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À la source des rayons cosmiques |
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À la source des rayons cosmiques
Antoine Letessier-Selvon dans mensuel 424
daté novembre 2008 -
On inaugure ce mois-ci l'observatoire Auger, le détecteur le plus vaste jamais conçu. Ses premières observations éclairent déjà l'une des grandes énigmes de l'astrophysique : l'origine des particules cosmiques de très haute énergie.
Ce sont les particules les plus puissantes de l'Univers : leur énergie extrême dépasse les 1020, soit des centaines de milliards de milliards, électronvolts * eV. En comparaison, les particules étudiées dans les plus grands accélérateurs, y compris celles attendues au tout nouveau LHC à Genève, sont dix millions de fois moins énergétiques. Pourtant, le mystère entourant la nature et l'origine des « rayons cosmiques de très haute énergie », c'est ainsi qu'on les nomme, constitue l'une des grandes énigmes en astrophysique. D'où viennent-ils ? Que sont-ils ? Des protons, des noyaux d'atomes lourds, des particules exotiques ? Comment atteignent-ils des énergies aussi extrêmes ? Autant de questions qui restent ouvertes.
Particules secondaires
C'est pour tenter d'y répondre que le plus vaste observatoire astronomique du monde, l'observatoire Pierre-Auger, a été déployé dans la Pampa argentine, par 35º de latitude sud et 65º de longitude ouest, au pied de la cordillère des Andes. Sa construction vient de s'achever. Au final, c'est un ensemble de 1 600 capteurs et 24 télescopes répartis sur 3 000 kilomètres carrés, soit un quart de l'Ile-de-France, que l'on inaugure ce mois-ci. Pas moins de 450 physiciens de 17 pays participent à ce défi tant scientifique que technologique.
C'est que les rayons cosmiques de très haute énergie sont très rares puisque à peine un par siècle et par kilomètre carré atteint la surface de la Terre. De plus on ne les détecte pas directement : arrivés au sommet de l'atmosphère, ils interagissent violemment avec celle-ci et produisent une cascade de milliards de particules. Et ce n'est qu'à travers cette cascade de particules secondaires qui bombardent le sol que l'on peut espérer découvrir la nature et la provenance du rayon cosmique qui l'a déclenchée, ainsi que la source de son énergie extrême.
Revenons un instant sur la découverte de ces mystérieux messagers qui traversent l'Univers. En 1912, à bord de son ballon à hydrogène et à 5 000 mètres d'altitude, l'Autrichien Victor Hess découvre qu'un flux de particules chargées venu de l'espace pénètre l'atmosphère terrestre. Ensuite, en 1938, grâce à des détecteurs installés dans les Alpes, le Français Pierre Auger enregistre l'arrivée de particules simultanément à différents endroits : c'est la première observation d'une cascade atmosphérique de particules secondaires, nées de la collision de la particule initiale avec les molécules de l'atmosphère. Il évalue à 1015 eV, l'énergie de l'événement. C'est à l'époque le rayon cosmique le plus puissant connu. Le seuil de 1020 eV est dépassé en 1962 : le premier rayon cosmique de très haute énergie est en effet détecté par les capteurs d'un réseau déployé au Nouveau Mexique [1] .
Mais plus leur énergie est élevée, plus les rayons cosmiques sont rares. Et ces nouvelles données ne dissipent guère le mystère de leur origine. De nombreuses hypothèses sont avancées, mais aucune n'est satisfaisante.
En revanche, en 1966, les rayons cosmiques font l'objet d'une prédiction théorique très intéressante. L'existence d'un fond diffus cosmologique, héritage du premier rayonnement émis par l'Univers 380 000 ans après le Big Bang, vient d'être prouvée un an plus tôt. L'Américain Kenneth Greisen d'un côté et les Russes Georgiy Zatsepin et Vadim Kuz'min, de l'autre, remarquent que les rayons cosmiques doivent forcément interagir avec les photons de ce fond diffus. Or une telle interaction devrait réduire considérablement leur énergie. Ainsi des rayons cosmiques voyageant sur des distances intergalactiques ne devraient jamais dépasser les 60 X 1018 eV. Un seuil connu aujourd'hui sous le nom de limite « GZK ». Si cette prédiction est juste, une particule qui atteint la Terre avec une énergie supérieure à 60 X 1018 eV proviendrait d'une région relativement proche, c'est-à-dire située à moins de 500 millions d'années-lumière. Quand cette prédiction a été énoncée, aucune expérience n'était capable de la tester de manière fiable, et cela jusqu'au début des années 1990. Au milieu de cette décennie, deux expériences, très différentes dans leur principe, Fly's Eye aux États-Unis et Agasa au Japon, y parvinrent enfin. Mais leurs résultats étaient contradictoires. D'un côté Fly's Eye n'avait enregistré que quelques événements au-delà de 100 X 1018 eV dont un, record, dépassant les 300 X 1018 eV, ce qui est cohérent avec la limite GZK, étant donné que les sources susceptibles d'accélérer des particules à un tel niveau dans notre voisinage sont très rares. De l'autre, selon l'expérience Agasa, le spectre des rayons cosmiques semblait se prolonger sans changement notable, y compris aux énergies les plus hautes. Cette contradiction a provoqué un intense débat.
3 000 kilomètres carrés
D'autant plus qu'un autre point de désaccord existait entre les deux expériences. Agasa observait plusieurs agrégats de deux ou trois rayons cosmiques de 40 X 1018 eV provenant de la même direction, alors que Fly's Eye ne voyait rien de tel. Mais elles s'accordaient au moins sur une chose : aucune source astrophysique au voisinage de notre galaxie n'était visible dans la direction d'arrivée des rayons. Avec seulement une grosse dizaine d'événements détectés au-delà de 100.1018 eV, les chances d'avancer sur ces questions restaient cependant très minces. Seule une forte augmentation des mesures, et donc un dispositif bien plus étendu pouvaient donner l'espoir de lever ces contradictions. Jim Cronin, Prix Nobel de physique, et Alan Watson, de l'université de Leeds, ont alors entrepris d'explorer les moyens d'y parvenir.
