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ATHÈNE

 

 

 

 

 

 

 

ATHÈNE


Capitale de la Grèce.
Nom des habitants : Athéniens
Population pour l'agglomération : 3 413 990 hab. (estimation pour 2011)
GÉOGRAPHIE
1. Le site d'Athènes
La ville déborde la plaine d'Attique, où des buttes calcaires fixèrent jadis un sanctuaire à l'intérieur (Acropole) et des ports sur le littoral (Le Pirée). La plaine d’Attique, bien ouverte au sud, est protégée des coups de froid par les massifs montagneux de l’Hymette (1 026 m) à l’est, du Pentélique (1 109 m) et du Parnis (1 413 m) au nord et au nord-ouest. À travers l’Aighaleo, qui prolonge le Parnis en direction du sud, le col de Dhafni permet d’atteindre aisément la plaine d’Éleusis, qui reste étroitement associée aux activités de l’Attique. Au nord-est, un seuil abaissé entre l’Hymette et le Pentélique ouvre sur la Mésogée, où les activités agricoles évoluent rapidement au contact de la ville, dont le voisinage transforme les villages les plus proches (mouvements quotidiens de la population, essaimage d’industries, multiplication des résidences secondaires). La plaine d’Attique, ensoleillée, bien égouttée, accidentée de quelques buttes rocheuses, parmi lesquelles l’Acropole a fixé un des premiers sites urbains, était, sur 30 km du sud au nord, propice aux bâtisseurs ; sa façade maritime, large de 20 km, est une côte basse ou un seul secteur rocheux correspondant à la colline du Pirée présente des anfractuosités qui ont fixé un port devenu trop étroit, et qui cherche de nouveaux sites dans la baie d’Éleusis, au-delà du détroit de Salamine.
2. L'extension de la ville
L'extension de la ville, sollicitée au nord (Béotie) et à l'est (Mésogée) par des axes routiers d'industrialisation et d'urbanisation, la porte au-delà du cadre montagneux défini par l'Hymette, le Pentélique et le Parnis-Aighaleo ; elle est rapide au nord-ouest (zone portuaire et industrielle d'Éleusis) et au sud-est (zone résidentielle et balnéaire de la côte d'Apollon). La ligne de rivage est repoussée au large par des remblais constructibles (Phalère). Les îles les plus proches, Salamine, Égine, sont intégrées à cet ensemble urbain devenu le plus vaste des Balkans (500 km2) en même temps qu'un carrefour majeur et un foyer d'attraction des trafics touristiques en Méditerranée.
La croissance de l'agglomération (200 000 habitants en 1900, 1 850 000 en 1961, plus de 3 200 000 en 2010, le port du Pirée inclus) tient à la multiplicité des rôles exercés par la capitale dans un État très centralisé (administration, finances, université, mais aussi commerces de gros et de détail et industries [métallurgie, chimie, textile, alimentation, tabac]). Athènes concentre une part importante des salariés de Grèce, rassemble et redistribue la plupart des capitaux, est le pivot du commerce extérieur (port du Pirée, aéroport d'Eleftherios Veniselos, à Spata) et le principal foyer du commerce intérieur ; le rayon d'action des services établis à Athènes s'étend à une partie du Proche-Orient et de l'Afrique, car la ville, ayant profité du déclin de Beyrouth, est un relais pour de nombreuses sociétés internationales.
3. Un des grands centres touristiques du monde

Athènes est un des grands centres touristiques du monde, grâce à la beauté des monuments antiques (Parthénon, Érechthéion, Propylées, etc.) de l'Acropole et à la richesse de ses musées. L'agglomération concentre près du tiers de la population du pays. Athènes a accueilli les premiers jeux Olympiques modernes en 1896 et les Jeux d'été en 2004. La différenciation de l'espace urbain, densément bâti, s'accentue et aggrave les conditions de déplacement de la population active : quartiers centraux (gestion, affaires) dépeuplés, communes périphériques plus bourgeoises au nord et au sud-est, plus prolétariennes à l'ouest. Les embarras de la circulation et la pollution atmosphérique pèsent lourdement sur la vie quotidienne.
4. Les différents quartiers de la ville
Le centre d’Athènes, entièrement redessiné au xixe siècle par des architectes originaires d’Europe occidentale, correspond à un triangle dont la base, dominée au sud par l’Acropole, est jalonnée par la rue Ermoú, du Céramique à la place Sýndaghma (place de la Constitution), et dont le sommet est marqué par la place Omónia. Les diverses fonctions urbaines s’y trouvent rassemblées et y entretiennent une animation constante : banques, poste centrale, administrations et services ministériels, commerces (hôtellerie et grands magasins) se groupent près d’Omónia ; les halles centrales, les officines et les entrepôts consacrés au commerce de demi-gros, les ateliers de réparation se tiennent au voisinage des deux gares de chemin de fer et de la rue Athinás ; les boutiques de luxe sont particulièrement denses dans le quartier Kolonáki, à l’est, que surplombe la colline du Lycabette.
Le quartier Omónia, desservi par la principale station du métro qui relie le Pirée à Kifissiá, et où aboutissent presque toutes les lignes d’autobus interurbaines du pays, est le point de convergence et de transit des banlieusards et des provinciaux : tavernes, hôtels, boutiques de toutes sortes y attendent leurs habitués. À l’opposé, plusieurs grands hôtels de classe internationale ont contribué à faire du quartier Sýndaghma le carrefour principal des relations avec l’extérieur. De l’un à l’autre, la foule des touristes étrangers croise celle des provinciaux attirés par leurs affaires ou leurs loisirs.
Sous l’Acropole, le vieux quartier de Pláka occupe l’emplacement de la ville antique et conserve la trace de la bourgade méditerranéenne d’avant 1830 ; transformant son rôle sans en réduire le pittoresque, les emprises touristiques (restaurants, boîtes de nuit) s’y sont multipliées.
À l’opposé, les quartiers de voies en damier de Patíssia et de la place Amerikís, proches du Musée national et du Polytekhníon, sont habités par les professions libérales et les négociants. Le mouvement désordonné de densification des surfaces bâties, qui intéresse toute l’agglomération, fait que la hauteur des immeubles s’y élève régulièrement, mais la proportion des surfaces des bureaux et des commerces y est plus faible que dans le centre.
À proximité du Palais royal et de la petite place Kolonáki, des résidences plus coûteuses regroupent dans le voisinage des ambassades la grande bourgeoisie, le personnel politique et l’intelligentsia athénienne.
À partir de Sýndaghma, le long de l’avenue Vassilíssis Sofías, qui mène aux banlieues résidentielles de Psikhikó et de Kifissiá, et suivant l’avenue Amalías, amorce des axes qui conduisent au littoral résidentiel et touristique (Vieux et Nouveau Phalère [Néo et Palaió Fáliro], Ghlyfádha et, au-delà, tout le long de la route en corniche du cap Sounion), se multiplient les grands hôtels modernes (Hilton), les agences de compagnies aériennes, les bureaux d’affaires et les sièges d’entreprises parfois internationales.
6. Le climat d'Athènes
Le climat d'Athènes est méditerranéen, avec des précipitations assez faibles (402 mm par an), qui tombent surtout en automne et en hiver, et des températures qui oscillent entre 28 °C en juillet et 9 °C en janvier, pour une moyenne annuelle de 17 °C.
L'HISTOIRE D'ATHÈNES
1. Une petite bourgade qui devient cité

Athènes n'était à l'époque achéenne (IIe millénaire avant J.-C.) qu'une bourgade. Son isolement la sauva quand les envahisseurs doriens (vers le xiie s. avant J.-C.) firent décliner les cités de Mycènes et Tirynthe.
Si Athènes connaît du xie au ixe s. avant J.-C. un développement sans exemple, marqué par l'abondance et la qualité de sa céramique, elle demeure dans une pénombre relative lorsque, à l'aube du viiie s., les cités grecques sortent de ces « âges obscurs ».
Une nouvelle forme d'État se développe alors : la polis (ou cité). La polis archaïque naît d'un ensemble de villages suffisamment proches les uns des autres pour tirer parti d'une citadelle commune : à Athènes, la forteresse royale de l'époque mycénienne, sur le rocher de l'Acropole, va jouer ce rôle. Des regroupements locaux précédèrent certainement l'unification.
1.1. Thésée, roi légendaire d'Athènes
Dans la structuration de la communauté, le phénomène religieux occupe une place importante : à Athènes, il se constitue autour de la déesse Athéna. Les sources écrites, lorsqu'elles décrivent le processus de formation de la cité, renvoient au modèle classique du synœcisme (réunion de plusieurs villages en une cité) et attribuent à Thésée – dixième roi d'Athènes, selon la tradition mythique – cette unification de l'Attique (chaque année, les fêtes des panathénées célébraient ce souvenir).
1.2. Un territoire pauvre
Le territoire groupé autour de la métropole est, à l'échelle de la cité grecque, exceptionnellement vaste (2 600 km2 environ), mais il est pauvre. En effet, les montagnes occupent plus d'un tiers de la superficie de la région qu'elle commande, le littoral est pratiquement impropre à la culture.
Aussi, tout au long de son histoire, Athènes dut-elle importer des céréales qu'elle échangeait contre de l'huile, du vin, des produits manufacturés. Fort heureusement, le sous-sol était plus exploitable, de nombreuses carrières produisaient du marbre, on trouvait au Laurion du plomb argentifère. Par ailleurs, la côte découpée favorisait la navigation et la pêche.
2. La naissance d’une démocratie puissante
2.1. La société athénienne
La continuité historique entre époque mycénienne et époque archaïque se manifeste dans les institutions. La monarchie achéenne semble avoir été affaiblie progressivement plutôt que balayée ; son autorité est peu à peu réduite par le contrôle d'un conseil aristocratique siégeant sur l'Aréopage (colline d'Arès), et morcelée entre trois magistrats élus – les archontes – qui, vers 683, voient leur pouvoir limité à un an.
L'histoire athénienne des viiie et viie s. est mal connue. La cité est dominée par une aristocratie guerrière remuante et les chefs des principaux clans ou familles, les nobles (eupatrides), sont maîtres de la terre et du pouvoir politique. La masse de la population constitue une sorte de clientèle, associée au sein des phratries (groupes de familles) au culte de l'ancêtre commun.
Entre l'aristocratie et cette paysannerie plus ou moins dépendante, un groupe de citoyens, suffisamment aisés pour se procurer la panoplie de l'hoplite (fantassin lourdement armé), participe, depuis le viie s., à la défense de la cité.
Les artisans sont encore peu nombreux et Athènes ne prend aucune part au grand mouvement de colonisation qui, depuis le viiie s., étend les limites du monde grec aux rivages les plus lointains de la Méditerranée (→ histoire de la Grèce antique).
2.2. Les premières réformes
C'est sur un fond de fortes tensions sociales qu'Athènes paraît dans l'histoire. Lorsque, vers 630, un jeune noble, Cylon, s'empare de l'Acropole et cherche à établir un nouveau type de pouvoir, la tyrannie. Mégaclès, de la famille des Alcméonides, aidé par « la foule des champs », l'en déloge et le tue.
On pourrait voir dans cette tentative avortée un simple épisode de la lutte de factions entre aristocrates si Athènes n'entrait ensuite dans la voie des réformes.
Dracon
Dracon est mandaté, en 621-620, pour mettre par écrit des lois ne s'appliquant qu'aux affaires de meurtre et dont la dureté devait rester légendaire – d'où l'adjectif « draconien ». Mesure limitée qui, cependant, affirme pour la première fois l'autorité de l'État au-dessus des solidarités familiales dans le domaine de la justice, instaure un droit commun pour tous et, par là même, porte atteinte à l'arbitraire des aristocrates. Six thesmothètes (gardiens de la loi écrite) viennent alors renforcer le collège des archontes.
Le monopole économique et politique des nobles n'est cependant en rien entamé, malgré une évolution économique et militaire qui le rend moins justifié et manifestement moins bien supporté.
Comme les autres cités grecques, Athènes connaît une crise rurale qui déchire la société. Les mêmes solutions s'offrent à elle : soit l'arbitrage d'un législateur, chargé, dans une sorte de consensus, de mettre fin à des troubles qui risquent de dégénérer en guerre civile, soit la tyrannie, qui, dans l'évolution de la Grèce archaïque, apparaît bien souvent comme une solution transitoire aux problèmes de la cité. Avec Solon, le législateur, puis avec les fils du tyran Pisistrate, Hippias et Hipparque, Athènes fera successivement l'expérience de l'une et de l'autre.
2.3. Sous l'impulsion de Solon
Solon est chargé, en 594-593, de refaire l'unité de la cité. Son œuvre est essentiellement celle d'un libérateur. Par la remise du fardeau (seisachthéia), il annule toutes les créances et interdit à l'avenir la caution personnelle, donc l'esclavage pour dettes, restaurant ainsi une petite paysannerie menacée de perdre sa liberté. Solon, dans ses élégies – il est aussi le grand poète lyrique d'Athènes –, se glorifie d'avoir libéré la terre et aussi les hommes, « ceux qui, en Attique même, connaissaient la servitude dégradante et que faisait trembler l'humeur des maîtres », ceux qui avaient fui, ceux qui avaient été emmenés pour être vendus à l'étranger.
Modérée puisqu'elle ne réalise pas le nouveau partage des terres très largement réclamé, la réforme de Solon ampute cependant la richesse des eupatrides qui sans doute y ont consenti par crainte d'un soulèvement populaire et de la tyrannie.
La place du peuple (dêmos)
Avec cette solution apportée à la crise qui affecte le monde rural, l'originalité d'Athènes paraît bien résider dans les mesures politiques qui donnent au peuple un droit de regard sur l'évolution future. Un dêmos élargi est intégré dans le corps civique par des mesures politiques inscrivant la seisachthéia dans un ensemble cohérent. Les limites du dêmos sont clairement établies au sein d'une hiérarchie sociale fondée sur les revenus fonciers.
Institutions populaires et évolutions économiques
Le rôle de l'ecclésia – une assemblée du peuple jusque-là peu consultée – se renforce. Solon met en place un tribunal populaire de justice (l'héliée) qui ne fonctionne encore que comme instance d'appel, mais qui, selon le philosophe Aristote, devait être une pièce maîtresse de l'évolution démocratique d'Athènes.
La paysannerie se développera encore au cours du vie s. et, jouissant de la sollicitude du tyran Pisistrate (des prêts d'État, en particulier, la soustraient à l'influence des riches propriétaires), elle donnera une solide assise sociale à la démocratie athénienne.
Le développement de l'artisanat est, de même, étroitement lié par la tradition au souvenir de Solon, et l'archéologie révèle un essor étonnant de la production de céramiques et des échanges à partir des années 580. Des ruraux trouvent ainsi du travail à la ville et la classe des thêtes (citoyens non propriétaires, la classe la plus basse) se développe.
Des intérêts contraires
Vers 575, Athènes se donne une monnaie et, peu après, s'instaure l'équivalence entre la drachme et les mesures de capacité, ce qui témoigne d'un développement nouveau de la fortune mobilière.
L'extraordinaire ouverture d'Athènes vers l'extérieur a ainsi été préparée par Solon et par le compromis modéré recherché entre les intérêts contraires des eupatrides et du dêmos.
Solon n'a guère réussi, en revanche, dans sa volonté de restaurer la communauté de la polis en crise puisque, très rapidement, des troubles reprennent. Élus terriens conservateurs et « nouveaux riches », loin d'opposer les intérêts des eupatrides à ceux des pêcheurs et des commerçants, représentent des factions aristocratiques locales ; les paysans, sur lesquels s'appuie Pisistrate, regroupent les mécontents contre les nantis et s'identifient avec le dêmos.
2.4. Sous la tyrannie des Pisistratides
Pisistrate s'appuie sur le peuple pour conquérir le pouvoir. Maître d'Athènes une première fois en 561, il en est par deux fois chassé, mais il revient, toujours par la ruse ou par la force, et à sa mort, en 528, ses fils lui succèdent. C'est ainsi que, tardivement, Athènes connaît la tyrannie, une tyrannie modérée qui laissera à la postérité le souvenir d'un gouvernement raisonnable.
Pisistrate ne modifie guère les institutions, se dotant simplement d'une garde personnelle et confiant les magistratures à des hommes à sa dévotion. Il laisse Athènes bénéficier de l'impulsion donnée par Solon, poursuivant une politique d'équilibre social et d'affirmation de l'État, inaugurant une politique extérieure active et, à l'intérieur, un programme de grands travaux vivifiant pour l'économie.
Pisistrate et ses fils entretiennent une cour brillante et marquent leur volonté d'assumer le passé religieux et mythique d'Athènes (rédaction des poèmes homériques, des hymnes orphiques). Pour exalter la déesse Athéna, un grand temple, l'Hécatompédon, est construit sur l'Acropole, et un éclat remarquable est donné aux panathénées. Mais le pouvoir s'efforce aussi de favoriser les cultes populaires, comme celui de Dionysos.
Avec les Pisistratides, Athènes connaît donc sa première période de grandeur. Cependant, après l'assassinat d'un des fils de Pisistrate, Hipparque, en 514, la tyrannie d'Hippias le fils aîné se durcit et, en 510, ce dernier doit quitter Athènes devant l'opposition conjuguée des aristocrates et des Spartiates, et devant celle du dêmos, fortifié par le dynamisme économique d'Athènes.
2.5. La réorganisation politique sous Clisthène
Après une lutte acharnée au cours de laquelle la cité de Sparte appuie les plus durs des oligarques athéniens, Clisthène, soutenu par le dêmos, fait voter en 508 une réforme radicale de la Constitution qui établit la démocratie athénienne dans ses institutions.
L'espace civique athénien est remodelé, la ville incluse dans une nouvelle division de l'Attique. Les citoyens sont regroupés en dix tribus. Chaque tribu offre une image réduite des intérêts multiples de la cité et ses membres.
Il apparaît dès lors une réorganisation politique générale fondée sur ce cadre des dix tribus ; un secrétaire s'ajoute aux neuf archontes ; à la boulê, ou conseil des Cinq-Cents, les 50 représentants de chaque tribu gèrent la cité pendant un dixième de l'année (une prytanie). Dix stratèges assurent la direction des troupes de chacune des tribus, et ce commandement militaire, à l'épreuve des guerres médiques, donnera à ces nouveaux magistrats un pouvoir décisif dans l'Athènes du ve siècle.
Enfin, la loi sur l'ostracisme (exil dans les dix jours et pour dix ans, sur vote de l'ecclésia, d'un citoyen jugé dangereux pour la démocratie) tente de prémunir la cité contre un éventuel retour de la tyrannie.
3. Fin de la période archaïque : l'apogée d'Athènes
La cité, alors fermement unie, va cependant connaître l'épreuve des guerres médiques.
3.1. Les guerres médiques

