constituaient à peu près 6 % des consultants en médecine générale et 8 % en spécialités. Cela représente bien de la misère humaine, et il n'y a aucune raison de supposer que la population d'Irlande du Nord ait sensiblement plus ou sensiblement moins de maladies d'origine génétique que les autres populations.
Le fardeau génétique des populations humaines augmente probablement de génération en génération. Voici, brièvement présentée, la cause de cette augmentation. Des mutations, c'est-à-dire des modifications du patrimoine génétique, se produisent de temps en temps chez
l'homme, comme elles le font depuis l'aube des temps dans toutes les espèces animales. Quelques mutations - probablement très peu nombreuses - sont utiles et peuvent fournir les matériaux bruts à partir desquels les changements évolutifs sont susceptibles de se produire. Mais la plupart des mutations sont néfastes et produisent des effets qui vont de la létalité à diverses formes d'anomalies plus ou moins graves. La mutation d'un gène donné est un phénomène rare, dont la fréquence est de l'ordre de 1/100000 gènes par génération. Cependant, comme chaque gamète humain porte de quelques dizaines à quelques centaines de milliers de gènes, le taux de mutations total n'est en aucune façon négligeable.
Etant donné que la plupart des mutations sont néfastes. il doit exister un mécanisme susceptible de les éliminer. Ce mécanisme, c'est la sélection naturelle. Les porteurs d'anomalies ou d'infirmités héréditaires ont une progéniture moins nombreuse que ceux qui sont relativement dépourvus de ces faiblesses. Ce processus de non-perpétuation des défauts héréditaires est parfois appelé « mort génétique ». Ce terme est inutilement sinistre ; quelques défauts génétiques causent la mort in utero, durant l'enfance ou bien encore à l'état adulte ; mais il y a aussi « mort génétique » quand le porteur d'un certain gène procrée un enfant de moins qu'il ne l'aurait fait s'il n'avait pas été porteur de ce gène.
Quelques scientifiques pensent que le fardeau génétique peut mener à une dégénérescence biologique et même à l'extinction de l'espèce humaine. Le fardeau génétique s'alourdirait à mesure que passent les générations. La sélection naturelle, qui fut le gardien de la santé génétique de notre espèce, serait aujourd'hui tenue en échec par notre civilisation technique, et plus particulièrement par la médecine moderne, Les déficients génétiques, qui seraient morts sans l'intervention médicale, survivent, se reproduisent et transmettent leurs gènes néfastes aux générations suivantes. De telles prémices semblent impliquer une prophétie de désastre génétique.
Qu'il n'y ait pas de malentendu : je ne nie pas, je ne sous-estime pas l'importance des déficiences génétiques. Mais je n'hésite pas à dire que la menace de détérioration génétique est infiniment plus lointaine que le danger de la surpopulation. Il est exact que l'élimination de certaines déficiences génétiques n'est plus aussi efficace que par le passé. Par exemple, une mauvaise vue n'est pas un sérieux handicap si elle peut être corrigée par des verres ; de même, de mauvaises dents peuvent être remplacées par des prothèses, et le diabète peut être soigné par l'insuline. L'incidence de ces déficiences génétiques va probablement augmenter lentement, mais sensiblement, d'ici à quelques siècles. Néanmoins, précisément parce que ces déficiences peuvent être compensées par des moyens techniques, elles deviennent moins dangereuses ; en un sens, elles apparaissent de moins en moins comme des « déficiences ».
L'euphénique, thérapeutique des maladies héréditaires, est-elle une solution ?
Les moyens de régler le problème des déficiences génétiques se classent en deux grandes catégories : l'eugénique et l'euphénique. L'eugénique se propose soit d'éviter la naissance d'individus atteints de sérieuses infirmités génétiques eugénique négative, soit de promouvoir la formation de garnitures génétiques supérieures eugénique positive ; l'euphénique, elle, essaie de tirer le meilleur parti des potentialités génétiques existantes en modifiant l'environnement dans lequel elles croissent et se développent. Il doit être clair que l'euphénique et l'eugénique ne sont pas deux techniques exclusives l'une de l'autre, mais qu'elles se complètent afin d'améliorer l'espèce humaine.
Un individu est le produit de son environnement, de son milieu ce que les Anglo-Saxons appellent nurture. Plus exactement, la garniture génétique d'un individu, son génotype, détermine son développement dans la succession des milieux qu'il rencontre. En revanche, son phénotype, c'est-à-dire son apparence aussi bien que sa physiologie et son comportement, résulte des interactions de son génotype et des milieux successifs qu'il rencontre : in utero, puis dans la petite enfance, l'enfance, l'adolescence et l'état adulte, enfin dans la vieillesse. Il n'existe pas deux personnes au monde - sauf s'il s'agit de « vrais » jumeaux homozygotes - qui aient le même génotype. Le génotype de chaque individu est unique ; il n'a jamais existé avant lui, il n'existera plus jamais après. Le problème est donc de rendre optimale la collection de génotypes et de phénotypes qui constituent l'humanité. Il n'existe aucun génotype idéal, et il est probablement impossible d'en imaginer un qui soit un parangon de vertus tel qu'il produise des . phénotypes optimaux dans tous les milieux possibles. L'illusion des « mécanistes » de l'hérédité ou des racistes est qu'ils se figurent que de bons génotypes engendrent de bons phénotypes, quel que soit le milieu.
L'illusion des « environnementalistes » est qu'ils s'attendent à ce que n'importe quel génotype donne un excellent phénotype pourvu que le milieu soit bon.
Cependant, la réalité est que des génotypes différents requièrent, pour une manifestation optimale, des conditions de milieu différentes. C'est particulièrement évident dans le cas des maladies héréditaires. Aucun traitement ne peut « guérir » une maladie génétique, en ce sens qu'il ne peut supprimer le matériel génétique défectueux ; mais ce que l'on peut concevoir et c'est l'idée de l'euphénique, c'est un traitement pour obtenir un phénotype sain en empêchant la manifestation des gènes indésirables. Prenons l'exemple de la phénylcétonurie ou de la galactosémie, maladies dues toutes deux à la présence à double dose d'un gène néfaste. Les bébés phénylcétonuriques sont incapables de métaboliser l'acide aminé phénylalanine, présent dans de nombreux aliments, et les galactosémiques, le galactose, sucre du lait. Ces anomalies métaboliques entraînent une sévère arriération mentale et, dans le cas de la galactosémie, des lésions hépatiques et la mort. Lorsqu'elles sont découvertes dans la prime enfance, on peut assurer une santé et un développement mental presque normaux en soumettant les phénylcétonuriques à un régime rigoureusement exempt de phénylalanine et les galactosémiques à un régime exempt de galactose. Autrement dit, les individus possédant ces génotypes ont besoin de conditions de milieu très spéciales, inutiles aux gens normaux.
Les rapides progrès de la génétique et de la physiologie du développement permettent d'espérer une croissance parallèle des possibilités de l'euphénique. Grâce à des régimes alimentaires comme ceux que nous venons de mentionner, et à d'autres traitements spéciaux, les porteurs de certaines infirmités génétiques peuvent 'mener une vie plus ou moins heureuse et productive. Ces remèdes euphéniques sont analogues, dans leur principe, à ceux de la médecine thérapeutique. Mais d'autres développements de l'euphénique peuvent soulever des problèmes éthiques allant au-delà de ceux que l'on rencontre habituellement dans la pratique médicale. Considérons les transplantations d'organes, autour desquelles se fait actuellement beaucoup de publicité. Il peut y avoir pénurie d'organes greffables ; on peut se trouver en présence d'une spéculation financière sur la chair humaine transplantable ; et les opérations et soins post-opératoires sont si difficiles et onéreux qu'ils ne peuvent concerner qu'une minorité parmi les patients qui en auraient besoin. Sur quelle base ces patients seront-ils choisis ? Sûrement pas sur la seule base de leur aptitude à payer. Ces problèmes ne concernent pas un futur hypothétique, lis sont déjà là.