En 1992, au cours d'une réunion à Paris sur le campus de Jussieu, les deux chercheurs présentent leur projet, le futur observatoire Auger. Les grandes lignes y sont édifiées. L'année suivante le concept hybride, qui associe les deux techniques de détection utilisées par Fly's Eye et Agasa au sein du même capteur, est mis au point. Et, en 1995, un document de 250 pages précise les objectifs scientifiques et les choix techniques pour la construction. Il décrit un observatoire constitué de deux dispositifs expérimentaux : un réseau de 1 600 capteurs Cherenkov lire « Des cuves par milliers », ci-dessous, répartis sur un maillage de triangles de 1,5 kilomètre de côté, couvre un total de 3 000 kilomètres carrés. Ce déploiement est nécessaire pour maximiser les chances d'enregistrer les particules d'une même cascade réparties sur de très grandes surfaces et remonter ainsi jusqu'au rayon cosmique initial. Ce réseau fonctionne en permanence. Un ensemble de 24 télescopes à fluorescence lire « Lumière fluorescente » ci-contre, installés sur 4 sites du maillage triangulaire, dont les mesures sont plus précises, permet de mieux calibrer l'ensemble des mesures. De plus mesurer le même phénomène par deux instruments différents aide à mieux comprendre les éventuels biais expérimentaux. Tel est le projet sur le papier.
Restait à le mettre en oeuvre, et pour cela satisfaire des critères exigeants et parfois contradictoires : par exemple, couvrir la plus grande surface possible sans pour autant effrayer nos agences de financement ; trouver un site au ciel pur, en altitude, loin de toute pollution, et néanmoins facile d'accès et riche en infrastructures ; et bien sûr convaincre une communauté scientifique internationale aussi large que possible sur un projet très risqué [2] .
Cette même année 1995, Ken Gibbs, de l'université de Chicago, et moi-même sommes partis à la recherche du site idéal avec un cahier des charges très précis. En novembre, l'Argentine est choisie pour accueillir l'observatoire lors d'une réunion fondatrice au siège de l'Unesco à Paris. Et le document final est remis aux agences de financement fin 1996 : le prix à payer s'élève à 50 millions de dollars.
27 événements
Trois ans plus tard, en 1999, le financement en grande partie assuré, la construction commence. Et après quatre ans d'installation, de tests et de validation de nos prototypes, une centaine de cuves sont opérationnelles. L'observatoire enregistre ses premières données exploitables début 2004. Il nous a donc fallu un peu plus de dix ans pour passer de l'idée d'un détecteur grand comme un département à sa réalisation. Mais nos efforts sont vite récompensés. Dès juillet 2005, les analyses préliminaires des premières données, présentées à la Conférence internationale sur les rayons cosmiques de Pune en Inde, prouvent la pertinence de l'observatoire Auger, avec un rythme de détection trente fois plus élevé que les expériences précédentes. Et, en novembre 2007, alors que l'installation du réseau de surface n'est pas encore achevée, les données accumulées suffisent déjà à publier dans le magazine Science des résultats remarquables [3] .
L'observatoire a alors détecté 27 événements d'énergie supérieure à 60 1018 eV, c'est-à-dire dépassant la limite GZK. Ces données et les plusieurs milliers d'enregistrements de rayons cosmiques de moindre énergie, mais tout de même au-dessus de 3 X 1018 eV, ont conduit à des observations fondamentales. En premier lieu, les 27 événements ne sont pas répartis au hasard sur le ciel : pour 20 d'entre eux, il existe dans un rayon de 3 degrés autour de leur direction d'arrivée une galaxie active située à moins de 300 millions d'années-lumière de la Terre, ce qui, à l'échelle de l'Univers, correspond à notre proche banlieue. Une galaxie dite « active » possède un noyau central extrêmement brillant - on parle d'un noyau actif de galaxie. Or, ces objets sont les sources de lumière stables les plus puissantes de l'Univers et le siège de phénomènes mettant en jeu des énergies gigantesques.
Cette découverte a des conséquences. Tout d'abord, elle démontre que l'origine des rayons cosmiques les plus énergétiques, bien que proche, se situe hors de notre galaxie. Ensuite, elle conforte l'une des hypothèses avancées quant au mécanisme qui leur confère une telle énergie. Celle selon laquelle les rayons cosmiques correspondraient à des particules chargées et au repos, accélérées par les champs électriques et magnétiques colossaux entourant certains objets ou phénomènes astrophysiques comme les trous noirs avaleurs de galaxies, les jeunes étoiles à neutrons ou les collisions de galaxies. Dans ces environnements, les particules en question seraient vraisemblablement des protons ou des noyaux de fer. La plupart des rayons cosmiques de très haute énergie seraient donc issus de sources astrophysiques dites proches, probablement des galaxies actives, ou, tout au moins, des objets ayant une distribution similaire dans le ciel. Un rayon angulaire de 3 degrés sur le ciel est en effet très vaste - pour fixer les idées, le diamètre de la pleine lune mesure 0,5 degré. De nombreux objets peuvent s'y trouver, et la proximité des galaxies actives ne suffit pas à les désigner comme les sources certaines des rayons cosmiques.
EN DEUX MOTS D'où viennent les rayons cosmiques, les particules les plus énergétiques qui nous parviennent de l'Univers ? Un observatoire a été déployé depuis 1999 dans la Pampa argentine pour les détecter. À peine achevé, il a déjà enregistré 27 rayons cosmiques dont l'énergie dépasse 60 X 1018 eV. Et ces rayons ne sont pas répartis au hasard. Au voisinage de chacun d'entre se trouve une galaxie active.