Athènes est la seule cité, avec Érétrie, à porter secours aux Grecs d'Asie Mineure, révoltés contre Darius, grand Roi des Perses. Une petite expédition brûle l'une de ses capitales, Sardes, et la vengeance de Darius s'exerce essentiellement contre les deux cités.
À Marathon, Athènes fait face et, sous la direction du stratège Miltiade, ses hoplites appuyés seulement par quelques Platéens obligent les Perses à reprendre la mer en 490. Athènes a gagné seule la première guerre médique.
C'est elle encore qui, grâce à l'orientation maritime donnée par Thémistocle à la cité (création du port du Pirée), joue un rôle décisif dans la seconde guerre médique. Thémistocle convainc les Athéniens d'abandonner l'Attique et de combattre sur mer l'invasion conduite par le Perse Xerxès. À Salamine, où ils fournissent près de la moitié des contingents alliés, ils contraignent les Perses à la retraite en 480, tandis que leur flotte remporte encore des victoires capitales près des côtes d'Asie Mineure.
Plus qu'aucune autre cité, Athènes a souffert de l'invasion : l'Attique est dévastée, la ville détruite, mais, alors que la Grèce semblait perdue, la cité reconstruite par Clisthène a montré son attachement à la liberté et c'est vers elle que se tournent – craignant un retour offensif des Perses – les petites cités des îles et de la côte ionienne.
La Confédération athénienne, ou ligue de Délos (du nom de l'île où est déposé le trésor des cités alliées), simple alliance militaire constituée autour d'Athènes (478), devient la base de la puissance de la cité au ve siècle.
Pour en savoir plus, voir l'article guerres médiques.
3.2. L'Athènes de Périclès

Périclès fut le maître incontesté de la cité pendant près de trente ans. De la lignée Bouzyge par son père, et des celle des Alcméonides par sa mère, il est est l'un de ces aristocrates qui continuent de monopoliser les charges principales. Associé au chef du parti démocratique Éphialtès dans la lutte qui, après les guerres médiques, oppose toujours eupatrides et dêmos, les aristocrates et le peuple, il est avec lui responsable des derniers élargissements de la démocratie athénienne.
Périclès domine bientôt la vie politique et, de 443 à 431, est constamment réélu stratège. Cette autorité incontestée dans une cité où le peuple a pris en main son destin a de quoi surprendre.
La démocratie athénienne
L'ecclésia, l'assemblée du peuple, décide de tout ; elle est aidée dans sa tâche par la boulê, qui doit débattre des questions soumises à l'assemblée et émettre un avis préalable. Les magistratures, collégiales et annuelles, sont étroitement surveillées par le dêmos. La stratégie – du grec stratos, armée et agein, conduire – constitue désormais le véritable exécutif de la cité, dépossédant l'archontat, réduit, comme l'ancien conseil aristocratique de l'Aréopage, à des attributions juridiques et religieuses.
Le tribunal populaire, l'héliée (6 000 héliastes tirés au sort), juge de presque toutes les causes. Tout citoyen athénien peut donc décider du destin de sa cité à l'assemblée, siéger au tribunal, être bouleute (membre de la boulê) et exercer une magistrature au moins une fois dans sa vie. Pour que cette égalité de droit ne soit pas un vain mot, Périclès accorde une indemnité de participation à la vie civique, le misthos.
La démocratie s'efforce aussi d'atténuer les inégalités économiques et sociales par la pratique des liturgies (charges normalement assumées par l'État confiées aux plus riches des citoyens), par un système d'entraide pour les plus déshérités, par du travail pour tous.
Les contradictions de la société athénienne
Bien sûr, cette démocratie directe n'est pas parfaite. Aristophane s'est fait l'écho des critiques qui lui sont adressées par ceux qu'inquiètent ses excès. On peut remarquer que, jusqu'en 400 avant J.-C., aucun misthos n'est donné pour la participation à l'assemblée, ou encore pour l'exercice de la plus importante des magistratures – la stratégie –, que seuls les plus riches des citoyens peuvent exercer.
Enfin et surtout, cette démocratie est à l'usage d'un petit nombre de privilégiés. Au moment même où s'achève la conquête de la démocratie, en 451, il faut, pour être citoyen de plein droit, être né non seulement d'un père citoyen mais – et c'est nouveau – de mère athénienne. De surcroît, ni les femmes, ni les métèques (les étrangers domiciliés à Athènes), ni les esclaves – de plus en plus nombreux – ne participent à la vie politique.
Cela constitue l'une des contradictions majeures d'Athènes : plus la cité s'éloigne de ses origines agraires et voit son économie s'orienter vers des activités tournées vers l'échange et le profit, plus elle fait appel aux esclaves, et plus cette contradiction va croissant.
Périclès disait encore que l'exercice d'un métier ne peut empêcher le citoyen de donner un avis utile à son pays. Au ive s., déjà, Xénophon et Platon estimaient que la seule activité compatible avec la citoyenneté est l'agriculture ; Aristote, pour sa part, jugeait qu'être citoyen est un métier à part entière et proposait d'exclure tous ceux qui travaillent de la vie politique.
3.3. L'impérialisme athénien
En outre, cette démocratie qui veut ses citoyens les plus libres des Grecs admet l'impérialisme à l'extérieur.
L'historien Thucydide ne se fait pas d'illusions : la ligue de Délos, d'alliance qu'elle était, s'est transformée en empire. Les aristocrates qui conduisent la ligue à ses débuts, non seulement lui font faire des progrès décisifs, mais répriment durement les révoltes à Naxos en 470, à Thasos en 465. Les démocrates, lorsqu'ils leur succèdent, n'agissent pas autrement : la répression à Samos en 441, conduite par Périclès, n'est pas moins sanglante, et l'établissement de colons athéniens sur les terres enlevées aux cités alliées se poursuit. Au moment même où la signature de la paix de Callias avec les Perses en 449 aurait pu rendre l'alliance caduque, Athènes impose à toutes les cités de la ligue la circulation de sa monnaie et organise plus rationnellement la perception d'un tribut qui, depuis 454, n'est plus déposé à Délos mais à Athènes. Et cette dernière s'autorise à puiser dans ce trésor, destiné à la défense commune, à des fins qui lui sont propres.
Athènes, en effet, n'est pas seulement impérialiste par accident (si la ligue est née de l'initiative des alliés, leur négligence à s'acquitter du tribut explique sa transformation en empire), elle l'est par nécessité. Sa démocratie vit de l'empire. Elle a besoin non seulement de la richesse que, grâce à la maîtrise de la mer, il lui procure, mais aussi des terres prises aux anciennes cités alliées et enfin, du tribut. Tribut qui permet de distribuer des misthoi (indemnités pour ceux qui vont aux assemblées), d'aider les plus démunis et de pratiquer une politique de prestige utile à l'économie et décisive pour cimenter la communauté tout entière.
3.4. La guerre du Péloponnèse

