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ESCLAVAGE

 

 

 

 

 

 

 

esclavage
(de esclave)

État, condition d'esclave.

1. Introduction
1.1. Selon Aristote
L'esclavage est une institution sociale qui fait de certains êtres humains des marchandises, ou, comme le dit Aristote, « une sorte de propriété animée ». Le propriétaire possède son esclave comme un bien ou une chose, et peut exiger de lui travail et autres services sans aucune restriction. Il peut lui refuser la liberté d'agir et de se déplacer. Il a le droit de séparer les membres d'une même famille et de refuser un mariage. L'esclavage est donc un rapport de domination fondé sur la menace et la violence.

1.2. Une pratique quasi universelle
L'esclavage a existé aussi bien en Asie dans les tribus nomades de pasteurs, en Amérique du Nord dans les sociétés d'Indiens chasseurs, en Scandinavie chez les marins, que dans des sociétés sédentaires fondées sur l'agriculture. Dans ce dernier cas, les esclaves sont considérés comme une force de production irremplaçable. De telles sociétés, notamment l'Empire romain et le vieux Sud des États-Unis, sont quelquefois désignées sous le nom de sociétés d'« esclavage commercial », par opposition aux « sociétés d'esclavage personnel », où les esclaves sont principalement utilisés à des fins domestiques, notamment comme serviteurs ou concubines ; ce dernier type d'esclavage a été fortement implanté dans les pays du Moyen-Orient, en Afrique et en Chine. Cependant, les deux formes coexistent, et dans l'Empire romain comme aux États-Unis, les esclaves étaient contraints de se soumettre aux exigences sexuelles de leurs maîtres, ainsi que le montrent aussi bien le Satiricon de Pétrone que les innombrables cas de viols d'esclaves aux États-Unis.

1.3. Économie de profit et de plantation
L'économie de profit a beaucoup contribué à développer l'emploi de la force de travail servile. La canne à sucre porte la lourde réputation d'avoir été génératrice d'esclavage, en Iraq dès le viie siècle, dans les îles de l'Atlantique et en Amérique à partir du xvie siècle. L'économie de plantation a provoqué les plus gros transferts de main-d'œuvre de toute l'histoire, au détriment des Noirs d'Afrique. Les mines, de l'argent du Laurion, exploité par Athènes au ve siècle avant J.-C., à l'or des Achantis du Ghana au xviiie siècle, ont aussi utilisé de grandes quantités d'esclaves.

2. L’esclavage depuis les premières civilisations
2.1. Mésopotamie, Égypte, Inde, Perse
Prisonniers de guerre
Les codes juridiques de Sumer prouvent que l'esclavage existait dès le IVe millénaire avant J.-C. Le symbole sumérien correspondant au terme « esclave », en écriture cunéiforme, signifie « étranger », ce qui indique une origine essentielle : les premiers esclaves étaient probablement des prisonniers de guerre.

La servitude pour dette
Mais dans l'Égypte antique apparaît un phénomène que l'on retrouvera jusque dans l'Europe chrétienne : des hommes se vendent comme esclaves ou vendent leur femme et leurs enfants afin de payer leurs dettes. En Mésopotamie, l'esclavage, attesté depuis le IVe millénaire, pèse sur le prisonnier de guerre, l'enfant vendu par son père et le pauvre qui se vend lui-même. Les prisonniers de guerre sont utilisés pour les grands travaux.

Des statuts divers
Le code d'Hammourabi, roi de Babylone au xviiie siècle avant J.-C., comprend de nombreuses lois s'appliquant aux esclaves. Ceux-ci ont le droit de posséder des biens, de faire des affaires et d'épouser des femmes libres. La manumission – affranchissement prononcé officiellement par le maître – est possible soit par l'achat de la liberté, soit par l'adoption. Néanmoins, l'esclave est toujours considéré comme un objet et une marchandise (sa valeur est celle d’un âne).
Le code des Hittites, appliqué en Asie occidentale de 1800 à 1400 avant J.-C., reconnaît, lui, que l'esclave est un être humain, même s'il appartient à une classe inférieure.

L'Égypte pharaonique
Les esclaves forment dans l'Égypte pharaonique un corps peu nombreux (mineurs, mercenaires, interprètes, intendants de domaine), dont disposent le roi et sa famille, les temples et les grands personnages de l'État.
Les Hébreux n’en sont pas moins asservis par les Égyptiens durant la seconde moitié du IIe millénaire avant J.-C. : dans la Bible, le livre de l'Exode relate que les Égyptiens maintiennent les Hébreux « en esclavage, les obligeant à manier la brique et le mortier ainsi qu'à rendre divers services dans les champs. Quels que soient les travaux effectués, ils les traitent avec dureté ». Cependant, nulle part dans l'Ancien Testament il n'apparaît de critiques ouvertement dirigées contre l'esclavagisme, les Hébreux adhérant eux-mêmes à ce système ; tout au plus, chez ces derniers, l'esclavage, situation provisoire, ne peut-il dépasser une période de sept ans.
Inde et Perse
Dans la vallée de l'Indus, les premiers documents prouvant l'existence de l'esclavage coïncident avec l'invasion aryenne, vers 1500 avant J.-C. En Perse, le nombre d'esclaves augmente par reproduction naturelle et grâce aux conquêtes militaires : les victoires perses sur les îles de la mer Égée, Chio, Lesbos et Ténédos, ont pour conséquence l'asservissement de populations entières.

2.2. La Grèce antique
Principales sources d'esclaves
L'esclavage fait partie intégrante de l'histoire de la Grèce probablement dès 1200 avant J.-C. Les guerres, la piraterie (jusqu'à son éradication au ve siècle avant J.-C.) et les tributs dus par les pays vaincus constituent pour les Grecs les principales sources d'esclaves. Les marchands d'esclaves se fournissaient essentiellement en Thrace, Carie et Phrygie. Les débiteurs insolvables pouvaient être vendus comme esclaves, le prix de la vente revenant au créancier ; c'est Solon qui interdit cette dernière pratique à Athènes.
Une augmentation rapide à la fin du ve siècle avant J.-C.

Au ve siècle avant J.-C. – mis à part les mineurs du Laurion, en Attique –, les esclaves, surtout ruraux, sont peu nombreux, même sur les plus grands domaines ; leur emploi reste lié à des cultures délicates, permanentes et de faible extension (vigne, cultures maraîchères) ; leur présence est contestée dans la Grèce centrale et, d'après Thucydide, les habitants du Péloponnèse auraient même été souvent seuls à leur travail. Mais, dès la fin du ve siècle et surtout au ive siècle avant J.-C., le nombre des esclaves augmente à un rythme rapide, et le travail servile l'emporte très vite sur le travail libre dans les mines, les travaux publics, la production industrielle et même la production agricole. On compte 10 000 esclaves ruraux dans l'Attique de la fin du ve siècle, soit un par paysan libre. Les esclaves urbains sont plus nombreux : les listes d'affranchissement du Pirée, entre 340 et 320 avant J.-C., en mentionnent 123 sur 135 affranchis, et les estimations faites pour la fin du ve siècle évaluent entre 150 000 et 400 000 le nombre total des esclaves vivant en Attique. Un esclave s'affranchit en achetant sa liberté, en la recevant en récompense de ses services, ou en legs après le décès de son maître. Le quasi légendaire Ésope, l'auteur des Fables, passe pour un esclave grec affranchi au vie siècle avant J.-C.

L'époque hellénistique
Extension géographique (Épire) et concentration des esclaves au profit des grands et aux dépens des petits propriétaires, trop pauvres pour en posséder, caractérisent l'époque hellénistique ; les affranchissements se multiplient, au point que Philippe II de Macédoine les interdit, après Chéronée (338 avant J.-C.), pour des raisons de sécurité militaire. Cette concentration des esclaves explique les premières guerres serviles : vers 131 et vers 104-100 avant J.-C., au Laurion ; 130 avant J.-C., à Délos (le grand marché, dont on a prétendu qu'il s'y vendait 10 000 esclaves par jour au iie siècle), d'où partent les esclaves vers l'Ouest, désormais grand acheteur.

2.3. Rome
L'asservissement des peuples vaincus
Les esclaves sont utilisés très tôt (→ lois des Douze Tables). Mais c'est seulement l'expansion romaine à partir du iiie siècle avant J.-C. qui provoque leur afflux massif ; au fur et à mesure des conquêtes (les guerres puniques, la guerre des Gaules), soldats et peuples vaincus sont asservis : les conséquences en sont considérables.

Un traitement inhumain, source de révoltes
Sur le plan économique, la main-d'œuvre servile hâte la désagrégation de la petite propriété et son remplacement par de vastes domaines, notamment dans le Sud : dès le ier siècle avant J.-C., des équipes entières travaillent dans d'immenses propriétés, dépourvues de tout contact avec leurs maîtres. Le pouvoir détenu par les maîtres est pratiquement illimité, et le traitement infligé aux esclaves réellement barbare. De telles conditions de vie, alliées à la supériorité numérique des esclaves sur les hommes libres, génèrent inévitablement des révoltes (136-132 et 104-100, en Sicile ; 73, soulèvement de Spartacus).

Le Haut et Bas-Empire
Au début de l'ère chrétienne, les esclaves sont cependant moins systématiquement maltraités ; ils vivent souvent mieux que les Romains libres réduits à la misère, et certains d'entre eux occupent même des situations importantes dans les affaires ou dans les bureaux du gouvernement impérial. Sur le plan culturel, enfin, les esclaves lettrés africains, asiatiques, grecs exerceront une influence durable. Les affranchissements, d'ailleurs, se multiplient, en partie grâce aux théories stoïciennes. L'historien Jérôme Carcopino estime à 400 000 le nombre des esclaves à Rome sous Trajan (98-117). L'arrêt des conquêtes freine leur afflux ; leur prix s'accroît. Sous le Bas-Empire (iiie-ve siècle, si les esclaves sont encore nombreux, d'autres catégories sociales leur sont préférées dans les campagnes, en Orient notamment : les colons.

3. Le Moyen Âge
3.1. En Occident : de l’esclavage au servage
L'Europe carolingienne
On estime que l'Europe carolingienne comptait environ 20 % d'esclaves ; l'Église en possédait elle-même un grand nombre, à l'image du théologien Alcuin qui utilisait quelque vingt mille esclaves dans ses quatre abbayes. On parle de mancipia, servi et ancillae, mots latins qui désignent les esclaves de l'un ou l'autre sexe, dans les descriptions de biens appartenant aux grands domaines ruraux, et l'on distingue les tenures « ingénuiles », confiées à des hommes libres, des tenures serviles, confiées à des esclaves.

Colons et métayers
Dans l'Espagne wisigothique, au vie siècle, si l'affranchissement personnel des esclaves est recommandé, c'est à la condition qu'ils demeurent, par contrat, comme force de travail sur les biens qu'ils cultivent. Les esclaves ruraux se transforment ainsi progressivement en colons ou en métayers (métayage) employés sur de grandes propriétés. Cependant, ce changement de statut est plus formel que réel : les métayers doivent perpétuellement de l'argent à leur propriétaire et restent attachés à la terre qu'ils travaillent afin de rembourser leurs dettes.

Vers le servage
Sans doute l'Église ne condamne-t-elle pas l'esclavage, mais, en fait, l'organisation d'une société chrétienne, composée de frères, ne peut se concilier avec l'esclavage, que remplace donc peu à peu le servage, dépendance personnelle et héréditaire. Cette forme s'intègre mieux au cadre de l'économie fermée et essentiellement rurale du haut Moyen Âge, qui ne permet plus les achats massifs d'esclaves.
Dans ces conditions, le vieux mot latin servus finit par perdre son antique sens d'« esclave » pour désigner celui qui est lié à la terre ou à un seigneur par des obligations relativement limitées : le serf. C'est alors qu'apparaît, dans le latin médiéval (xe siècle), le mot sclavus, qui donnera, au xiiie siècle, le terme « esclave », et qui est une autre forme de slavus, rappelant que les populations slaves des Balkans fournissaient, au Moyen Âge, l'essentiel des masses serviles en Occident. On « importe » aussi des Angles, et Verdun est, jusqu'au xe siècle, l'« entrepôt » des Slaves destinés à l'Espagne.
Dans l'Empire byzantin, l'esclavage se poursuivra sans qu'on lui oppose de résistance : les esclaves sont souvent utilisés comme employés et travaillent également sur les domaines ecclésiastiques.

3.2. L’esclavage en terre d’islam
Une institution préislamique

Au Moyen-Orient, l'esclavage est déjà une institution ancrée dans les mœurs avant Mahomet (viie siècle), et l'islam ne tente pas de mettre un terme à cette situation. Le Coran, pas plus que la Bible, ne condamne l'esclavage, même s'il milite en faveur d'un traitement humain. Aussi affranchir un esclave est-il jugé comme un acte digne d'éloges. Toutefois, l'immensité de l'empire islamique et l'interdiction de réduire un musulman ou un « protégé de l'islam » en esclavage conduisent à importer de grandes quantités d'esclaves, nécessaires à l'armée ou à la production, à l'administration parfois, sans oublier la traite des Blanches pour fournir les harems.

Provenance des esclaves
Des Slaves païens, acheminés par les Vénitiens vers l'Espagne musulmane et le Moyen-Orient, alimentent des marchés d'esclave dès le viie siècle ; d'Asie viennent des Turcs, amenés jouer un grand rôle dans l'histoire de l'islam. L'Afrique noire fournit chaque année des contingents de plusieurs milliers d'esclaves, qui transitent par les ports de la mer Rouge, de l'océan Indien, et par le Sahara. L'une des plus importantes révoltes d'esclaves est celle qui, en Iraq, se déroula de 869 à 883, et qui mit fin à l'exploitation massive des Noirs dans le monde arabe.
Les conflits entre chrétiens et musulmans en Méditerranée – de l'Espagne au Proche-Orient (→ Reconquista, croisades, guerres navales) – conduisent à l'asservissement de nombreux prisonniers de guerre ; le plus souvent, il s'agit d'un excellent moyen d'obtenir leur rachat par l'adversaire.
Le monde musulman procure à son tour des esclaves à l'Espagne : à l'époque classique, les Noirs sont nombreux à Séville et à Lisbonne.

4. La traite des Noirs
4.1. Les Portugais
La production de sucre au Levant espagnol et dans les îles de l'Atlantique, comme les Canaries, commence à concurrencer, au xve siècle, celle de Venise à Chypre, que complètent des importations en provenance du monde musulman. Le sucre devient ainsi un produit de plus large consommation : les Portugais développent sa production à l'aide de capitaux, dont une partie vient de l'Europe du Nord, marché de plus en plus important. La demande d'esclaves africains commence, dès le milieu du xve siècle, le long des côtes atlantiques qu'explorent les Portugais. La première vente d'esclaves africains en Occident date de 1444 et se déroule au Portugal, à Lagos. Les Portugais organisent autour de l'île de São Tomé et du comptoir de Saint-Georges-de-la-Mine un fructueux trafic ; les esclaves sont vendus aussi bien à des souverains africains, qui les emploient dans les mines ou les plantations, qu'à des Européens qui les transportent vers la péninsule Ibérique. En 1472, les Cortes de Lisbonne demandent à la Couronne de réserver ces importations aux besoins des plantations portugaises.