Prédiction vérifiée
La mesure du flux de rayons cosmiques en fonction de l'énergie apporte aussi un nouvel éclairage. Elle montre une chute brusque au-delà de 60 X 1018 eV, qui coïncide avec la limite GZK. Ainsi, avant même l'inauguration officielle de l'observatoire, la première collection d'événements commence non seulement à lever le voile sur l'origine de ces fameuses particules, mais apporte la première observation indiscutable de la limite GZK.
Une nouvelle fenêtre sur l'Univers vient de s'ouvrir. À l'instar de la lumière en astronomie classique, les rayons cosmiques très énergétiques pourraient faire figure de nouveaux messagers pour une astronomie alternative. La construction d'un observatoire encore plus grand dans l'hémisphère Nord pour couvrir l'ensemble du ciel, et l'extension de l'observatoire Auger dans le sud pour multiplier les événements détectés devraient nous y aider dans les cinq prochaines années.
[1] J. Linsley, Phys. Rev. Lett., 10, 146, 1963.
[2] M. Boratav, « Des scientifiques dans la pampa », La Recherche, novembre 1999, p. 46.
[3] The Pierre Auger Collaboration, Science, 318, 938, 2007.
NOTES
* Un électronvolt est l'unité d'énergie. Elle équivaut à 1,6 X 10-19 joule, soit l'énergie d'un électron soumis à une différence de potentiel de 1 volt.
CAPTEURS : DES CUVES PAR MILLIERS
LES CAPTEURS CHERENKOV sont des cuves de plastique, de 1,2 mètre de haut et 3 mètres de diamètre, remplies d'eau ultrapure . Les particules de la cascade atmosphérique provoquée par les rayons cosmiques produisent au contact de l'eau un rayonnement lumineux, appelé rayonnement Cherenkov. Ce rayonnement, très faible, est détecté par un ensemble de 3 photomultiplicateurs, sorte de tube cathodique fonctionnant à l'envers, qui transforme la lumière en électricité. Le signal électrique est alors daté grâce à une horloge synchronisée sur les horloges atomiques des satellites du Global Positioning System GPS, au dix milliardième de seconde près et numérisé. Chaque seconde, des milliers de particules traversent les cuves et laissent un petit signal. Seuls les enregistrements pertinents, c'est-à-dire ceux qui comptabilisent le plus de particules, sont stockés localement. Et, pour les vingt qui semblent les plus intéressants, l'heure d'occurrence est envoyée par radio au système central, situé à plusieurs dizaines de kilomètres. Après analyse et comparaison avec les autres enregistrements effectués sur le réseau au même instant, le système central demandera éventuellement l'enregistrement complet stocké par les cuves. C'est cette centralisation qui permet de découvrir a posteriori d'éventuelles corrélations à très grandes distances sur le réseau, et donc de reconstituer les cascades de particules.
OBSERVATION : LUMIÈRE FLUORESCENTE
LES TÉLESCOPES À FLUORESCENCE sont des instruments optiques de très haute sensibilité . Ils permettraient de détecter, à plus de 40 kilomètres, une ampoule de quelques dizaines de watts traversant le ciel à la vitesse de la lumière. Lors du développement de la cascade de particules dans l'atmosphère, les atomes d'azote sont ionisés, et leur désexcitation produit une lumière de fluorescence que détectent nos télescopes. Naturellement, de tels instruments ne peuvent pas fonctionner en plein jour, ni même lorsque la Lune est visible. Alors que le réseau de surface fonctionne 24 heures sur 24 et 365 jours par an, les télescopes ne recueillent des données que 10 % du temps. Mais ils donnent un accès plus direct à l'énergie de la particule incidente et sont donc indispensables pour étalonner l'ensemble du dispositif.
SAVOIR
Le site de l'observatoire Auger.
www.auger.org
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Une nouvelle fenêtre sur l'Univers |
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Une nouvelle fenêtre sur l'Univers
Sylvain Guilbaud dans mensuel 509
daté mars 2016 -
Prédites par Albert Einstein il y a exactement cent ans, les ondes gravitationnelles, imperceptibles ondulations de l'espace-temps, ont été détectées par deux instruments américains. Une prouesse technologique qui marque l'ouverture d'une nouvelle ère pour l'astrophysique.
« Nous avons détecté les ondes gravitationnelles ! » Jeudi 11 février 2016, à Cascina, près de Pise en Italie, à Washington et à Paris, les physiciens ont laissé éclater leur joie lors de l'annonce simultanée de cette découverte exceptionnelle. Et pour cause : c'est une nouvelle ère pour l'astronomie qui s'ouvre en beauté. Les ondes gravitationnelles en question, des vibrations de la structure de l'espace-temps qui se propagent dans l'Univers comme des ondelettes à la surface de l'eau, ont été émises lors de la violente fusion de deux trous noirs situés à plus d'un milliard d'années-lumière de nous ! C'est la première fois qu'un tel phénomène est observé.
Cerise sur le gâteau, cette annonce se produit exactement un siècle après la prédiction théorique de l'existence de ces ondes gravitationnelles par Albert Einstein, dans un article publié en juin 1916. Le célèbre physicien vient alors tout juste de développer la relativité générale, une théorie révolutionnaire selon laquelle l'Univers est constitué par l'espace-temps, une sorte de tissu à la fois immatériel et malléable. L'espace-temps se courbe sous l'effet de la masse des corps célestes, et en retour, les corps célestes se meuvent en épousant la courbure de l'espace-temps.
Les ondes gravitationnelles sont une manifestation de ce caractère malléable de l'espace-temps. Un astre immobile ou dont la masse est répartie de façon sphérique et symétrique comme une étoile engendrera une déformation fixe de l'espace-temps. En revanche, deux astres tournant l'un autour de l'autre, par exemple, ont le même effet qu'un caillou jeté dans un lac : la déformation se propagera sous la forme d'une onde. Si dans le cas du caillou, les molécules d'eau s'agitent de bas en haut, dans le cas des ondes gravitationnelles, c'est l'espace-temps qui vibre.