Un problème épineux est celui de la modification du comportement et de la personnalité de certains individus par des moyens neurochirurgicaux ou par conditionnement psychologique, parfois sans leur consentement. Dès la prime enfance, chacun s'engage dans le processus que les anthropologues appellent socialisation ou acculturation. Un enfant doit acquérir au moins les rudiments de la culture de la société dont il fait partie. Cela implique qu'on lui inculque les types de comportement et d'attitudes qui sont considérés comme socialement souhaitables ou au moins acceptables, et qu'on l'écarte des autres. La formation de l'esprit et du comportement par l'éducation a été pratiquée tout au long de l'histoire humaine. Les « lavages de cerveau » qui consistent à modifier le comportement par des moyens psycho-pharmacologiques et par des Interventions neurochirurgicales peuvent cependant aller bien au-delà des formes légitimes de l' « éducation ». Le problème de la drogue dépasse le cadra de cet article, nais on sait que certains proclament que la drogue les rend meilleurs et aiguise leurs facultés. La possibilité de contrôler l'opinion par un conditionnement à grande échelle, avec l'aide de techniques chimiques et physiques, est plus inquiétante encore. On peut très bien imaginer un dictateur induisant le conformisme et l'obéissance de ses sujets, ou leur coopération inconsciente, par ces moyens.
L'eugénique et le meilleur des mondes.
L'euphénique se propose de tirer le meilleur parti des gènes humains existants. Et nombreux sont ceux qui pensent que c'est là tout ce qu'on peut faire pour améliorer l'humanité. On est néanmoins en droit de se demander si cela est suffisant. Comme je l'ai signalé plus haut, il est à craindre que la quantité d'altérations génétiques aille croissant de génération en génération. Nous léguons à nos descendants un fardeau génétique plus lourd que celui reçu de nos ancêtres. Les programmes d'eugénique négative tendent à alléger le fardeau génétique. En d'autres termes, il est raisonnable autant qu'humain d'éviter la naissance d'individus porteurs de sérieuses infirmités génétiques plutôt que de les soigner, même si le traitement réussit effectivement à les maintenir en vie. On ne doit jamais oublier que la naissance d'un enfant anormal est souvent plus douloureuse pour ses parents que pour l'individu atteint lui-même. Le fardeau génétique est aussi un fardeau social, ainsi que la source d'une énorme quantité de misère humaine.
L'eugénique négative seule sera à peine suffisante à longue échéance. La collection des génotypes existant actuellement n'est certainement pas la meilleure qu'on puisse imaginer, même si nous étions capables de la débarrasser des anomalies les plus dramatiques et des maladies héréditaires. On peut arguer avec quelque vraisemblance que le patrimoine génétique humain a été adapté par la sélection naturelle à la vie de nos ancêtres d'il y a un million d'années. L'homme en est-il encore au début de son développement psychologique, est-il encore un chasseur dont le plus grand plaisir est de poursuivre et de tuer ? Cet argument a été si souvent et si grossièrement développé qu'il importe de bien fixer ses limites. L'homme-chasseur diffère du lion-chasseur ou du loup-chasseur en ce sens que le comportement de l'homme n'est pas déterminé par ses seuls besoins innés, mais aussi et surtout par sa culture. On peut l'entraîner à la poursuite et au meurtre, mais on peut aussi l'habituer à détester le meurtre. Toutes les palabres sur l'agressivité innée de l'homme ou son besoin de défendre son territoire doivent être corrigées par la prise en considération du caractère unique de l'évolution humaine. L'homme est la seule créature possédant la conscience d'elle-même, la conscience de la mort, et capable de communiquer par un langage symbolique. Il est biologiquement, congénitalement éducable ; on constate une certaine plasticité dans le développement de son comportement, ce qui ne signifie pas que n'importe quels types d'entraînement ou d'éducation soient également faciles pour tous les individus. Certains ont des aptitudes particulières pour la guerre, d'autres pour la paix, certains pour l'action, d'autres pour la réflexion, certains pour prendre et d'autres pour donner.
Il est inévitable que l'humanité soit amenée, à plus ou moins brève échéance, à diriger son évolution par l'eugénique négative aussi bien que positive. Certains de mes collègues biologistes ont construit de beaux programmes d'amélioration eugénique, qu'ils recommandent de mettre en action immédiatement. Ce qui me surprend le plus est que les auteurs de ces programmes d'eugénique positive sont persuadés qu'ils savent quel est le type d'homme idéal non seulement dans l'immédiat, mais pour tous les siècles à venir. Se sont-ils jamais demandé si leurs conceptions n'étaient pas limitées par l'étroitesse de leurs préjugés ? Leurs utopies risquent de ne pas sembler si merveilleuses à nos lointains descendants qui vivront dans des conditions que nous pouvons difficilement imaginer. L'eugénique négative soulève, dans une certaine mesure, moins de doute que l'eugénique positive. Il est plus aisé de faire l'unanimité sur les génotypes qu'il est souhaitable d'éliminer que sur le génotype idéal. Il y a des centaines de maladies ou de malformations héréditaires que personne ne souhaite voir préserver ou développer.
Outre les inquiétudes concernant les buts de l'eugénique positive, il existe de sérieux doutes quant à ses moyens. La technique de l'accouplement sélectif pourrait être appliquée immédiatement si, d'une part, les gens étaient d'accord quant à ce qu'ils souhaitent sélectionner, si, d'autre part, ils étaient préparés à subordonner leur instinct procréateur à ces fins socialement déterminées. A la fin de sa vie, H.J. Muller, soutenu par Sir Julian Huxley et d'autres, n'hésitait pas à recommander une campagne immédiate qui devrait s'étendre à l'échelle mondiale. La semence des hommes retenus par un comité d'experts eugénistes serait collectée, conservée à très basse température pendant une ou deux générations, puis utilisée pour la fécondation artificielle de femmes qui souhaiteraient porter les enfants d'individus d'élite plutôt que ceux de leur propre mari.
Il est certain que si cela était fait systématiquement et sur une large échelle, la fréquence dans les populations humaines de quelques-uns des traits des individus sélectionnés augmenterait au cours des générations, ce qui, chez l'homme, nécessiterait un ou plusieurs siècles. Le projet Muller-Huxley se heurte néanmoins à tant de difficultés techniques sur le plan biologique et plus encore sur le plan psychologique et sociologique que sa réalisation dans un futur prévisible est fort douteuse. Citons-en seulement deux, l'une biologique et l'autre sociologique. N'importe quel type de croisement dans lequel la sélection ne porte que sur un sexe est moins efficace que ceux portant sur les deux sexes ; par ailleurs, si l'insémination artificielle avec le sperme de donneurs d'élite se répandait largement ou était adoptée en tant que politique d'Etat, quels seraient les experts désignés pour la sélection ? Il est probable, sinon certain, que les politiciens enlèveraient la décision. Alors que l'une des plus grandes découvertes de la science moderne, la libération de l'énergie atomique, a été transformée en instrument de destruction massive susceptible d'entraîner le suicide de l'humanité, les biologistes vont-ils accepter d'en fournir un autre plus dangereux encore par certains aspects ?
Le génie génétique et l'a1génie sont-ils une utopie ?
Inspirés par les grandes découvertes de la génétique moléculaire de ces dernières années, quelques scientifiques et vulgarisateurs ont commencé à établir de nouveaux plans en vue de diriger l'évolution humaine. Qu'il me soit permis de préciser en quelques mots mon attitude vis-à-vis de ces plans. L'examen de l'histoire des sciences montre qu'il est absurde de déclarer qu'une découverte à moins qu'il ne s'agisse du mouvement perpétuel ... ne peut être faite ; de telles déclarations ont souvent été mises en défaut par la réalisation d'une découverte réputée impossible. Mais il est tout aussi imprudent de tenir une découverte pour acquise tant qu'elle n'a pas été faite. Dans cette optique, considérons brièvement quelques-unes des techniques possibles du « génie génétique », techniques susceptibles de rester dans le domaine de la science fiction ou de devenir, au contraire, réalité.