4.2. Les exigences de la conquête coloniale
Des Amérindiens aux Africains

La demande de main-d'œuvre est considérablement accélérée à la suite de la conquête des Amériques par les Espagnols et les Portugais. Dans un premier temps, la conquête coloniale se traduit par le quasi-asservissement de populations entières d'indigènes, au Pérou et en Amérique centrale.
Au début du xvie siècle, Hernán Cortés fait allusion au grand nombre d'esclaves indigènes rassemblés et vendus dans la capitale du Mexique. Cependant, l'encomienda et le repartimiento, systèmes de travail forcé institués par les conquistadores, se révèlent peu satisfaisants.
Les Espagnols découvrent bientôt que les Indiens, vulnérables aux maladies européennes, ne constituent pas une main-d'œuvre idéale. D'autre part, comme ils vivent dans leur propre pays, révoltes et fuites s'en trouvent facilitées. Les Indiens tentent ainsi, au début, de s'opposer par la force à ceux qui entreprennent de les priver de leur liberté. Mais lorsque, domptés, ils subissent d'énormes pertes dans les mines d'or et d'argent, une partie de l'opinion européenne s'émeut, notamment parmi le clergé régulier au cours la controverse de Valladolid (1550-1551) : face aux arguments de Juan Ginès de Sepúlveda qui condamne les sociétés indigènes pour leurs pratiques du sacrifice humain et du cannibalisme, les réformes humanitaires prônées par le dominicain Bartolomé de Las Casas finiront par alléger les souffrances des Indiens.
Mais les esclavagistes, après avoir réduit la population amérindienne dans une proportion considérable, même si le chiffre est controversé, se tournent vers l'Afrique. Las Casas lui-même prône la traite des Noirs afin de sauver les indigènes d'Amérique, ce qui montre la complexité des enjeux.

Le début du trafic esclavagiste transatlantique
L'une des plus importantes migrations humaines qui aient existé commence alors. Aux razzias des dynastes locaux, en accord avec les négriers arabes, s'ajoutent, en Afrique, celles des marchands européens : les établissements portugais de la côte occidentale d'Afrique (Madère, Açores, cap Vert, Guinée, Luanda, Benguela) et de la côte orientale (Delagoa, Sofala, Mozambique) constituent les premiers centres d'« exportation », en particulier en direction de l'Amérique.
Les Portugais et les Espagnols se réservent, dans un premier temps, le monopole d'État du trafic entre côtes africaines et américaines, le premier asiento (contrat avec une compagnie) datant de 1528. Mais ils sont vite concurrencés par les Hollandais, les Français et les Anglais qui, à leur tour, recherchent à la fois la main-d'œuvre pour leurs plantations et les profits du trafic esclavagiste transatlantique. De 1 à 3 millions d'esclaves sont transportés en Amérique dès cette époque.
4.3. Le commerce triangulaire

C'est aux xviii et xixe siècles que le « commerce triangulaire » connaît son apogée : les navires quittent les ports – en France, ce sont Nantes, surtout, ainsi que Bordeaux, La Rochelle et Le Havre – à destination de l'Afrique, chargés de présents sans grande valeur mais aussi de fusils qui seront échangés contre les esclaves. Ils prennent livraison de leur marchandise humaine dans des comptoirs comme celui de l'île de Gorée, au large de Dakar, puis font voile vers la Guyane, les Antilles et l'Amérique du Nord où ils vendent ceux des esclaves qui ont survécu à la traversée ; enfin, ils reviennent vers l'Europe chargés de marchandises diverses (coton, tabac, café…).

Le trafic triangulaire est d'un énorme rapport, et la concurrence très forte. Les négriers sont les véritables maîtres de ce trafic : ils tiennent à leur merci aussi bien les Africains que les planteurs, qui réclament une main-d'œuvre toujours renouvelée. Interdit en Europe à la suite du congrès de Vienne (1815), le trafic se poursuivit cependant jusqu'au milieu du xixe siècle.

4.4. « Déportation sans retour »

En Afrique même, la demande d'esclaves ne crée pas de toutes pièces, dans une société idéalement égalitaire, les conditions de la dépendance : il existe, dans la plupart des sociétés africaines, comme dans les sociétés antiques, des dépendants, réduits à travailler au service des autres, pour de multiples raisons. Le fait nouveau réside dans la « déportation sans retour » au-delà de l'Océan. La demande désorganise les sociétés africaines, même si certaines trouvent dans cette déportation une solution aux problèmes que posent les asociaux. La complicité de certains royaumes côtiers facilite, en outre, la collecte des esclaves.

La désorganisation durable des sociétés africaines

L'évaluation de l'impact de la traite sur l'histoire future de l'Afrique varie en fonction des approches. Cependant, l'on peut estimer que le trafic a durablement désorganisé le continent, jusque dans les régions les plus centrales, notamment par la peur qu'il engendrait. De plus, face au trafic négrier, les seuls appuis pour un individu face à une razzia se trouvaient parmi les membres de sa propre ethnie ; l'exaltation des liens ethniques que connaît encore aujourd'hui l'Afrique serait ainsi une conséquence directe de la traite.
Enfin, l'extension de l'emploi des esclaves dans le sud des actuels États-Unis pour la culture du coton va créer, dans ce pays, une situation de conflit qui deviendra l'un des plus grands problèmes sociaux et politiques du monde moderne.

Un trafic d'une grande intensité

L'énormité des profits réalisés dans les plantations conduit à l'augmentation constante de la demande d'esclaves noirs ; pour le seul xviiie siècle, leur nombre est estimé à près de 6 millions. Les historiens hésitent sur le chiffre global ; du xvie au xixe siècle, certains parlent de 8 à 10 millions, d'autres de 15 à 20 millions. Pour tâcher d'estimer le nombre de Noirs ainsi déportés, l'on ne dispose en effet que de chiffres partiels ou de séries limitées dans le temps. L'on sait, par exemple, que 103 135 esclaves ont été convoyés par des navires nantais entre 1763 et 1775. L'une des sources qui permettent d'évaluer l'intensité du trafic est constituée par les archives de la compagnie d'assurances maritimes britannique, la Lloyd's. Celle-ci enregistra pas moins de 1 053 navires coulés en face de l'Afrique entre 1689 et 1803, dont 17 % pour faits de révolte, pillage ou insurrection.

De nombreuses révoltes
En effet, en Afrique même, les révoltes liées à l'esclavage furent très importantes ; elles furent le fait à la fois des populations de la côte et de celles de l'intérieur. Car si certains potentats africains se sont livrés à la traite de concert avec les Européens ou les Arabes, la population s'y opposa souvent violemment. Mais si l'on sait que des navires négriers ont été attaqués à proximité des côtes par les Africains, les documents sont quasi inexistants pour mesurer précisément l'ampleur des révoltes sur l'ensemble du continent.

4.5. Traitements inhumains

À bord des navires négriers, les conditions sont effroyables : on entasse un maximum d'esclaves dans la coque du navire et on les garde enchaînés afin de prévenir tout risque de révolte ou de suicide par noyade. La nourriture, l'aération, la lumière et le système sanitaire suffisent à peine à les maintenir en vie. Si la traversée dure plus longtemps que prévu, l'eau manque plus encore que les vivres, et les épidémies se déclarent. Les observations médicales réalisées aux xviie et xviiie siècle à propos de ces traversées montrent le nombre de maux qui s'abattent, d'abord sur les esclaves, parfois sur l'équipage ; les pertes sont énormes : sur les 70 000 esclaves embarqués par la Real Compañía Africana espagnole entre 1680 et 1688, 46 000 seulement survécurent à la traversée.

Le fouet et le pilori
Le travail auquel les esclaves sont soumis est accablant dans les plantations de canne à sucre du Nordeste brésilien et des Antilles, ou de coton du sud des États-Unis. L'arbitraire de leurs maîtres aggrave leur situation, et les fuyards sont nombreux (esclaves « marrons » des Antilles).

Le Code noir

Aussi Colbert, par une ordonnance dite Code noir (1685), précise-t-il la condition civile des esclaves noirs selon le droit romain, mais en leur déniant toute personnalité politique et juridique, car l'esclave est un meuble qui peut être acheté, vendu, échangé ; il est également un incapable, ne pouvant ni témoigner en justice, ni posséder ; enfin, si la responsabilité civile lui est déniée, sa responsabilité criminelle reste entière. En revanche, reconnaissant dans les esclaves des êtres de Dieu, pour lesquels il prévoit d'ailleurs des affranchissements dans des cas limités, Colbert autorise les intendants à les protéger contre l'arbitraire des propriétaires.

5. Vers l’abolition de l’esclavage
5.1. L’exemple d’Haïti
La première source d'opposition à l'esclavage vient des esclaves eux-mêmes. Ce sont leurs révoltes qui ont conduit certains de leurs propriétaires à remettre en cause un système qui leur causait trop de problèmes par rapport aux avantages économiques qu'ils pouvaient en retirer. La révolte des esclaves de Haïti, qui commence en 1791 et que les Blancs ne parvinrent pas à mater, est décisive : c'est d'abord elle qui entraîne la suppression de l'esclavage dans l'île le 29 août 1793, suppression proclamée par Sonthonax, membre de la Société des amis des Noirs, et Polverel, commissaires de la République munis de pouvoirs extraordinaires.
Cependant, cette abolition est aussi le fruit des circonstances : les troupes républicaines non seulement avaient été incapables de ramener l'ordre, mais, de plus, avaient besoin de soldats supplémentaires pour espérer repousser les Espagnols, installés à l'est de l'île, et les Britanniques, qui menaçaient de débarquer. Le 16 pluviôse an II (4 février 1794), la mesure des deux commissaires est ratifiée par la Convention, qui l'étend à toutes les colonies françaises.
Cependant, dès 1799, la traite reprend en secret au Sénégal sous des formes déguisées – le commandant français du Sénégal est alors chargé de recruter des Noirs… consentants –, puis l'esclavage est rétabli en 1802 par le Premier consul, Bonaparte, sous la pression des commerçants français du sucre. La révolte des Noirs qui s'ensuivit, notamment aux Antilles, conduira à l'indépendance de Haïti le 1er janvier 1804.
5.2. L’Angleterre en première ligne
Des penseurs, des économistes abolitionnistes

Les excès des esclavagistes provoquent également, à la fin du xviiie siècle, une réaction abolitionniste. Renouant avec la critique formulée par Montaigne, les auteurs français Montesquieu, Voltaire, Raynal, Marivaux, Bernardin de Saint-Pierre s'en prennent au principe même de l'esclavage.
Sur le plan économique, Adam Smith fait valoir le faible rendement du travail servile (Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, 1776) ; plus tard, Rossi montrera (Cours d'économie politique, 1839-1841) l'obstacle que l'esclavage oppose au développement technique et économique.
De l'interdiction de la traite à l'émancipation des esclaves

La suppression de l'esclavage est réalisée en deux étapes : interdiction de la traite (1807 par l'Angleterre ; 29 mars 1815 par la France), puis émancipation des esclaves (1833 par l'Angleterre ; 1848 par la France, une nouvelle fois, sur l'initiative de Victor Schoelcher, qui se rend aux Antilles pour proclamer l'abolition décidée par le décret du 4 mars 1848). Dans les deux cas, une indemnité a été prévue, et l'Angleterre a donné l'exemple, sous l'impulsion des sectes religieuses et des hommes politiques (tels William Pitt, Castlereagh, George Canning) ; le rôle de William Wilberforce et de la Société antiesclavagiste a été décisif.

La condamnation de la traite

Championne du mouvement abolitionniste, l'Angleterre veut, pour des raisons à la fois humanitaires et économiques (concurrence de main-d'œuvre), obtenir la suppression générale de l'esclavage dans le monde. Aussi Castlereagh fait-il condamner la traite par les congrès de Vienne (8 février 1815), d'Aix-la-Chapelle (1818) et de Vérone (1822).
Malgré l'opposition des pays esclavagistes, des clauses de renonciation à la traite sont prévues dans les conventions et les traités signés avec la France (1831, 1833, 1841, 1845), l'Espagne (1835), le Portugal (1839), le Brésil (1850), clauses sanctionnées par un droit de visite réciproque, que la France refuse de ratifier en raison de l'énorme supériorité de la flotte britannique.

Une pratique qui perdure
Cependant, entre 1817 et 1830, malgré l'interdiction, on enregistre 305 voyages négriers au départ de Nantes – la dernière expédition française partira du Havre en 1847.
L'Empire ottoman, pour sa part, avait interdit la traite dans le golfe Persique et fermé les marchés publics d'esclaves d'Istanbul en 1847. Les pays d'Amérique du Sud abolissent l'esclavage à leur indépendance, mais, dans ces régions, le système du péonage succède bientôt à l'esclavage. En 1840, le Portugal et l'Espagne aboliront officiellement le trafic des esclaves, mais les vaisseaux négriers portugais continueront à traverser l'Atlantique durant tout le xixe siècle.

5.3. États-Unis : un long combat
Dans les colonies nord-américaines, les premiers signes d'opposition à l'esclavage émanent des quakers, qui se prononcent contre l'asservissement en 1724. Bien que le marché aux esclaves soit un spectacle courant, bon nombre de colons considèrent cette forme d'exploitation de l'homme comme un phénomène injustifiable. Les États vont ainsi abolir progressivement l'esclavage. Rhode Island est ainsi le premier État abolitionniste (1774). Mais la Constitution fédérale, ratifiée en 1788, prévoit la continuation du système esclavagiste pendant vingt années supplémentaires. Alors que le décret de 1787 interdit l'esclavage dans les États du Nord-Ouest, le bénéfice éventuel de cette action va s'effacer devant la généralisation de l'égreneuse de coton, inventée en 1793 par Eli Whitney ; en effet, l'utilisation de cette machine accéléra tellement la commercialisation du coton que les besoins en esclaves augmentèrent.
Le sentiment antiesclavagiste s'intensifie, en 1831, avec la publication du journal abolitionniste The Liberator ; cette même année voit aussi la révolte d'esclaves menée par Nat Turner, qui s'inscrit dans une vague de révoltes commencée en 1829 à Cincinnati et qui se prolonge jusque dans les années 1840. En 1833, une société antiesclavagiste est créée à Philadelphie. Dès 1840, les esclaves s'échappent vers les États du Nord pour y gagner la liberté.
La publication du livre de Harriet Beecher-Stowe, la Case de l'oncle Tom (1852), élargit l'audience du mouvement abolitionniste ; finalement, au terme de la guerre de Sécession, les États-Unis, après le Danemark et les Pays-Bas (1860), libèrent leurs esclaves en adoptant le 13ème amendement de la Constitution (31 janvier 1865).
La voie est ouverte aux condamnations internationales du système et des idéologies qui l'acceptent : acte de Berlin (26 février 1885) ; conférence coloniale de Bruxelles (acte antiesclavagiste du 2 juillet 1890) ; articles 21 à 23 et 42 à 61 du pacte de la Société des Nations (SDN) ; article 11 de la convention de Saint-Germain-en-Laye (10 septembre 1919) ; convention de Genève sur l'esclavage (25 septembre 1926) ; article 4 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, de l'ONU (10 décembre 1948).
L'esclavage a persisté après la Seconde Guerre mondiale sur les rives de la mer Rouge. Il a été aboli officiellement par l'Arabie saoudite en 1962. En Afrique, en Mauritanie, il n’a été aboli qu’en 1981. Sur ce continent, le trafic des enfants, en particulier, s'est poursuivi longtemps au-delà de la date d'interdiction officielle. Dans un rapport de 1992, l'Organisation internationale du travail (OIT) révèle que l'esclavage n'a pas disparu de Mauritanie, pas plus que du Soudan où des rapts d'enfants vendus ensuite comme esclaves ont été signalés en 1993.