« Nous avons observé exactement ce qu'Einstein avait prédit » , assure David Reitze, directeur exécutif de Ligo, l'observatoire qui a permis cette découverte aux États-Unis. Une nouvelle preuve qui valide la relativité générale. Les ondes gravitationnelles avaient certes déjà été détectées indirectement en 1974 par les Américains Russell Hulse et Joseph Taylor, qui reçurent pour cette découverte le prix Nobel de physique en 1993. « Cependant, cette détection directe ouvre une nouvelle fenêtre d'observation sur l'Univers », sourit Benoît Mours, responsable pour la France de l'instrument Virgo, l'analogue de Ligo installé en Italie.
UN AUTHENTIQUE TOUR DE FORCE
Si cette découverte est à ce point extraordinaire, c'est que cette expérience représente un authentique tour de force. Les longueurs se contractent au passage d'une onde gravitationnelle, mais, en dépit de l'intensité des phénomènes cosmiques qui les causent, leur effet est minuscule : il faut pouvoir capter des déformations cent millions de fois plus petites que la taille d'un atome ! Pour cela, inutile d'utiliser une règle matérielle, aussi précise soit-elle : elle serait également déformée au passage de l'onde gravitationnelle et ne mesurerait alors aucun effet. Les physiciens ont donc utilisé une règle qui ne s'étire ni ne se contracte : la lumière. La vitesse de la lumière étant immuable (*), si l'espace entre deux points s'étire, la lumière va mettre plus de temps à parcourir la distance entre eux. Si l'espace se contracte, la lumière mettra moins de temps à parcourir ce trajet. Voici l'idée de base des instruments Ligo et Virgo. On les appelle des interféromètres (voir schéma ci-dessus). Un faisceau de lumière laser est séparé en deux faisceaux envoyés dans deux directions perpendiculaires, les deux « bras » de l'interféromètre. Au bout de chaque bras, les deux faisceaux sont réfléchis par un miroir puis recombinés. Pour que le trajet soit le plus long possible, les bras mesurent plusieurs kilomètres de long (4 km pour Ligo, 3 km pour Virgo) et les faisceaux font plusieurs centaines d'allers-retours dans chaque bras avant d'être recombinés. Cela équivaut à disposer de deux bras perpendiculaires de centaines de kilomètres de long. En l'absence d'ondes gravitationnelles, les distances ne sont pas perturbées et la différence de longueur entre les deux bras fait que les minimums des oscillations de la lumière d'un des faisceaux correspondent aux maximums de l'autre : il n'y a pas de signal, on dit que les interférences sont destructives. Le passage d'une onde gravitationnelle modifie différemment la longueur d'un bras et celle du bras perpendiculaire. Le trajet de la lumière est perturbé, de sorte que les oscillations ne correspondent plus : l'interférence est constructive. Ainsi, le passage d'une onde gravitationnelle est mesuré en enregistrant ces interférences. En pratique, il faut aussi s'affranchir au maximum de toutes les vibrations parasites : l'intérieur de la Terre est la source d'un bruit sismique permanent, mais les variations de température des composants suffisent aussi à créer des mouvements indésirables. Tous les composants principaux sont donc suspendus sous vide à des « superatténuateurs » qui les isolent du bruit sismique.
UN SIGNAL MAGNIFIQUE
Ligo, dont deux instruments sont construits aux États-Unis, à Hanford, Washington et à Livingstone, Louisiane, et Virgo, à Cascina en Italie, ont éprouvé leurs premières versions au milieu des années 2000. Mais leur sensibilité s'est révélée insuffisante : aucune détection en dix ans d'observation. Après des travaux d'améliorations, Virgo devrait récolter ses premières données fin 2016 tandis que Ligo a recommencé ses expériences avec une sensibilité accrue en septembre 2015. Dès le 14 septembre 2015, avant même le lancement officiel de la campagne d'observation, les deux détecteurs Ligo ont perçu un signal décalé dans le temps de 7 millisecondes correspondant exactement au temps nécessaire à une onde gravitationnelle, qui se déplace à la vitesse de la lumière, pour parcourir la distance entre les deux instruments.
« Le signal était juste magnifique », se souvient Frédérique Marion, membre de Virgo, qui a pris part à l'analyse des données. Si la découverte a été faite par Ligo, les scientifiques de Virgo ont tout autant participé à l'analyse et à la vérification des résultats (lire ci-dessous). Pas moins de 1 009 personnes signent le premier article (1). Tenus à un strict secret, ils ont dû faire face aux rumeurs, aux fuites et aux remous d'un buzz avant-coureur sur Twitter. Finalement, ce signal aura fait frémir autant les physiciens que l'espace-temps !
La performance expérimentale est extraordinaire. Mais l'origine céleste de cette première détection l'est tout autant. Ces ondes gravitationnelles sont le fruit du ballet cosmique de deux trous noirs de masses respectivement 29 fois et 36 fois celle du Soleil. La fin de la danse est effrénée : ces mastodontes distants de seulement quelques centaines de kilomètres tournoient l'un autour de l'autre à une allure folle, 50 % de la vitesse de la lumière. Ils fusionnent alors en moins de cinq secondes - c'est la coalescence - en un trou noir unique de 62 masses solaires, en émettant un chirp , autrement dit un « gazouillis » d'ondes gravitationnelles. Les trois masses solaires manquantes ont été converties en énergie sous forme d'ondes gravitationnelles. « C'est plus d'énergie que mille supernovae ! » s'exclame Luc Blanchet, théoricien à l'Institut d'astrophysique de Paris. Le trou noir final vibre l'espace d'un instant avant de se stabiliser. Là s'arrête l'émission d'ondes gravitationnelles.