L'algénie, ou clonage, devrait permettre de produire un individu complet, non plus à partir de la fusion de deux cellules sexuelles, mais à partir de n'importe quelle cellule normale du corps. De telles cellules peuvent être aisément obtenues en culture de tissus après prélèvement de peau, par exemple sur un donneur déterminé. Toutefois, il est encore impossible de modifier leur fonctionnement afin qu'elles se comportent comme un oeuf fécondé. Si l'on parvenait à mettre au point une technique adéquate, de telles cellules pourraient se développer en embryon, soit in vivo après implantation dans un utérus, soit in vitro pour donner des « bébés éprouvettes ». Cela n'est pas inconcevable puisque les cellules du corps, ou cellules somatiques renferment tous les gènes de l'individu dont elles sont issues. Autre possibilité : l'invention d'une technique qui détruirait le noyau d'un oeuf et le remplacerait par le noyau d'une cellule issue de la culture des tissus. d'un donneur sélectionné. N'importe laquelle de ces méthodes serait plus avantageuse que le croisement sélectif eugéniste. D'abord, l'exploit serait accompli en une seule génération. De plus, le nouvel individu ressemblerait au donneur aussi étroitement que s'il s'agissait de son « vrai » jumeau. Un père pourrait ainsi être réincarné dans son ou ses fils, et une mère dans sa ou ses filles. Autrement dit, vous pourriez obtenir un ou plusieurs et peut-être même le nombre désiré de bébés génétiquement identiques à vos artistes, écrivains, scientifiques, politiciens ou joueurs de football favoris.
Cependant, la réplication, même des meilleurs génotypes existants, ne suffit pas à certains biologistes ambitieux. En effet, les techniques évoquées ne permettent pas d'obtenir un homme nouveau et perfectionné selon nos desiderata. Le choix reste limité aux individus dont les cellules peuvent être maintenues en culture de tissu. Néanmoins, doter la presque totalité de la population mondiale d'un capital génétique égal à celui des meilleurs de nos contemporains constituerait déjà un succès, et non des moindres. Mais l'imagination nous entraîne bien au-delà.
On peut souhaiter équiper l'homme de gènes qui n'existent pas dans l'humanité vivante. On peut vouloir combiner en un seul génotype des gènes intéressants, présents dans différents individus. Des prouesses encore plus audacieuses du génie biologique seraient alors nécessaires. Il est possible que nous apprenions quelque jour à induire des mutations spécifiques dans le gène de notre choix. Ou encore, on peut rêver de la synthèse de gènes correspondant à des plans donnés, et de leur implantation dans les chromosomes des cellules humaines.
Rien de cela n'a encore été réalisé chez l'homme, ni dans aucune espèce vivante. Pourtant, chez les micro-organismes, on peut déjà réaliser des transductions, c'est-à-dire le transfert d'un morceau de chromosome d'une cellule et l'incorporation de tout ou partie de ce tronçon dans le chromosome d'une autre cellule. L'application de la technique de transduction chez l'homme ouvrirait des perspectives impressionnantes, si elle venait à se réaliser. Elle pourrait être utilisée non seulement pour recombiner les gènes intéressants de différents individus, mais aussi pour éliminer des gènes défectueux et les remplacer par des gènes sains. L'eugénique, tant positive que négative, acquerrait alors des pouvoirs à peine imaginés jusqu'ici.
J'ai donné un aperçu bref et nécessairement superficiel des multiples problèmes auxquels l'humanité doit faire face pour contrôler son évolution. Tout d'abord, la vraie question n'est pas de savoir si nous devons ou non entreprendre de modifier l'évolution de notre espèce. Car c'est ce que l'homme fait déjà depuis des milliers et des milliers d'années, en créant de nouveaux environnements physiques et culturels.
La vraie décision à prendre est celle-ci : Continuerons-nous à nous laisser dériver dans le courant sans nous en rendre compte, ou bien choisirons nous de mettre le cap sur le genre d'avenir qui nous semble le meilleur à la lumière de notre savoir et de notre sagesse? Le plus urgent est celui de la croissance impétueuse de la population ; il doit être réglé au plus tôt. Mais celui de la détérioration de l'environnement, causée par la croissance de la population et les progrès de la technique n'est pas non plus négligeable. Aucun de ces problèmes ne se posait, du moins sous sa forme actuelle, avant notre- époque. Il existait des espaces inoccupés, des ressources inexploitées susceptibles de fournir le nécessaire aux populations excédentaires. Mais aujowd'hui, les limites d'adaptation de notre planète sont clairement visibles. En fait, elles ont été dépassées ; les réssources du monde sont insuffisantes pour donner à sa population actuelle le niveau de vie qui existe dans les pays techniquement avancés.
Le problème de la santé génétique et de la qualité de la population est théoriquement indépendant de la quantité de cette population ; mais, en pratique, il lui est étroitement lié. Cela est dû pour une part, mais pour une part seulement, au fait que les moyens utilisés pour contrôler la quantité de population peuvent également permettre d'améliorer sa qualité.
Toutefois, le point le plus important à long terme est le suivant : que nous nous proposions de limiter la population ou de l'améliorer, nous devons forger une nouvelle éthique de la responsabilité sociale dans la procréation. Nous avons été habitués à ce que tout le domaine de la vie sexuelle et familiale soit considéré comme une affaire privée, dans laquelle les intérêts des individus concernés sont les déterminants essentiels et uniques. Mais cela doit inévitablement changer. Si l'on n'accepte pas librement cette responsabilité sociale, la seule solution est dans la contrainte. C'est une perspective redoutable qui devrait être évitée dans toute la mesure du possible. La plus grande difficulté dans ce domaine vient de ce qu'il ne s'agit pas d'amener des intellectuels à convaincre d'autres Intellectuels, ou de prêcher des convertis ; c'est l'ensemble de l'humanité qu'il faut persuader, ou bien contraindre. En tant que biologiste, j'atteins ici - à moins que je ne les ai dépassées - les limites de ma compétence.
Par Theodorius Dobzhansky
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MONTAIGNE |
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Michel Eyquem de Montaigne
Montaigne
Écrivain français (château de Montaigne, aujourd'hui commune de Saint-Michel-de-Montaigne, Dordogne, 1533-id. 1592).
Né dans un siècle politiquement troublé, Michel de Montaigne consacra la plus grande partie de sa vie à la rédaction de ses Essais, sans cesse remaniés, dans lesquels, tout en se peignant lui-même, il s'attacha à démontrer la faiblesse de la raison humaine et à fonder l”art de vivre sur une sagesse prudente, faite de bon sens et de tolérance. Ni stoïcien, ni épicurien, ni même sceptique pur, Montaigne ne se réfère aux grandes doctrines de l'Antiquité que pour jouer en définitive des unes contre les autres en une forme ouverte et dialogique, qui rend possible l'émergence d'une libre parole d'auteur.
Sa touchante amitié avec Etienne de La Boétie est restée légendaire.
Naissance
28 février 1533, au château de Montaigne, en Dordogne.
Famille
Son arrière-grand-père était un négociant bordelais enrichi, qui a acquis la terre noble de Montaigne (c'est-à-dire Montagne : « ma maison est juchée sur un tertre, comme dit son nom »). Ses oncles sont magistrats ; son père, écuyer (officier du roi), vétéran des guerres d'Italie, puis maire de Bordeaux. Sa mère est issue d'une famille de riches commerçants juifs espagnols, convertie au protestantisme. Michel est l'aîné de huit enfants ; il est catholique, comme son père.
Formation
Il apprend le latin dès l'enfance (comme une langue maternelle), puis fait ses études au collège de Guyenne, à Bordeaux, et enchaîne sur des études de droit, de lettres, de philosophie.
Maturité
Montaigne est conseiller à la cour des aides de Périgueux puis au parlement de Bordeaux (1554–1570). En 1569, il publie à Paris une traduction de la Théologie naturelle de Raymond Sebond que son père lui avait demandée. En 1570, il vend sa charge de parlementaire, se retire dans ses terres et commence la rédaction de ses Essais. Gentilhomme, Montaigne sert fidèlement la royauté alors que règne la fièvre des guerres de religion ; sa modération n'est pas sans lui valoir les attaques des extrémistes des deux camps.