6. Survivance de l’esclavage : le travail forcé
On a récemment défini la notion d’« esclavage moderne », qui s’applique à la condition de personnes qui accomplissent un travail forcé au service d’un employeur agissant ainsi en toute illégalité. En effet, le travail forcé subsiste dans nombre de régions; il s'agit essentiellement d'esclavage pour dettes – Asie du Sud-Est, Amérique latine… – et d'exploitation de femmes et d'enfants pour la prostitution. Ainsi, en 1999, l'OIT a condamné la Birmanie pour son recours systématique au travail forcé – plus de 500 000 personnes seraient concernées.
En Inde, l'esclavage pour dettes est toujours présent dans l'agriculture, les métiers du bâtiment, ou encore la production de tapis ou de poteries ; le travail des enfants est utilisé dans la fabrication de perles de verre, le tissage des tapis ou encore la confection de feuilles d'or ou d'argent. Au Pakistan, l'esclavage pour dettes se rencontre dans les secteurs de la briqueterie, de la cordonnerie, du tissage, dans l'agriculture ou dans la fabrication de bidis (cigarettes d'eucalyptus). Les dettes revêtant parfois un caractère héréditaire, l'institution du servage pour dettes s'assimile à une forme réelle d'esclavage.

Ce n'est pas forcément le cas de la prostitution, bien que la question soit de plus en plus actuelle. En Thaïlande, aux Philippines, certains adolescents des deux sexes se prostituent contre leur gré. Le phénomène a pris une telle ampleur que certaines organisations parlent, à propos de la vente par leurs parents ou du rapt puis de la prostitution d'enfants birmans en Thaïlande, de politique délibérée de destruction de certaines ethnies de Birmanie. La prostitution des enfants n'épargne pas les pays occidentaux, comme l'ont montré plusieurs affaires, tant en Belgique qu'en France, à la fin des années 1990.

Enfin, dans certaines régions d'Afrique et du Moyen-Orient, des formes d'esclavage subsistent ; la Société internationale antiesclavagiste de Londres estime que la servitude financière, le servage sous couvert de contrats de travail, les fausses adoptions et l'asservissement imposé aux femmes mariées sont encore responsables de l'assujettissement de plusieurs millions d'êtres humains. Il existe aussi des personnes vivant dans la misère qui se vendent ou qui vendent leurs enfants comme esclaves. En Arabie saoudite, le gouvernement estimait, en 1962, que le pays comptait encore quelque 250 000 esclaves.
Dans l'Empire français, le travail forcé n'a été aboli qu'en 1946, sur les instances, entre autres, de Félix Houphouët-Boigny et de Léopold Sédar Senghor, alors députés à l'Assemblée nationale ; les travailleurs africains réquisitionnés de force étaient notamment employés à des constructions d'infrastructures comme des voies de chemin de fer.

 

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JEAN RACINE

 

 

 

 

 

 

 

Jean Racine

Poète tragique français (La Ferté-Milon 1639-Paris 1699).

Rival de Corneille, de son temps comme dans les esprits du public d'aujourd'hui, Jean Racine reste le maître de la tragédie classique française. Ses pièces campent, dans un décor antique, des héros intemporels, victimes sublimes de leurs passions incontrôlables. Le héros racinien aime quelqu'un qui en aime un autre, dans une succession terrible à l'issue fatale.
Jeune homme pauvre qui parvint à la faveur du roi Louis XIV, Racine connut une promotion sociale considérable. Sa religion, empreinte de la morale austère du jansénisme de Port-Royal, fut l'autre grande affaire de sa vie.

Naissance
Le 22 décembre 1639, à la Ferté-Milon (Picardie).
Famille
Appartenance à la moyenne bourgeoisie. Mort de la mère, puis du père de Racine, alors que celui-ci n’a que deux puis quatre ans.
Formation
À partir de 1649, études à Port-Royal-des-Champs ; puis passage au collège de Beauvais, haut lieu du jansénisme, à Paris et retour aux Granges de Port-Royal-des-Champs pour l’année de rhétorique. Classe de philosophie au collège d’Harcourt, à Paris (1658).
Début de la carrière
Création de La Thébaïde (1664) par la troupe de Molière.
Premier succès
Andromaque (1667), un triomphe qui, de l’avis général, impose désormais Racine comme l’égal de Corneille.
Évolution de la carrière
Perfectionnement du dispositif tragique jusqu’à l’apothéose de Phèdre (1677) puis long silence du dramaturge, promu la même année historiographe du roi ; adieu définitif au théâtre après les créations d’Esther (1689) et d’Athalie (1691), deux tragédies bibliques commandées par Mme de Maintenon, pour les jeunes filles pensionnaires de la maison de Saint-Cyr. À la suite de quoi, composition de cantiques liturgiques (1695), rédaction de l’Abrégé de l’histoire de Port-Royal (1696) et attention toute particulière de Racine à la nouvelle édition de ses œuvres dramatiques (1697).
Mort
Le 21 avril 1699 à Paris. Inhumation à Port-Royal-des-Champs et, après la destruction de l’abbaye en 1711, transfert des cendres à l’église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris.

1. Racine ou la religion du théâtre
1.1. Une formation d'excellence

Issu d'un milieu bourgeois plutôt modeste – son père a les charges de procureur au bailliage et de greffier au grenier à sel de La Ferté-Milon –, Jean Racine est orphelin de mère à 2 ans et de père à 4 ans. Il est alors (1643) recueilli par ses grands-parents maternels. Les relations avec l'abbaye janséniste de Port-Royal vont imprégner toute la vie de Racine. Il y subira l'influence profonde des « solitaires » et de leur doctrine exigeante.
L'une de ses tantes y est religieuse ; sa grand-mère s'y retire à la mort de son mari (1649). L'enfant est alors admis aux Petites Écoles à titre gracieux. Deux séjours dans des collèges complètent sa formation : le collège de Beauvais (1653-1654) et le collège d'Harcourt, à Paris, où il fait sa philosophie (1658).


À 20 ans, nanti d'une formation solide mais démuni de biens, Racine est introduit dans le monde par son cousin Nicolas Vitart (1624-1683), intendant du duc de Luynes. Il noue ses premières relations littéraires (La Fontaine) et donne ses premiers essais poétiques. En 1660, son ode la Nymphe de la Seine à la Reine, composée à l'occasion du mariage de Louis XIV, retient l'attention de Charles Perrault. Mais, pour assurer sa subsistance, il entreprend de rechercher un bénéfice ecclésiastique et séjourne à Uzès (1661-1663) auprès de son oncle, le vicaire général Antoine Sconin. Rentré à Paris en 1663, il se lance dans la carrière des lettres.

1.2. La carrière théâtrale
Rejetant la morale austère de Port-Royal et soucieux de considération mondaine et de gloire officielle, Racine s'oriente d'abord vers la poésie de cour : une maladie que contracte Louis XIV lui inspire une Ode sur la convalescence du Roi (1663). Il récidive aussitôt avec la Renommée aux muses. Le duc de Saint-Aignan (1607-1687) l'introduit à la cour, où il rencontre Molière et Boileau. Lorsque Colbert fait distribuer des gratifications annuelles aux écrivains, Racine figure parmi les bénéficiaires. C'est alors qu'il se tourne vers le théâtre.

Les débuts et la brouille avec Molière
Le 20 juin 1664 est créée la première tragédie de Racine : la Thébaïde, qui n'obtient qu'un succès d'estime (douze représentations en un mois), bien que la troupe de Molière ait monté la pièce avec soin.
Suit Alexandre le Grand, que joue d'abord la troupe de Molière, en 1665. Insatisfait des acteurs, Racine n'hésite pas à remettre sa pièce à la compagnie rivale, celle de l'Hôtel de Bourgogne, ce qui lui vaudra la brouille définitive avec Molière.
Succès côté cour … et côté jardin

L'année suivante, il publie la Lettre à l'auteur des « Hérésies imaginaires », contre son ancien maître janséniste Pierre Nicole, qui venait de condamner le genre théâtral. Pourtant, le jeune dramaturge, enivré de ses succès, entend bien persévérer dans la voie criminelle du théâtre. La rupture avec Port-Royal est alors consommée.
En 1667, Andromaque est créée dans les appartements de la reine, puis jouée à l'Hôtel de Bourgogne. Cette fois, le succès est immense. Désormais, Corneille sait qu'il a un rival.


L'amour du théâtre est propice aux liaisons avec les comédiennes : Racine s'éprend d'abord de la Du Parc, qui le paie de retour, puis de la Champmeslé, qu'il fait débuter à l'Hôtel de Bourgogne dans le rôle d'Hermione au printemps 1669. Cependant, ce n'est pas sur lui-même que Racine a étudié les effets et les ravages de l'amour-maladie : son imagination, sa sensibilité, son talent ont fait leur office. Son œuvre n'est pas une confidence.
La décennie glorieuse

En 1668, Racine écrit ce qui sera son unique comédie, les Plaideurs. Mais c'est surtout avec Britannicus (1669) – dans lequel, en prenant pour sujet et pour cadre l'histoire romaine, Racine s'engage sur le terrain de prédilection de son rival, Corneille – que sa gloire devient éclatante. Dès lors, il rencontre le succès avec chacune de ses pièces : en 1671 avec Bérénice, en 1672 avec Bajazet, en 1673 (année où le poète est élu à l'Académie française) avec Mithridate, en 1674 avec Iphigénie en Aulide. Trois ans plus tard, Racine fait éditer son théâtre et donne Phèdre. Louis XIV lui octroie alors une gratification exceptionnelle de 6 000 livres et le charge, avec Boileau, d'être son historiographe.
Chacune des pièces de Racine fit lever cabales, libelles, parodies et pamphlets, qui témoignèrent à la fois de ses succès et de l'acharnement d'une opposition qui ne désarma pas.

1.3. Dévotion privée et honneurs publics

Après son mariage (1677) avec Catherine de Romanet, une parente de son cousin Nicolas Vitard, et revenu lui-même à la religion de son enfance, Racine vit en bon époux et en bon chrétien. Il exhorte ses sept enfants à la piété la plus stricte et quatre de ses filles entreront dans les ordres.

Au service du roi
Négligeant désormais le théâtre que la cour, de plus en plus dévote, voit d'ailleurs avec moins d'enthousiasme, Racine joue sans hésiter son rôle d'écrivain thuriféraire du roi. Cela lui vaut, en retour, d'être parmi les familiers de la cour, d'avoir un logis à Versailles, et ses entrées dans le cercle privilégié que le roi réunit à Marly. En 1678, il suit Louis XIV dans ses campagnes. Sa production d'historien reste cependant mince ; on lui devra surtout un Éloge historique du Roi sur ses conquêtes (1684) et une Relation du siège de Namur (1692). Réconcilié avec Port-Royal (il laissera un Abrégé de l'histoire de Port-Royal, posthume), Racine entre en 1683 à l'Académie des inscriptions et se trouve, avec Boileau encore, chargé de préparer les inscriptions latines que le roi fait graver au-dessous des peintures qui décorent Versailles. Il achète en 1690 une charge de gentilhomme ordinaire de la chambre.

Inspiration sacrée

Durant cette période, Racine jouit également de la protection de Mme de Maintenon. Celle-ci avait ouvert à Saint-Cyr une institution pour jeunes filles nobles démunies. Afin de leur faire pratiquer le chant, le jeu théâtral, et leur donner en même temps des divertissements édifiants, elle commande au poète des tragédies religieuses. Racine revient donc au théâtre mais à un théâtre d'inspiration sacrée : il écrit Esther, créée à Saint-Cyr en 1689 en présence du roi et très appréciée du public de cour, puis Athalie (1691).

Un zèle imprudent pour Port-Royal à une époque où la persécution se faisait sentir le met en délicatesse avec Mme de Maintenon et en demi-disgrâce à la Cour. Après avoir souffert d'un abcès au foie, Racine s'éteint le 21 avril 1699. Louis XIV lui accorde la sépulture à Port-Royal.

2. L’œuvre de Racine
2.1. Une inspiration profane, puis chrétienne

Comparée à l’œuvre de ses contemporains, tels Corneille ou Molière, la production de Racine est moins abondante. Il n’écrivit que douze pièces au total ; mais quelles pièces !
L’ensemble s’articule en deux volets : les tragédies de la période théatralement féconde, avec la parenthèse d’une seule comédie, les Plaideurs (satire visant le monde judiciaire) ; puis les deux tragédies d’inspiration biblique, Esther et Athalie, pièces de circonstance mais traductions personnelles d’un retour à la foi.
Les grandes tragédies de la période la plus créatrice, aux thèmes non-religieux, permettent de définir les caractéristiques du théâtre racinien : un respect des règles qui ont conditionné l’art classique, une évolution dans le traitement des personnages et de l’action qui rompent avec la tradition des pièces héroïques ou exemplaires, l’obsession de représenter des passions exacerbées, enfin une fluidité musicale du langage.

2.2 Le respect rigoureux des règles classiques
Contrairement à Corneille, Racine respecte sans difficulté ces contraintes héritées du théâtre antique et codifiées par Boileau dans son Art poétique : « Qu’en un lieu, un seul jour, un seul fait accompli tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli ». Dans la préface de Britannicus, il se dit partisan d’« une action simple chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un seul jour et qui, s’avançant par degrés vers sa fin, n’est soutenue que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages ». Il n’a jamais dérogé à ces obligations.
L'exaltation des sentiments est toute l'action
Phèdre déroule dans le cadre d’une journée les événements qui mènent la jeune épouse du roi Thésée à déclarer son amour à son beau-fils puis à se donner la mort au retour de son mari. Ou bien, dans Andromaque, ce même délai permet au roi Pyrrhus d’hésiter entre deux femmes, Hermione et Andromaque, de choisir la seconde et de périr des coups portés par un homme armé par la femme abandonnée.
La représentation de sentiments exaltés et l’arrivée d’événements dramatiques et sanglants ne créent pas une multitude d’éléments disparates ; tout repose sur une ligne simple qui suit son évolution, depuis l’exposition jusqu’au dénouement.