C'est de cette dernière contradiction que naît la guerre du Péloponnèse (431-404). La politique intransigeante d'Athènes incite les alliés à la révolte et ses prétentions à l'hégémonie dressent contre elle ses vieilles rivales : Sparte et Corinthe.
Le conflit, acharné, dure près de trente ans. La stratégie voulue par Périclès paraît être l'aboutissement logique d'une évolution longue de deux siècles ; la cité s'était, en effet, tournée vers la mer. La création du port du Pirée par Thémistocle puis son développement, la réalisation des Longs Murs avaient fait de la ville et de son port une sorte d'île dont le salut dépendait de la mer et de la flotte. L'Attique abandonnée aux incursions périodiques des Lacédémoniens (autre nom des Spartiates), la population athénienne se retranche à l'intérieur des murs reliant le port à Athènes, et résiste, tandis que les contre-attaques sont menées sur mer.
La peste et la mort de Périclès, en 429, laissent Athènes affaiblie. La guerre se traîne avec des fortunes diverses et si la paix de Nicias, en 421, met fin pour un temps aux hostilités, celles-ci se rallument avec la désastreuse expédition de Sicile (415-413), voulue par le stratège Alcibiade.
Après la perte de 12 000 citoyens, Athènes remporte encore quelques succès en mer Égée, mais elle est définitivement défaite à la bataille d'Aigos-Potamos en 405. L'année suivante, les Spartiates entrent dans la cité qui doit livrer sa flotte, détruire ses murailles, abandonner son empire, dont toutes les cités sauf une ont d'ailleurs fait défection.
Pour en savoir plus, voir l'article guerre du Péloponnèse.
4. Le déclin d'Athènes
La guerre a sérieusement altéré le fonctionnement de la démocratie. En 411, les oligarques sont même parvenus à renverser le régime, mais leur tentative a échoué. Les  Trente tyrans, dont la dictature est imposée par Sparte à la fin de la guerre, ne réussissent pas plus à se maintenir.
Les Athéniens tiennent à leur démocratie et la restaurent en 403. Ils jouent alors un jeu habile entre les cités qui prétendent à l'hégémonie et reconstituent même, en 377, une seconde Confédération maritime. Celle-ci leur redonne, pour un temps, la maîtrise des mers, mais, affaiblie par la révolte des alliés (357-355), elle sera disloquée par Philippe de Macédoine.
4.1. Athènes face à la conquête macédonienne
Athènes doit alors affronter un danger nouveau, celui que le roi de Macédoine fait courir à toute la Grèce. Philippe II triomphe des cités coalisées à Chéronée en 338. Il se montre généreux envers Athènes : la cité conserve son autonomie, mais doit entrer dans la ligue de Corinthe, qui regroupe toutes les cités grecques sous hégémonie macédonienne.
Après la mort du fils de Philippe, Alexandre, et une tentative malheureuse de révolte (→ guerre lamiaque), les Athéniens doivent, en 322 avant J.-C., accepter d'Antipatros une garnison macédonienne et une Constitution oligarchique qui contraint les plus pauvres d'entre eux à l'exil.
Dès lors, tiraillée entre les successeurs du conquérant macédonien et caressant toujours le vain rêve d'une vengeance, Athènes n'est plus que l'ombre de ce qu'elle avait été. Même la création littéraire s'affaiblit, et seule la comédie de mœurs reste vivante, avec Ménandre. En revanche, Athènes, où se développent les écoles épicurienne et stoïcienne, demeure le centre le plus actif de la pensée philosophique.
4.2. Sous la domination romaine
Lorsque, après la défaite du dernier roi de Macédoine, Persée à Pydna en 168 avant J.-C., l'hégémonie de Rome se substitue à celle de la Macédoine, Athènes retrouve quelque vitalité ; les Romains, en particulier, lui donnent Délos, et le Pirée tire encore profit de la destruction de Corinthe, en 146.
Elle périclite, cependant, dès le ier siècle de notre ère (pillage par les troupes de Sylla en 86). Et si elle bénéficie de la paix romaine et reste une cité libre et fédérée, les honneurs dont la comblent les empereurs sont inversement proportionnels à sa faiblesse réelle. Ils témoignent cependant de l'immense prestige que conserve la cité qui domina la Grèce.
4.3. Les derniers feux d'Athènes
Le triomphe définitif du christianisme dans l'Empire romain contribue à la décadence de la cité des dieux. En 393, les jeux Olympiques sont interdits par Théodose Ier ; mais, en partie sous l'influence de Julien l'Apostat et des néoplatoniciens, Athènes reste longtemps encore un pôle de résistance du paganisme.
Cependant, en 529, ses écoles sont fermées par Justinien et peu à peu ses temples transformés en églises. Athènes était alors complètement éclipsée par Constantinople, qu'on embellit en la dépouillant.
Pour en savoir plus, voir les articles histoire de la Grèce antique, Macédoine, Rome.
4.4. Dans l'Empire byzantin
En 857, Athènes devient le siège d'un archevêché, dont la cathédrale – dédiée à la Vierge – est installée dans le Parthénon. À partir du xie siècle, de nombreux monastères s'y fondent : Athènes allait être, face à Rome, l'un des bastions de l'orthodoxie.
Après la prise de Constantinople par les Francs, en 1204, la ville devient la capitale du duché latin d'Athènes, qui se maintient jusqu'en 1456 après être passé des mains des Français à celles des Catalans, d'ailleurs plus ou moins vassaux de Venise.
4.5. Athènes dans l'Empire ottoman
Prise par Mehmet II en 1456, Athènes reçoit des Turcs quelques privilèges, ce qui n'empêche pas que le Parthénon soit transformé en mosquée et l'Érechthéion en harem pour le gouverneur turc.
Aux xvie et xviie s., Athènes n'est plus qu'une bourgade de 8 000 à 10 000 habitants. En 1678, la ville se réveille avec Michaïl Linbonos, dont la révolte fut durement réprimée par les Turcs. Afin de mieux résister aux Vénitiens de Morosini, ces derniers ravagent l'Acropole et transforment le Parthénon en poudrière : une bombe vénitienne, en y éclatant, endommage gravement le monument (1687).
Au xixe s., Athènes se trouve naturellement au cœur de la guerre d'indépendance grecque. Tombée aux mains des Turcs, qui se maintiennent dans l'Acropole jusqu'en 1833, elle est désignée l'année suivante comme capitale du royaume indépendant de Grèce : son histoire se confond désormais avec l'histoire souvent tragique du jeune État.
Pour en savoir plus, voir l'article histoire de la Grèce moderne.
L'ART ET L'ARCHÉOLOGIE
De Pisistrate à Périclès
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Athènes, l'agora
Athènes, l'agora
C'est avec Pisistrate que commence la « grande » histoire artistique d'Athènes. Les vestiges des civilisations antérieures furent alors attribués à des héros mythologiques et à des peuples légendaires : Pélasges, Cécrops, Érechthée, Thésée. L'archéologie va plus loin que la fable, et nous savons que, plusieurs millénaires avant qu'on y ait adoré Héphaïstos, les arts du feu étaient pratiqués dans le secteur du Céramique.
Pisistrate, quand il entreprit de restaurer et d'embellir l'Acropole, où il avait établi sa résidence, y trouvait des temples en tuf polychrome, dédiés à des cultes primitifs. On en a conservé quelques débris, notamment la pièce dite « fronton de l'Olivier », maquette d'un temple double d'Athéna et d'Érechthée. L'édifice principal était le temple de cent pieds consacré à Athéna, l'Hécatompédon, datant de Solon. Il fut pourvu d'une colonnade dorique et orné de métopes et de frontons racontant les exploits d'Héraclès. Autour du sanctuaire furent répartis des serviteurs et des servantes de la déesse, des sacrificateurs, des porteurs et porteuses d'offrandes. Après les destructions de l'armée perse, ce qui subsistait de cette statuaire fut pieusement enseveli. Retrouvées il y a un siècle encore revêtues de leurs vives couleurs, ces pièces (Kouroi athlétiques, korês aux drapés ioniens, au sourire hiératique, monstres mystérieux) ont été une révélation éblouissante. Parmi les autres travaux de Pisistrate et de ses fils, il faut mentionner les portiques de l'Agora – au centre de laquelle un autel de la Pitié marquait le point de départ des chemins de l'Attique – et la construction d'un temple colossal à Zeus. Les tambours en tuf de cet édifice resté inachevé furent incorporés au mur de Thémistocle, où ils sont encore. De l’époque des Pisistratides date aussi le premier état du théâtre de Dionysos, à l'origine simple enclos où dansaient les chœurs.
Après la chute des tyrans, un groupe de bronze représentant les tyrannicides fut dressé près de l'Acropole : il devait être emporté à Suze par Xerxès. On prépara la construction d'un grand temple à Athéna, pour lequel il fallut élargir par des soutènements la plate-forme rocheuse de l'Acropole. Par ailleurs, la cité dut se consacrer surtout à l'architecture militaire : mur de Thémistocle, Longs Murs, forteresses d'Éleuthères et de Phylè. Tout fut emporté, ruiné ou détruit par l'armée de Xerxès.
Trente ans après Salamine, la paix enfin assurée, Périclès conçut un vaste programme pour renouveler les lieux consacrés de toute l'Attique. (« La Grèce, disait-il, doit être le modèle du monde, et Athènes celui de la Grèce. »). Il en confia la réalisation à Phidias, dont les récentes créations d'Olympie provoquaient l'admiration universelle. Ce programme ne put être exécuté qu'en partie, et, après le Théséion, seul le Parthénon – qui en était à vrai dire la pièce maîtresse – fut achevé du vivant de Périclès. Le Théséion est, de tous les temples doriques d'époque classique, celui qui nous est parvenu dans le meilleur état. Situé dans la ville basse, au-dessus de l'agora, il était consacré à Héphaïstos, mais sa décoration illustrait les exploits du héros local Thésée.
Les monuments de l'Acropole
Le Parthénon
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Acropole d'Athènes
Acropole d'Athènes
Le Parthénon est un temple dorique, dédié à Athéna, dont il abritait la statue chryséléphantine. Il fut construit par les architectes Ictinos et Callicratès sous la direction de Phidias. De dimensions moyennes (70 sur 31 m), entouré de 46 colonnes, il diffère un peu du canon dorique traditionnel par une largeur relative plus grande, un moindre écrasement des chapiteaux, un galbage des fûts, une certaine courbure du stylobate qui donnent une impression de parfait équilibre. Il réalise l'harmonie des deux grands styles dorique et ionien. À l'intérieur, un mur divisait l'édifice en deux salles inégales qui ouvraient, l'une à l'est et l'autre à l'ouest, par une porte monumentale. Dans celle de l'ouest et la plus grande, la cella, où une colonnade ménageait un déambulatoire, se dressait l'effigie d'Athéna, œuvre de Phidias (l'autel de la déesse était à l'extérieur, au bas des degrés). Devant la statue – faite de revêtements d'or et d'ivoire sur un bâti de bois –, un plan d'eau entretenant l'humidité qu'exige l'ivoire reflétait l'image divine ; haute d'environ 15 m, celle-ci atteignait par le sommet du casque le toit de l'édifice. L'autre salle contenait des trésors et des trophées, sur lesquels veillaient des jeunes filles – réelles ou en effigies ; de là son nom de chambre des vierges (parthenôn), qui devint celui de l'édifice tout entier.
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Phidias, frise du Parthénon
Phidias, frise du Parthénon
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Phidias, frise du Parthénon
Phidias, frise du Parthénon
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Phidias, frise du Parthénon
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Phidias, frise du Parthénon
Les métopes, les frontons et la frise intérieure du temple étaient ornés de sculptures peintes en ocre, en rouge et en bleu, protégées par un enduit à la cire et complétées par des accessoires de bronze. Les métopes étaient en haut relief. Elles montraient des scènes guerrières : combats de Thésée contre les Centaures et les Amazones, chute de Troie, lutte des Dieux et des Géants. Sur les frontons, de grandes figures en ronde bosse représentaient la naissance et le triomphe d'Athéna. À l'est, Héphaïstos fendait d'un coup de hache la tête de Zeus, d'où la Vierge divine sortait tout armée. Répartis de part et d'autre, couchés, assis, debout, épousant l'espace triangulaire, les dieux regardaient naître la Raison. Dans un angle disparaissait le char de la Nuit. Dans l'autre surgissaient les chevaux du Soleil. Sur le fronton opposé, on voyait s'affronter Athéna et Poséidon, la lance contre le trident. Ce duel, dont devait dépendre le sort d'Athènes, avait pour témoins des personnages symbolisant les forces et les beautés de la nature attique : collines, sources, rivières, arcs-en-ciel.
Les bas-reliefs de la frise, derrière la colonnade, déroulaient le cortège des Panathénées, par lequel tous les quatre ans la cité entière, gravissant la Voie sacrée, allait remettre à la déesse un voile neuf. La procession s'ordonnait sous le fronton ouest et se divisait, comme les demi-chœurs des tragédies, sur chacun des longs côtés. Elle se reformait sous le fronton est, où l'attendaient le grand prêtre et la prêtresse entourés d'Athéna et des dieux protecteurs des arts. Ce cortège, long de 160 m, comptait plus de 350 figures : ouvrières, magistrats, sacrificateurs, cavaliers, musiciens, porteurs et porteuses d'offrandes.
Athènes a été relativement épargnée par les séismes qui ont dévasté presque toute la Grèce : c'est par les hommes que le Parthénon, au cours des âges, a été ruiné. Au ve s., quand le christianisme fut imposé par Théodose, la statue d'Athéna disparut, emportée à Constantinople, et le temple fut transformé en église, non sans de graves mutilations. Sous les Turcs, le Parthénon devint mosquée, puis magasin à poudre, ce qui causa sa destruction quand l'armée du doge Francesco Morosini vint mettre le siège devant l'Acropole : le toit, la moitié du mur extérieur, près de la moitié des colonnes et tout un fronton sautèrent. Un siècle plus tard, lord Elgin, l'ambassadeur britannique, ayant fait déposer certaines pièces des frontons, de la frise et des métopes, cette opération, mal conduite, entraîna la chute de nombreux éléments.
Sur les 92 métopes, il en subsiste 18 à peu près lisibles, dont 16 au British Museum, 1 au Louvre et 1 en place. Du fronton ouest, il reste en place des têtes de chevaux dans les deux angles. Quelques personnages mutilés sont au British Museum. Sur le fronton est encore visible un groupe ruiné.
De la frise, il reste en place les plaques de l'ouest, malheureusement menacées par la pollution de l'air ; parmi les autres, 3 sont au musée de l'Acropole, 1 au Louvre et le reste au British Museum. Ce sont ces sculptures de la frise, d'une incomparable beauté, qui sont le mieux conservées.
Le Parthénon, temple des Victoires, célébrait certes la gloire militaire d'Athènes et son triomphe sur l'Asie, mais il prétendait aussi symboliser la victoire de l'humain sur le bestial, de l'ordre sur le chaos, de l'intelligence sur la démesure, de la liberté sur la contrainte. Il signifie l'aboutissement de l'évolution politique et religieuse d'Athènes, où bientôt devaient s'ouvrir l'Académie et le Lycée.
La sensibilité moderne est sans doute déconcertée par l'esclavage et par l'anthropomorphisme qui déparent la démocratie et la philosophie religieuse dans l'Athènes de Périclès. Cependant, l'art du Parthénon – art engagé s'il en fut – exprime une idéologie qui est l'une des sources fondamentales dont prétend s'inspirer la civilisation occidentale.
Les Propylées, portes monumentales conçues par l'architecte Mnésiclès, commandent l'entrée de l'Acropole par sa pente accessible du versant ouest. Ce sont des parvis majestueux de 60 m de façade sur 30 m de profondeur, où les processions pouvaient se recueillir et s'ordonner. L'édifice, qui ne fut jamais complètement achevé, comportait au centre un vaste bâtiment amphiprostyle soutenu à l'intérieur par une colonnade ionique entre deux portiques de six colonnes doriques. Sur le flanc nord, une aile en retour, la Pinacothèque, dominait le rocher. L'aile opposée, pour ne pas empiéter sur des emplacements consacrés à d'autres cultes, se réduisait à une façade. Métopes et frontons étaient sans ornements. Entre les Propylées et le Parthénon se dressait une grande statue de bronze d'Athéna combattante (Promachos).
Le temple d’Athéna Nikê
Le temple d'Athéna Nikê, dit de la Victoire aptère, est un petit édifice situé sur un saillant du rocher, à côté des Propylées, où, dès le vie s., un sanctuaire avait été dédié à Athéna Nikê (l'Athéna des Victoires), dont la statue, simple xoanon, fut appelée aptère par différence avec les Victoires ailées traditionnelles. Le temple construit par Callicratès, de pur style ionique, consiste en une cella unique de 4 m de côté, cantonnée sur ses deux façades d'un portique de quatre colonnes. Plus qu'à sa frise, consacrée aux guerres médiques, la célébrité de son décor sculpté tenait à la balustrade qui l'entourait du côté du rocher à pic. Longue de 32 m et haute de 1 m, elle représentait des Victoires se rendant au sacrifice : la procession se déroulait en relief vigoureux au-dessus de la Voie sacrée menant aux Propylées. Plusieurs de ces plaques de marbre ont été retrouvées ; bien que très mutilées, elles révèlent un art attique d'une élégance toute particulière : art à la fois hardi et chaste, qui sous des tissus presque transparents voile et montre la nudité.
L'Érechthéion
C'est plusieurs années après la mort de Périclès que Nicias fit relever les ruines de l'ancien sanctuaire d'Érechthée. On n'opérait pas en table rase : il fallait respecter la place rituelle de cultes hétéroclites et obscurs. C'est là que Poséidon et Athéna s'étaient affrontés, qu'avait surgi l'olivier sacré, que le trident du dieu avait fait jaillir une source. Des cellae à des niveaux différents devaient être englobées dans une unité architecturale réunissant l'idole antique d'Athéna, le Serpent sacré, le tombeau de Cécrops. L'architecte Philoclès réalisa pour l'Érechthéion un monument complexe dont la disposition n'a pu être déchiffrée avec certitude. Il comporte deux portiques ioniques, souvent copiés, et celui, plus célèbre encore, des Caryatides, porteuses de corbeilles dont la tête charmante et robuste soutient l'architrave.
Monuments divers
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Théâtre de Dionysos, Athènes
Théâtre de Dionysos, Athènes
La liste serait longue des monuments notables de l'Athènes du ve s. avant J.-C. : les textes signalent des sanctuaires dédiés à presque tous les dieux, mais ils ont laissé peu de vestiges. Les collines célèbres qui font face à l'Acropole, la Pnyx, le Mouseion, l'Aréopage, n'ont pas été couronnées de monuments civils ou religieux de quelque importance. Quant à l'habitat privé, il était sans luxe.
C'est à la sortie de la ville qu'étaient les cimetières, dont le plus célèbre sur la voie d'Éleusis, qui traversait le faubourg du Céramique. La plupart des Athéniens importants eurent là leur tombeau. Les fouilles qui s'y poursuivent depuis un siècle ont mis au jour d'infinies richesses (vases de l'époque géométrique, stèles funéraires, etc.). Quelques monuments ont été remontés in situ, tels les spectaculaires Géants d'époque romaine.
De Périclès à Byzance
Après Périclès, la cité, appauvrie par les guerres, n'eut pas les moyens d'achever son œuvre. De riches protecteurs des arts (chorèges) se firent élever des monuments votifs, tels celui de Thrasyllos contre le mur de l'Acropole et celui de Lysicrate (dit « Lanterne de Démosthène ») dans l'antique rue des Trépieds. Athènes, dont le rayonnement persista pendant plusieurs siècles, ne cessa de « s'embellir », mais aucun de ses monuments postérieurs au ive s. avant J.-C. n'a d'importance majeure pour l'histoire de l'art. La domination macédonienne fut pour Athènes la grande époque des « évergètes » (bienfaiteurs), au premier rang desquels il faut citer deux rois de Pergame, Eumenês et Attalos. On doit au premier le portique qui porte son nom, vaste déambulatoire qui conduit au théâtre de Dionysos. Attalos, un peu plus tard, rénova l'Agora et l'entoura d'autres portiques somptueux.
Le respect que lui vouèrent les Romains n'alla pas pour Athènes sans inconvénient. Elle fut l'objet d'un vaste pillage, tandis que s'y élevaient des bâtisses bien peu conformes au programme de Périclès, tels la statue équestre géante d'Agrippa devant les Propylées, la « tour des vents », l'escalier colossal de l'Acropole, le Temple de Rome à côté du Parthénon, les ornements du théâtre de Dionysos, etc. Hadrien, qu'on nommait plaisamment « Graeculus », créa toute une ville nouvelle, la « Ville d'Hadrien » à côté de la « Ville de Thésée », construisit un forum à la romaine et acheva en marbre et en style corinthien le temple colossal de Zeus (Olympieion) commencé sous Pisistrate. Un évergète, Hérode Atticus, construisit l'Odéon qui porte encore son nom. Un autre, C. Julius Antiochos Philopappos, se fit élever un gigantesque mausolée sur le Mouseion. Le voyageur Pausanias a laissé une description de la ville telle qu'elle était sous les Antonins. C'était un dédale où, à chaque pas, autels, ex-voto, effigies, tombeaux, stèles, inscriptions célébraient les dieux, les héros, les hommes de la légende, de la grande et de la petite histoire, depuis Cécrops jusqu'à l'empereur régnant.
Athènes byzantine, franque et turque
Avec le transfert de la capitale de l'Empire à Constantinople commença le déclin d'Athènes, qui perdit son rang de métropole de l'hellénisme. Dans l'Empire byzantin, elle ne fut plus qu'une bourgade. Les invasions barbares des iiie et ive s. ruinèrent entièrement la ville basse. Le christianisme ferma les écoles philosophiques et interdit les cultes. Dans les temples brutalement modifiés, Athéna et Thésée furent remplacés par la Panagia Theotokos et par saint Georges. Aucune grande basilique ne fut construite ; on n'édifia que des chapelles et de modestes monastères, parmi lesquels il faut citer les églises des Saints-Théodores, de la Kapnikaréa, de la Petite-Métropole, qui sont aujourd'hui la parure charmante du centre de la ville. Au pied de l'Hymette, le monastère de Kaisariani est un bon exemplaire du style byzantin du xe s. Quant à l’église de Dháfni, sur le chemin d'Éleusis, elle montre des mosaïques qui sont parmi les plus belles de l'art byzantin.
Quand les ducs francs s'installèrent sur l'Acropole, ils la défigurèrent sans pitié et mirent ses monuments à tous les usages. Les Turcs à leur tour la couvrirent de minarets, de fortifications, de baraquements. Lorsque Chateaubriand la visita en 1806, Athènes était un pauvre village peuplé surtout d'Albanais. Dans le Parthénon éventré était installée une petite mosquée ; le temple de la Victoire aptère avait été démoli par les Turcs, et ses éléments incorporés dans un bastion ; une tour de guet construite par les Francs dominait la Voie sacrée. Parmi les marbres épars, des bâtisses de toute nature couvraient l'Acropole, dont l'accès était barré par des ouvrages militaires.
Depuis l'indépendance
Lorsque la capitale du petit État qu'était le nouveau royaume fut transférée de Nauplie à Athènes, celle-ci, ravagée par la guerre d'Indépendance, ne comptait qu'une centaine d'habitants. Le tracé en damier de la nouvelle ville suivit un plan axé sur une voie centrale nord-sud partant du Céramique. Il ne s'y construisit rien de très notable (monuments de style néo-grec ou « munichois ») : son histoire artistique est celle de la découverte, de la préservation, de la restauration et de la mise en valeur de ses gloires. Dès 1837 fut fondée la Société grecque d'archéologie, bientôt suivie des écoles archéologiques étrangères et de l'Éphorie des antiquités. Dans le champ de décombres et l'amas confus de bâtisses qu'était devenue l'Athènes antique, les travaux archéologiques étaient difficiles. Que faire disparaître ? Jusqu'où restituer ? Les travaux ont été effectués avec un goût, une modération, une honnêteté dont on connaît peu d'exemples.
Depuis une quinzaine d'années, de nouveaux aménagements ont facilité la compréhension et la vision des monuments. Le Mouseion, naguère encore inaccessible et désolé, a été reboisé et aménagé en belvédère, d'où la vue embrasse tout le groupe de l'Acropole. Le Théséion a été dégagé et entouré de jardins ; l'Agora a été déblayée, et l'un des vastes portiques (ou « stoa ») d'Attalos reconstruit dans son état primitif. Le tracé de la Voie sacrée a été rétabli. Le Lycabette, qui domine toute la ville et dont le panorama s'étend jusqu'à Salamine, est sillonné de sentiers faciles. Quant aux site