DES TROUS NOIRS SURPRENANTS
Toutes ces observations sont conformes à la théorie, mais il est surprenant d'observer des trous noirs stellaires de cette masse. En outre, beaucoup de spécialistes s'attendaient à ce que le premier signal gravitationnel soit dû à la fusion d'étoiles à neutrons, que l'on pensait plus fréquentes que celle de trous noirs. « On ne savait pas bien estimer le nombre de coalescences de trous noirs, poursuit l'astrophysicien. Mais ces phénomènes permettront de nouveaux tests de la relativité générale, et peut-être du modèle standard de la cosmologie. » Les ondes gravitationnelles pourraient ainsi fournir des indices sur les mystérieuses matière et énergie noires qui composent l'Univers. Pour cela, il faudra plus d'observations. La mise en service de Virgo permettra de localiser plus précisément l'origine des ondes par triangulation, et des instruments analogues en préparation en Inde et au Japon compléteront ce réseau d'observatoires d'un nouveau type. D'autres détecteurs sensibles à des phénomènes différents sont aussi en préparation (voir ci-dessus). « Ce qui est sûr, conclut Frédérique Marion, c'est que l'émotion autour des ondes gravitationnelles n'est pas près de retomber ».
(*) La vitesse de la lumière vaut exactement 299 792 458 mètres par seconde dans le vide.
REPÈRES
- Les ondes gravitationnelles sont des ondulations de l'espace-temps qui se propagent dans l'Univers. Elles ont été prédites par la théorie de la gravitation, la relativité générale.
- Lorsqu'elles sont engendrées par des astres massifs et denses, tels les trous noirs, ces ondes peuvent déformer les distances de manière infime, mais perceptible. Une telle déformation a été mesurée le 14 septembre 2015.
- Ces mesures confirment l'existence de ces ondes et des trous noirs qui les ont créées.
5 MOIS DE VÉRIFICATIONS
Bien que l'information ait fuité dès la fin de l'année 2015, les collaborations Ligo et Virgo ont tenu fermement à ne faire aucune déclaration officielle avant d'être certaines du résultat. Car il y a un précédent notoire en la matière : l'expérience Bicep2. En 2014, l'annonce de la découverte des ondes gravitationnelles issues du Big Bang avait enflammé les médias, avant de faire pschitt : le signal n'était en fait que du bruit, autrement dit un signal fortuit. Les signaux détectés le 14 septembre 2015 ont donc cette fois été méticuleusement passés au tamis : « Nous nous sommes d'abord assurés que les détecteurs fonctionnaient parfaitement et que les données n'étaient pas dues à une perturbation, explique Frédérique Marion. Puis nous avons analysé les signaux avec plusieurs algorithmes. Au final, la probabilité que cette détection soit le fruit d'une fluctuation fortuite et non d'une vraie onde gravitationnelle est inférieure à un sur cinq millions. » Verdict : les ondes gravitationnelles sont bien réelles.
DES MURMURES VENUS DU COSMOS
La détection des ondes gravitationnelles marque le début d'une nouvelle astronomie. Toute une gamme de phénomènes extrêmes de l'Univers, connus jusque-là surtout théoriquement, devient observable. « La lumière nous permettait de voir la surface des astres comme les étoiles, souligne Catherine Nary Man, membre de la collaboration Virgo. Au contraire, les ondes gravitationnelles proviennent du coeur des phénomènes. » L'ouverture de telles fenêtres d'observation, entièrement nouvelles, n'est pas fréquente. Ce fut le cas au début des années 1980, lorsque les astrophysiciens ont pu capter la lumière infrarouge. L'envoi dans l'espace des premiers satellites sensibles à ce type de longueur d'onde a permis de révéler une multitude de nouvelles sources. Contrairement à la lumière visible, les infrarouges sont en effet capables de traverser les nuages de gaz qui parsèment certaines régions de l'Univers, révélant toutes les étoiles présentes à l'intérieur et jusque-là invisibles (voir photos ci-dessous). Aujourd'hui, les ondes gravitationnelles sont donc un messager de plus du cosmos, mais un messager radicalement nouveau, qui n'est plus de la lumière. Pour marquer cette rupture, beaucoup de physiciens préfèrent utiliser l'analogie entre la vue et l'ouïe : « On n'observe plus avec une lunette ou un télescope, s'enthousiasme Catherine Nary Man, on écoute l'Univers ». Reste à savoir si cette écoute révélera des phénomènes inattendus.
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ASTRES À la recherche du temps zéro |
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ASTRES À la recherche du temps zéro
Jean-Pierre Luminet dans mensuel 390
daté octobre 2005 -
Les modèles de Big Bang prévoient que plus on remonte dans le passé, plus l'Univers est chaud et dense, et ce, jusqu'à un moment singulier, très proche de l'origine, où la physique actuelle ne peut plus rien décrire. Mais l'origine elle-même a-t-elle une quelconque réalité ?
L'Univers est en expansion, nous suggèrent fortement les observations des galaxies et de leurs amas. Qu'elle soit accélérée ou non, il semble que cette expansion ne connaisse pas de fin. L'Univers serait donc éternel. Et si nous remontions le film de l'Univers à l'envers ? Le temps cosmique se prolonge-t-il, dans le passé, jusqu'à une valeur infinie, ou bien est-il borné à une valeur finie ? C'est l'une des plus grandes énigmes de l'astrophysique.
Selon la théorie de la relativité générale, la réponse dépend du contenu de l'Univers. Si ses propriétés sont celles de la matière ou du rayonnement que nous connaissons, alors les distances cosmiques diminuent inexorablement avec le temps passé. Il existe nécessairement un instant, un « temps zéro », où toutes les longueurs cosmiques ont une valeur nulle. Cet événement singulier aurait présidé à l'apparition de l'espace, du temps et de la matière. C'est ce qu'énoncent les modèles de Big Bang, définis comme ceux où l'expansion cosmique ne s'écoule que depuis une durée finie.