Captiver avec rien ?
Poussant la règle des trois unités jusqu’à son utilisation la plus minimale, Racine a même imaginé une action réduite à des faces à face et à une séparation du couple principal sans qu’intervienne aucun rebondissement. C’est le cas de Bérénice où la reine de Judée, Bérénice, et l’empereur de Rome, Titus, sacrifient leur amour aux intérêts de l'État. Dans sa préface à cette tragédie, Racine explique vouloir : « faire une tragédie avec cette simplicité d’action qui a été si fort du goût des anciens […] Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d’invention. Ils ne songent pas qu’au contraire toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien ». Il s'agit pour lui en effet d'« attacher durant cinq actes leurs spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentiments et de l’élégance de l’expression. » Ainsi s’oppose-t-il aux auteurs dont les pièces accumulent les incidents et les coups de théâtre…

2.3 Le respect du contexte antique
Quelques exceptions

D’une manière paradoxale, le théâtre classique – et surtout le genre de la tragédie – place sa modernité dans une transposition des actions et des sentiments dans un contexte antique. Les pièces doivent le plus possible puiser dans la mythologie gréco-romaine, les tragédies des Anciens ou les faits relatés par les historiens grecs et latins. Racine a plusieurs fois dérogé à ce principe.
L’action des Plaideurs se passe de son temps, puisque c’est une charge contre la justice telle qu’il l’a connue (même si la trame est inspirée des Guêpes d’Aristophane), mais cela est admis dans le registre comique, genre moins noble.
Plus inattendu : l’action de Bajazet a lieu au xviie siècle, mais en Turquie. Dans sa seconde préface, Racine soutient que la distance géographique a le même sens que la distance dans le temps (« On peut dire que le respect qu’on a pour les héros augmente à mesure qu’ils s’éloignent de nous [… ] L’éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps »). Enfin, les deux tragédies tardives, Esther et Athalie, ont prennent leurs sources dans les « Saintes Écritures »  – ce qui est une autre forme d’éloignement.
Sous le masque de l'Antiquité gréco-romaine

L’Antiquité reste dominante. Cette Histoire ancienne, et ses auteurs – historiens et dramaturges,- Racine les connaît parfaitement. Dans les préfaces de ses pièces, il dispute à distance avec ceux qui contestent telle ou telle transposition et les contredit avec une imparable érudition. Si l’on examine les sujets des huit pièces « antiques », on constate que l’histoire et la mythologie grecque l’emportent, de peu, sur les sujets romains. Quatre pièces, la Thébaïde (qui s’inspire du mythe d’Antigone et de ses frères), Andromaque, Iphigénie et Phèdre suivent d’assez près des sujets traités par les grands auteurs grecs. Alexandre le Grand relève, comme son titre l’indique, de l’histoire hellénique. En relation avec l’histoire romaine, il ne reste que trois œuvres, Britannicus, Bérénice et Mithridate.
Vu sous cet angle, le théâtre de Racine serait plus grec que romain. Mais les deux inspirations se rejoignent dans une même vision poétique du passé, un temps à la fois réel et idéalisé, authentique et imaginaire où l’on peut à la fois interroger l’Histoire et transposer le présent d’une façon masquée.

D’une façon indirecte, Racine, dans sa préface à Iphigénie, reconnaît que l’Antiquité recèle une traduction de l’actualité : « J’ai reconnu avec plaisir, par l’effet qu’a produit sur notre théâtre, tout ce que j’ai imité ou d’Homère ou d’Euripide, que le bon sens et la raison étaient les mêmes dans tous les siècles. Le goût de Paris s’est trouvé conforme à celui d’Athènes. Mes spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce. » Les contemporains de Racine y voyaient même parfois des allusions transparentes à des personnages de la Cour…

2. 4 La passion mise à nu
Racine a parfois affirmé que son théâtre était une école de vertu. Si cela est vrai pour ses deux dernières tragédies, Esther et Athalie, il n’en est rien pour ses principales tragédies. Toutes, et surtout ses chefs-d’oeuvre les plus célèbres, donnent à voir la passion amoureuse dans sa violence la plus incontrôlable. Chez les amants raciniens, il n’y a plus de morale, plus de religion, plus d’interdit – même si certains commentateurs discernent en arrière-plan un sens caché du péché et d’un Dieu chrétien jamais totalement effacé. Ces amoureux sont transportés par leurs passions, jusqu’à la mort – la leur ou celle des autres.
Tous sont le jouet de leurs passions

Phèdre défie les tabous en avouant son amour à son beau-fils et, ayant avoué sa faute, se donne la mort. Hermione, dans Andromaque, se venge de ne pouvoir garder l’amour de Pyrrhus et fait tuer par Oreste ce roi qu’elle devait épouser. Néron, dans Britannicus, fait arrêter puis empoisonne son rival Britannicus dans l’espoir de posséder la jeune Junie. La vie d’Iphigénie, promise au sacrifice, n’est qu’un jouet pour son père Agamemnon qui fait passer l’ambition personnelle avant l’amour paternel. Roxane, la favorite du sultan, est prête à tout pour l’amour du frère du sultan, Bajazet, qui feint de l’aimer ; découvrant qu’il la trompe, elle le fait assassiner.
Bérénice et Andromaque sont les deux héroïnes raciniennes qui ne paieront pas de leur vie leur passion pour un homme dont elles n’obtiendront rien : la première, parce que le couple prend conscience du caractère impossible de leur amour ; la seconde, parce que la mort du roi Pyrrhus qu’elle a séduit, tué à la demande de sa rivale Hermione, la transforme en reine héritière malgré elle.

« Exciter la compassion et la terreur »

Pour Racine, le sujet, le territoire, l’objet même de la tragédie, c’est la passion. Et son but, suivant la formule héritée d'Aristote, « exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la tragédie » (préface d’Iphigénie). Mais sa grande nouveauté est de faire de ses héros des personnages simples, crédibles, vraisemblables, ressemblant aux personnes de son époque, à l’opposé des figures souvent boursouflées et excessives des tragédies baroques.
Dès Andromaque, il affirmait que, suivant les conseils d’Aristote, les protagonistes ne devaient être ni « tout à fait bons, ni tout à fait méchants » et tomber « dans quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester ». Aussi, chez lui, la représentation des plus violents excès de la passion ne met-elle pas en cause le caractère éminemment humain de personnages en proie à des émotions et des aspirations contradictoires. Héros et héroïnes sont déjà ce qu’on appellera beaucoup plus tard anti-héros et anti-héroïnes.

2.5 L’extrême musicalité du vers racinien
Plus encore que les autres auteurs classiques, Racine est un poète. Ses alexandrins sont si rythmés et musicaux qu’on a parfois soutenu que ses tragédies ne gagnaient rien à être jouées et qu’il fallait les écouter comme des poèmes. Les mises en scène modernes nous ont prouvé le contraire : les scènes sont fortes, structurées, pas du tout fondées sur la seule incantation. Mais, alors que Corneille et Molière ont une formation rhétorique et jouent volontiers avec la forme du discours, Racine se place davantage à l’intérieur du flux de la conscience de ses personnages et leur donne un langage plus fluide, où les mots se répondent dans une forme d’assonance et de chant. Les propos sont en situation, participent à l’action mais peuvent être aussi détachés, isolés, comme des phrases dont la beauté enchante et la profondeur bouleverse.
Ainsi Phèdre se voyant tout haut à la place d'Ariane et menant un Hippolyte-Thésée :
« Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée ou perdue. »
(Phèdre, acte II, scène V).
Ou Junie répondant à Britannicus :
« J’ose dire pourtant que je n’ai mérité
Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité »
(Britannicus, II, 3).
Balancements, symétries, juxtapositions de termes antinomiques (oxymores) et assonances suggestives traduisent brillamment dans le vers racinien les impasses qui enferment, la fureur qui transporte, l'effarement qui rend fou ; ainsi dans le célébrissime alexandrin d'Oreste perdant la raison : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
(Andromaque, V, 5).
La maîtrise du lyrisme stylistique donne au vers une mélodie prégnante propre à Racine.


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CAMBODGE

 

 

 

 

 

 

 

CAMBODGE


PLAN
        *         CAMBODGE
        *         GÉOGRAPHIE
        *         1. Le milieu naturel
        *         2. La population
        *         3. L'économie


    *         HISTOIRE
        *         1. Époque du Funan
        *         2. Époque du Tchen-la
        *         3. Époque angkorienne
        *         4. La période moderne
        *         5. Le protectorat français
        *         6. L'accession à l'indépendance
        *         7. La crise
        *         8. La guerre
        *         9. Le régime khmer rouge
        *         10. L'intervention vietnamienne
        *         11. La difficile pacification du Cambodge
            *         11.1. Vers une stabilisation politique
            *         11.2. Vers un apurement du passé
            *         11.3. L'hégémonie du PPC et la division des royalistes
            *         11.4. Les élections de 2013 et la progression de l’opposition
Cambodge
Nom officiel : royaume du Cambodge

Cambodge
       


État d'Asie du Sud-Est, dans la péninsule indochinoise, le Cambodge, baigné à l'ouest par le golfe de Thaïlande, est limité au sud et à l'est par le Viêt Nam, au nord par le Laos et la Thaïlande.
*         Superficie : 181 000 km2
*         Nombre d'habitants : 15 135 000 (estimation pour 2013)
*         Nom des habitants : Cambodgiens
*         Capitale : Phnom Penh
*         Langue : khmer
*         Monnaie : riel
*         Chef de l'État : Norodom Sihamoni
*         Chef du gouvernement : Hun Sen
*         Nature de l'État : monarchie constitutionnelle à régime parlementaire
*         Constitution :
    *         Adoption : 21 septembre 1993
    *         Révision : mars 1999
Pour en savoir plus : institutions du Cambodge

GÉOGRAPHIE
Le pays, au climat chaud et humide, est formé de plaines ou de plateaux recouverts de forêts ou de savanes, entourant une dépression centrale, où se loge le Tonlé Sap et qui est drainée par le Mékong. C'est dans cette zone que se concentre la population (formée essentiellement de Khmers et en grande majorité bouddhiste), qui vit surtout de la culture du riz.

1. Le milieu naturel

Le Cambodge est une cuvette, occupée en son centre par les Lacs et par les « Quatre Bras » (Mékong supérieur, Mékong inférieur, Tonlé Sap, Bassac) et accidentée de hauteurs isolées (phnom), avec, sur ses rebords : la falaise rectiligne des Dangrêk, au nord ; les plateaux aux flancs abrupts des Cardamomes (1 000 m d'altitude en moyenne) et de l'Éléphant, au sud et au sud-ouest ; le plateau de Mondolkiri, à l'est.
Le pays a un climat tropical, chaud et humide. Les pluies d'été sont apportées par la mousson du Sud-Ouest. Les hauteurs les plus marquées du pays étant perpendiculaires au flux de mousson, leurs pentes méridionales, « au vent », reçoivent des pluies considérables (parfois plus de 5 m). La cuvette centrale est, au contraire, « sous le vent » et ne reçoit, en moyenne, que 1 300 à 1 400 mm de pluie : mais cet effet d'abri ne se fait sentir que de mai à août, les pluies étant au contraire très abondantes en septembre et en octobre. Relativement sèche, la cuvette cambodgienne est inondée, en son centre, par les hautes eaux du Mékong, qui montent à partir de juin et atteignent leur maximum au début octobre.

2. La population

Plutôt sous-peuplé (63 habitants par km2), sauf dans la région des « Quatre Bras », le Cambodge a une population homogène, essentiellement composée par les Khmers, qui habitent les plaines centrales du pays. À la périphérie, on rencontre quelques minorités montagnardes de langue môn-khmer, pratiquant la culture sur brûlis : les Khmers Loeu, ou « Khmers d'en haut ». Parmi les autres minorités nationales figurent les Chams, encore appelés Khmers Islam parce qu'ils sont musulmans alors que les Khmers sont bouddhistes. Originaires de l'ancien Champa, de Sumatra, de Java ou de Malaisie, ils habitent près des rivières, pratiquent une agriculture variée et intensive, la pêche et l'artisanat. Il existe enfin une minorité sino-khmère, dont le rôle est important dans le commerce et le développement du littoral, ainsi qu'une minorité vietnamienne. Les Khmers sont surtout des paysans, vivant d'une culture extensive du riz, de l'élevage et de la pêche en eau douce. La population cambodgienne a été ravagée par le terrible génocide perpétré par les Khmers rouges (entre un et deux millions de morts), ainsi que par la famine et l'exode de nombreux réfugiés vers la Thaïlande. Autres conséquences de ce tragique événement : la proportion élevée de femmes (54 % de la population de plus de 15 ans), particulièrement sensible dans les campagnes, ainsi que la diminution de la population urbaine, dont le niveau de 1970 ne sera retrouvé que dans les années 1980.

3. L'économie
La situation économique est marquée par les années de guerre. Le Cambodge est un pays pauvre, avec un revenu annuel par habitant qui est l'un des plus bas du monde. L'agriculture occupe 70 % de la population et constitue le secteur dominant. Dans les plaines centrales, sur les hautes terres de la région de Takéo, une riziculture pluviale est pratiquée de manière extensive, sur de petites propriétés, où elle est souvent associée au palmier à sucre. Les grandes exploitations rizicoles irriguées sont concentrées dans la région de Battambang, la deuxième ville du pays. Jusqu'en 1970, la production de riz, même de faible rendement, dégageait un surplus commercial réduit à néant par les années de guerre (1970-1975), les travaux forcés imposés par les Khmers rouges et le type de collectivisation établi par l'occupation vietnamienne (1979-1989). Malgré le rétablissement de la petite exploitation familiale, l'autosuffisance reste précaire et les superficies cultivées sont moins importantes qu'en 1970 – la guerre a laissé de nombreuses mines antipersonnel et la déforestation excessive a créé des problèmes d'approvisionnement en eau.
Sur les rives du Mékong, du Tonlé Sap et du Bassac s'est développée, depuis le xixe s., une polyculture commerciale originale, qui utilise habilement les crues et leurs limons fertiles pour produire maïs, haricots, tabac, sésame, arachides, kapok, soja, etc., certaines de ces cultures permettant deux récoltes par an. L'élevage d'animaux de trait, essentiel pour l'agriculture, a repris. La pêche est très importante pour le pays, le poisson étant la première source de protéines pour les Cambodgiens ; la pêche familiale en eau douce couvre la majeure partie des besoins, les eaux des lacs, les forêts inondées par les crues du Mékong et les rivières étant exceptionnellement poissonneuses. Cependant, ces conditions naturelles favorables sont menacées par la dégradation de l'environnement. La pêche commerciale existe, mais, en eau douce comme en mer, elle est le domaine des Chams, des Vietnamiens et des Chinois, qui subissent de plus en plus la concurrence illégale des pêcheurs thaïlandais.
Le Cambodge développe également quelques cultures à vocation commerciale : le caoutchouc dans la région de Kompong Cham, le poivre dans la zone côtière orientale, des cocoteraies et des cultures fruitières autour des villes. La forêt est surexploitée : elle couvrait 73 % du territoire en 1969 et seulement 35 à 40 % en 1991. Les autorités locales, les Khmers rouges, l'armée – responsable de la gestion de l'exploitation forestière depuis 1994 – ont participé à l'abattage illégal du bois et à sa contrebande vers la Thaïlande et le Viêt Nam, ce qui prive le gouvernement de revenus importants et menace les équilibres écologiques.
Le secteur industriel est dominé par l'habillement, qui représente la majorité des exportations. Le reste de l'industrie (rizeries, latex, agroalimentaire, ciment) est modeste et desservi par un équipement vétuste. Un port, Kompong Som, a été créé sur le golfe de Siam en 1955. Les ressources minières sont limitées (phosphates utilisés pour fabriquer des engrais, pierres précieuses de Païlin). Le Cambodge reste très dépendant de l'aide internationale et il ne parvient pas à séduire les investisseurs, qui, malgré la libéralisation de l'économie, reculent devant la corruption et le manque de structures juridiques. La reprise du tourisme est réelle, avec près de 3 millions d'entrées en 2011.