Retiré en « sa librairie »
En 1580, à Bordeaux (dont il sera le maire de 1581 à 1585), paraît la première édition des Essais (en deux livres, à compte d'auteur), qu'il offre à Henri III ; l'ouvrage est réédité à Paris en 1587. Une nouvelle édition des Essais (1588, à Paris) est considérablement augmentée (trois livres). Montaigne continue à enrichir ses trois livres d'additions en vue d'une nouvelle édition (qui sera assurée par Marie de Gournay, en 1595).
Mort
Le 13 septembre 1592 au château de Montaigne ; il est inhumé à l'église des Feuillants, à Bordeaux.
1. Montaigne ou l'honnête homme
1.1. Jeune noble et jeune lettré
Issu d'une famille récemment anoblie et installée au château de Montaigne, le jeune Michel de Montaigne reçoit une éducation humaniste : son précepteur allemand Horstanus ne s'adresse à lui qu'en latin (que tout le monde, domestiques compris, a ordre d'utiliser à portée des oreilles de l'enfant). À 6 ans, il entre au collège de Guyenne à Bordeaux, puis fréquente la faculté des arts. Après avoir étudié le droit, sans doute à Toulouse (1549), il devient conseiller à la cour des aides de Périgueux (1554), puis au parlement de Bordeaux (1557). C'est là qu'a lieu sa rencontre avec Étienne de La Boétie, à qui il vouera une amitié indéfectible.
Éprouvant peu d'enthousiasme pour ses fonctions, Montaigne fréquente la Cour : il accompagne le roi François II à Bar-le-Duc, puis Charles IX au siège de Rouen tenu par les protestants (1562).
Son mariage avec Françoise de La Chassaigne (vers 1545-vers 1602), pour laquelle il ne manifeste pas un grand amour, date de 1565.
La mort de son père trois ans plus tard lui laisse un titre et des terres, et, en 1570, il peut vendre sa charge parlementaire à Florimond de Raemond (1540-1601). Dès 1569, il avait publié, selon un vœu de son père, une traduction de la Théologie naturelle de Raymond Sebond, qui prétendait fonder la loi chrétienne sur la raison. En 1571, il se rend à Paris, reçoit le collier de l'ordre de Saint-Michel, puis se retire dans son domaine, en Dordogne.
1.2. La rédaction des Essais
Installé dans la bibliothèque de son château, sa « librairie », Montaigne commence à dicter les premiers Essais (1572). Son travail est interrompu quelque temps en 1574, au moment de la quatrième guerre de Religion. En 1580 paraît la première édition des Essais, limitée alors aux deux premiers livres. L'auteur entreprend un voyage à Paris pour présenter son œuvre au roi, puis, peu après, se rend en Allemagne et en Italie (1581) pour soigner, dans les villes d'eaux, la maladie de la pierre dont il souffre. Ses notes intimes – qui consignent par le menu ses coliques et ses maux de vessie aussi bien que ses promenades archéologiques – sont rassemblées dans son Journal de voyage (posthume, 1774), où il confirme la relativité des choses humaines : l'« art de vivre » doit se fonder sur une sagesse prudente, inspirée par le bon sens et la tolérance.
Des temps troublés
Le massacre de la Saint-BarthélemyLe massacre de la Saint-Barthélemy
Ayant appris à Lucques son élection à la mairie de Bordeaux, Montaigne remplit sa tâche en magistrat consciencieux (1581-1583), puis est réélu pour un second mandat (1583-1585). Durant ces années de troubles civils, il ménage habilement l'intérêt de la ville dont il a la charge. En 1584, Il reçoit Henri de Navarre (futur Henri IV) ; il se rapproche aussi du duc de Matignon, gouverneur de Guyenne, dévoué à Henri III. C'est ainsi qu'il peut déjouer les intrigues de la Ligue en 1585.
Dans le même temps, comme la peste sévit à Bordeaux, il s'en tient prudemment éloigné. En 1588, lors d'un voyage à Paris, il est dévalisé, puis embastillé au cours des troubles qui suivent la journée des Barricades. La même année, il achève enfin la deuxième édition des Essais, qui paraissent, accrus de nombreuses additions et d'un troisième livre.
Montaigne et La Boétie, son frère d'élection
L'amitié qui lia Montaigne et La Boétie – même si elle fut relativement courte (six ans) – est légendaire. Elle fait le sujet du plus célèbre chapitre des Essais (I, 28) : « Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais, je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant : « Parce que c'était lui, parce que c'était moi. »
Né à Sarlat en 1530, excellent helléniste, poète, magistrat au parlement de Bordeaux où il s'efforça de mettre en pratique la politique de tolérance du chancelier Michel de L'Hospital, La Boétie médita sur la politique dans le Discours de la servitude volontaire ou Contr'un. Les affinités qui le liaient à Montaigne furent multiples : les cultures antique et juridique, le bien public, l'amour de la vertu et de la vie.
Légèrement plus âgé que Montaigne, La Boétie mourut à 33 ans dans les bras de son ami, après lui avoir légué la totalité de ses livres et papiers. Montaigne publia ses œuvres, mais la mort de ce mentor et confident le poussa probablement à écrire ses Essais.
1.3. Entre implication et distance
Maison de Montaigne à BordeauxMaison de Montaigne à Bordeaux
Cependant, Montaigne ne reste pas cantonné à sa « librairie », il participe à la vie publique. En effet, et quoique mal à l'aise dans un monde qu'il trouve corrompu (« De la présomption », II, XVII), Montaigne se rend à l'appel de son souverain. Il sert ainsi d'intermédiaire à plusieurs reprises entre le futur roi de France, Henri de Navarre, et le camp adverse, ce qui lui vaut même de connaître en 1588, durant quelques heures, un séjour à la Bastille. Henri IV, monté sur le trône (1589), cherche à s'assurer ses services. L'auteur des Essais n'ignore rien des dessous politiques de la vie de son pays. Désabusé et dépourvu d'ambition, Montaigne sait que le souverain, assujetti aux mêmes passions et accidents que le commun des mortels, exerce un métier d'autant plus difficile que les opinions libres et objectives lui manquent. Il ne lui ménage pas sa fidélité mais se veut libre de ses sentiments : « Nous devons la subjection et l'obéissance également à tous Rois, car elle regarde leur office ; mais l'estimation, non plus que l'affection nous ne la devons qu'à leur vertu » (I, III).
Château de Montaigne
Ami et parent de huguenots comme de catholiques, Montaigne veut vivre en bonne intelligence avec tout un chacun. Vivant dans l'une des époques les plus tourmentées et les plus intolérantes de l'histoire de France (partout s'allument bûchers d'hérétiques et de sorciers, tandis que fait rage une guerre fratricide), il reste le type parfait des idéaux humanistes d'ouverture, de tolérance, de lucidité et de bon sens.
Il consacre ses dernières années à préparer une nouvelle édition des Essais : celle-ci sera publiée en 1595 par Pierre de Brach (1547-1605), son copiste, et par Mlle de Gournay, une admiratrice devenue sa « fille d'alliance ». Il meurt le 13 septembre 1592.
2. L'auteur d'un seul ouvrage, les Essais
Le projet du livre est simple : « je suis moi-même la matière de mon livre ». Sans détour, Montaigne y expose ses expériences et ses impressions sans ordre déterminé. Un scepticisme serein en fonde l’unité : l’absence de certitudes conduit à la tolérance, au souci de vivre au présent, sans laisser la mort envahir la vie : « C'est une perfection absolue et pour ainsi dire divine que de savoir jouir loyalement de son être. » Montaigne fait l’éloge de l’amitié en des expressions touchantes occasionnées par la mort de son ami La Boétie : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ». Il conseille de distinguer la personne et la fonction, refusant de s’identifier à son rôle de maire de Bordeaux. Il développe une conception de l’éducation fondée sur le principe devenu célèbre : « Mieux vaut une tête bien faite qu’une tête bien pleine. »
2.1. Un ouvrage sans sujet
Montaigne
Écrits sans esprit de système, les Essais ne sont pas définis par un sujet particulier ou une méthode déterminée. Il s’agit, pour Montaigne, d’essayer de décrire des situations ordinaires, de livrer ses réflexions sans artifices ni ordre préconçu, « Entreprenant de parler indifféremment de tout ce qui se présente à ma fantaisie » (I, XXV). À l'insatiable curiosité d'esprit de l'auteur des Essais, de la tristesse à l'usage de se vêtir, à l'oisiveté et aux cannibales, des postes à la colère ou à la vertu, tout semble bon à faire son butin, et qu'il se penche sur les problèmes éducatifs, qu'il nous livre ses réflexions sur les voyages ou qu'il médite sur les thèmes les plus éternels de la vie et de la mort, il est lui-même le commun dénominateur à toute chose : « Je suis moi-même la matière de mon livre » affirme-t-il dans l’Avis au lecteur.