 
 
 
 

LOUIS PASTEUR

 

 

 

 

 

 

 

Louis Pasteur


Chimiste et biologiste français (Dole 1822-Villeneuve-l'Étang, Marnes-la-Coquette, 1895).
1. La vie et la carrière de Louis Pasteur
1.1. Les lettres, le dessin, les mathématiques

Élève de l'école primaire, puis externe au collège d'Arbois (Jura), Louis Pasteur est fils de tanneur. C'est un élève moyen, mais il dénote un penchant très vif pour le dessin. Le principal du collège d'Arbois l'incite à s'orienter vers l'École normale supérieure. En octobre 1838, Louis Pasteur et son camarade Jules Vercel partent pour Paris afin de suivre les cours du lycée Saint-Louis. Très rapidement, Pasteur, qui ne supporte pas la séparation du milieu familial, retourne à Arbois, puis part pour le collège de Besançon, plus proche de ses parents que la capitale.
En 1840, Louis Pasteur est bachelier ès lettres. Il continue de peindre et de graver, et il se lie avec Charles Chappuis. En 1842, il est bachelier ès mathématiques ; admissible à l'École normale supérieure (14e sur 22), il décide de se représenter pour obtenir un meilleur rang et part pour Paris. Il est reçu à l'École normale quatrième en 1843.
1.2. Pasteur et les sciences physiques

Normalien, Louis Pasteur suit les cours de Jean-Baptiste Dumas et étudie le problème de la polarisation de la lumière à propos des acides tartriques et paratartriques. En 1846, il est reçu à l'agrégation des sciences physiques.

Sur l'insistance de son maître Antoine Jérôme Balard, il n'est pas nommé en province et reste à Paris pour préparer sa thèse de doctorat. Le 23 août 1847, il soutient une thèse de physique sur l'« étude des phénomènes relatifs à la polarisation rotatoire des liquides ». Le 20 mars 1848, il présente à l'Académie des sciences son mémoire Recherches sur le dimorphisme, concernant l'aptitude de certains corps à cristalliser de manière dissemblable. Après la révolution de 1848, il étudie de nouveau le problème des tartrates et paratartrates, et il démontre que l'acide paratartrique se compose d'isomères d'acide tartrique droit (naturel) et d'acide paratartrique gauche. Ces deux acides ont des pouvoirs rotatoires égaux et contraires, qui se neutralisent lorsqu'ils sont mélangés en solution aqueuse. Jean-Baptiste Biot, spécialiste de la polarisation rotatoire, après avoir vérifié ce travail de Pasteur, publie un rapport sur les « recherches sur les relations qui peuvent exister entre la forme cristalline, la composition chimique et le sens du pouvoir rotatoire ».
→ stéréochimie.
1.3. Reconnaissance de Pasteur par l’Académie des sciences
Louis Pasteur est nommé professeur de physique au lycée de Dijon. En janvier 1849, il devient suppléant de chimie à la faculté de Strasbourg. Il épouse la fille du recteur Laurent, Marie, et continue ses travaux de cristallographie. Sa réputation s'étend parmi les physiciens et les chimistes français et étrangers. En 1852, il va à Leipzig, puis en Autriche et à Prague pour étudier les tartrates. En juin 1853, il réussit la transformation de l'acide tartrique en acide racémique. Ses travaux sont consacrés en janvier 1853 par l'Académie des sciences. Le jeune savant souligne l'importance de la dissymétrie moléculaire, qui peut intervenir dans des phénomènes physiologiques comme celui de la fermentation.
1.4. Le « phénomène vital » des fermentations
En septembre 1854, Louis Pasteur est nommé professeur et doyen de la nouvelle faculté des sciences de Lille. Des accidents industriels dans la fabrication d'alcool de betterave (1856) sont à l'origine de ses travaux sur la fermentation, et en particulier sur la fermentation alcoolique.

Tandis que les travaux antérieurs des chimistes s'accordaient à nier le rôle de la « vie » dans le mécanisme de la fermentation, Louis Pasteur, isolant la levure lactique, reconnaît là un phénomène corrélatif de la vie. En août 1857, il fait une communication sur la fermentation lactique à la Société des sciences de Lille.
Il revient alors à l'École normale supérieure pour y être administrateur et directeur des études scientifiques. C'est dans un laboratoire misérable qu'il élabore son mémoire sur la fermentation alcoolique (décembre 1857), où il conclut que « le dédoublement du sucre en alcool et en acide carbonique est un acte corrélatif d'un phénomène vital ». En janvier 1860, quelques mois après la mort de sa fille aînée, il obtient le prix de physiologie expérimentale pour ses travaux sur la fermentation.
1.5. Pasteur et la critique de la génération spontanée
Louis Pasteur veut alors s'attaquer aux phénomènes des générations spontanées. Il tient, en effet, à contrôler les expérimentations de Félix Archimède Pouchet, qui démontraient la possibilité de faire naître des animalcules dans des récipients privés d'air.
Il commence par l'étude microscopique de l'air. Grâce à des filtres de coton, il isole des « germes » qui troublent une suspension stérile. Puis il démontre, en ouvrant ses ballons à Paris, en province, en montagne, sur la mer de Glace, que « les poussières en suspension dans l'air sont l'origine exclusive de la vie dans les infusions » (novembre 1860). Malgré ses détracteurs, il persévère, affirmant, en 1861, que la fermentation butyrique est liée à des infusoires, vivant d'ailleurs sans air (anaérobies).
→ microbiologie.
1.6. La théorie des germes : un long cheminement

En décembre 1862, il est nommé membre de l'Académie des sciences. Jean-Baptiste Biot, son maître et ami, est mort quelques mois plus tôt. Pasteur va reprendre ses travaux sur la fermentation, mais déjà il affirme que son but est d'arriver à la connaissance des maladies putrides et contagieuses. Il vient de mettre au point la pasteurisation.
→ maladies infectieuses, → conservation [agroalimentaire].
1.6.1. Les maladies des vins et la pasteurisation
En 1864, il envisage le problème du développement des ferments, cause des maladies des vins, et découvre qu'une élévation brève de leur température, sans les altérer, les protège.
1.6.2. Les maladies des vers à soie et la transformation du vin en vinaigre

Jean-Baptiste Dumas lui demande d'étudier l'épidémie de « pébrine » (les taches des vers à soie malades ressemblent au poivre) qui ruine la sériciculture, alors en plein renouveau. Pasteur est envoyé à Alès en juin 1865. Malgré la mort brutale de son père, il étudie cette mystérieuse maladie. Il démontre qu'il est nécessaire, pour avoir des vers sains, de ne retenir que des graines provenant de papillons sains. Il met en évidence la contagiosité de la pébrine et pose les principes de la sélection des œufs provenant de papillons sains.
En 1867, malgré les difficultés internes de l'École normale, Pasteur, grâce à des crédits spéciaux, améliore son laboratoire.
À Orléans, il démontre devant des industriels l'importance du rôle de Mycoderma aceti dans la fabrication du vinaigre, expose clairement le mécanisme vivant de l'acétification, les risques d'erreurs, les causes d'échecs de l'industrie du vinaigre.
En janvier 1868, il écrit un plaidoyer pour le développement de la recherche, que le Moniteur refuse. Il est soutenu par Victor Duruy, et l'article est publié dans la Revue des cours scientifiques, puis en brochure. Napoléon III, réunissant le 16 mars plusieurs savants, décide de donner aux chercheurs français de quoi rivaliser avec les Allemands.
Pasteur, durant cette année 1868, s'occupe des vers à soie à Alès, et du chauffage des vins à Toulon. Grâce à ses expériences, il assure la possibilité de conservation des vins et l'augmentation de leurs débouchés.
Le 19 octobre, il fait une hémiplégie gauche. Il récupère peu à peu et, en janvier 1869, marche seul. Dans les mois qui suivent, de nouvelles expériences démontrent la valeur du système de grainage pour le renouvellement de la sériciculture, mais les sceptiques restent nombreux. Pourtant, en Autriche et en Italie, la méthode préconisée par Pasteur donne de remarquables résultats.
Durant la guerre de 1870, Pasteur séjourne à Arbois. Très affecté par la défaite, il publie, après l'armistice, dans le Salut public (Lyon) plusieurs articles sur les carences de la France dans le domaine universitaire, sur la discordance entre l'effort scientifique de l'Allemagne et l'absence d'attention du gouvernement français aux problèmes du développement de l'instruction supérieure.