HISTOIRE
1. Époque du Funan
Du ier au ve s. de notre ère, ce royaume hindouisé se développe dans le delta et le moyen Mékong, avec pour capitale Vyadhapura (près de Bà Phnom, dans la province actuelle de Prey Veng). Le Funan est pendant cinq siècles la puissance dominante d'Asie du Sud-Est et maintient des contacts avec la Chine et l'Inde. Cette dernière exerce une influence déterminante, tant religieuse que culturelle. Au milieu du vie s., le Funan se décompose sous la pression d'un nouveau royaume situé dans le moyen Mékong, le Tchen-la.

2. Époque du Tchen-la
Ce royaume s'empare du Funan et étend sa puissance à l'actuel Cambodge. Le roi Ishanavarman (616-635) fonde une capitale, Ishanapura, dans la région de Kompong Thom. Au milieu du viiie s., le Tchen-la se scinde en deux, le Tchen-la de l'eau, maritime et plus proche du monde malais, et le Tchen-la de terre, situé aux confins du nord du Cambodge, de la Thaïlande, du Laos et des hauts plateaux du centre de l'Annam. Les deux Tchen-la seront réunifiés par le premier souverain angkorien, Jayavarman II.

3. Époque angkorienne

Issu de l'ancienne dynastie et ayant passé une partie de sa vie à Java, qui exerçait une sorte de suzeraineté sur les régions maritimes du pays, Jayavarman II (802-vers 836) restaure la monarchie et installe sa capitale, Mahendraparvata, près du Grand Lac (Tonlé Sap), à proximité du site d'Angkor (plateau du Phnom Kulên). Il instaure le culte du dieu-roi, devaraja, maître et maître d'œuvre du pays, et en particulier de l'irrigation, base de l'économie et donc du pouvoir et de la puissance du royaume.
Son neveu Indravarman Ier, puis le fils de ce dernier, Yashovarman Ier (889-900), vont poursuivre son œuvre et développer Angkor, la capitale. Grand bâtisseur, Rajendravarman (944-968) construit Bantéay Srei et lance des opérations militaires contre le Champa.
Le règne de l'usurpateur Suryavarman Ier (1002-1050), premier grand souverain bouddhiste mahayana, et celui de Suryavarman II (1113-après 1144), bâtisseur d'Angkor Vat, voient l'apogée de la puissance de l'empire angkorien, qui s'étend sur le Siam, atteint la Birmanie, la péninsule malaise, et qui lance ses troupes sur le Champa, le Dai Viêt et contre les Môns. Puissance éphémère cependant, puisqu'elle n'est pas fondée sur l'occupation militaire et l'administration directe, le roi khmer se contentant de faire reconnaître sa suzeraineté et d'installer des gouverneurs locaux.
Ainsi, dès 1177 les Chams relèvent la tête et mettent à sac Angkor. Il faudra quatre ans au futur Jayavarman VII pour les chasser et restaurer la monarchie qui va avec lui briller de ses derniers feux. Le « roi lépreux », qui règne de 1181 à 1218, s'est converti au bouddhisme ; on lui doit le Bayon. Il va restaurer les gloires passées et se venger du Champa, annexé à l'empire de 1203 à 1226.
À partir du xive siècle, la menace siamoise se précise contre l'empire angkorien avec la fondation, en 1350, du royaume Ayuthia ; celui-ci s'étend aux dépens de l'empire khmer, affaibli, et dont la décadence s'amorce. Les hostilités incessantes tournent à l'avantage des Siamois, qui s'emparent d'Angkor en 1431, la pillent et emmènent ses habitants en captivité. Trop exposée à l'envahisseur, la prestigieuse capitale est abandonnée l'année suivante. En 1434, la cour s'installe aux « Quatre Bras », près du site de l'actuelle Phnom Penh.

4. La période moderne
L'histoire du Cambodge du xve au xixe siècle est celle des longues luttes qu'il doit soutenir contre ses deux puissants voisins, le Siam et l'Annam, auxquelles s'ajoute l'instabilité interne chronique.
Le prince Ponhéa Yat, couronné en 1441, donne au pays une brève période de stabilité et de paix, avant d'abdiquer en 1467. Les rivalités intestines reprennent, avec parfois une intervention siamoise en faveur d'un prétendant au trône. Ang Chan (1516-1566) tente de contenir par les armes la pression des Siamois, qu'il bat près d'Angkor dans un lieu qui devient Siem Réap (« La défaite des Siamois »). Il transfère sa capitale à Lovêk. Ses successeurs se disputent à leur tour le pouvoir et ne parviennent pas à repousser une invasion siamoise, qui s'achève par la prise de Lovêk (1594).
C'est vers le milieu du xvie siècle que les premiers Européens arrivent au Cambodge, missionnaires, commerçants et aventuriers, Espagnols ou Portugais ; une tentative de deux d'entre eux, Veloso et Ruiz, pour prendre le contrôle du royaume échouera en 1559.
Après la chute de Lovêk, le Cambodge est devenu le vassal du Siam. Le roi Chey Chêtthâ II tente de secouer le joug siamois, repousse les armées venues de l'ouest et, pour se renforcer, va chercher un appui du côté de l'empire d'Annam, dont il a épousé une des princesses. C'est le début de la politique khmère d'équilibre précaire entre ses deux voisins, et le commencement de l'influence de la cour de Huê dans ce qui deviendra le sud du Viêt Nam et qui est encore cambodgien. L'Annam, qui vient d'écraser le Champa et qui amorce sa « marche vers le sud », obtient du roi l'autorisation de fonder des comptoirs dont l'un deviendra Saigon. La colonisation vietnamienne du delta du Mékong va s'intensifier. Le Cambodge sera d'autant moins à même de s'y opposer qu'il est déchiré pendant tout le xviiie siècle par des guerres civiles ; parallèlement, la pression siamoise ne se relâche pas et Ayuthia annexe des pans de l'ancien empire angkorien.
En 1794, le roi Ang Eng est couronné par le roi de Siam et ramené à Oudong, la capitale, par une armée siamoise ; les provinces de Battambang et de Siem Réap sont annexées de facto au Siam. Ang Eng ne règne que deux ans. Le Cambodge devient le terrain de bataille entre Siamois et Annamites, ces derniers s'étant définitivement installés dans le delta du Mékong. Ang Chan II (1806-1834), fils d'Ang Eng, se constitue vassal de l'empereur d'Annam.
Le Siam considère cette décision inacceptable et la lutte reprend entre Siamois et Annamites, ces derniers prenant le dessus et occupant le Cambodge. Cette domination, souvent brutale, se concrétise en 1835 par l'installation sur le trône d'une femme, la princesse Ang Mei, sans pouvoir réel. Une vietnamisation accélérée du pays s'ensuit ; le Cambodge sera même annexé en 1841 par l'empire d'Annam. Les Khmers réagissent à cette situation en prenant les armes, avec le soutien militaire du Siam. Le général Bodin conduit une armée qui a pour mission de placer sur le trône Ang Duong, frère cadet d'Ang Chan II. Huê et Bangkok, incapables de l'emporter, s'accordent pour exercer une cosuzeraineté sur un royaume qui s'est réduit comme une peau de chagrin, et qui compte à peine un million d'âmes sur un territoire ruiné.
Couronné en 1847, Ang Duong tente, en 1854, d'obtenir l'appui de la France ; mais la mission envoyée l'année suivante et dirigée par Charles de Montigny échoue. Le roi veut préserver l'existence de son royaume, dont il craint la disparition à la suite d'un partage entre le Siam et l'Annam ; en même temps, il tente de réformer l'Administration et de restaurer l'économie.

5. Le protectorat français

En 1859, Norodom succède à son père Ang Duong. Devant la rébellion de son frère Votha, il doit se réfugier au Siam en 1861. Revenu dans son pays en 1862, il place, en 1863, le Cambodge sous le protectorat de la France et, l'année suivante, transfère sa capitale à Phnom Penh.
De 1865 à 1867, il doit faire face à l'insurrection populaire dirigée par Po Kombo ; il est contraint de faire appel aux forces coloniales venues de Cochinchine. Par le traité de 1867, et en échange de la reconnaissance de la suzeraineté siamoise sur les provinces de Battambang et de Siem Réap – qui seront restituées par le traité de 1907 –, la France obtient de Bangkok le renoncement à ses droits sur le Cambodge. Paris tente de renforcer son emprise sur le royaume en forçant Norodom, qui a entrepris d'importantes réformes, à signer la convention du 17 juin 1884, par laquelle il abandonne en fait tous ses pouvoirs à un résident qui exerce une autorité directe sur l'Administration. Une insurrection éclate aussitôt, avec la connivence du roi.
En 1886, ne pouvant mater le soulèvement, la France propose une application plus souple de la convention et le rétablissement de l'autorité royale ; convoqués par le roi, les rebelles se soumettent. Toutefois, l'emprise coloniale ne va pas cesser de s'affirmer, tandis que des rectifications de frontières sont effectuées au profit de la Cochinchine et de l'Annam.
Le pouvoir colonial s'efforce de moderniser l'Administration et l'économie khmères. Dans ce domaine, le roi Sisovath, qui succède à son frère (1904), va poursuivre l'œuvre entreprise par Norodom. Le développement économique s'accompagne de l'arrivée de nombreux Chinois et surtout de Vietnamiens ; ces derniers forment une importante communauté (commerçants, fonctionnaires, ouvriers des plantations, pêcheurs). À la mort de Sisovath (1927), son fils aîné, Monivong, lui succède. Le royaume subit durement le contrecoup de la grande crise de 1929.
En janvier 1941, profitant de la défaite française et de la présence des Japonais, le Siam attaque le Cambodge pour reprendre les provinces de Battambang et de Siem Réap. Tenus en échec sur le terrain, les Siamois obtiennent néanmoins satisfaction par le biais d'une « médiation » japonaise (11 mars). Le 23 avril, Monivong meurt. Sous la pression de l'amiral Decoux, représentant français en Indochine, inquiet de la réputation de démocrate de Monireth, fils aîné du roi défunt, le Conseil de la couronne choisit un jeune prince de dix-huit ans, Norodom Sihanouk, arrière-petit-fils de Norodom par son père et de Sisovath par sa mère ; il est couronné le 28 octobre. Les Japonais apportent leur soutien à un jeune dirigeant nationaliste originaire de Cochinchine, Son Ngoc Thanh ; celui-ci doit toutefois s'enfuir à Tokyo pour échapper à la police française.
À la suite du coup de force du 9 mars 1945, les Japonais prennent le contrôle direct de l'Indochine et invitent Sihanouk à proclamer l'indépendance, ce qu'il fait dès le 12. Son Ngoc Thanh est nommé ministre des Affaires étrangères (1er juin), puis Premier ministre (14 août). Les Français l'arrêtent dès leur retour (16 octobre). Sihanouk, qui n'a pas les moyens de résister aux Français, signe le modus vivendi du 7 janvier 1946, qui prévoit seulement l'autonomie interne du royaume dans le cadre de l'Indochine.
Une résistance au retour des Français prend corps. Elle donnera naissance à deux mouvements : l'un – les Khmers Issarak, qui deviendront plus tard les Khmers Serei – dirigé par Son Ngoc Than, de droite et antisihanoukiste, qui poursuivra la lutte contre Sihanouk jusqu'à sa chute en 1970, avec le soutien de Bangkok, de Saigon et des États-Unis ; l'autre, dirigé par Son Ngoc Minh, de gauche, qui sera largement contrôlé par le Viêt-minh et formera un gouvernement provisoire en 1951.
Une opposition légale, le parti démocrate du prince Youthevong, remporte les trois quarts des sièges aux élections du 1er septembre 1946. En octobre, Bangkok restitue les deux provinces annexées en 1941.
Le 6 mai 1947, le Cambodge devient une monarchie constitutionnelle, tandis que le conflit entre Sihanouk et les démocrates se poursuit (il durera jusqu'en 1952) et que la guerre fait rage en Indochine. À force de pressions et d'habile diplomatie, Sihanouk obtient une indépendance assortie de limites (8 novembre 1949) ; en 1952, il se proclame Premier ministre. L'année suivante il lance sa « croisade pour l'indépendance », par laquelle il entend également couper l'herbe sous le pied aux mouvements de résistance. L'effet est immédiat : il obtient l'indépendance totale (3 juillet), qui sera confirmée lors de la conférence de Genève de 1954.

6. L'accession à l'indépendance
Dès la conférence de Genève, Sihanouk s'oppose avec succès à la tentative du Viêt Nam de Hô Chi Minh de faire connaître des zones « libérées » à ses partisans « Khmers Viêt-minh ». Phnom Penh ne veut pas pour autant tomber dans l'orbite des États-Unis (qui accordent une aide économique et militaire) et refuse d'entrer dans l'Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est (OTASE), fondée en septembre 1954.
L'année suivante, le Cambodge quitte l'Union française. Sihanouk se rapproche du neutralisme, qui s'exprime lors de la conférence de Bandung (avril 1955). Il établit des relations diplomatiques avec l'URSS (1956), puis avec la Chine (1958). Entre-temps, l'Assemblée nationale a voté (1957) la « neutralité » du royaume. L'hostilité et les revendications territoriales de la Thaïlande et du Viêt Nam du sud, alliés des États-Unis, accroissent la méfiance de Sihanouk envers Washington, tandis que ses relations avec Hanoi et Pékin se resserrent.
Le 7 février 1955, Sihanouk fait approuver sa politique par référendum. Le 19, il fait adopter une réforme constitutionnelle selon laquelle le gouvernement n'est plus responsable devant l'Assemblée mais devant le roi. Il abdique le 2 mars en faveur de son père, Norodom Suramarit, et fonde en avril le Sangkum Reastr Niyum (communauté socialiste populaire), qui remporte tous les sièges aux élections du 11 septembre et qui les conservera aux élections de 1958.
En 1958-1959 et en 1963, le parti communiste Prachacheon est frappé par une répression sévère. Ses membres les plus radicaux, sous la conduite de Touch Samuth, puis de son successeur Saloth Sar (qui deviendra Pol Pot) et de Ieng Sary, forment, avec une partie des survivants du parti populaire révolutionnaire – créé en 1951 après l'éclatement du parti communiste indochinois –, un parti communiste khmer (30 septembre 1960). Organisation clandestine, ce parti prend le maquis en 1963 et se lance dans la lutte armée à partir de janvier 1968. Proche de Pékin, il n'aura pas de rapports avec les communistes khmers réfugiés à Hanoi après 1954.
Il existe aussi une gauche légale, représentée surtout par trois députés, Khieu Samphan, Hou Youn et Hu Nim ; les deux premiers seront brièvement ministres (1962), avant de prendre eux aussi le maquis (1967).
La détérioration des rapports avec la Thaïlande et le Viêt Nam du Sud conduit à la rupture avec ces deux pays (1961 et 1963). En 1962, la Cour internationale de justice de La Haye tranche en faveur du Cambodge le conflit portant sur le temple de Preah Vihear, qui doit lui être restitué par Bangkok. Avec Saigon, les incidents frontaliers se multiplient. Au même moment, les adversaires du prince – conduits par Son Ngoc Thanh et ses Khmers Serei, réfugiés en Thaïlande et au Viêt Nam du Sud – complotent pour le renverser, avec l'appui de services spéciaux américains. Le prince renonce à l'aide militaire américaine (novembre 1963), et les relations diplomatiques sont mises en sommeil (14 décembre). Le 1er janvier 1964, l'aide économique américaine cesse. Les relations diplomatiques sont rompues en mai, après l'incident de Chantrea, au cours duquel les troupes de Saigon sont entrées au Cambodge. Le prince relance son initiative en faveur de la neutralisation de son pays et de la reconnaissance de ses frontières. Les États-Unis et leurs alliés refusent d'y souscrire ; le FNL sud-vietnamien et Hanoi les reconnaissent (1967).
La brouille du Cambodge avec les États-Unis le rapproche du camp socialiste, mais aussi de la France ; le général de Gaulle se rend en visite officielle à Phnom Penh (30 août-2 novembre 1966) et y prononce un important discours, où il condamne la politique d'intervention américaine.
Sur le plan intérieur, le prince renforce le contrôle étatique sur l'économie et le commerce par une série de réformes dont auront rapidement raison la mauvaise gestion et la corruption. Le fossé entre villes et campagnes s'élargit ; les Khmers rouges en profitent pour renforcer leur influence sur les paysans. En 1966, le prince décide de ne plus choisir les candidats du Sangkum aux élections ; il s'ensuit un triomphe de la droite et la formation d'un gouvernement Lon Nol. Pour y remédier, le prince, devenu chef de l'État depuis la mort de son père en 1960 – sa mère, la reine Kossamak, continuant à symboliser le trône –, crée un « contre-gouvernement ».