Cette formule a pu donner lieu à bien des contresens. Littéralement, elle signifie que le projet de l’ouvrage est de nature autobiographique. Mais le lecteur attentif est déçu : les Essais nous apprennent assez peu de choses sur la vie de Montaigne. Plus encore, l’ouvrage met en cause la possibilité même de parler de soi. Cette mise en cause repose sur une raison de la plus haute importance : le « moi » n’existe pas ! Pour affirmer son existence, en effet, il faudrait pouvoir l’identifier, le reconnaître dans les diversités de formes qu’il peut prendre et des circonstances en lesquelles il se trouve. Mais l’expérience nous indique tout le contraire. « A peine oserai-je dire la vanité et la faiblesse que je trouve chez moi. J'ai le pied si instable et si mal assis, je le trouve si aisé à crouler et si prêt au branle, et ma vue si déréglée, que à jeun je me sens autre qu'après le repas ; si ma santé me rit et la clarté d'un beau jour, me voilà honnête homme ; si j'ai un cor qui me presse l'orteil, me voilà renfrogné, mal plaisant et inaccessible. Un même pas de cheval me semble tantôt rude, tantôt aisé, et même chemin à cette heure plus court, une autre fois plus long, et une même forme ores plus, ores moins agréable. Maintenant je suis à tout faire, maintenant à rien faire ; ce qui m'est plaisir à cette heure, me sera quelque fois peine. » (II,XII). La preuve de cette instabilité du moi est donnée quotidiennement. Même l’écriture des Essais, qui devrait donner la preuve du contraire, la confirme : « En mes écrits mêmes, je ne retrouve pas toujours l'air de ma première imagination ; je ne sais ce que j'ai voulu dire, et m'échaude souvent à corriger et y mettre un nouveau sens, pour avoir perdu le premier, qui valait mieux. Je ne fais qu'aller et venir : mon jugement ne tire pas toujours avant ; il flotte, il vague. » (ibid.)
2.2. Un scepticisme bien fondé
Le chapitre XII du Livre II, consacré à l’ « Apologie de Raimond Sebond », expose les principaux motifs du scepticisme.
D’une part, les sens sont trompeurs et la raison ne peut éviter la régression à l’infini : « Pour juger des apparences que nous recevons des sujets, il nous faudrait un instrument judicatoire ; pour vérifier cet instrument, il nous y faut de la démonstration ; pour vérifier la démonstration, un instrument : nous voilà au rouet. Puisque les sens ne peuvent arrêter notre dispute, étant pleins eux-mêmes d'incertitude, il faut que ce soit la raison ; aucune raison ne s'établira sans une autre raison : nous voilà à reculons jusques à l'infini. »
D’autre part, la réalité ne connaît pas de permanence : contrairement à ce que la métaphysique de l’être essaie de nous faire croire, tout est en perpétuel changement, aucune réalité ne conserve son identité dans le temps : « Et si, de fortune, vous fichez votre pensée à vouloir prendre son être, ce sera ni plus ni moins que qui voudrait empoigner l'eau : car tant plus il serrera et pressera ce qui de sa nature coule partout, tant plus, il perdra ce qu'il voulait tenir et empoigner. Ainsi, étant toutes choses sujettes à passer d'un changement en autre, la raison, y cherchant une réelle subsistance, se trouve déçue, ne pouvant rien appréhender de subsistant et permanent, parce que tout ou vient en être et n'est pas encore du tout, Ou commence à mourir avant qu'il soit né. »
La question « Que sais-je ? » n’exprime donc pas le désir de connaître mais la formulation d’une désillusion. La question n’appelle aucune réponse : elle indique simplement la conscience de ne pouvoir identifier les connaissances, dans l’impossibilité où l’on est de savoir ce qu’est savoir !
2.3. Comment savourer l'étrangeté
Cette impossibilité de connaître ne conduit nullement au désespoir. Le scepticisme de Montaigne n’est pas tragique ; il ne donne pas lieu à des lamentations sur la misère de l’homme. Le scepticisme a d’immenses vertus. Il permet de faire droit à la diversité des us et coutumes sans s’offusquer de rien : il est la condition de la tolérance et de la bienveillance. « J'ai honte de voir nos hommes enivrés de cette sotte humeur, de s'effaroucher des formes contraires aux leurs » (III, IX). Longtemps avant que le tourisme ne lance ses compatriotes sur les routes, il s'en prend à ce genre de voyageurs que les siècles semblent incapables de faire disparaître et dont il dit : « Retrouvent-ils un compatriote en Hongrie […] les voilà […] à condamner tant de mœurs barbares qu'ils voient : pourquoi non barbares, puisqu'elles ne sont françaises ». Très frappé par cette étrange manie faisant que « chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son usage » (I, XXXI), il livre en passant cette recette toujours utile à emporter dans ses bagages : « S'il fait laid à droite, je prends à gauche ; si je me trouve mal propre à monter à cheval, je m'arrête ; et faisant ainsi, je ne vois à la vérité rien qui ne soit aussi plaisant et commode que ma maison. »
Outre qu’il permet de regarder avec bienveillances les diverses pratiques, le scepticisme permet également de jouir des pensées des auteurs antiques et contemporains sans autre souci que celui de s’enchanter de leur ingéniosité, de la bigarrure de leurs contrastes. Tout comme l’on prend plaisir à collectionner les bonnes bouteilles, il est possible de se réjouir des textes pour eux-mêmes.
2.4. Une éthique de la modestie
Montaigne se sent « par tout flotter et fléchir de faiblesse » (II, XVII), son esprit adopte une démarche prudente. Montaigne fait du scepticisme sa défense habituelle. Il croit en l'amitié, comme dernier point de la perfection. Quant à l'amour, il n'en parle guère, sinon pour constater que ce « n'est autre chose que la soif de jouissance » (III, V). Et à ceux trop tentés de s'enorgueillir de leur connaissance, de leur savoir, de leur sagesse, il répond : « C'est à Dieu seul de se connaître, et interpréter ses ouvrages » (II, XII), ajoutant : « Ce que je ne crois pas : […] que la science est mère de toute vertu » (II, XII). Et la raison ? « La raison humaine est un glaive double et dangereux » (II, XVII). Quant aux philosophes, « leurs opinions et façons les rendant ridicules » (I, XXIV), il voit peu de matière à les « excuser ». Pas davantage les médecins, exécutés avec une anecdote : « On demandait à un Lacédémonien, qui l'avait fait vivre si sain si longtemps : ‘ L'ignorance de la médecine ', répondit-il. » Montaigne, un jour de 1576, fait frapper une médaille avec son âge et la devise de Sextus Empiricus : « Je m'abstiens ».
2.5. Entre souffrance et plaisir : l'humaine condition
« Il n'est rien si beau et légitime que de faire bien l'homme ; ni science si ardue que de bien et naturellement savoir vivre cette vie » (III, XIII). Aux stoïciens, Montaigne rappelle d'abord que vouloir « se mettre hors d'eux et échapper à l'homme, c'est folie : au lieu de se transformer en anges, ils se transforment en bêtes » (III, XIII). Certes, il ne faut pas laisser « friponner » l'âme par les sens, mais sa noblesse ne s'en évalue pas pour autant dans le sublime : « Sa grandeur ne s'exerce pas en la grandeur, c'est en la médiocrité » (III, II).