Durant la guerre civile (→  la Commune), toute activité scientifique est arrêtée. Pasteur refuse des propositions du gouvernement italien, qui lui offre une chaire de chimie appliquée à l'agriculture à Pise. En avril 1871, il apprend avec joie le succès de son élève Jules Raulin, qui a mis au point un liquide de culture pour un Aspergillus, (→  aspergillose) et détermine les substances capables d'inhiber la culture. Il perfectionne son système de grainage du ver à soie et commence à se passionner pour la fabrication de la bière.
1.6.3. Les maladies de la bière
Il imagine des appareils destinés à protéger le moût contre les poussières, se rend en Angleterre, visite des brasseries, y dépiste des « maladies de la bière », conseille et est écouté. Revenu à Paris il met au point le système de chauffage de la bière à 50-55 °C pour assurer sa conservation (bière pasteurisée).
1.6.4. La stérilisation des liquides
Il doit, à cette époque, répondre aux attaques de nombreux partisans de la génération spontanée. Balard, en janvier 1872, lui écrit : « Ne perdez pas votre temps à répondre à vos ennemis. Laissez-les expérimenter. » Lui rappelant ses découvertes, il lui dit : « Ne peut-on pas espérer qu'en persévérant dans cette voie vous préserverez l'espèce humaine à son tour de quelques-unes de ces maladies mystérieuses dont les germes contenus dans l'air pourraient être la cause ? ».
La question posée à Pasteur est alors l'origine des levures, leur aspect, leur physiologie en aérobiose ou en anaérobiose (→  métabolisme). Surtout, le savant pense aborder l'étude des maladies contagieuses, à l'origine desquelles il évoque le rôle d'infiniment petits. En 1873, il obtient une place d'associé libre de la faculté de médecine. C'est l'époque où Jean-Antoine Villemin démontre la transmissibilité de la tuberculose et se heurte aux sceptiques et où Casimir Joseph Davaine – qui connaît les travaux de Pasteur – rapproche le rôle des ferments de celui d'« animalcules » observés dans le sang charbonneux (→ charbon). Armand Trousseau lui-même avait évoqué le rôle de ferments dans la variole, la morve, mais ces hypothèses étaient oubliées.

À cette époque, l'infection triomphe : l'abandon des règles empiriques de l'hygiène et la promiscuité sont responsables de cette situation. Cependant, Alphonse Guérin, évoquant le rôle des germes de l'air dans l'infection, invente l'« emballage » des plaies opératoires, après lavage : l'infection régresse. L'application des principes de Lister, soutenue en France par Just Lucas-Championnière, fait diminuer le pourcentage des infections postopératoires. Pasteur prouve expérimentalement l'importance de ces méthodes.
À propos d'un conflit avec Henry-Charlton Bastian sur le développement de germes dans les urines, Pasteur démontre l'importance du chauffage à 120 °C, qui bloque le développement des germes (stérilisation des liquides). Il chauffe à 150 ou 200 °C des objets à stériliser, placés dans des tubes ou des flacons de verre. À cette date, ses travaux sur les fermentations et son succès dans la maladie du ver à soie lui apportent une renommée mondiale.
1.6.5. Le germe du charbon

En 1877, Pasteur étudie le charbon. Il démontre que la bactéridie de Davaine est vivante, qu'elle peut se reproduire en dehors de l'organisme, dans des milieux appropriés, et prendre une forme sporulée. Il sépare nettement le germe du charbon des germes de la putréfaction et clarifie certaines données contradictoires liées à la confusion entre ces germes (pour lesquels, en 1878, Charles Sédillot crée le terme de microbe). Il montre le rôle du milieu dans le développement de la maladie.
→ bactérie.
1.6.6. Communication sur la « théorie des germes »
Le 30 avril 1878, il fait sa communication sur la théorie des germes et leur rôle en pathologie. Il démontre les mécanismes de l'épidémiologie du charbon. À la même époque, il étudie le pus des furoncles, et soupçonne l'origine bactérienne de la fièvre puerpérale.
1.7. Les travaux de Pasteur sur les vaccinations
1.7.1. Vers les bactéries atténuées

S'intéressant au choléra des poules, il constate qu'une culture vieillie n'est plus virulente. Inoculée, celle-ci ne transmet pas la maladie. Et mieux, la poule ainsi inoculée n'est plus sensible à une culture fraîche. Pasteur approche du concept de vaccination (mise au point en 1796 par le médecin anglais Edward Jenner) par bactéries atténuées.
1.7.2. Le vaccin contre le charbon
Alors que J.-J. H. Toussaint échoue dans sa tentative de vaccination contre le charbon, Pasteur tente d'appliquer à cette maladie les principes découverts à propos du choléra des poules. Il y parvient en atténuant la virulence des bactéridies par vieillissement à 42 °C, température à laquelle le germe ne sporule pas. Le succès de la vaccination contre le charbon est assuré par l'expérience de Pouilly-le-Fort en juin 1882. C'est la gloire. Émile Roux (1853-1933) et Charles Édouard Chamberland (1851-1908) partagent les honneurs. Malgré des oppositions de dernière heure, Pasteur sera désormais écouté.
Au congrès de Londres en août, il est célébré et il séduit par sa logique, son enthousiasme et son honnêteté. Le 8 décembre 1881, il est élu à l' Académie française ; il est reçu par Renan le 27 avril 1882. Au congrès d'hygiène de Genève, il est honoré, malgré de vives critiques des Allemands à propos des « virus atténués » (→ vaccin) et de la pathogénie du charbon.
Sa pension est augmentée après le rapport de Paul Bert, qui résume l'œuvre de Pasteur en trois points : « Chaque fermentation est le produit du développement d'un microbe spécial. Chaque maladie infectieuse est produite par le développement dans l'organisme d'un microbe. Le microbe d'une maladie infectieuse cultivée dans certaines conditions est atténué : de virus, il devient vaccin. »
1.7.3. Le vaccin contre la rage
En 1884, Pasteur se tourne vers la rage. Il tente d'inoculer la maladie au lapin en injectant salive et sang de chiens enragés. Puis il injecte des fragments cérébraux au lapin. Enfin, il découvre l'inoculation intracérébrale qui donne constamment une rage typique. Il parvient à atténuer la virulence par vieillissement et séchage des moelles épinières des lapins inoculés. À Villeneuve-l'Étang, il entreprend deux expériences : la première consiste à rendre des chiens réfractaires par des inoculations préventives, et la seconde à empêcher la rage d'éclater chez des chiens inoculés.

Le 6 juillet 1885, Joseph Meister, un enfant de neuf ans mordu deux jours plus tôt, est amené à Pasteur. Après de nombreuses hésitations, on commence le traitement par des moelles de plus en plus virulentes. En août, l'enfant est considéré comme sauvé. Quelques mois plus tard, Jean-Baptiste Jupille, gravement mordu, traité au sixième jour, est également sauvé par le traitement. Bientôt des blessés affluent à Paris. La prophylaxie de la rage est efficace après morsure.
1.8. La fondation de l’Institut Pasteur

L'Académie des sciences adopte le projet de la fondation d'un « Institut Pasteur ». Une souscription nationale et internationale est ouverte en 1886. Jacques Joseph Grancher, Émile Roux, André Chantemesse poursuivent le traitement des maladies, mais Pasteur, souffrant, doit partir pour le Midi se reposer avec sa famille. À son retour à Paris, un nouvel accident neurologique le contraint à diminuer ses activités. L'Institut Pasteur est inauguré le 14 novembre 1888, et le 27 décembre 1892, à la Sorbonne, les soixante-dix ans de Pasteur sont célébrés avec éclat.

Grâce aux travaux des élèves de Pasteur, les germes de la diphtérie et de la peste sont découverts, et le rôle des toxines est mis en évidence ; Roux met au point la sérothérapie antidiphtérique, qu'il applique le 1er février 1894.
Le 1er novembre 1894, L. Pasteur tombe malade. Il participe encore aux activités de ses collaborateurs, mais il meurt le 28 septembre 1895.
2. L’importance des travaux de Pasteur

Pasteur, chimiste et biologiste, a accompli une œuvre immense. Toutes ses découvertes ont eu des incidences pratiques.
– Par ses travaux sur les cristaux, il a créé la stéréochimie.
– Étudiant les fermentations, il a appliqué ses découvertes à la protection des vins et de la bière par la pasteurisation.
– Il a sauvé la sériciculture en démontrant le caractère héréditaire de la pébrine et en inventant le « grainage ».
– Il a démontré l'importance des micro-organismes comme éléments d'équilibre dans la nature et leur rôle dans l'infection. Recherchant des moyens thérapeutiques, il a mis au point la vaccination contre le charbon et celle contre la rage.
Son œuvre a bouleversé les conceptions de la pathologie infectieuse, influencé la chimie biologique et créé de nouvelles méthodes industrielles.

 

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JORDANIE

 

Jordanie
en arabe al-Urdunn
Nom officiel : royaume hachémite de Jordanie




État d'Asie occidentale situé au Moyen-Orient, la Jordanie est limitée à l'ouest par Israël, au sud-est par l'Arabie saoudite, à l'est par l'Iraq et au nord par la Syrie.
Superficie : 92 000 km2
Nombre d'habitants : 7 274 000 (estimation pour 2013)
Nom des habitants : Jordaniens
Capitale : Amman
Langue : arabe
Monnaie : dinar jordanien
Chef de l'État : Abd Allah II
Chef du gouvernement : Hani al-Mulki
Nature de l'État : monarchie constitutionnelle à régime parlementaire
Constitution :
Adoption : 1er janvier 1952
Révisions : novembre 1974, février 1976, janvier 1984
Pour en savoir plus : institutions de la Jordanie
GÉOGRAPHIE
1. Le milieu naturel

La Jordanie tire son nom du Jourdain, dont le cours, qui lui sert de frontière occidentale, occupe la partie nord d'un vaste fossé tectonique (vallée ou dépression du Ghor), où il rejoint la mer Morte. Au sud de celle-ci, la dépression du Wadi Araba se dirige vers le golfe d'Aqaba (mer Rouge) tandis que, vers l'est, s'élève une chaîne montagneuse qui atteint 1 000 m d'altitude aux environs d'Amman et 1 727 m au djebel Labrak, au-delà de Pétra. Le point culminant de la Jordanie se trouve cependant ailleurs, aux confins jordano-saoudiens, dans le massif désertique du Tubayq (1 865 m).
L'essentiel du pays est en fait constitué par un vaste plateau calcaire désertique (plateau transjordanien), de quelque 70 000 km2, s'inclinant en pente douce vers le bassin mésopotamien, entre la Syrie et l'Arabie saoudite (désert de Syrie).
La Jordanie appartient à une zone climatique de transition entre le domaine méditerranéen et le désert arabo-syrien. La flore et la faune y sont caractéristiques des régions semi-arides aux ressources hydrauliques rares. Les fleuves les plus importants sont le Yarmouk et le Jourdain, mitoyens de la Syrie et des territoires palestiniens occupés, mais sur lesquels Israël exerce des prélèvements prioritaires. D'autres rivières (Zerqa, Wadi Mudjib, Wadi Hasa), tributaires du Jourdain et de la mer Morte, ont des débits irréguliers.
2. La population

Une population sédentaire, vivant autrefois de l'agriculture, est concentrée dans les vallées depuis l'Antiquité. Sa composition ethnique résulte de nombreuses migrations et occupations. La population jordanienne est aujourd'hui complètement arabophone et en grande partie musulmane. Il existe une minorité chrétienne – héritage du séjour des Byzantins et du passage des croisés – ainsi que quelques milliers de Caucasiens (Circassiens, Tchétchènes) qui sont les descendants de réfugiés installés dans la région par les Ottomans à la fin du xixe s. Quoique bien assimilés, ces derniers ont conservé l'usage privé de leur langue. Plus nombreuse et plus récente, la masse des Palestiniens chassés d'Israël (1948) et de Cisjordanie (1967) risque d'être plus irréductible. Avec leurs descendants, ils constituent aujourd'hui plus de la moitié de la population. Celle-ci s'est concentrée dans l'importante conurbation d'Amman-Zarqa, ainsi qu'à Irbid. Les villes traditionnelles d'al-Salt et d'al-Karak se sont également fortement développées. En milieu urbain, les activités tertiaires prédominent aux côtés du secteur artisanal et industriel.
Pendant des siècles, les zones arides, à l'est du tracé de l'ancien chemin de fer du Hedjaz, furent l'apanage des Bédouins, qui imposaient au monde de l'agriculture une « protection » abusive. La modernisation de l'État et le développement économique ont entraîné la sédentarisation de ces derniers, donc leur quasi-disparition. Les Bédouins ont cependant marqué de leur empreinte la culture sociale (tribalisme) et politique (clientélisme monarchique) jordanienne, les « grandes familles » fournissant en effet à l'État son plus haut personnel administratif.
3. Aspects économiques
3.1. Les ressources
L'économie jordanienne tire un grand bénéfice de la situation géographique du pays, au croisement de deux grands axes de communications intercontinentales : le premier relie, du nord au sud, la Turquie et l'Europe orientale à la péninsule arabique et à l'Afrique ; le second relie, d'est en ouest, l'Asie à la Méditerranée. Les itinéraires traditionnels du pèlerinage de La Mecque ou, jadis, de la route des épices ont fait place à une infrastructure de transports moderne comprenant un réseau autoroutier dense, le port d'Aqaba et l'aéroport international d'Amman. Ces équipements génèrent des activités de transit, dont le chiffre d'affaires représente 15 % du produit national brut et se place juste derrière le secteur financier.
La production industrielle, de son côté, assure plus de 32 % du produit intérieur brut. L'exploitation des phosphates et de la potasse extraite de la mer Morte ainsi que les productions chimiques et agroalimentaires (Amman, Zarqa), le raffinage pétrolier (Zarqa), la cimenterie (Fuheis) et la petite métallurgie y occupent une place importante.
Les cultures et l'élevage, qui furent longtemps les seules ressources de l'économie jordanienne, n'ont pas connu une expansion comparable. Si le cheptel camelin est demeuré constant, le nombre des bovins, des ovins et des poulets ainsi que la production des fruits (notamment des agrumes) et de légumes frais ont augmenté grâce à l'irrigation de la vallée du Jourdain (30 000 hectares). La Jordanie produit aussi du blé, de l'orge et de l'huile d'olive.