Ce « temps zéro » se situe à 13,7 milliards d'années dans le passé selon les calculs et les observations actuels, fondés sur l'analyse du rayonnement cosmologique fossile ou des supernovae lointaines. Cela exclut évidemment de considérer tout instant antérieur. Cela implique aussi qu'il ne peut exister aucun objet dont l'âge puisse dépasser 13,7 milliards d'années, et qu'aucune horloge n'a jamais pu mesurer une durée plus longue. Or les âges des étoiles, mesurés grâce aux isotopes radioactifs à longue durée de vie, véritables chronomètres naturels, se distribuent précisément entre 0 et 14 milliards d'années. À elle seule, cette observation constitue un argument remarquable en faveur des modèles de Big Bang. Ceux-ci sont en outre confirmés par beaucoup d'autres résultats : l'abondance observée des éléments légers, la découverte du rayonnement de fond cosmologique et de ses propriétés, l'évolution des galaxies... Aussi ces modèles sont-ils aujourd'hui quasi unanimement adoptés par les astrophysiciens. Conjugués aux observations accumulées tant par les grands télescopes que dans les accélérateurs de particules, ils permettent de retracer les principales étapes de l'histoire de l'Univers voir l'encadré « Petite chronologie de l'Univers », page 32.
Que le temps ait connu un début préoccupe le physicien. Car, dans le cadre de la relativité générale, cette limite temporelle se présente sous la forme d'une « singularité », un point vers lequel on tend sans jamais l'atteindre : l'Univers aurait été concentré dans un volume infiniment petit, infiniment dense, et de courbure infiniment grande. Cette singularité initiale marque une réelle interruption vers le passé des lignes d'Univers des galaxies, c'est-à-dire de leurs trajectoires d'espace-temps [fig. 1] . La singularité n'est pas réellement un événement : elle n'a pas pris place et n'a pas eu lieu. Par là même, elle échappe nécessairement au champ de nos théories !
Pour le mathématicien, la singularité constitue un bord temporel, situé à une durée passée finie. Difficile à admettre ! Pourtant, le problème est identique à celui de la finitude de l'espace, quiavait longtemps buté contre une telle question de limite, jusqu'à l'introduction des géométries non euclidiennes et de la topologie. Celles-ci ont permis de considérer un espace fini mais sans limites. Ce qui n'est pas contradictoire. Mais le bord temporel pose un problème d'une autre nature, tenant à la fois à son caractère fini - la finitude du temps correspond à l'arrêt brutal des lignes d'Univers - et à son caractère infini au vu des valeurs inconcevablement grandes de la densité et de la courbure.
Inévitable singularité cosmique
C'est la raison pour laquelle les cosmologistes ont cherché à se débarrasser de cette monstruosité et tenté de démontrer que le temps zéro n'a pas pu réellement se produire. Ainsi, en 1963, les Russes Isaac Markovich Khalatnikov et Evgenii Mikhailovich Lifshitz ont vainement suggéré que l'utilisation d'hypothèses simplificatrices injustifiées avait peut-être faussé les calculs [1] ; elle aurait fait apparaître, dans les solutions des équations de la relativité générale, une singularité qui n'existerait pas réellement.
Ce n'est pas le cas. Les singularités cosmologiques sont une conséquence inéluctable de la relativité générale, moyennant une hypothèse raisonnable portant sur la nature de la matière et de l'énergie qui emplit l'Univers. C'est ce qu'avait déjà esquissé, dès 1933, le Belge Georges Lemaître. Il anticipait ainsi les « théorèmes sur les singularités », redémontrés de façon plus générale en 1965 et qui rendront célèbres leurs auteurs, les astrophysiciens britanniques Stephen Hawking et Roger Penrose [2] : une singularité cosmique est inévitablement présente dans le passé de n'importe quel modèle d'Univers, pour peu qu'il satisfasse à la relativité générale et contienne autant de matière que ce qui est observé.
La seule solution pour se débarrasser des infinis gravitationnels est de sortir du cadre de la relativité générale classique. Cette voie semble raisonnable, car les physiciens considèrent que l'apparition d'une singularité, caractérisée par des grandeurs infinies, marque la limite de validité d'une théorie. Or la relativité générale n'est pas une théorie complète, faute d'incorporer les préceptes de la physique quantique qui décrit le monde microscopique. Il semble donc absolument téméraire, et quasi injustifié, d'extrapoler les résultats de la relativité générale jusqu'à des distances extrêmement petites, en particulier celles correspondant à une singularité. C'est le cas des distances inférieures à la longueur de Planck, soit 10-35 mètre. Cette échelle joue le rôle d'une sorte d'horizon microscopique. Sans savoir ce qui se passe exactement à ces dimensions, les physiciens estiment que la géométrie pourrait devenir elle-même sujette à des fluctuations quantiques, que la relativité ne permet pas de prendre en considération.
Géométrie floue
Or, selon les modèles de Big Bang, la reconstitution passée de l'évolution des longueurs dans l'Univers mène à une valeur aussi petite que 10-35 mètre. Cela se passe à un moment de l'histoire cosmique appelé « ère de Planck », qui correspond à 10-43 seconde après le temps zéro. Les valeurs de la température et de la densité étaient alors énormes, respectivement 1032 kelvins et 1094 grammes par centimètre cube. Dans des conditions si terribles, la relativité générale ne peut être appliquée, ne serait-ce que parce qu'elle est impuissante à prendre en compte les effets quantiques, alors prépondérants. Aborder cette période nécessite impérativement le soutien d'une théorie de la gravitation quantique, ou du moins d'une théorie qui unifie les quatre interactions fondamentales.