L'homme doit savoir souffrir. Pareillement, il doit savoir jouir. Et pareillement, sans excès : « J'ordonne à mon âme de regarder et la douleur et la volupté, de vue pareillement réglée » (III, XIII). Cet épicurisme personnel, Montaigne nous en donne la recette quand il écrit : « Je passe le temps quand il est mauvais et incommode ; quand il est bon, je ne le veux pas passer, je le retâte, je m'y tiens » (III, XIII). Et l'on s'aperçoit qu'il ne manque pas d'une certaine recherche du raffinement. Jusque dans le sommeil, ayant, dit-il, « autrefois trouvé bon qu'on me le troublât, afin que je l'entrevisse » (III, XIII). Aimant la vie dans tout ce qu'elle peut lui offrir, Montaigne se « compose pourtant à la perdre sans regret » (III, XIII). Une fois encore et comme dans tout ce qui touche à l'humaine réalité, il s'en remet à la sagesse naturelle, affirmant : « J'accepte de bon cœur et reconnaissant, ce que nature a fait pour moi » (III, XIII), et, une fois encore, ici comme en matière de philosophie, les opinions qu'il retient pour règle d'existence « sont les plus solides, c'est-à-dire les plus humaines et nôtres » (III, XIII).
2.6. Philosopher, c’est apprendre à mourir
Vivre fait ainsi l’objet d’un apprentissage. Si le scepticisme ôte au verbe « apprendre » sa légitimité théorique, il lui redonne un sens pratique : apprendre à vivre, c’est tirer les leçons pratiques que les expériences les plus ordinaires nous donnent.
La première est que notre vie ne se vit qu’au présent. Ainsi faut-il se libérer de ce qui obscurcit le présent, les craintes, les regrets. La mort est obsédante : rien ne nous fait si peur que la nécessité de devoir mourir un jour ; rien ne nous afflige tant que la mort de nos proches. Il nous faut donc remporter sur elle la victoire la plus libératrice : lui ôter son étrangeté ; il convient de s’accoutumer tellement à sa réalité qu’elle ne mine plus notre présent. En ce sens, « Philosopher, c’est apprendre à mourir. »
Evaristo Baschenis, Instruments de musiqueEvaristo Baschenis, Instruments de musique
Cet apprentissage ne consiste pas à s’exercer à mourir, ce qui serait aussi pervers qu’impossible. Contrairement au Socrate du Phédon de Platon, il ne s’agit pas ici de préparer la séparation de l’âme et du corps par l’ascèse mais, plus simplement, de rendre possible de jouir de la vie en supprimant ce qui y fait obstacle. La vertu réside dans cette capacité de savoir vivre authentiquement : « le principal bienfait de la vertu, c'est le mépris de la mort, moyen qui fournit notre vie d'une molle tranquillité, et nous en donne le goût pur et aimable : sans qui toute autre volupté est éteinte » (I, 9).
2.7. Une conception originale de l’éducation
Fort enclin à s'intéresser au devenir des enfants – ceux des autres, car, pour les siens, il parle assez sereinement de la mort de « deux ou trois » disparus en nourrice –, il professe en matière de pédagogie et d'éducation des idées si en avance sur son temps qu'elles restent encore pour beaucoup les clefs d'or de l'art d'enseigner. Au hasard de la lecture « Des menteurs », « De l'affection des pères aux enfants », « De la ressemblance des enfants aux pères », « Du pédantisme », « Des trois commerces », « De la colère » ou « De la modération », il offre l'occasion de découvrir peu à peu les principes d'une pédagogie qu'il expose pour Diane de Foix, comtesse de Gurson, dans le célèbre essai « De l'institution des enfants » (I, XXVI).
Limitée en apparence, puisque destinée aux seuls garçons, et fils de bonne famille de surcroît, cette pédagogie n'en contient pas moins un fond de vérité permanente et universelle : « Le gain de notre étude, c'est en être devenu meilleur et plus sage », et déjà le choix du précepteur de son futur élève en atteste la qualité, un « conducteur qui eut plutôt la tête bien faite que bien pleine ». Rejetant dogmatisme et verbalisme, prenant pour seuls critères de valeur ceux de la réflexion et du jugement personnels, l'observation directe et l'ouverture d'esprit sur l'opinion des autres, rappelant que « ce n'est pas assez de lui roidir l'âme, il lui faut aussi roidir les muscles », elle tend vers l'équilibre harmonieux des qualités de l'âme, de l'esprit et du corps, qui confère à celui qui la pratique une éternelle jeunesse.
2.8. Une pensée politique très libre
La sagesse sceptique conduit à une méfiance salutaire envers les institutions et les pratiques politiques qui se justifient par la vérité de leurs principes. S’il faut douter en matière théorique, combien encore faut-il pratiquer le doute à propos des pratiques humaines. Les relations sociales sont réglées par des lois et des coutumes qui ont le mérite de rendre possible la coexistence. Cette puissance ne leur est pas conférée par la vérité mais par l’accord implicite du plus grand nombre ; cet accord est comme un consensus issu de l’histoire. Les coutumes ne sont pas légitimes en vertu de leur conformité avec un ordre des choses immuables ou une Nature éternelle : rien de tel ne nous est accessible ; il faut donc se passer des absolus tels que la Justice et reconnaître une vertu de l’épreuve du temps. « Les lois prennent leur autorité de la possession et de l'usage ; il est dangereux de les ramener à leur naissance ; elles grossissent et s'ennoblissent en roulant, comme nos rivières ; suivez-les contremont jusques à leur source, ce n'est qu'un petit surgeon d'eau à peine reconnaissable, qui s'enorgueillit ainsi et se fortifie en vieillissant. Voyez les anciennes considérations qui ont donné le premier branle à ce fameux torrent, plein de dignité, d'horreur et de révérence : vous les trouverez si légères et si délicates, que ces gens-ci qui pèsent tout et le ramènent à la raison, et qui ne reçoivent rien par autorité et à crédit, il n'est pas merveille s'ils ont leurs jugements souvent très éloignés des jugements publics. » (II, XI) Le caractère dérisoire des lois et coutume à leur source ne doit pas faire douter de leur pertinence pratique dès lors qu’elles se justifient par leur longévité même. La résistance au temps est le signe d’une efficience.
Auguste Sainson, Débarquement de Dumont d'Urville sur la plage de TucopiaAuguste Sainson, Débarquement de Dumont d'Urville sur la plage de Tucopia
La légitimité des coutumes fondée sur le consensus ne doit toutefois pas conduire à justifier toute pratique au motif qu’elle est plus éloignée de l’origine. Il faut aussi être libre à l’égard de ce qui est reçu pour ordinaire : l’art de faire varier les points de vue peut libérer de la barbarie familière. Il faut ainsi reconnaître une valeur de la naïveté, de cette proximité avec la situation native, dénuée de sophistication perverse : « Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir reçu fort peu de façon de l'esprit humain, et être encore fort voisines de leur naïveté originelle. Les lois naturelles leur commandent encore, fort peu abâtardies par les nôtres. » (I, XXX) Ainsi des renversements peuvent-ils s’opérer : les cannibales ont des leçons d’humanité à nous donner.
2.9. Humilité et humanisme
L’humanisme ne peut donc pas ignorer les faiblesses et les limites de l’homme. L’humanisme de Montaigne est dépouillé de tout orgueil. « La présomption est notre maladie naturelle et originelle. La plus calamiteuse et frêle de toutes les créatures, c'est l'homme, et quant et quant, la plus orgueilleuse. Elle se sent et se voit logée ici, parmi la bourbe et le fient du monde, attachée et clouée à la pire, plus morte et croupie partie de l'univers, au dernier étage du logis et le plus éloigné de la voûte céleste. » (II, XII)
Outre la position dérisoire de l’homme dans l’univers, sa faiblesse apparaît dans les limites de ses facultés, mises au jour par la critique sceptique. L’apologie de l’homme qui en ferait le centre de tout est donc irrecevable. Il faut aller jusqu’à mettre en cause la différence entre les hommes et les animaux. Rien ne permet d’affirmer que les hommes se distinguent des animaux par une différence de nature et non pas seulement de degré. L’argument souvent tiré de la présence de la langue chez les hommes est spécieux : le fait que nous ne comprenons pas les animaux ne permet pas de conclure qu’ils sont privés de l’intelligence, mais simplement que nous n’avons pas de langage commun. « Quand je me joue à ma chatte, qui sait si elle passe son temps de moi plus que je ne fais d'elle ? […] Ce défaut qui empêche la communication d'entre elles et nous, pourquoi n'est-il aussi bien à nous qu'à elles ? C'est à deviner à qui est la faute de ne nous entendre point ; car nous ne les entendons non plus qu'elles nous. Par cette même raison, elles nous peuvent estimer bêtes, comme nous les en estimons. » (ibid.)