Près du tiers des actifs jordaniens travaillent dans le secteur commercial ou touristique. Le tourisme bénéficie de sites archéologiques (Pétra, Gerasa) ou naturels (Wadi Ram) renommés dans un pays qui attire de plus en plus de touristes (près de 4 millions en 2011).
3.2. Finances publiques et emploi
Le produit national brut jordanien connaît une croissance ininterrompue. Un important déficit de la balance commerciale entraîne cependant un endettement extérieur considérable. L'inflation reste toutefois modérée. La moitié du budget de l'État est affectée à l'investissement, un quart, aux dépenses militaires, et le dernier quart, aux dépenses civiles. Parmi ces dernières, l'enseignement est le plus richement doté. Il concerne plus de 1,2 million d'élèves et 80 000 étudiants universitaires, ce qui fait de la Jordanie le pays le plus éduqué du Moyen-Orient arabophone. Mi-public, mi-privé, le secteur de la santé constitue la seconde priorité civile du gouvernement. La densité du réseau et la qualité des soins sont également un atout. Un sous-emploi important obère cependant la situation sociale. Le taux de chômage s'élèverait entre 20 et 30 % de la population active, ce qui contraint de nombreux Jordaniens à s'expatrier.
HISTOIRE
L'État jordanien, de création relativement récente, a été imposé à l'origine par les grandes puissances. Sa gestation a été laborieuse, et son histoire, mouvementée. L'extension de l'influence américaine sur toute la région lui assure aujourd'hui une relative tranquillité.
1. L'émirat de Transjordanie (1923-1949)
Le futur royaume de Jordanie est issu du démembrement de l'Empire ottoman. Prolongement naturel et historique de la Syrie, il est d'abord soumis au mandat britannique sur la Palestine, mais fait l'objet d'une administration distincte, dès 1921, sous l'autorité de l'émir Abdullah, descendant par le prophète Mahomet de l'ancienne tribu hedjazienne Banu Hachim (d'où la qualification « hachémite » de la dynastie et du royaume).
Le territoire est érigé en émirat en 1923 par le Royaume-Uni, qui lui reconnaît une indépendance toute formelle sous le contrôle d'un haut-commissaire. Grâce aux forces britanniques, l'agitation tribale est matée et les incursions des Wahhabites saoudiens sont repoussées.
Pour en savoir plus, voir l'article Transjordanie.
À l'issue de la Seconde Guerre mondiale, un nouvel accord anglo-transjordanien est signé (1946). Abdullah se fait couronner roi et, le 24 janvier 1949, l'émirat prend le nom officiel de royaume hachémite de Jordanie.
2. La Cisjordanie annexée
2.1. Début du règne de Husayn

La guerre israélo-arabe, qui éclate après la création d'Israël (14 mai 1948), fournit au roi Abdullah l'occasion d'annexer la Cisjordanie, mais il est assassiné par des Palestiniens à Jérusalem en juillet 1951 alors qu'un traité israélo-jordanien est sur le point d'être conclu. Son fils, Talal, de santé déficiente, abdique au bout d'un an (août 1952) en faveur de son propre fils, Husayn.
Après une brève régence, celui-ci monte sur le trône le 2 mai 1953. Il n'a pas tout à fait 18 ans. Il se trouve bientôt en butte à l'opposition des nationalistes palestiniens et nassériens. Pour apaiser ceux-ci, il met fin en mars 1956 à la présence des Britanniques qui encadrent encore l'armée, mais, en avril 1957, il doit faire face à une tentative de putsch militaire.
Malgré les méthodes autoritaires du gouvernement, l'agitation populaire ne cesse pas. Les représailles israéliennes consécutives aux tentatives d'infiltration des Palestiniens expropriés et les surenchères interarabes entraînent une escalade qui conduit le roi Husayn à rallier le camp nassérien le 30 mai 1967, puis à prendre part à la guerre des Six-Jours, le 5 juin. En deux jours, l'armée jordanienne est refoulée à l'est du Jourdain, ainsi qu'une nouvelle vague de réfugiés palestiniens. Amman perd le contrôle effectif de Jérusalem, annexée, et de la Cisjordanie, occupée.
Pour en savoir plus, voir les articles Cisjordanie, guerres israélo-arabes.
3. Le poids des Palestiniens
Grossie de 250 000 réfugiés supplémentaires, la colonie palestinienne abrite à partir de 1967 de forts mouvements de résistance regroupés au sein de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yaser Arafat. Avec le renfort de l'armée jordanienne, les fedayin remportent la demi-victoire de Karameh (21 mars 1968), mais, faute d'ébranler la puissance israélienne, ils mettent en péril le régime jordanien. Une sévère répression, connue sous le nom de Septembre noir (1970), conduit l'année suivante au désarmement complet des commandos palestiniens.
Les revers de la résistance palestinienne au Liban entraînent le rapprochement d'Arafat et du roi. Après plusieurs tentatives de négociation sur l'avenir de la Cisjordanie, celui-ci décide, en juillet 1988, de rompre les liens administratifs subsistant encore entre Amman et ce territoire. En Jordanie cependant, les Palestiniens continuent de jouir de la citoyenneté jordanienne et figurent en nombre non négligeable dans les institutions du royaume.
4. Une démocratie autoritaire
4.1. La Constitution de 1952
Le système politique jordanien se réfère formellement à des institutions démocratiques, dont la pratique s'éloigne cependant sensiblement de leur modèle. Ces institutions répondent aux exigences de la Constitution du royaume.
Promulguée en 1952, cette Constitution définit le caractère monarchique, parlementaire et arabe du régime, dans lequel l'islam est religion d'État. Elle garantit l'égalité des citoyens et les principales libertés publiques. Le roi nomme le gouvernement, responsable devant une Chambre des députés élue au suffrage universel. Avec le Sénat, nommé par le roi, celle-ci vote la loi. Le pouvoir judiciaire est en principe indépendant. Il est prévu qu'en cas d'urgence la Constitution puisse être suspendue.
Dans les faits, le roi exerce un pouvoir personnel incontesté, malgré une « démocratisation » qui s'est traduite en 1989 par les premières élections législatives générales depuis 1967, par l'abolition de la loi martiale (1991) et par la légalisation des partis politiques (1992). Les bases de ce régime sont la loyauté de l'armée, l'efficacité de la police – respectivement fortes de 98 000 et 10 000 hommes et femmes – et, surtout, le soutien de la classe politique traditionnelle des notables.
4.2. Un climat général de morosité
Depuis la grande crise palestinienne de 1970, l'ordre public n'est troublé qu'épisodiquement pour des raisons surtout économiques liées au chômage et à l'augmentation du coût de la vie consécutifs à l'application des mesures d'ajustement prescrites par le Fonds monétaire international (FMI). Ces troubles apparemment spontanés affectent les provinces du Sud (Maan en 1989, al-Karak en 1994) dans un climat général de morosité. La presse, quoique relativement libre, pratique une prudente autocensure ; les syndicats, sous surveillance, se cantonnent dans une sphère strictement professionnelle ; les partis politiques eux-mêmes, de tradition conservatrice ou d'opposition nationaliste arabe (nassériens, baassistes), ne sont actifs qu'en période pré-électorale.
Un Front d'action islamique (FAI), émanation de la confrérie des Frères musulmans, fait toutefois exception en prenant, sans rompre avec le diwan royal (le cabinet du roi), des positions populistes tant en matière de société que de politique étrangère. Fort de 22 sièges (sur 80) à l'issue des élections législatives de 1989 puis de 16 sièges aux premières élections multipartites de 1993, le FAI devient la formation la plus importante du Parlement.
5. La politique extérieure
5.1. Entre Israël et les Palestiniens
Au service d'une stratégie favorable à des intérêts étrangers, la marge de manœuvre jordanienne s'est révélée étroite face aux exigences de l'opinion locale et régionale dominante. Le jeu de bascule des alliances régionales entre Le Caire, Damas, Bagdad et Riyad ayant vite montré ses limites, Amman a dû donner à plusieurs reprises des gages au nationalisme, notamment à celui de ses nombreux résidents palestiniens.
L'OLP et les Palestiniens de Jordanie, tout en doutant de sa sincérité, apprécient que le roi Husayn n'ait pas pris position contre l'Intifada palestinienne des territoires occupés (1987) et qu'il ait applaudi l'année suivante à la proclamation de l'État de Palestine. On a surtout su gré au roi de s'être désolidarisé de la coalition anti-irakienne lors de la crise du Golfe (1990-1991). Ce contexte favorable permet de constituer en octobre 1991, selon le vœu américain, une délégation commune jordano-palestinienne à la conférence de Madrid pour la paix au Moyen-Orient et aux négociations subséquentes de Washington.
L'accord israélo-palestinien de Washington (ou d'Oslo) du 13 octobre 1993, qui permet l'institution à Gaza d'une Autorité nationale palestinienne présidée par Arafat, semble avoir pris le roi Husayn au dépourvu. Celui-ci s'abstient désormais d'intervenir ouvertement dans les affaires des Palestiniens d'outre-Jourdain, tandis que ceux de l'intérieur, faute d'espérer rentrer chez eux, envisagent de s'intégrer un jour au système politique jordanien.

Pourtant, après les élections législatives de 1993, la diplomatie jordanienne s'aligne de plus en plus sur les positions américaines. Elle soutient l'opposition irakienne et accentue un rapprochement militaire avec la Turquie. Surtout, forte des précédents égyptien et palestinien, la Jordanie signe avec Israël un traité de paix en bonne et due forme, incluant la normalisation des relations politiques et la coopération économique. Cet accord est en réalité l'aboutissement de quarante années de contacts secrets entre le roi et les dirigeants israéliens. Signé en grande pompe le 26 octobre 1994 à un poste frontière de la vallée de l'Araba par le roi Husayn et le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, il ne rapporte pas aux Jordaniens les profits escomptés. Après l'assassinat du Premier ministre israélien, l'élection à la tête du gouvernement de l'ultranationaliste Benyamin Netanyahou et sa politique arabe contribuent à faire du rejet de ce traité l'un des principaux thèmes de l'opposition.
Mais, qu'ils soient sensibles ou non aux revendications de celle-ci, les Jordaniens, comme leurs voisins, ont une liberté de manœuvre limitée. En échange des faveurs financières occidentales, ils doivent accepter un ordre régional qui, mettant hors-jeu le contestataire irakien, garantit le statu quo pétrolier, et qui, sous couvert de processus de paix, permet en fait à Israël de consolider impunément sa mainmise sur les territoires palestiniens.
5.2. Une fonction stratégique assignée
La liberté d'action de la Jordanie est limitée par les contraintes financières et sécuritaires qui pèsent sur elle. Dès l'origine, pour alimenter son budget et tenir ses adversaires en respect, le régime a compté sur l'aide étrangère qui fut d'abord britannique puis américaine. En échange, Amman était dans la nécessité de remplir le rôle régional qui lui était assigné et qu'elle assume encore aujourd'hui.
Dans l'organisation de l'ordre mondial garanti par les États-Unis, tout spécialement dans cette région, la fonction de la Jordanie est l'occupation d'un espace stratégique sensible dont la neutralisation est nécessaire au maintien du statu quo pétrolier et à la sécurité d'Israël. En jouant ce rôle, Amman s'est attiré l'hostilité unanime des voisins arabes, sans parler de la vieille animosité dynastique des Saoudiens.
Dans son rôle d'État tampon, la Jordanie s'est trouvée d'emblée dans une position défensive ; le danger venait moins d'Israël – dont l'expansion à l'est du Jourdain n'est ouvertement envisagée que par les sionistes extrémistes –, que des voisins arabes, notamment à l'époque du nationalisme arabe triomphant. En ayant su résister à la dynamique unitaire qui faillit balayer son royaume à l'époque de la République arabe unie égypto-syrienne (1958-1961) et à celle de l'activisme baassiste syrien (1961-1970), le roi Husayn a maintenu l'intégrité de son royaume.
Depuis 1970, aucun contingent armé irakien ou syrien n'a stationné en Jordanie. À cette époque, la « révolution palestinienne », qui aurait pu changer l'orientation de la politique étrangère, a été anéantie, et un corps blindé syrien, dépêché pour la secourir, a été refoulé par les chars jordaniens et les menaces israéliennes. La discontinuité territoriale égypto-syrienne est assurée et un vaste glacis sépare Israël de l'Iraq et, au-delà, de l'Iran réputé hostile. En 1991, lors de la guerre du Golfe, la volée de scuds irakiens qui s'abat sur Israël démontre l'utilité de cette distance stratégique.
L'autre fonction assignée à la Jordanie par ses parrains est l'accueil et le contrôle politique de la majorité des Palestiniens expulsés d'Israël. Amman remplit ce rôle efficacement jusqu'à aujourd'hui, ayant même hébergé en 1991 les Palestino-Jordaniens fuyant le Koweït. Elle craint pour l'avenir de nouveaux exodes venus de l'ouest.
6. Le règne d'Abd Allah II (1999-)