La physique actuelle ne permet donc de remonter l'histoire passée de l'Univers que jusqu'à l'ère de Planck, car les tentatives d'imaginer les états antérieurs débouchent sur un flou quantique. Et pourtant on voudrait en dire davantage sur l'ère de Planck. Cette limite sur laquelle bute la physique, frontière de nos connaissances, implique que le cadre habituel de la variété espace-temps, continue, à quatre dimensions, éclate complètement.
L'idée de la gravité quantique, émise par John Wheeler au début des années 1960 [3] , et de la nouvelle cosmologie qui en découlerait, est qu'au niveau microscopique la géométrie de l'Univers pourrait être floue, comparable à une sorte d'écume constamment agitée de petites fluctuations [fig. 2] . On pourrait la comparer à la surface d'un océan : vu d'avion, l'océan paraît lisse. D'une plus basse altitude, sa surface apparaît toujours continue, mais on commence à percevoir quelques mouvements qui l'agitent. Plongé dans l'océan, le nageur le voit tumultueux, discontinu même, puisque des vagues se brisent, projetant des gouttes d'eau qui s'élèvent et retombent. De la même façon, l'espace-temps paraît continu à l'échelle humaine, et aussi à celle des noyaux atomiques, mais son « écume » pourrait devenir perceptible à l'échelle de Planck. Certaines de ses gouttes pourraient se manifester à nous sous forme de particules élémentaires.
Jusqu'à présent, aucune théorie complètement cohérente et calculable de gravité ou de cosmologie quantique n'a été établie. Diverses descriptions préliminaires ont été tentées, comme la géométrodynamique quantique des Américains John Wheeler et Bryce de Witt en 1967 [4] . Cette théorie voudrait traiter la géométrie de l'espace-temps de la même manière que la physique quantique ordinaire traite la matière et l'énergie, c'est-à-dire en termes de grains ou « quanta » d'espace et de temps.
Une équation inutilisable
La première version de la géométrodynamique quantique, dite « canonique », est régie par une équation proposée en 1967 par Wheeler et de Witt. Cette équation est l'équivalent pour la gravitation de l'équation de Schrödinger pour la mécanique quantique, qui décrit la probabilité de présence d'une particule en termes d'une « fonction d'onde ». La différence est que, dans l'équation de Wheeler-de Witt, les variables ne sont plus la position et la vitesse d'une particule, mais la géométrie de l'espace et son contenu matériel ! Cette équation très complexe est inutilisable, en pratique, sous sa forme générale. La seule chance d'en trouver des solutions est de simplifier considérablement le problème. Par exemple, on peut se limiter à considérer, pour l'espace, une famille restreinte de géométries possibles, très simples, comme celles à courbure constante. Il faut encore, pour cela, spécifier des conditions aux limites pour l'Univers, en particulier ce que devient l'espace-temps à l'approche de la singularité. Ces conditions façonnent le comportement spatio-temporel de la fonction d'onde de l'Univers, à peu près de la même façon que la trajectoire d'une particule en mécanique classique est spécifiée par sa position et sa vitesse initiales. Dans le cas de la cosmologie, cela soulève des questions fondamentales qui sont loin d'être résolues.
Diverses suggestions ont été proposées, notamment par « l'école russe » dirigée par Andreï Linde et Alex Vilenkin au début des années 1980 [5] , [6] et par « l'école anglo-saxonne », notamment par Jim Hartle et Stephen Hawking. En termes simples, le modèle quantique de Hartle et Hawking [7] n'envisage que des géométries spatio-temporelles sans frontière ni bord, comme l'est la surface d'une sphère, mais avec deux dimensions supplémentaires. Selon ces modèles, l'Univers serait fini non seulement dans l'espace son volume total est fini mais aussi dans le temps. La problématique singularité initiale disparaît alors. Plus exactement, elle se transforme en une simple singularité des coordonnées, comme le pôle Nord d'une sphère. Aucune violation des lois de la physique n'y apparaît. L'Univers n'aurait plus aucune frontière, ni spatiale ni temporelle. Il n'aurait pas eu de commencement et n'aura jamais de fin. Cette nouvelle « éternité du temps » n'est toutefois retrouvée qu'au prix de l'abandon du temps cosmique réel mesuré par les horloges ou par l'expansion des galaxies au profit d'un temps imaginaire au sens mathématique du terme. Il resterait à proposer une interprétation satisfaisante de tout ceci, ce qui est loin d'être le cas.
Une « mousse de mini-Univers »
La suggestion d'Andreï Linde est très différente. Elle suppose des conditions initiales chaotiques. Qualitativement, la solution se présente sous la forme d'un gigantesque Univers éternel et autoreproducteur, que l'on compare parfois à une « mousse de mini-Univers ». Chacune des « bulles » de cette mousse aurait ses propres caractéristiques : constantes physiques, nombre de dimensions spatiales, dynamique..., ce qui permet de la considérer, de manière abusive, comme un « autre Univers ». La totalité de notre Univers observable à distinguer de l'Univers dans sa totalité serait constituée d'une infime partie de l'une de ces bulles, partie qui aurait été démesurément gonflée par un processus ultra-efficace d'expansion, baptisé « inflation ». Chaque bulle individuelle - en particulier celle qui constituerait « notre Univers » - pourrait naître et mourir. Mais l'Univers « global » n'aurait ni commencement ni fin.
Bien évidemment, une telle idée ne sera sans doute jamais vérifiable, ni observable. On se situe ici aux frontières de l'approche scientifique... et sans doute déjà de l'autre côté.
D'autres approches de la gravité quantique existent, telles la théorie des supercordes, la théorie des boucles ou les géométries non commutatives. Certains modèles cosmologiques qui en découlent permettent d'éliminer la singularité initiale et d'envisager une ère « pré Big Bang » pour l'histoire de l'Univers [fig. 3] . Malgré tout, les diverses théories de cosmologie quantique soulèvent autant, sinon plus, de problèmes qu'elles n'en éclairent sur les débuts de l'Univers. Mais c'est ce qui fait leur richesse et leur intérêt. Résolvent-elles l'énigme du temps zéro ? La réponse est ambiguë : oui, selon certains modèles, non selon d'autres. L'incertitude résulte peut-être de la simplification exagérée imposée pour pouvoir résoudre les équations. Quoi qu'il en soit, les singularités devront disparaître dans le cadre de la nouvelle vision unifiée que cherchent à construire les physiciens.