7. La crise
Le 2 avril 1967, les paysans de Samlaut, dans la province de Battambang, se révoltent contre les exactions de l'administration locale ; Lon Nol noie le soulèvement dans le sang. Il est remplacé à la tête du gouvernement par l'économiste Son Sann (1er mai). Peu après, la révolution culturelle chinoise fait son apparition à Phnom Penh. Sihanouk riposte en dissolvant les organisations sino-cambodgiennes (septembre) et en menaçant Pékin de remettre en cause les relations entre les deux pays. Zhou Enlai répond par un message conciliant. Mais un certain nombre de Cambodgiens de gauche jugent plus prudent de se réfugier en France ou de rejoindre les Khmers rouges.
En novembre, Sihanouk prend la tête d'un « cabinet d'urgence » ; en janvier 1968, il cède la place à son fidèle Penn Nouth pour un « gouvernement de la dernière chance » ; en novembre, Lon Nol y devient ministre de la Défense. Une révolte tribale éclate à Ratanakiri. Les Américains autorisent la poursuite des Vietnamiens sur le territoire cambodgien, en dépit des protestations du prince. En mars 1969, Nixon et Kissinger ordonnent le bombardement clandestin du Cambodge. Mais, en avril, les États-Unis reconnaissent les frontières du royaume, prélude à la reprise des relations diplomatiques (août). En mai, Sihanouk a reconnu le Gouvernement révolutionnaire provisoire (GRP) sud-vietnamien.
En août 1969, le cabinet Penn Nouth est renversé ; Lon Nol lui succède, avec à ses côtés un autre adversaire déterminé de Sihanouk, son cousin Sirik Matak. Des contacts se nouent secrètement avec Washington, Saigon et Bangkok, qui souhaitent eux aussi se débarrasser du prince et détruire les « sanctuaires » vietnamiens du Cambodge. Le 18 mars 1970, Sihanouk est renversé par l'Assemblée, sous la pression du gouvernement et de l'armée, alors qu'il part pour Pékin. Cheng Heng devient chef de l'État.

8. La guerre
La neutralité proclamée par les auteurs du coup d'État du 18 mars ne les empêche pas de se placer du côté des États-Unis et de Saigon ; le général Lon Nol lance un ultimatum aux troupes de Hanoi et du G.R.P. pour qu'elles quittent le Cambodge, avant d'expulser leurs diplomates et de rompre avec eux. En même temps, il fait appel aux Américains pour une aide militaire. Dès le 20 mars, des troupes saigonnaises ont franchi la frontière cambodgienne pour attaquer des bases communistes. Le 26, l'armée ouvre le feu pour arrêter une marche de partisans du prince Sihanouk sur Phnom Penh. Au début d'avril, cette armée se livre au massacre de milliers de résidents vietnamiens. Nixon et le général Nguyên Van Thiêu renforcent leurs pressions sur les dirigeants cambodgiens afin qu'ils entrent ouvertement dans la guerre.
À Pékin, Sihanouk reçoit l'appui de la Chine et des Khmers rouges pour mener la lutte contre Lon Nol. Le 20 avril 1970 est créé le Front uni national du Kampuchéa (FUNK), présidé par Sihanouk, suivi, le 5 mai, de la création du Gouvernement royal d'union nationale du Kampuchéa (GRUNK), dirigé par Penn Nouth. Khieu Samphan, vice-Premier ministre, dirige la résistance sur le territoire khmer. Les 24-25 avril se tient à Canton la Conférence des peuples indochinois, avec Sihanouk, Pham Van Dong (RDV), Nguyên Huu Tho (GRP) et Souphanouvong (Pathet Lao), qui décide l'unification de la résistance. Sur le terrain, la guerre a commencé, menée par les révolutionnaires vietnamiens, appuyés par les Khmers rouges et de nombreux partisans du prince. Le 30 avril, Nixon annonce l'entrée des troupes américaines au Cambodge, le lendemain de celle des forces saigonnaises. Devant l'opposition de son opinion publique, il doit promettre qu'elles se retireront avant le 30 juin. Cette offensive permet au régime Lon Nol de ne pas s'effondrer ; mais elle ne parvient pas à réduire les « sanctuaires » communistes, qui se déplacent plus avant à l'intérieur du Cambodge, contribuant à faire entrer celui-ci tout entier dans le conflit. Le 4 juin, une partie des temples d'Angkor est occupée par le GRUNK. Sauvé de la défaite, le gouvernement – qui proclamera la république le 9 octobre 1970 – est en fait maintenu à bout de bras par ses alliés. Cette situation durera cinq ans.
Après le départ des troupes américaines le 30 juin et malgré les bombardements américains qui continuent, les révolutionnaires khmers étendent leur emprise sur le pays. En août, Sihanouk affirme que ses partisans contrôlent les deux tiers du territoire. Les Khmers rouges vont progressivement prendre le pas sur les sihanoukistes et remplacer au combat les Vietnamiens. Ces derniers repartent vers le Viêt Nam lors de l'offensive de 1972 et après les accords de Paris (février 1973). À ce moment, la tension monte entre révolutionnaires des deux pays, les Khmers rouges reprochant à leurs alliés de vouloir leur imposer de négocier avec Phnom Penh, comme eux avec Saigon et Washington, et le Pathet Lao avec Vientiane. L'offensive khmère rouge marque le pas. Lorsque les Américains cesseront leurs bombardements, en août 1973, les maquisards seront tellement affaiblis qu'ils seront incapables de lancer l'assaut final attendu contre Phnom Penh.
Frappé d'hémiplégie, Lon Nol, qui est devenu maréchal (21 avril 1971) et président de la République (4 juin 1972), est entouré de conseillers corrompus. Les défaites militaires se succèdent, et les maquisards parviennent à lancer des coups de main jusque dans la capitale. Malgré cela, Phnom Penh et Washington persistent dans la guerre, affirmant qu'ils ne combattent que les Vietnamiens. Sur le terrain, les Khmers rouges éliminent, les uns après les autres, sihanoukistes et communistes provietnamiens, et renforcent leur contrôle du G.R.U.N.K. Quand Sihanouk se rend au Cambodge (mars 1973), il réalise qu'il n'a plus aucun pouvoir réel.
Gouvernant un pays ruiné, où ses soldats ne s'aventurent plus guère dans les campagnes, Lon Nol ne parvient pas non plus à assurer la stabilité de son régime.
Sur le plan diplomatique, le GRUNK est admis au sein du mouvement des non-alignés (août 1972) et reconnu, de facto, par l'URSS (octobre 1973). Moscou, toutefois, maintiendra des diplomates à Phnom Penh jusqu'à sa prise par les Khmers rouges. Le 1er janvier 1975, les Khmers rouges lancent leur offensive finale contre Phnom Penh. Le 17 avril, ils entrent dans la capitale, après le départ de Lon Nol et des Américains.

9. Le régime khmer rouge
Le premier acte des vainqueurs est de vider les villes de leurs habitants ; ces citadins déracinés vont être, avec le reste de la population – divisée en « peuple ancien » et « peuple nouveau » –, progressivement embrigadés dans des coopératives ; les conditions de vie y sont très difficiles, tandis que le travail y est intense et la répression féroce envers ceux qui sont soupçonnés d'avoir travaillé pour le régime républicain. Faible, divisé, manquant de cadres, armé d'une idéologie au nationalisme et à l'autoritarisme extrêmes, le nouveau pouvoir s'affirme par la répression.
Jusqu'à l'intervention vietnamienne de 1978, la réalité du pouvoir sera détenue par l'Angkar, organisation restée secrète jusqu'en 1977. L'Angkar prône l'esprit de lutte, l'idée de responsabilité communautaire et la vertu d'obéissance ; elle s'appuie essentiellement sur l'armée.
L'Angkar offre un exemple unique dans l'histoire des révolutions asiatiques ; la dictature du prolétariat, ailleurs soutenue par un culte de la personnalité, est dirigée au Cambodge par une organisation qui, quoique omniprésente, reste une entité floue et abstraite.
Pendant les premiers mois, le prince Sihanouk, toujours chef de l'État, continue de symboliser le régime sans exercer d'autorité réelle ; il effectue un court séjour à Phnom Penh (septembre 1975), avant d'entreprendre une grande tournée internationale et de représenter son pays à l'Assemblée générale des Nations unies. De retour au Cambodge (janvier 1976), il participe aux élections du 20 mars, organisées en vertu de la nouvelle Constitution, et est élu député de la capitale. Le 5 avril, il démissionne de son poste. Le Kampuchéa démocratique se donne un nouveau chef de l'État, Khieu Samphan, et un Premier ministre, Pol Pot. Le pays demeure fermé au monde extérieur et n'a de relations étroites qu'avec Pékin.
Dès mai 1975, des incidents éclatent entre le Viêt Nam et le Kampuchéa. Le 31 décembre 1977, Khieu Samphan annonce la rupture des relations diplomatiques avec le Viêt Nam.
Sur le plan intérieur, des travaux gigantesques transforment un pays ravagé par la guerre, les bombardements, et bouleversé par l'exode. Mais le prix en est extrêmement lourd, puisqu'on a pu parler de centaines de milliers de victimes mortes de faim, de maladie ou exécutées sommairement. L'éducation, même primaire, est pratiquement supprimée, les personnes éduquées étant suspectes. Les familles sont souvent séparées. En même temps, les divisions au sein du régime se manifestent par des purges parfois sanglantes et de plus en plus nombreuses, surtout en 1977. La base du régime se rétrécit. Le prince Sihanouk et Penn Nouth vivent en résidence surveillée, isolés, tandis que de nombreux partisans du GRUNK croupissent dans des camps. La fin de 1978 – après que Pol Pot eut consolidé son pouvoir et entamé une timide ouverture vers le monde extérieur – verra une relative normalisation.

10. L'intervention vietnamienne
En décembre 1977, les Vietnamiens ont lancé une nouvelle offensive. Devant la résistance opiniâtre des soldats cambodgiens, ils se sont retirés, emmenant avec eux une partie de la population. En mai 1978, éclate, dans la zone frontalière « 203 », une révolte conduite par un proche de Pol Pot, le vice-président de l'Assemblée, So Phim ; elle est écrasée dans le sang, et So Phim est tué. Les dirigeants vietnamiens, ne pouvant plus compter sur un groupe de rechange au Cambodge même, lancent alors une offensive générale le 25 décembre. Auparavant, le Viêt Nam a signé à Moscou un traité avec l'URSS (3 novembre) et a annoncé la création d'un Front uni de salut national du Kampuchéa (FUNSK) le 3 décembre.
Le 7 janvier 1979, les soldats vietnamiens entrent dans Phnom Penh et, quelques jours plus tard, ils occupent toutes les villes et les grands axes du pays. Le Kampuchéa démocratique s'effondre. Le prince Sihanouk est autorisé à prendre l'avion pour Pékin. Avant de prendre le maquis, Pol Pot a lancé un appel à la guérilla, et son ministre des Affaires étrangères, Ieng Sary, a demandé la convocation d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le lendemain de la prise de Phnom Penh, un Conseil révolutionnaire faisant fonction de gouvernement est mis en place, présidé par Heng Samrin, président du FUNSK. Le principal dirigeant est le vice-Premier ministre et ministre de la Défense, Pen Sovan, chef du petit parti communiste provietnamien. L'administration du pays demeure sous tutelle du corps expéditionnaire vietnamien. Le régime prend le nom de République populaire du Kampuchéa.
Le Premier ministre vietnamien se rend à Phnom Penh pour conclure un traité d'amitié (18 février), légalisant la présence vietnamienne et intégrant de fait le Cambodge dans un ensemble indochinois sous l'égide de Hanoi ; un accord similaire sera conclu entre le Cambodge et le Laos (23 mars). Tout en s'affirmant non-aligné, le nouveau régime se place clairement dans le camp soviétique. En avril-mai, l'armée vietnamienne lance une nouvelle offensive qui repousse les Khmers rouges vers la frontière thaïlandaise. De nombreux réfugiés, fuyant les Vietnamiens, mais aussi la faim et la maladie, s'y sont regroupés. Certains sont sous le contrôle d'organisations de résistance ou de groupes armés qui vivent de l'aide internationale et de la contrebande. Car la situation alimentaire et sanitaire a ému l'opinion internationale et l'aide afflue à la frontière, puis vers Phnom Penh.
Battus militairement, les Khmers rouges poursuivent la lutte, soutenus par la Chine, les pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE ou Asean) et par certains pays occidentaux. Cette convergence permet aux Khmers rouges de conserver leur siège aux Nations unies (novembre 1979) et de rester reconnus par la plupart des pays, tandis que la République populaire n'est reconnue que par le bloc soviétique et par quelques pays du tiers-monde dont l'Inde (juillet 1980). Les deux camps se structurent : à Phnom Penh, où Heng Samrin cumule la direction de l'État et du Parti (PPRK, parti populaire révolutionnaire du Kampuchéa), après l'élimination de Pen Sovan (décembre 1981), une Constitution est adoptée (juin 1981), et Hun Sen devient Premier ministre en 1985 ; de l'autre côté, un gouvernement de coalition en exil, constitué en juin 1982, regroupe, sous la présidence du prince Sihanouk, les royalistes du Funcipec (Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif), les nationalistes de Son Sann et les embarrassants Khmers rouges, dirigés par Khieu Samphan – qui a succédé à Pol Pot en 1979. Étrange alliance d'ennemis, fondée exclusivement sur l'opposition à l'occupation vietnamienne et dont l'équilibre est menacé par la supériorité militaire des Khmers rouges, soutenus par la Chine, via la Thaïlande. Mais, malgré des offensives successives, il s'avère peu à peu que la solution à la crise ne sera pas militaire. Sous la pression internationale – rôle de l'URSS auprès de Hanoi, efforts de la France (rencontre entre le prince Sihanouk et Hun Sen, en décembre 1987) et de l'Indonésie (réunion des quatre factions cambodgiennes à Bogor, en juillet 1988), résolution de l'ONU du 3 novembre 1988 –, les parties en présence s'orientent vers des négociations en vue d'une réconciliation nationale. Non sans mal : la conférence de Paris d'août 1989 est un échec. Cependant, l'essentiel des troupes vietnamiennes quitte le Cambodge fin 1989, alors que Phnom Penh tempère son économie socialiste et que la République populaire du Kampuchéa redevient l'État du Cambodge (avril 1989). En 1990, à l'ONU, les États-Unis retirent leur soutien au prince Sihanouk : ils refusent désormais de voter pour que le siège du Cambodge soit attribué à son gouvernement, en raison de la participation des Khmers rouges à la coalition. Sous la pression internationale, cette participation prend ainsi fin en 1992. Simultanément, à la suite de la tourmente qui bouleverse le monde communiste, le gouvernement provietnamien de Phnom Penh perd l'aide fournie depuis 1980 par l'URSS et le Comecon.