Quelques jours avant sa mort survenue le 7 février 1999, le roi Husayn destitue son frère Hasan, l'héritier du trône depuis le 1er avril 1965, et confie les rênes du pouvoir à son fils aîné Abd Allah. Ce brusque revirement, dans le respect néanmoins de la Constitution jordanienne qui prévoit que le fils aîné du roi est naturellement appelé à lui succéder, ne provoque nul remous dans le royaume. Dans les mois qui suivent son intronisation, Abd Allah II, affichant une image résolument moderne, promet de répondre au désir de changement d'un pays miné par le chômage, la corruption et une bureaucratie pléthorique. Il s'engage à élargir les libertés publiques et fixe au gouvernement le redressement économique du royaume comme priorité.
6.1. La continuité de la politique extérieure
Poursuivant la politique étrangère initiée par son père, Abd Allah II s'aligne sur les États-Unis et s'évertue à contribuer à un accord de paix israélo-palestinien. Jouissant d'un état de grâce, le jeune monarque se rend dès son intronisation en Arabie saoudite, à Oman, dans les Émirats arabes unis, en Libye puis en Syrie, pays avec lequel s'amorce un véritable rapprochement. L'un des parrains de l'accord de Charm el-Cheikh du 4 septembre 1999, il réaffirme à maintes reprises – après l'échec du sommet israélo-palestinien de Camp David (juillet 2000) – son rejet de la souveraineté israélienne sur Jérusalem-Est et réclame l'arrêt immédiat des « agressions israéliennes » à la suite du déclenchement de la seconde Intifada (septembre 2000).
Au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, les nouvelles menaces que les États-Unis font peser sur l'Iraq, au nom de la bataille planétaire contre le terrorisme, provoquent un courant d'antiaméricanisme virulent dans l'Orient arabe. La Jordanie et l'Égypte, soucieuses de ne pas mécontenter Washington demeurent « discrètes » sur ces questions et se retrouvent isolées au sein de la Ligue arabe. Le royaume hachémite prête ses bases aériennes à la coalition sans rejoindre l'offensive américano-britannique lancée contre l'Iraq. L'exode de 750 000 réfugiés iraquiens fuyant l'instabilité politique de leur pays, fragilise le royaume hachémite. Ce dernier est en outre la cible de plusieurs attaques terroristes : attaque à la roquette contre un bâtiment de guerre américain à Aqaba ainsi que le triple attentat dans des hôtels d’Amman (2005) revendiquées par al-Qaida.
Dans ce contexte, le roi Abd Allah II s'efforce de jouer un rôle modérateur et de promouvoir un islam de tolérance et de dialogue. Invité à la Maison-Blanche par Barack Obama (avril 2009) et lors d'un entretien avec le nouveau Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou (mai 2009), le monarque réitère la nécessaire et urgente mise en œuvre d'une solution prévoyant la création d’un État palestinien.
6.2. Les tensions internes
Les relations du diwan avec les islamistes du FAI, principale force d'opposition au Parlement depuis depuis la libéralisation de 1993, se détériorent après la décision d'Abd Allah II de fermer définitivement les bureaux du Hamas à Amman, soupçonné d'activités illégales, et d'expulser une vingtaine de ses cadres. De même, les autorités jordaniennes prennent le contrôle des activités caritatives et sociales de la confrérie des Frères musulmans, souvent perçue comme un État dans l'État.
En outre, le souverain persiste à ne pas vouloir réformer la loi électorale en profondeur, principale exigence du FAI, qui réclame l'instauration de la représentation proportionnelle et un rééquilibrage du découpage électoral qui favorise toujours le vote des zones rurales, fief des tribus bédouines, au détriment du vote des villes où résident majoritairement les Jordaniens d'origine palestinienne. Alors qu’ils avaient boycotté les élections de 1997, les islamistes acceptent cependant de participer à celles de 2003 et obtiennent 17 sièges sur les 30 qu’ils briguaient. Les candidats indépendants, représentant principalement les grandes tribus et familles fidèles au régime, remportent une large majorité des 110 sièges de la Chambre des députés. Ce scénario se répète au scrutin de 2007, entaché de fraudes massives et marqué par une très forte abstention dans les circonscriptions urbaines. Seuls 6 candidats du FAI sont élus.
Face à la multiplication d'affaires de corruption dans lesquelles sont impliqués nombre de députés, Abd Allah II dissout le Parlement en novembre 2009, deux ans avant la fin de la législature. Dans l'espoir d'effacer le fiasco de 2007, il convoque un an plus tard ses concitoyens à des élections « libres, honnêtes et transparentes » tout en réitérant son refus de bouleverser le système électoral qu’il remanie partiellement. Le FAI ayant appelé au boycott du scrutin, aucune force d'opposition n'est élue à la Chambre basse, désormais réduite à une chambre d'enregistrement même si 78 parlementaires sont élus pour la première fois. Marginalisée, l'opposition islamiste menace de surcroît, dans un contexte de fortes tensions sociales exacerbées par l'absence de solution juste et pacifique en Cisjordanie, de se radicaliser.
Au mécontentement de l'opposition islamiste s'ajoute la fronde larvée qui émane depuis 2009 des grandes familles transjordaniennes, inquiètes de la volonté du souverain de secouer leur conservatisme et de l'influence qu'elles jugent grandissante des Jordaniens d'origine palestinienne. Défendant farouchement leur pouvoir et leurs privilèges, les tribus bédouines fustigent la corruption croissante et vont même – une première dans le royaume – jusqu'à mettre en cause de façon détournée la personne du roi, en accusant la reine Rania – son épouse d'origine palestinienne – d'affaiblir l'identité nationale pour avoir favorisé l'obtention de la nationalité jordanienne à quelque 78 000 Palestiniens.
En février 2011, inquiet du vent de révolte qui soulève la Tunisie et l'Égypte, et préoccupé par l'ampleur des revendications d'ordre économique (contre la hausse des prix et le chômage), politique (de la part du FAI) et identitaire, Abd Allah II prend les devants. Il limoge son Premier ministre Samir Rifaïr, devenu le bouc émissaire de la population jordanienne, et nomme à sa place Maraouf al-Bakhit, ancien Premier ministre de 2005 à 2007, avec pour mission de « mener de réelles réformes politiques ».
Ce changement gouvernemental (le huitième depuis l’intronisation du roi) n’apaise cependant pas les tensions. Les manifestations se poursuivent et le mécontentement – attisé par l’augmentation du prix des carburants et la suppression des subventions à l’achat d’essence (novembre 2012) – persiste, provoquant trois remaniements à la tête du gouvernement puis de nouvelles élections parlementaires anticipées en janvier 2013. Le scrutin, toujours boycotté par les Frères musulmans insatisfaits des aménagements dans le système électoral, donne comme à l’accoutumée une majorité de sièges aux candidats indépendants progouvernementaux, outre l’élection de 27 députés représentant les partis politiques. Ayant mobilisé 70 % des électeurs dans les zones rurales mais seulement 40 % dans les grandes villes, il intervient dans un contexte socio-économique aggravé par la présence sur le sol jordanien de quelque 400 000 réfugiés syriens, un nombre qui pourrait dépasser le million au cours de l’année, selon le HCR.
Alors que la nomination du Premier ministre aurait dû, pour la première fois, émaner d’une collaboration plus étroite avec le Parlement, c’est finalement Abd Allah Ensour, nommé par le roi en octobre 2012, qui reprend la direction du gouvernement en mars.

 

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CAMBODGE

 

Cambodge
Nom officiel : royaume du Cambodge






État d'Asie du Sud-Est, dans la péninsule indochinoise, le Cambodge, baigné à l'ouest par le golfe de Thaïlande, est limité au sud et à l'est par le Viêt Nam, au nord par le Laos et la Thaïlande.
Superficie : 181 000 km2
Nombre d'habitants : 15 135 000 (estimation pour 2013)
Nom des habitants : Cambodgiens
Capitale : Phnom Penh
Langue : khmer
Monnaie : riel
Chef de l'État : Norodom Sihamoni
Chef du gouvernement : Hun Sen
Nature de l'État : monarchie constitutionnelle à régime parlementaire
Constitution :
Adoption : 21 septembre 1993
Révision : mars 1999
Pour en savoir plus : institutions du Cambodge
GÉOGRAPHIE
Le pays, au climat chaud et humide, est formé de plaines ou de plateaux recouverts de forêts ou de savanes, entourant une dépression centrale, où se loge le Tonlé Sap et qui est drainée par le Mékong. C'est dans cette zone que se concentre la population (formée essentiellement de Khmers et en grande majorité bouddhiste), qui vit surtout de la culture du riz.
1. Le milieu naturel
image: http://www.larousse.fr/encyclopedie/data/images/1006941-Plantations_dh%c3%a9v%c3%a9as.jpg
Plantations d'hévéas
Plantations d'hévéas
Le Cambodge est une cuvette, occupée en son centre par les Lacs et par les « Quatre Bras » (Mékong supérieur, Mékong inférieur, Tonlé Sap, Bassac) et accidentée de hauteurs isolées (phnom), avec, sur ses rebords : la falaise rectiligne des Dangrêk, au nord ; les plateaux aux flancs abrupts des Cardamomes (1 000 m d'altitude en moyenne) et de l'Éléphant, au sud et au sud-ouest ; le plateau de Mondolkiri, à l'est.
Le pays a un climat tropical, chaud et humide. Les pluies d'été sont apportées par la mousson du Sud-Ouest. Les hauteurs les plus marquées du pays étant perpendiculaires au flux de mousson, leurs pentes méridionales, « au vent », reçoivent des pluies considérables (parfois plus de 5 m). La cuvette centrale est, au contraire, « sous le vent » et ne reçoit, en moyenne, que 1 300 à 1 400 mm de pluie : mais cet effet d'abri ne se fait sentir que de mai à août, les pluies étant au contraire très abondantes en septembre et en octobre. Relativement sèche, la cuvette cambodgienne est inondée, en son centre, par les hautes eaux du Mékong, qui montent à partir de juin et atteignent leur maximum au début octobre.
2. La population

Plutôt sous-peuplé (63 habitants par km2), sauf dans la région des « Quatre Bras », le Cambodge a une population homogène, essentiellement composée par les Khmers, qui habitent les plaines centrales du pays. À la périphérie, on rencontre quelques minorités montagnardes de langue môn-khmer, pratiquant la culture sur brûlis : les Khmers Loeu, ou « Khmers d'en haut ». Parmi les autres minorités nationales figurent les Chams, encore appelés Khmers Islam parce qu'ils sont musulmans alors que les Khmers sont bouddhistes. Originaires de l'ancien Champa, de Sumatra, de Java ou de Malaisie, ils habitent près des rivières, pratiquent une agriculture variée et intensive, la pêche et l'artisanat. Il existe enfin une minorité sino-khmère, dont le rôle est important dans le commerce et le développement du littoral, ainsi qu'une minorité vietnamienne. Les Khmers sont surtout des paysans, vivant d'une culture extensive du riz, de l'élevage et de la pêche en eau douce. La population cambodgienne a été ravagée par le terrible génocide perpétré par les Khmers rouges (entre un et deux millions de morts), ainsi que par la famine et l'exode de nombreux réfugiés vers la Thaïlande. Autres conséquences de ce tragique événement : la proportion élevée de femmes (54 % de la population de plus de 15 ans), particulièrement sensible dans les campagnes, ainsi que la diminution de la population urbaine, dont le niveau de 1970 ne sera retrouvé que dans les années 1980.
3. L'économie
La situation économique est marquée par les années de guerre. Le Cambodge est un pays pauvre, avec un revenu annuel par habitant qui est l'un des plus bas du monde. L'agriculture occupe 70 % de la population et constitue le secteur dominant. Dans les plaines centrales, sur les hautes terres de la région de Takéo, une riziculture pluviale est pratiquée de manière extensive, sur de petites propriétés, où elle est souvent associée au palmier à sucre. Les grandes exploitations rizicoles irriguées sont concentrées dans la région de Battambang, la deuxième ville du pays. Jusqu'en 1970, la production de riz, même de faible rendement, dégageait un surplus commercial réduit à néant par les années de guerre (1970-1975), les travaux forcés imposés par les Khmers rouges et le type de collectivisation établi par l'occupation vietnamienne (1979-1989). Malgré le rétablissement de la petite exploitation familiale, l'autosuffisance reste précaire et les superficies cultivées sont moins importantes qu'en 1970 – la guerre a laissé de nombreuses mines antipersonnel et la déforestation excessive a créé des problèmes d'approvisionnement en eau.
Sur les rives du Mékong, du Tonlé Sap et du Bassac s'est développée, depuis le xixe s., une polyculture commerciale originale, qui utilise habilement les crues et leurs limons fertiles pour produire maïs, haricots, tabac, sésame, arachides, kapok, soja, etc., certaines de ces cultures permettant deux récoltes par an. L'élevage d'animaux de trait, essentiel pour l'agriculture, a repris. La pêche est très importante pour le pays, le poisson étant la première source de protéines pour les Cambodgiens ; la pêche familiale en eau douce couvre la majeure partie des besoins, les eaux des lacs, les forêts inondées par les crues du Mékong et les rivières étant exceptionnellement poissonneuses. Cependant, ces conditions naturelles favorables sont menacées par la dégradation de l'environnement. La pêche commerciale existe, mais, en eau douce comme en mer, elle est le domaine des Chams, des Vietnamiens et des Chinois, qui subissent de plus en plus la concurrence illégale des pêcheurs thaïlandais.
Le Cambodge développe également quelques cultures à vocation commerciale : le caoutchouc dans la région de Kompong Cham, le poivre dans la zone côtière orientale, des cocoteraies et des cultures fruitières autour des villes. La forêt est surexploitée : elle couvrait 73 % du territoire en 1969 et seulement 35 à 40 % en 1991. Les autorités locales, les Khmers rouges, l'armée – responsable de la gestion de l'exploitation forestière depuis 1994 – ont participé à l'abattage illégal du bois et à sa contrebande vers la Thaïlande et le Viêt Nam, ce qui prive le gouvernement de revenus importants et menace les équilibres écologiques.
Le secteur industriel est dominé par l'habillement, qui représente la majorité des exportations. Le reste de l'industrie (rizeries, latex, agroalimentaire, ciment) est modeste et desservi par un équipement vétuste. Un port, Kompong Som, a été créé sur le golfe de Siam en 1955. Les ressources minières sont limitées (phosphates utilisés pour fabriquer des engrais, pierres précieuses de Païlin). Le Cambodge reste très dépendant de l'aide internationale et il ne parvient pas à séduire les investisseurs, qui, malgré la libéralisation de l'économie, reculent devant la corruption et le manque de structures juridiques. La reprise du tourisme est réelle, avec près de 3 millions d'entrées en 2011.
HISTOIRE
1. Époque du Funan
Du ier au ve s. de notre ère, ce royaume hindouisé se développe dans le delta et le moyen Mékong, avec pour capitale Vyadhapura (près de Bà Phnom, dans la province actuelle de Prey Veng). Le Funan est pendant cinq siècles la puissance dominante d'Asie du Sud-Est et maintient des contacts avec la Chine et l'Inde. Cette dernière exerce une influence déterminante, tant religieuse que culturelle. Au milieu du vie s., le Funan se décompose sous la pression d'un nouveau royaume situé dans le moyen Mékong, le Tchen-la.
2. Époque du Tchen-la
Ce royaume s'empare du Funan et étend sa puissance à l'actuel Cambodge. Le roi Ishanavarman (616-635) fonde une capitale, Ishanapura, dans la région de Kompong Thom. Au milieu du viiie s., le Tchen-la se scinde en deux, le Tchen-la de l'eau, maritime et plus proche du monde malais, et le Tchen-la de terre, situé aux confins du nord du Cambodge, de la Thaïlande, du Laos et des hauts plateaux du centre de l'Annam. Les deux Tchen-la seront réunifiés par le premier souverain angkorien, Jayavarman II.
3. Époque angkorienne