EN DEUX MOTS Depuis l'avènement et les succès de la théorie du Big Bang, la question de l'origine du temps, ignorée tant qu'on pensait l'Univers éternel, est devenue incontournable. Les deux théories décrivant le monde physique, la relativité générale pour l'infiniment grand et la mécanique quantique pour l'univers microscopique, sont incapables de décrire cet instant où les caractéristiques de l'Univers prennent des valeurs soit nulles, soit infinies.
[1] E. M. Lifshitz et I. M. Khalatnikov, Advances in Physics, 12, 185, 1963.
[2] S. W. Hawking et R. Penrose, Physical Letters, 17, 246, 1965 ; Proceedings of the Royal Society of London, A 314, 529, 1970.
[3] J. A. Wheeler, Geometrodynamics, Academic Press, 1962.
[4] B. S. de Witt, Phys Rev. 160, 1113, 1968 ; J. A. Wheeler, in Battelle Rencontres, dir. C. M. de Witt et J. A. Wheeler Benjamin, New York, 1968.
[5] A. D. Linde, Physics Letters, 1298, 177, 1983.
[6] A. Borde et A. Vilenkin, Phys. Rev. Lett., 72, 3305, 1994.
[7] J. B. Hartle et S. W. Hawking, Phys. Rev., D28, 2960, 1983.
SAVOIR
POUR EN SAVOIR PLUS
J.-P. Luminet et M. Lachièze-Rey, De l'infini..., Dunod, 2005.
L. Z. Fang et R. Ruffini dir., Quantum Cosmology, World Scientific, 1987.
A. Linde, Inflation and Quantum Cosmology, Academic Press, 1990.
S.Hawking, Une brève histoire du temps, Flammarion, Coll. « Champs », 1999.
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Tout savoir sur la planète Jupiter
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Publié le 04-07-2016 à 16h46
Mis à jour le 06-07-2016 à 10h19
Alors que la sonde Juno a rendez-vous avec Jupiter le 4 juillet 2016 (le 5 juillet pour la France), voici en infographies le portrait de la planète géante du Système solaire.
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Tout savoir sur la planète Mercure
GROS. Jupiter est la plus grosse planète de notre système solaire, située à plus de 590 millions de kilomètres de la Terre. Le 4 juillet 2016 (le 5 juillet 2016 pour la France), la sonde Juno de la NASA doit s’insérer en orbite de l’astre de 140.000 kilomètres de diamètre. Sa mission doit durer un peu plus d’un an. Ses instruments scientifiques vont sonder pour la première fois les entrailles de l'astre titanesque, 1300 fois plus grand que la Terre et 300 fois plus massif. Jupiter est en effet la première planète à s’être formée juste après le Soleil, il y a 4,6 milliards d’années. Ce faisant, elle a capté plus de la moitié du gaz et de la poussière qui tournoyaient autour de notre jeune étoile, gardant en elle un échantillon de ce nuage primordial qui donna ensuite naissance à tous les autres corps du système solaire.
TACHE. Depuis sa découverte, à la fin du 17e siècle, la Grande tache rouge de Jupiter n’a cessé d’intriguer les astronomes. C'est une gigantesque tempête, de 12.000 km de large. C'est-à-dire qu'elle est vaste comme une fois la Terre ! Les vents y soufflent à plus de 700 km/h.
SATELLITES. Autre mystère, celui des aurores joviennes. Elles sont jusqu’à mille fois plus intenses que sur Terre. Ces aurores brillent presque en continu à la surface de Jupiter. Pour percer les secrets de ce phénomène unique dans le système solaire, Juno survolera les pôles de la planète géante et effectuera des analyses à l’aide de six de ses instruments. Des données qui devraient éclairer les scientifiques sur la physique des aurores joviennes, bien différentes de leurs cousines terrestres. Sur Terre, ces explosions de couleurs se produisent ponctuellement lorsque des bouffées de particules chargées (électrons, ions) sont projetées dans l’espace par de puissantes éruptions solaires. Ces particules interagissent avec le champ magnétique terrestre, ce qui provoque leur accélération vers la Terre. Elles viennent alors exciter les molécules atmosphériques qui émettent de la lumière lorsqu’elles se désexcitent. Sur Jupiter, les aurores ne dépendent pas du vent solaire. Elles sont alimentées sans cesse par les particules crachées par sa lune volcanique Io. Accélérées par l’intermédiaire du puissant champ magnétique de la planète, ces particules produisent les volutes de lumière qui illuminent en permanence ses pôles. Ladite Io est loin d'être le seul satellite naturel de Jupiter : la planète géante en est pourvue de 67 ! Parmi ces lunes, citons Io, Europe, Ganymède et Callisto, qui furent les premiers découverts par les observateurs du ciel.
Comme les autres planètes géantes (Saturne, Uranus et Neptune), Jupiter ne possède probablement pas de surface solide. Elle est principalement constituée d’hydrogène et d’hélium, présents sous forme gazeuse dans son atmosphère. Plus on s’enfonce sous les nuages joviens, plus la pression et la température s’élèvent, si bien que l’hydrogène devient progressivement fluide puis "métallique". Les mouvements de cette couche conductrice seraient à l’origine du gigantesque champ magnétique de Jupiter. Au cœur de celle-ci — où la température dépasse 20.000 °C et la pression atteint 40 millions d’atmosphères terrestres — se cache peut-être un noyau fluide ou solide. Un mystère que pourrait lever la sonde Juno.
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