11. La difficile pacification du Cambodge
11.1. Vers une stabilisation politique
Des accords de paix sont finalement signés, à Paris, le 23 octobre 1991. Ceux-ci prévoient des élections en 1993 sous administration de l'ONU. Le Cambodge reste pourtant en état de guerre, et l'Apronuc (Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge) a fort à faire pour organiser le retour à la vie normale – avec, notamment, les questions du rapatriement de 400 000 réfugiés et du désarmement des forces en présence. Le prince Sihanouk devient, en juillet 1991, président d'un Conseil national suprême (CNS), dont les postes sont également répartis entre les deux gouvernements rivaux – et non entre les quatre factions, comme le réclamaient les Khmers rouges. En novembre 1991, le prince et le CNS s'installent à Phnom Penh. Le PPRK, transformé en parti du Peuple cambodgien (PPC, toujours provietnamien), se prononce pour le multipartisme, et Heng Samrin laisse la direction du parti à Chea Sim.
Malgré la permanence du climat de violence et l'obstruction des Khmers rouges, des élections sont organisées en mai 1993. Avec une forte participation, elles donnent la victoire au Funcinpec – dirigé par le prince Norodom Ranariddh, fils du prince Sihanouk –, qui l'emporte sur le PPC avec plus de 45 % des voix. Un gouvernement provisoire de coalition est alors mis en place sous la double présidence du prince Ranariddh et de Hun Sen. La nouvelle Constitution, promulguée en septembre, rétablit la monarchie : Norodom Sihanouk est proclamé roi le 24 septembre, puis, respectivement, Norodom Ranariddh, « premier Premier ministre », et Hun Sen, « second Premier ministre ». Malgré le rétablissement de certaines libertés – celle de la presse, entre autres –, le climat politique demeure tendu, et, alors qu'il serait urgent de relancer l'économie, le manque de transparence, la corruption, l'incurie et la violence politique restent omniprésents. La rivalité entre les deux Premiers ministres s'aggrave, chacun d'eux affrontant parallèlement des divisions dans son propre camp.
Arguant de complots royalistes, Hun Sen évince le prince Ranariddh par un coup de force en juillet 1997, suscitant la condamnation de la communauté internationale. Aux élections de juillet 1998, dont l'organisation a été contestée par l'opposition, les 41,4 % des voix du PPC de Hun Sen, contre 31,7 % pour le Funcinpec et 14 % pour le « parti de Sam Rainsy » (PSR, nouveau nom du parti de la Nation khmère fondé en 1995 par cet ancien ministre des Finances exclu du gouvernement puis du Funcinpec), rendent inévitable une nouvelle coalition gouvernementale.
Sous l'égide du roi Norodom Sihanouk, Norodom Ranariddh et Hun Sen parviennent, après plusieurs mois de tractations, à un accord politique (novembre 1998). Les deux principaux partis du pays (PPC et Funcinpec) constituent un gouvernement de coalition, présidé par Hun Sen. Le prince Ranariddh devient président de l'Assemblée nationale.
Le Cambodge commence à réintégrer les organisations régionales et internationales, comme en témoigne son admission au sein de l'Asean en mars 1999. Malgré quelques avancées, il rencontre toujours des difficultés avec ses voisins, la Thaïlande et le Viêt Nam, alors que ses relations avec la Chine, au beau fixe, se resserrent encore par la multiplication de visites de responsables chinois à Phnom Penh (2000-2001).

11.2. Vers un apurement du passé

À partir de 1996, les Khmers rouges, réfugiés à la frontière thaïlandaise, privés de l'aide chinoise et de tout avenir politique, commencent à se rallier en nombre croissant. Certains de leurs chefs, comme Ieng Sary, amnistié, essaient, à la faveur de la rivalité des deux factions gouvernementales, de retrouver une influence politique. Pol Pot, « condamné à la prison à vie » par ses anciens partisans, en juillet 1997, meurt en avril 1998.
Les redditions – ou arrestations, selon le cas – de hauts responsables khmers rouges fin 1998 et début 1999 relancent le débat sur le type de tribunal – national ou international – devant lequel doivent être traduits les responsables des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis au Cambodge dans la seconde moitié des années 1970. La solution d'un tribunal national ouvert à une coopération de juges et de procureurs étrangers est finalement retenue. En 2001, l'Assemblée nationale et le Sénat adoptent la législation relative à la création du tribunal, qui est entérinée par le Conseil constitutionnel puis ratifiée par le roi Sihanouk (août).
Après de nombreux échecs, dont le retrait de l'ONU du processus des négociations en mars 2002, faute de garanties sur l'indépendance et l'objectivité du tribunal, un accord est finalement trouvé en juin 2003, prévoyant la création de tribunaux d'exception devant travailler dans le cadre du système judiciaire du royaume, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC). Mais leur mise en place effective se heurte à de nombreux obstacles d'ordre politique, bureaucratique, juridique et financier.
À partir de juillet 2007, cinq hauts dirigeants de l'ancien régime sont inculpés de crimes contre l'humanité ainsi que, pour trois d'entre eux, de crimes de guerre, et mis en détention : Nuon Chea (ex-numéro 2 du régime), Ieng Sary (ex-ministre des Affaires étrangères), son épouse Ieng Thirith (ex-ministre des Affaires sociales), Khieu Samphan (ex-chef de l'État du Kampuchea démocratique) et Kaing Guek Eav, alias Duch (qui dirigea le plus important centre pénitentiaire khmer rouge, le S-21, arrêté en 1999). Le 17 février 2009, avec la comparution de ce dernier en audience préliminaire devant la Chambre de première instance des CETC, s'ouvre ainsi le premier procès d'un dignitaire du régime khmer rouge. Alors que la santé déclinante des accusés (I. Sary meurt en mars 2013) et le manque de moyens financiers font craindre un enlisement général des procédures en cours, il faut attendre février 2012 pour que Duch soit condamné à la prison à perpétuité.

11.3. L'hégémonie du PPC et la division des royalistes
Les élections législatives de juillet 2003 voient la victoire du PPC de Hun Sen (73 députés sur 123), devant le Funcinpec du prince Norodom Ranariddh (26 sièges) et le parti de Sam Rainsy (PSR, 24 sièges). Toutefois, la formation d'un gouvernement se heurte à la majorité des deux tiers imposée en 1993. En novembre, le Funcinpec et le PSR acceptent, sous la pression du roi Norodom Sihanouk, de faire partie d'un gouvernement dirigé par Hun Sen, vice-président du PPC et Premier ministre sortant, mais la crise se durcit en janvier 2004, avec l'assassinat du principal dirigeant syndical du royaume, Chea Vichea. Après l'adoption par les deux chambres d'une procédure controversée de « vote bloqué », l'Assemblée nationale parvient à se réunir et à investir, en juillet, le gouvernement, présidé par Hun Sen. Norodom Ranariddh conserve la présidence de l'Assemblée nationale.
Parallèlement, souhaitant régler sa succession de son vivant afin de préserver l'institution royale, le roi Norodom Sihanouk annonce, en octobre 2004, vouloir prendre sa retraite et voir son dernier fils, Norodom Sihamoni, prendre sa succession sur le trône. Ce dernier est élu par le Conseil du trône le 14, et intronisé le 29.
La même année, le Cambodge, qui a signé avec l'Union européenne un accord concernant l'accès aux marchés en juin 2003, devient, le 13 octobre, le 148e État membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Dans la perspective des élections législatives de juillet 2008, Hun Sen peut mettre en avant les effets bénéfiques de cette politique de libéralisation (un taux de croissance du PIB de plus de 12 % en moyenne entre 2004 et 2008 selon la Banque mondiale) face à une opposition qui dénonce de son côté la corruption et l'insuffisance des mesures contre la pauvreté ; ces thèmes de campagne sont cependant éclipsés par un différend frontalier avec la Thaïlande autour du temple de Preah Vihear, qui ravive le sentiment nationaliste.
Le PPC l'emporte largement avec 90 sièges devant le PSR (26 députés) qui accuse le pouvoir de fraude. Les sièges restants se répartissent entre le parti des Droits de l'homme (fondé en juillet 2007 par Khem Sokha, 3 sièges), le nouveau parti de N. Ranariddh – alors en Malaisie après avoir été condamné pour abus de confiance et évincé de la direction du Funcinpec – (2 sièges) et ce dernier, désormais réduit, à la suite de ces dissensions, à deux députés. Après confirmation des résultats par la Commission nationale des élections, Hun Sen est reconduit dans ses fonctions. Le prince Ranariddh, gracié, peut rentrer d'exil.
En octobre 2012, la mort de Norodom Sihanouk, auquel les Cambodgiens rendent hommage à Phnom Penh pendant trois mois avant l’organisation des funérailles, clôt un chapitre de l’histoire du pays.

11.4. Les élections de 2013 et la progression de l’opposition
Le PPC conserve officiellement sa majorité aux élections législatives de juillet 2013, mais réalise son plus mauvais score depuis 1998 avec 68 sièges sur 123 contre 55 au parti du Sauvetage national du Cambodge (CNRP, issu de la fusion en 2012 du PSR et du parti des Droits de l'homme) conduit par S. Rainsy. Condamné pour diffamation en septembre 2010, ce dernier avait pu mettre fin à son exil en France après avoir été gracié par le roi et prendre la tête de l’opposition sans être cependant autorisé à se présenter comme candidat.
Réunissant plusieurs milliers de manifestants dans la capitale le 26 août puis les 7 et 15 septembre, l’opposition revendique la victoire avec 63 sièges et exige, en vain, une enquête indépendante sur les irrégularités supposées du scrutin et le climat d’intimidation qui l’a entouré, la commission électorale étant accusée d’être inféodée au pouvoir. Les résultats sont cependant validés par le Conseil constitutionnel. En obtenant un nombre inattendu de voix, le CNRP parvient ainsi à ébranler l’hégémonie et la légitimité du parti au pouvoir. C’est dans un contexte toujours tendu qu’en l’absence des députés de l’opposition qui boycottent la séance de l’Assemblée, Hun Sen est investi pour un nouveau mandat le 24 septembre.


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JEAN RACINE

 

 

 

 

 

 

 

Jean Racine

Poète tragique français (La Ferté-Milon 1639-Paris 1699).

Rival de Corneille, de son temps comme dans les esprits du public d'aujourd'hui, Jean Racine reste le maître de la tragédie classique française. Ses pièces campent, dans un décor antique, des héros intemporels, victimes sublimes de leurs passions incontrôlables. Le héros racinien aime quelqu'un qui en aime un autre, dans une succession terrible à l'issue fatale.
Jeune homme pauvre qui parvint à la faveur du roi Louis XIV, Racine connut une promotion sociale considérable. Sa religion, empreinte de la morale austère du jansénisme de Port-Royal, fut l'autre grande affaire de sa vie.
Naissance
Le 22 décembre 1639, à la Ferté-Milon (Picardie).
Famille
Appartenance à la moyenne bourgeoisie. Mort de la mère, puis du père de Racine, alors que celui-ci n’a que deux puis quatre ans.
Formation
À partir de 1649, études à Port-Royal-des-Champs ; puis passage au collège de Beauvais, haut lieu du jansénisme, à Paris et retour aux Granges de Port-Royal-des-Champs pour l’année de rhétorique. Classe de philosophie au collège d’Harcourt, à Paris (1658).

Début de la carrière
Création de La Thébaïde (1664) par la troupe de Molière.

Premier succès
Andromaque (1667), un triomphe qui, de l’avis général, impose désormais Racine comme l’égal de Corneille.

Évolution de la carrière
Perfectionnement du dispositif tragique jusqu’à l’apothéose de Phèdre (1677) puis long silence du dramaturge, promu la même année historiographe du roi ; adieu définitif au théâtre après les créations d’Esther (1689) et d’Athalie (1691), deux tragédies bibliques commandées par Mme de Maintenon, pour les jeunes filles pensionnaires de la maison de Saint-Cyr. À la suite de quoi, composition de cantiques liturgiques (1695), rédaction de l’Abrégé de l’histoire de Port-Royal (1696) et attention toute particulière de Racine à la nouvelle édition de ses œuvres dramatiques (1697).
Mort
Le 21 avril 1699 à Paris. Inhumation à Port-Royal-des-Champs et, après la destruction de l’abbaye en 1711, transfert des cendres à l’église Saint-Étienne-du-Mont, à Paris.

1. Racine ou la religion du théâtre
1.1. Une formation d'excellence

Issu d'un milieu bourgeois plutôt modeste – son père a les charges de procureur au bailliage et de greffier au grenier à sel de La Ferté-Milon –, Jean Racine est orphelin de mère à 2 ans et de père à 4 ans. Il est alors (1643) recueilli par ses grands-parents maternels. Les relations avec l'abbaye janséniste de Port-Royal vont imprégner toute la vie de Racine. Il y subira l'influence profonde des « solitaires » et de leur doctrine exigeante.
L'une de ses tantes y est religieuse ; sa grand-mère s'y retire à la mort de son mari (1649). L'enfant est alors admis aux Petites Écoles à titre gracieux. Deux séjours dans des collèges complètent sa formation : le collège de Beauvais (1653-1654) et le collège d'Harcourt, à Paris, où il fait sa philosophie (1658).
À 20 ans, nanti d'une formation solide mais démuni de biens, Racine est introduit dans le monde par son cousin Nicolas Vitart (1624-1683), intendant du duc de Luynes. Il noue ses premières relations littéraires (La Fontaine) et donne ses premiers essais poétiques. En 1660, son ode la Nymphe de la Seine à la Reine, composée à l'occasion du mariage de Louis XIV, retient l'attention de Charles Perrault. Mais, pour assurer sa subsistance, il entreprend de rechercher un bénéfice ecclésiastique et séjourne à Uzès (1661-1663) auprès de son oncle, le vicaire général Antoine Sconin. Rentré à Paris en 1663, il se lance dans la carrière des lettres.

1.2. La carrière théâtrale
Rejetant la morale austère de Port-Royal et soucieux de considération mondaine et de gloire officielle, Racine s'oriente d'abord vers la poésie de cour : une maladie que contracte Louis XIV lui inspire une Ode sur la convalescence du Roi (1663). Il récidive aussitôt avec la Renommée aux muses. Le duc de Saint-Aignan (1607-1687) l'introduit à la cour, où il rencontre Molière et Boileau. Lorsque Colbert fait distribuer des gratifications annuelles aux écrivains, Racine figure parmi les bénéficiaires. C'est alors qu'il se tourne vers le théâtre.