L'humanisme des Essais a pour finalité la formation morale de l'homme, par une écriture de soi qui conduit Montaigne à penser et agir en toute sincérité, sous le regard vigilant du juge qu'il s'est lui-même donné : le lecteur .
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COMMENT LES FRANÇAIS REGARDENT LA SCIENCE |
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Comment les Français regardent la science
idées - par Aline Richard, La Recherche dans mensuel n°455 daté septembre 2011 à la page 84 (1720 mots) | Gratuit
Une bonne image, en général. De sérieux doutes, en particulier : l'opinion positive que se font les Français de la science n'est pas exempte de crispations, comme le révèle le sondage La Recherche-Le Monde, réalisé par l'institut Ipsos à l'occasion du Forum Science, Recherche et Société.
A lors que l'on questionne couramment les Français sur leurs préférences politiques, modes de vie, opinions sur la justice, le sport, les vacances et les voitures, peu de sondeurs, ces dernières années, les ont interrogés sur ce qu'ils pensent de la science et de la technologie. À en croire l'un des résultats de l'étude que nous vous présentons ici, c'est une grave erreur : les Français expriment en effet un très fort intérêt pour l'actualité scientifique, les enjeux de la recherche, ses innovations et ses applications : 70 % des personnes interrogées se déclarent intéressées par ce domaine, bien plus que par la politique 56 %, l'économie 50 % et - ô surprise ! -le sport 45 % [1] . Commandé par La Recherche et le journal Le Monde à l'institut Ipsos à l'occasion de notre Forum Science, Recherche et Société [2] , ce sondage permet en tout cas de se faire une idée sur ce que nos concitoyens attendent de la science et de ses acteurs.
Une photographie de l'opinion d'autant plus intéressante que le contexte sociétal a beaucoup évolué ces dernières années, pas dans le sens que souhaiteraient nombre de scientifiques : entre autres éléments, les crises sanitaires et environnementales ont provoqué une défiance envers la figure de l'expert, assimilée à celle du scientifique, soupçonné de ne pouvoir résister aux pressions des pouvoirs économiques et politiques. Ce manque de confiance se révèle crûment dans ce sondage, et touche les domaines les plus sujets aux controverses OGM, nucléaire, climat.
Et pourtant, en tant que grandes idées de progrès, la science et les technologies qui lui sont associées n'ont rien perdu de leur force d'attraction. En effet, 75 % des personnes interrogées estiment qu'elles peuvent apporter des solutions aux problèmes que nous rencontrons aujourd'hui. « C'est un résultat extrêmement positif dans le contexte de pessimisme absolu des Français lorsque l'on évoque l'avenir » , souligne Brice Teinturier, directeur général délégué d'Ipsos. Cette espérance se double d'une vraie confiance envers les acteurs, chercheurs ou institutions, dont la capacité de communication sur les travaux et les enjeux des recherches est saluée.
La parole aux scientifiques
Information nouvelle à tirer de ce sondage : il montre que de façon très concrète, le public s'est approprié une part de science à travers les technologies nées des sciences de l'information et de la communication, très attractives pour les personnes interrogées. Au point qu'elles estiment en devenir dépendantes ! Pour l'institut Ipsos, il s'agit là d'une marque d'attachement qui renforce l'opinion positive du public à l'égard de la science.
Approuvés, les scientifiques ne sont pourtant pas encensés. Il leur est demandé de faire preuve d'encore plus d'ouverture et de mieux informer. Un effort essentiel à l'heure où l'information scientifique jaillit de toutes parts sur le réseau mondial, sans qu'elle soit forcément validée par les principaux intéressés. Par ailleurs, l'aspiration d'une partie des amateurs de science à une participation plus grande est également un facteur de changement. Le sondage le montre : les Français attendent des scientifiques qu'ils reprennent fortement la parole dans le débat public.
1. La science est toujours facteur de progrès
Pour 56 % des sondés, la science reste celle rêvée par Condorcet : une force puissante au service du progrès humain. Ainsi, estiment-ils, nos enfants et petits-enfants vivront mieux grâce à la science et aux technologies qui lui sont associées. De façon plus précise, que nous apportera la science dans l'avenir ? Elle permettra de résoudre de grands fléaux, en particulier dans le domaine de la santé : sida, cancer et maladie d'Alzheimer pourront être efficacement combattus, espère une très large majorité de sondés. Ils n'hésitent pas non plus à parier sur la capacité des scientifiques à découvrir de nouvelles formes de vie dans l'Univers, domaine spéculatif s'il en est. En revanche, l'objectif concret de résoudre les problèmes de faim dans le monde et d'accès à l'eau grâce à la science est jugé moins crédible. « Comme si les Français estimaient qu'il s'agissait là de problèmes qui ne peuvent être résolus qu'à travers des choix de société ou par l'action de la puissance publique » , avance Brice Teinturier.
Enfin, le sondage révèle un hiatus entre ce qu'imaginent les Français sur les possibilités de la science et ce qu'il en est réellement. Ainsi, contrairement à l'opinion exprimée par une majorité de sondés, les scientifiques ne sont pas en mesure de prévoir les tremblements de terre, du moins dans un avenir raisonnable. En revanche, l'homme bionique est déjà une réalité implants cochléaires, bras articulés, projets de pancréas, coeur et oeil artificiel....
2. La cote d'amour des chercheurs au plus haut
Un plébiscite ! 92% des sondés font confiance à la communauté scientifique pour leur expliquer enjeux et débats des recherches en cours. De même, la cote d'amour du CNRS est élevée 86 % des sondés lui font confiance. « Je ne suis pas surpris de la bonne image d'instituts comme le CNRS, perçu comme une source d'information valable et fiable, susceptible de faire progresser l'ensemble des connaissances », commente Pierre Corvol, administrateur général du Collège de France. Notons que les critiques récurrentes contre son fonctionnement bureaucratique et sa faible productivité en matière de brevets ne semblent pas avoir marqué le grand public. Sur la question du contrôle des recherches, la confiance est également au rendez-vous. Les sondés créditent les scientifiques d'un bon respect des règles législatives et administratives qui encadrent leurs travaux.
Le socle de confiance envers les chercheurs apparaît donc solide. Et il est d'autant plus impressionnant quand on le compare au très faible degré de crédibilité accordée au personnel politique. Ainsi, 73 % des sondés ne jugent pas dignes de confiance les députés spécialisés dans les questions scientifiques. C'est pire pour le gouvernement : seuls 18 % des sondés croient en lui. Pour Ipsos, ce rejet doit s'analyser dans un contexte large de défiance des Français vis-à-vis du politique, phénomène que l'Institut a quantifié dans bien d'autres domaines. Mais pour Philippe Kourilsky, ancien directeur général de l'Institut Pasteur et professeur au Collège de France : « Le discrédit qui touche les politiques est une très mauvaise nouvelle. Après tout, la science dépend de la puissance publique. »
3. Méfiance sur les sujets controversés
La confiance globale envers la science est bonne, mais elle n'est pas pour autant approbation aveugle. Sur certains sujets, les personnes interrogées expriment une opinion mitigée, voire une claire défiance, envers les scientifiques. «L'opinion s'élabore sur les enjeux de la recherche dans des domaines spécifiques, plus ou moins bien compris par le public », estime Brice Teinturier. Les énergies nouvelles par exemple : les sondés estiment bien en saisir les enjeux, et ils créditent volontiers les chercheurs de leur dire la vérité sur leurs résultats. Mais ce n'est pas le cas dans les domaines des cellules souches, des neurosciences et des nanotechnologies. L'opinion des sondés y est mitigée, peut-être parce qu'ils ne connaissent pas bien ces recherches. « Je ne m'attendais pas à cette défiance. Il y a certainement un problème de compréhension, et peut-être d'abord de vocabulaire. Il nous faut travailler pour accroître les connaissances dans ces domaines et faire preuve de pédagogie », souligne Pierre Corvol. On peut espérer qu'au fur et à mesure que ces domaines seront mieux compris les Français se forgeront une opinion plus précise.