Les débuts et la brouille avec Molière
Le 20 juin 1664 est créée la première tragédie de Racine : la Thébaïde, qui n'obtient qu'un succès d'estime (douze représentations en un mois), bien que la troupe de Molière ait monté la pièce avec soin.
Suit Alexandre le Grand, que joue d'abord la troupe de Molière, en 1665. Insatisfait des acteurs, Racine n'hésite pas à remettre sa pièce à la compagnie rivale, celle de l'Hôtel de Bourgogne, ce qui lui vaudra la brouille définitive avec Molière.
Succès côté cour … et côté jardin

L'année suivante, il publie la Lettre à l'auteur des « Hérésies imaginaires », contre son ancien maître janséniste Pierre Nicole, qui venait de condamner le genre théâtral. Pourtant, le jeune dramaturge, enivré de ses succès, entend bien persévérer dans la voie criminelle du théâtre. La rupture avec Port-Royal est alors consommée.

En 1667, Andromaque est créée dans les appartements de la reine, puis jouée à l'Hôtel de Bourgogne. Cette fois, le succès est immense. Désormais, Corneille sait qu'il a un rival.
L'amour du théâtre est propice aux liaisons avec les comédiennes : Racine s'éprend d'abord de la Du Parc, qui le paie de retour, puis de la Champmeslé, qu'il fait débuter à l'Hôtel de Bourgogne dans le rôle d'Hermione au printemps 1669. Cependant, ce n'est pas sur lui-même que Racine a étudié les effets et les ravages de l'amour-maladie : son imagination, sa sensibilité, son talent ont fait leur office. Son œuvre n'est pas une confidence.

La décennie glorieuse

En 1668, Racine écrit ce qui sera son unique comédie, les Plaideurs. Mais c'est surtout avec Britannicus (1669) – dans lequel, en prenant pour sujet et pour cadre l'histoire romaine, Racine s'engage sur le terrain de prédilection de son rival, Corneille – que sa gloire devient éclatante. Dès lors, il rencontre le succès avec chacune de ses pièces : en 1671 avec Bérénice, en 1672 avec Bajazet, en 1673 (année où le poète est élu à l'Académie française) avec Mithridate, en 1674 avec Iphigénie en Aulide. Trois ans plus tard, Racine fait éditer son théâtre et donne Phèdre. Louis XIV lui octroie alors une gratification exceptionnelle de 6 000 livres et le charge, avec Boileau, d'être son historiographe.
Chacune des pièces de Racine fit lever cabales, libelles, parodies et pamphlets, qui témoignèrent à la fois de ses succès et de l'acharnement d'une opposition qui ne désarma pas.

1.3. Dévotion privée et honneurs publics

Après son mariage (1677) avec Catherine de Romanet, une parente de son cousin Nicolas Vitard, et revenu lui-même à la religion de son enfance, Racine vit en bon époux et en bon chrétien. Il exhorte ses sept enfants à la piété la plus stricte et quatre de ses filles entreront dans les ordres.

Au service du roi
Négligeant désormais le théâtre que la cour, de plus en plus dévote, voit d'ailleurs avec moins d'enthousiasme, Racine joue sans hésiter son rôle d'écrivain thuriféraire du roi. Cela lui vaut, en retour, d'être parmi les familiers de la cour, d'avoir un logis à Versailles, et ses entrées dans le cercle privilégié que le roi réunit à Marly. En 1678, il suit Louis XIV dans ses campagnes. Sa production d'historien reste cependant mince ; on lui devra surtout un Éloge historique du Roi sur ses conquêtes (1684) et une Relation du siège de Namur (1692). Réconcilié avec Port-Royal (il laissera un Abrégé de l'histoire de Port-Royal, posthume), Racine entre en 1683 à l'Académie des inscriptions et se trouve, avec Boileau encore, chargé de préparer les inscriptions latines que le roi fait graver au-dessous des peintures qui décorent Versailles. Il achète en 1690 une charge de gentilhomme ordinaire de la chambre.

Inspiration sacrée

Durant cette période, Racine jouit également de la protection de Mme de Maintenon. Celle-ci avait ouvert à Saint-Cyr une institution pour jeunes filles nobles démunies. Afin de leur faire pratiquer le chant, le jeu théâtral, et leur donner en même temps des divertissements édifiants, elle commande au poète des tragédies religieuses. Racine revient donc au théâtre mais à un théâtre d'inspiration sacrée : il écrit Esther, créée à Saint-Cyr en 1689 en présence du roi et très appréciée du public de cour, puis Athalie (1691).

Un zèle imprudent pour Port-Royal à une époque où la persécution se faisait sentir le met en délicatesse avec Mme de Maintenon et en demi-disgrâce à la Cour. Après avoir souffert d'un abcès au foie, Racine s'éteint le 21 avril 1699. Louis XIV lui accorde la sépulture à Port-Royal.

2. L’œuvre de Racine

2.1. Une inspiration profane, puis chrétienne

Comparée à l’œuvre de ses contemporains, tels Corneille ou Molière, la production de Racine est moins abondante. Il n’écrivit que douze pièces au total ; mais quelles pièces !
L’ensemble s’articule en deux volets : les tragédies de la période théatralement féconde, avec la parenthèse d’une seule comédie, les Plaideurs (satire visant le monde judiciaire) ; puis les deux tragédies d’inspiration biblique, Esther et Athalie, pièces de circonstance mais traductions personnelles d’un retour à la foi.
Les grandes tragédies de la période la plus créatrice, aux thèmes non-religieux, permettent de définir les caractéristiques du théâtre racinien : un respect des règles qui ont conditionné l’art classique, une évolution dans le traitement des personnages et de l’action qui rompent avec la tradition des pièces héroïques ou exemplaires, l’obsession de représenter des passions exacerbées, enfin une fluidité musicale du langage.

2.2 Le respect rigoureux des règles classiques
Contrairement à Corneille, Racine respecte sans difficulté ces contraintes héritées du théâtre antique et codifiées par Boileau dans son Art poétique : « Qu’en un lieu, un seul jour, un seul fait accompli tienne jusqu’à la fin le théâtre rempli ». Dans la préface de Britannicus, il se dit partisan d’« une action simple chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un seul jour et qui, s’avançant par degrés vers sa fin, n’est soutenue que par les intérêts, les sentiments et les passions des personnages ». Il n’a jamais dérogé à ces obligations.
L'exaltation des sentiments est toute l'action
Phèdre déroule dans le cadre d’une journée les événements qui mènent la jeune épouse du roi Thésée à déclarer son amour à son beau-fils puis à se donner la mort au retour de son mari. Ou bien, dans Andromaque, ce même délai permet au roi Pyrrhus d’hésiter entre deux femmes, Hermione et Andromaque, de choisir la seconde et de périr des coups portés par un homme armé par la femme abandonnée.
La représentation de sentiments exaltés et l’arrivée d’événements dramatiques et sanglants ne créent pas une multitude d’éléments disparates ; tout repose sur une ligne simple qui suit son évolution, depuis l’exposition jusqu’au dénouement.

Captiver avec rien ?
Poussant la règle des trois unités jusqu’à son utilisation la plus minimale, Racine a même imaginé une action réduite à des faces à face et à une séparation du couple principal sans qu’intervienne aucun rebondissement. C’est le cas de Bérénice où la reine de Judée, Bérénice, et l’empereur de Rome, Titus, sacrifient leur amour aux intérêts de l'État. Dans sa préface à cette tragédie, Racine explique vouloir : « faire une tragédie avec cette simplicité d’action qui a été si fort du goût des anciens […] Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d’invention. Ils ne songent pas qu’au contraire toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien ». Il s'agit pour lui en effet d'« attacher durant cinq actes leurs spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des sentiments et de l’élégance de l’expression. » Ainsi s’oppose-t-il aux auteurs dont les pièces accumulent les incidents et les coups de théâtre…

2.3 Le respect du contexte antique
Quelques exceptions

D’une manière paradoxale, le théâtre classique – et surtout le genre de la tragédie – place sa modernité dans une transposition des actions et des sentiments dans un contexte antique. Les pièces doivent le plus possible puiser dans la mythologie gréco-romaine, les tragédies des Anciens ou les faits relatés par les historiens grecs et latins. Racine a plusieurs fois dérogé à ce principe.
L’action des Plaideurs se passe de son temps, puisque c’est une charge contre la justice telle qu’il l’a connue (même si la trame est inspirée des Guêpes d’Aristophane), mais cela est admis dans le registre comique, genre moins noble.
Plus inattendu : l’action de Bajazet a lieu au xviie siècle, mais en Turquie. Dans sa seconde préface, Racine soutient que la distance géographique a le même sens que la distance dans le temps (« On peut dire que le respect qu’on a pour les héros augmente à mesure qu’ils s’éloignent de nous [… ] L’éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande proximité des temps »). Enfin, les deux tragédies tardives, Esther et Athalie, ont prennent leurs sources dans les « Saintes Écritures »  – ce qui est une autre forme d’éloignement.

Sous le masque de l'Antiquité gréco-romaine

L’Antiquité reste dominante. Cette Histoire ancienne, et ses auteurs – historiens et dramaturges,- Racine les connaît parfaitement. Dans les préfaces de ses pièces, il dispute à distance avec ceux qui contestent telle ou telle transposition et les contredit avec une imparable érudition. Si l’on examine les sujets des huit pièces « antiques », on constate que l’histoire et la mythologie grecque l’emportent, de peu, sur les sujets romains. Quatre pièces, la Thébaïde (qui s’inspire du mythe d’Antigone et de ses frères), Andromaque, Iphigénie et Phèdre suivent d’assez près des sujets traités par les grands auteurs grecs. Alexandre le Grand relève, comme son titre l’indique, de l’histoire hellénique. En relation avec l’histoire romaine, il ne reste que trois œuvres, Britannicus, Bérénice et Mithridate.
Vu sous cet angle, le théâtre de Racine serait plus grec que romain. Mais les deux inspirations se rejoignent dans une même vision poétique du passé, un temps à la fois réel et idéalisé, authentique et imaginaire où l’on peut à la fois interroger l’Histoire et transposer le présent d’une façon masquée.

D’une façon indirecte, Racine, dans sa préface à Iphigénie, reconnaît que l’Antiquité recèle une traduction de l’actualité : « J’ai reconnu avec plaisir, par l’effet qu’a produit sur notre théâtre, tout ce que j’ai imité ou d’Homère ou d’Euripide, que le bon sens et la raison étaient les mêmes dans tous les siècles. Le goût de Paris s’est trouvé conforme à celui d’Athènes. Mes spectateurs ont été émus des mêmes choses qui ont mis autrefois en larmes le plus savant peuple de la Grèce. » Les contemporains de Racine y voyaient même parfois des allusions transparentes à des personnages de la Cour…

2. 4 La passion mise à nu
Racine a parfois affirmé que son théâtre était une école de vertu. Si cela est vrai pour ses deux dernières tragédies, Esther et Athalie, il n’en est rien pour ses principales tragédies. Toutes, et surtout ses chefs-d’oeuvre les plus célèbres, donnent à voir la passion amoureuse dans sa violence la plus incontrôlable. Chez les amants raciniens, il n’y a plus de morale, plus de religion, plus d’interdit – même si certains commentateurs discernent en arrière-plan un sens caché du péché et d’un Dieu chrétien jamais totalement effacé. Ces amoureux sont transportés par leurs passions, jusqu’à la mort – la leur ou celle des autres.
Tous sont le jouet de leurs passions

Phèdre défie les tabous en avouant son amour à son beau-fils et, ayant avoué sa faute, se donne la mort. Hermione, dans Andromaque, se venge de ne pouvoir garder l’amour de Pyrrhus et fait tuer par Oreste ce roi qu’elle devait épouser. Néron, dans Britannicus, fait arrêter puis empoisonne son rival Britannicus dans l’espoir de posséder la jeune Junie. La vie d’Iphigénie, promise au sacrifice, n’est qu’un jouet pour son père Agamemnon qui fait passer l’ambition personnelle avant l’amour paternel. Roxane, la favorite du sultan, est prête à tout pour l’amour du frère du sultan, Bajazet, qui feint de l’aimer ; découvrant qu’il la trompe, elle le fait assassiner.
Bérénice et Andromaque sont les deux héroïnes raciniennes qui ne paieront pas de leur vie leur passion pour un homme dont elles n’obtiendront rien : la première, parce que le couple prend conscience du caractère impossible de leur amour ; la seconde, parce que la mort du roi Pyrrhus qu’elle a séduit, tué à la demande de sa rivale Hermione, la transforme en reine héritière malgré elle.
« Exciter la compassion et la terreur »

Pour Racine, le sujet, le territoire, l’objet même de la tragédie, c’est la passion. Et son but, suivant la formule héritée d'Aristote, « exciter la compassion et la terreur, qui sont les véritables effets de la tragédie » (préface d’Iphigénie). Mais sa grande nouveauté est de faire de ses héros des personnages simples, crédibles, vraisemblables, ressemblant aux personnes de son époque, à l’opposé des figures souvent boursouflées et excessives des tragédies baroques.

Dès Andromaque, il affirmait que, suivant les conseils d’Aristote, les protagonistes ne devaient être ni « tout à fait bons, ni tout à fait méchants » et tomber « dans quelque faute qui les fasse plaindre sans les faire détester ». Aussi, chez lui, la représentation des plus violents excès de la passion ne met-elle pas en cause le caractère éminemment humain de personnages en proie à des émotions et des aspirations contradictoires. Héros et héroïnes sont déjà ce qu’on appellera beaucoup plus tard anti-héros et anti-héroïnes.

2.5 L’extrême musicalité du vers racinien
Plus encore que les autres auteurs classiques, Racine est un poète. Ses alexandrins sont si rythmés et musicaux qu’on a parfois soutenu que ses tragédies ne gagnaient rien à être jouées et qu’il fallait les écouter comme des poèmes. Les mises en scène modernes nous ont prouvé le contraire : les scènes sont fortes, structurées, pas du tout fondées sur la seule incantation. Mais, alors que Corneille et Molière ont une formation rhétorique et jouent volontiers avec la forme du discours, Racine se place davantage à l’intérieur du flux de la conscience de ses personnages et leur donne un langage plus fluide, où les mots se répondent dans une forme d’assonance et de chant. Les propos sont en situation, participent à l’action mais peuvent être aussi détachés, isolés, comme des phrases dont la beauté enchante et la profondeur bouleverse.

Ainsi Phèdre se voyant tout haut à la place d'Ariane et menant un Hippolyte-Thésée :
« Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée ou perdue. »
(Phèdre, acte II, scène V).
Ou Junie répondant à Britannicus :
« J’ose dire pourtant que je n’ai mérité
Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité »
(Britannicus, II, 3).
Balancements, symétries, juxtapositions de termes antinomiques (oxymores) et assonances suggestives traduisent brillamment dans le vers racinien les impasses qui enferment, la fureur qui transporte, l'effarement qui rend fou ; ainsi dans le célébrissime alexandrin d'Oreste perdant la raison : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
(Andromaque, V, 5).
La maîtrise du lyrisme stylistique donne au vers une mélodie prégnante propre à Racine.


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