Le scepticisme envers la science apparaît sur les sujets qui ont fait l'objet de fortes controverses ces dernières années : OGM, nucléaire, réchauffement climatique. Polémiques impliquant politiques, experts, associations, mais aussi chercheurs : « Quand il y a désaccord au sein de la communauté scientifique, comme on l'a observé dans le dossier du réchauffement, l'inquiétude et la défiance dominent » , analyse Brice Teinturier. Pour Philippe Kourilsky, le problème renvoie à la question de l'expert. « Son statut est ambigu. il n'est pas forcément un scientifique, de même qu'un scientifique n'est pas forcément un expert. Son statut mériterait d'être contractualisé. Car si l'expertise est non transparente, le public ne peut avoir confiance».
Défiance massive sur le nucléaire
Les réponses sont sans appel. Une majorité de sondés n'accorde pas sa confiance aux scientifiques pour dire la vérité sur les résultats et les conséquences de leurs travaux sur le nucléaire. Plus grave encore, ils ne sont que 26 % à penser qu'au moment où il y aura évaluation de la sûreté de nos centrales nucléaires les chercheurs travailleront en toute indépendance et produiront des résultats fiables.
Trente ans après Tchernobyl, l'image du nuage radioactif s'arrêtant à nos frontières ne semble pas s'être dissipée. Et l'accident de Fukushima n'a rien arrangé. La défiance exprimée par les sondés ne signifie pas forcément que les antinucléaires « patentés » aient remporté la partie : on observe graphique p. 87 que la cote d'amour des associations environnementalistes n'est pas particulièrement élevée. Mais d'autres facteurs peuvent jouer. « La défiance s'exerce non pas directement contre les scientifiques, mais plutôt contre les conditions dans lesquelles ils peuvent faire leur travail dans ce secteur du nucléaire. Il s'agit plus, à mon avis, d'une critique en creux du politique et des forces économiques liées au nucléaire » , avance Brice Teinturier.
4. Un enjeu pour la démocratie
La science ne peut plus ignorer l'opinion car celle-ci l'interpelle à haute voix : 93 % des sondés estiment qu'il est important de connaître les enjeux de la recherche pour comprendre le monde dans lequel ils vivent mais 80 % s'estiment insuffisamment informés et consultés. « Dans le domaine des nanotechnologies, par exemple, on a organisé un an et demi de débats, et il y a toujours aujourd'hui ce déficit d'information et cette défiance sur les "nanos". Comment créer de nouvelles formes de débats publics ? » s'interroge Claudie Haigneré, présidente d'Universcience. Une société démocratique devrait, ainsi, renforcer le lien entre science et public : ce dernier est en attente d'explications les plus objectives possibles, plus que de prises de position éthiques ou politiques : « Les scientifiques ont intérêt à donner de l'information sur les enjeux des recherches pour éviter que ne se creuse un large fossé entre spécialistes et citoyens » , estime Brice Teinturier. C'est d'autant plus crucial à l'heure où l'information scientifique sort de ses canaux habituels pour être très largement diffusée sur Internet. Un nouveau regard public se porte aujourd'hui sur le travail des scientifiques. À eux de savoir y répondre.
Par Aline Richard, La Recherche
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CYBERNÉTIQUE |
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CYBERNÉTIQUE, subst. fém.
Science qui utilise les résultats de la théorie du signal et de l'information pour développer une méthode d'analyse et de synthèse des systèmes complexes, de leurs relations fonctionnelles et des mécanismes de contrôle, en biologie, économie, informatique, etc. La cybernétique mécaniste; les automates, les postulats de la cybernétique; un congrès de cybernétique. La cybernétique pose l'angoissante question des robots, capables de surpasser l'homme dans ses mécanismes mentaux (Huyghe, Dialogue avec visible,1955, p. 392).La cybernétique mécanise les problèmes neurologiques (Hist. gén. sc.,t. 3, vol. 2, 1964, p. 661).Acquisitions de la cybernétique et de la sociologie des communications (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 424):
La cybernétique représente un des progrès les plus remarquables de la technique, de la science et de la philosophie contemporaines. Les postulats mécanistes abandonnés, on ne se trouve pas en présence de la cybernétique, moins quelque chose. On a au contraire la cybernétique, plus un procédé puissant pour explorer les problèmes de la vie et de la conscience... Ruyer, La Cybernétique,1954, p. 236.
− Emploi adj. Propre à la cybernétique, relevant de la cybernétique. Opération cybernétique; conception, esprit, interprétation, pensée cybernétique; modèles cybernétiques. On notera enfin que les organes cybernétiques remplacent l'homme dans l'exécution d'opérations mentales : ce sont des « machines à penser » (Couffignal, Mach. penser,1964, p. 67).Comme une machine l'est [« informée »], au sens cybernétique, par une autre machine (Perroux, Écon. XXes.,1964, p. 427).Le simulateur cybernétique va d'ailleurs beaucoup plus loin dans la déshumanisation (David, Cybern.,1965, p. 94).
♦ P. plaisant. Finalement Charles (...) s'approche lentement de l'écouteur, puis (...) il profère ce mot cybernétique : Allô (Queneau, Zazie,1959, p. 151).
Rem. 1. Ac. Compl. 1842, Besch. 1845, Lar. 19e-Lar. encyclop., Littré, Guérin 1892, Quillet 1955, Lar. Lang. fr. attestent aussi le subst. fém. au sens vx de « partie de la politique qui s'occupe de l'art de gouverner, dans la classification d'Ampère ». 2. Gilb. 1971 et la docum. attestent les dér. suiv. a) Cybernétiser, verbe trans. ,,Appliquer la cybernétique`` (Gilb. 1971). Attesté par la docum. uniquement au part. passé en emploi adj. Le droit administratif est actuellement la partie la plus « cybernétisée » du droit (David, Cybern., 1965, p. 141). b) Cybernétisation, subst. fém. ,,Application de la cybernétique (à une technique)`` (Gilb. 1971). La cybernétisation de la gestion administrative (David, op. cit., p. 140).
Prononc. : [sibε ʀnetik]. Étymol. et Hist. I. 1834 « étude des moyens de gouvernement » (A.-M. Ampère, Essai sur la philos. des sc., 1repart., Tableau synoptique des sc. et des arts). II. 1948, 28 déc. « étude des processus de contrôle et de communication chez l'être vivant et la machine » (Père Dubarle ds Le Monde, p. 3 d'apr. trad. de l'angl. de N. Wiener, Cybernétique et Société [Cybernetics and Society. The Human Use of Human Beings], Deux Rives, 1952, p. 258 : Une nouvelle science : La Cybernétique. Vers la machine à gouverner?). I empr. au gr. κ υ ϐ ε ρ ν η τ ι κ η ́ « art de piloter; art de gouverner ». II empr. à l'angl. cybernetics de même orig. que I, réintroduit par le mathématicien américain N. Wiener [1894-1964] attesté en 1948 (N. Wiener, Cybernetics, 19 ds NED Suppl.2: We have decided to call the entire field of control and communication theory, whether in the machine or in the animal, by the name Cybernetics). Fréq. abs. littér. : 14. Bbg. Ac. Fr. Dict. de l'Ac. Préparation de la 9eéd. Banque Mots. 1973, no5, p. 98. − Dub. Dér. 1962, p. 51. − Heyde (J. E.). Kybernetes = « Lotse »? Ein terminologischer Beitrag zur Kybernetik. Spr. Techn. Zeitalter. 1965, t. 15, pp. 1274-1286. − Rat (M.). Les Lettres de noblesse de la cybernétique. Vie Lang. 1955, p. 447.
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