Issu de l'ancienne dynastie et ayant passé une partie de sa vie à Java, qui exerçait une sorte de suzeraineté sur les régions maritimes du pays, Jayavarman II (802-vers 836) restaure la monarchie et installe sa capitale, Mahendraparvata, près du Grand Lac (Tonlé Sap), à proximité du site d'Angkor (plateau du Phnom Kulên). Il instaure le culte du dieu-roi, devaraja, maître et maître d'œuvre du pays, et en particulier de l'irrigation, base de l'économie et donc du pouvoir et de la puissance du royaume.
Son neveu Indravarman Ier, puis le fils de ce dernier, Yashovarman Ier (889-900), vont poursuivre son œuvre et développer Angkor, la capitale. Grand bâtisseur, Rajendravarman (944-968) construit Bantéay Srei et lance des opérations militaires contre le Champa.
Le règne de l'usurpateur Suryavarman Ier (1002-1050), premier grand souverain bouddhiste mahayana, et celui de Suryavarman II (1113-après 1144), bâtisseur d'Angkor Vat, voient l'apogée de la puissance de l'empire angkorien, qui s'étend sur le Siam, atteint la Birmanie, la péninsule malaise, et qui lance ses troupes sur le Champa, le Dai Viêt et contre les Môns. Puissance éphémère cependant, puisqu'elle n'est pas fondée sur l'occupation militaire et l'administration directe, le roi khmer se contentant de faire reconnaître sa suzeraineté et d'installer des gouverneurs locaux.
Ainsi, dès 1177 les Chams relèvent la tête et mettent à sac Angkor. Il faudra quatre ans au futur Jayavarman VII pour les chasser et restaurer la monarchie qui va avec lui briller de ses derniers feux. Le « roi lépreux », qui règne de 1181 à 1218, s'est converti au bouddhisme ; on lui doit le Bayon. Il va restaurer les gloires passées et se venger du Champa, annexé à l'empire de 1203 à 1226.
À partir du xive siècle, la menace siamoise se précise contre l'empire angkorien avec la fondation, en 1350, du royaume Ayuthia ; celui-ci s'étend aux dépens de l'empire khmer, affaibli, et dont la décadence s'amorce. Les hostilités incessantes tournent à l'avantage des Siamois, qui s'emparent d'Angkor en 1431, la pillent et emmènent ses habitants en captivité. Trop exposée à l'envahisseur, la prestigieuse capitale est abandonnée l'année suivante. En 1434, la cour s'installe aux « Quatre Bras », près du site de l'actuelle Phnom Penh.
4. La période moderne
L'histoire du Cambodge du xve au xixe siècle est celle des longues luttes qu'il doit soutenir contre ses deux puissants voisins, le Siam et l'Annam, auxquelles s'ajoute l'instabilité interne chronique.
Le prince Ponhéa Yat, couronné en 1441, donne au pays une brève période de stabilité et de paix, avant d'abdiquer en 1467. Les rivalités intestines reprennent, avec parfois une intervention siamoise en faveur d'un prétendant au trône. Ang Chan (1516-1566) tente de contenir par les armes la pression des Siamois, qu'il bat près d'Angkor dans un lieu qui devient Siem Réap (« La défaite des Siamois »). Il transfère sa capitale à Lovêk. Ses successeurs se disputent à leur tour le pouvoir et ne parviennent pas à repousser une invasion siamoise, qui s'achève par la prise de Lovêk (1594).
C'est vers le milieu du xvie siècle que les premiers Européens arrivent au Cambodge, missionnaires, commerçants et aventuriers, Espagnols ou Portugais ; une tentative de deux d'entre eux, Veloso et Ruiz, pour prendre le contrôle du royaume échouera en 1559.
Après la chute de Lovêk, le Cambodge est devenu le vassal du Siam. Le roi Chey Chêtthâ II tente de secouer le joug siamois, repousse les armées venues de l'ouest et, pour se renforcer, va chercher un appui du côté de l'empire d'Annam, dont il a épousé une des princesses. C'est le début de la politique khmère d'équilibre précaire entre ses deux voisins, et le commencement de l'influence de la cour de Huê dans ce qui deviendra le sud du Viêt Nam et qui est encore cambodgien. L'Annam, qui vient d'écraser le Champa et qui amorce sa « marche vers le sud », obtient du roi l'autorisation de fonder des comptoirs dont l'un deviendra Saigon. La colonisation vietnamienne du delta du Mékong va s'intensifier. Le Cambodge sera d'autant moins à même de s'y opposer qu'il est déchiré pendant tout le xviiie siècle par des guerres civiles ; parallèlement, la pression siamoise ne se relâche pas et Ayuthia annexe des pans de l'ancien empire angkorien.
En 1794, le roi Ang Eng est couronné par le roi de Siam et ramené à Oudong, la capitale, par une armée siamoise ; les provinces de Battambang et de Siem Réap sont annexées de facto au Siam. Ang Eng ne règne que deux ans. Le Cambodge devient le terrain de bataille entre Siamois et Annamites, ces derniers s'étant définitivement installés dans le delta du Mékong. Ang Chan II (1806-1834), fils d'Ang Eng, se constitue vassal de l'empereur d'Annam.
Le Siam considère cette décision inacceptable et la lutte reprend entre Siamois et Annamites, ces derniers prenant le dessus et occupant le Cambodge. Cette domination, souvent brutale, se concrétise en 1835 par l'installation sur le trône d'une femme, la princesse Ang Mei, sans pouvoir réel. Une vietnamisation accélérée du pays s'ensuit ; le Cambodge sera même annexé en 1841 par l'empire d'Annam. Les Khmers réagissent à cette situation en prenant les armes, avec le soutien militaire du Siam. Le général Bodin conduit une armée qui a pour mission de placer sur le trône Ang Duong, frère cadet d'Ang Chan II. Huê et Bangkok, incapables de l'emporter, s'accordent pour exercer une cosuzeraineté sur un royaume qui s'est réduit comme une peau de chagrin, et qui compte à peine un million d'âmes sur un territoire ruiné.
Couronné en 1847, Ang Duong tente, en 1854, d'obtenir l'appui de la France ; mais la mission envoyée l'année suivante et dirigée par Charles de Montigny échoue. Le roi veut préserver l'existence de son royaume, dont il craint la disparition à la suite d'un partage entre le Siam et l'Annam ; en même temps, il tente de réformer l'Administration et de restaurer l'économie.
5. Le protectorat français

En 1859, Norodom succède à son père Ang Duong. Devant la rébellion de son frère Votha, il doit se réfugier au Siam en 1861. Revenu dans son pays en 1862, il place, en 1863, le Cambodge sous le protectorat de la France et, l'année suivante, transfère sa capitale à Phnom Penh.
De 1865 à 1867, il doit faire face à l'insurrection populaire dirigée par Po Kombo ; il est contraint de faire appel aux forces coloniales venues de Cochinchine. Par le traité de 1867, et en échange de la reconnaissance de la suzeraineté siamoise sur les provinces de Battambang et de Siem Réap – qui seront restituées par le traité de 1907 –, la France obtient de Bangkok le renoncement à ses droits sur le Cambodge. Paris tente de renforcer son emprise sur le royaume en forçant Norodom, qui a entrepris d'importantes réformes, à signer la convention du 17 juin 1884, par laquelle il abandonne en fait tous ses pouvoirs à un résident qui exerce une autorité directe sur l'Administration. Une insurrection éclate aussitôt, avec la connivence du roi.
En 1886, ne pouvant mater le soulèvement, la France propose une application plus souple de la convention et le rétablissement de l'autorité royale ; convoqués par le roi, les rebelles se soumettent. Toutefois, l'emprise coloniale ne va pas cesser de s'affirmer, tandis que des rectifications de frontières sont effectuées au profit de la Cochinchine et de l'Annam.
Le pouvoir colonial s'efforce de moderniser l'Administration et l'économie khmères. Dans ce domaine, le roi Sisovath, qui succède à son frère (1904), va poursuivre l'œuvre entreprise par Norodom. Le développement économique s'accompagne de l'arrivée de nombreux Chinois et surtout de Vietnamiens ; ces derniers forment une importante communauté (commerçants, fonctionnaires, ouvriers des plantations, pêcheurs). À la mort de Sisovath (1927), son fils aîné, Monivong, lui succède. Le royaume subit durement le contrecoup de la grande crise de 1929.
En janvier 1941, profitant de la défaite française et de la présence des Japonais, le Siam attaque le Cambodge pour reprendre les provinces de Battambang et de Siem Réap. Tenus en échec sur le terrain, les Siamois obtiennent néanmoins satisfaction par le biais d'une « médiation » japonaise (11 mars). Le 23 avril, Monivong meurt. Sous la pression de l'amiral Decoux, représentant français en Indochine, inquiet de la réputation de démocrate de Monireth, fils aîné du roi défunt, le Conseil de la couronne choisit un jeune prince de dix-huit ans, Norodom Sihanouk, arrière-petit-fils de Norodom par son père et de Sisovath par sa mère ; il est couronné le 28 octobre. Les Japonais apportent leur soutien à un jeune dirigeant nationaliste originaire de Cochinchine, Son Ngoc Thanh ; celui-ci doit toutefois s'enfuir à Tokyo pour échapper à la police française.
À la suite du coup de force du 9 mars 1945, les Japonais prennent le contrôle direct de l'Indochine et invitent Sihanouk à proclamer l'indépendance, ce qu'il fait dès le 12. Son Ngoc Thanh est nommé ministre des Affaires étrangères (1er juin), puis Premier ministre (14 août). Les Français l'arrêtent dès leur retour (16 octobre). Sihanouk, qui n'a pas les moyens de résister aux Français, signe le modus vivendi du 7 janvier 1946, qui prévoit seulement l'autonomie interne du royaume dans le cadre de l'Indochine.
Une résistance au retour des Français prend corps. Elle donnera naissance à deux mouvements : l'un – les Khmers Issarak, qui deviendront plus tard les Khmers Serei – dirigé par Son Ngoc Than, de droite et antisihanoukiste, qui poursuivra la lutte contre Sihanouk jusqu'à sa chute en 1970, avec le soutien de Bangkok, de Saigon et des États-Unis ; l'autre, dirigé par Son Ngoc Minh, de gauche, qui sera largement contrôlé par le Viêt-minh et formera un gouvernement provisoire en 1951.
Une opposition légale, le parti démocrate du prince Youthevong, remporte les trois quarts des sièges aux élections du 1er septembre 1946. En octobre, Bangkok restitue les deux provinces annexées en 1941.
Le 6 mai 1947, le Cambodge devient une monarchie constitutionnelle, tandis que le conflit entre Sihanouk et les démocrates se poursuit (il durera jusqu'en 1952) et que la guerre fait rage en Indochine. À force de pressions et d'habile diplomatie, Sihanouk obtient une indépendance assortie de limites (8 novembre 1949) ; en 1952, il se proclame Premier ministre. L'année suivante il lance sa « croisade pour l'indépendance », par laquelle il entend également couper l'herbe sous le pied aux mouvements de résistance. L'effet est immédiat : il obtient l'indépendance totale (3 juillet), qui sera confirmée lors de la conférence de Genève de 1954.
6. L'accession à l'indépendance
Dès la conférence de Genève, Sihanouk s'oppose avec succès à la tentative du Viêt Nam de Hô Chi Minh de faire connaître des zones « libérées » à ses partisans « Khmers Viêt-minh ». Phnom Penh ne veut pas pour autant tomber dans l'orbite des États-Unis (qui accordent une aide économique et militaire) et refuse d'entrer dans l'Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est (OTASE), fondée en septembre 1954.
L'année suivante, le Cambodge quitte l'Union française. Sihanouk se rapproche du neutralisme, qui s'exprime lors de la conférence de Bandung (avril 1955). Il établit des relations diplomatiques avec l'URSS (1956), puis avec la Chine (1958). Entre-temps, l'Assemblée nationale a voté (1957) la « neutralité » du royaume. L'hostilité et les revendications territoriales de la Thaïlande et du Viêt Nam du sud, alliés des États-Unis, accroissent la méfiance de Sihanouk envers Washington, tandis que ses relations avec Hanoi et Pékin se resserrent.
Le 7 février 1955, Sihanouk fait approuver sa politique par référendum. Le 19, il fait adopter une réforme constitutionnelle selon laquelle le gouvernement n'est plus responsable devant l'Assemblée mais devant le roi. Il abdique le 2 mars en faveur de son père, Norodom Suramarit, et fonde en avril le Sangkum Reastr Niyum (communauté socialiste populaire), qui remporte tous les sièges aux élections du 11 septembre et qui les conservera aux élections de 1958.
En 1958-1959 et en 1963, le parti communiste Prachacheon est frappé par une répression sévère. Ses membres les plus radicaux, sous la conduite de Touch Samuth, puis de son successeur Saloth Sar (qui deviendra Pol Pot) et de Ieng Sary, forment, avec une partie des survivants du parti populaire révolutionnaire – créé en 1951 après l'éclatement du parti communiste indochinois –, un parti communiste khmer (30 septembre 1960). Organisation clandestine, ce parti prend le maquis en 1963 et se lance dans la lutte armée à partir de janvier 1968. Proche de Pékin, il n'aura pas de rapports avec les communistes khmers réfugiés à Hanoi après 1954.
Il existe aussi une gauche légale, représentée surtout par trois députés, Khieu Samphan, Hou Youn et Hu Nim ; les deux premiers seront brièvement ministres (1962), avant de prendre eux aussi le maquis (1967).
La détérioration des rapports avec la Thaïlande et le Viêt Nam du Sud conduit à la rupture avec ces deux pays (1961 et 1963). En 1962, la Cour internationale de justice de La Haye tranche en faveur du Cambodge le conflit portant sur le temple de Preah Vihear, qui doit lui être restitué par Bangkok. Avec Saigon, les incidents frontaliers se multiplient. Au même moment, les adversaires du prince – conduits par Son Ngoc Thanh et ses Khmers Serei, réfugiés en Thaïlande et au Viêt Nam du Sud – complotent pour le renverser, avec l'appui de services spéciaux américains. Le prince renonce à l'aide militaire américaine (novembre 1963), et les relations diplomatiques sont mises en sommeil (14 décembre). Le 1er janvier 1964, l'aide économique américaine cesse. Les relations diplomatiques sont rompues en mai, après l'incident de Chantrea, au cours duquel les troupes de Saigon sont entrées au Cambodge. Le prince relance son initiative en faveur de la neutralisation de son pays et de la reconnaissance de ses frontières. Les États-Unis et leurs alliés refusent d'y souscrire ; le FNL sud-vietnamien et Hanoi les reconnaissent (1967).
La brouille du Cambodge avec les États-Unis le rapproche du camp socialiste, mais aussi de la France ; le général de Gaulle se rend en visite officielle à Phnom Penh (30 août-2 novembre 1966) et y prononce un important discours, où il condamne la politique d'intervention américaine.
Sur le plan intérieur, le prince renforce le contrôle étatique sur l'économie et le commerce par une série de réformes dont auront rapidement raison la mauvaise gestion et la corruption. Le fossé entre villes et campagnes s'élargit ; les Khmers rouges en profitent pour renforcer leur influence sur les paysans. En 1966, le prince décide de ne plus choisir les candidats du Sangkum aux élections ; il s'ensuit un triomphe de la droite et la formation d'un gouvernement Lon Nol. Pour y remédier, le prince, devenu chef de l'État depuis la mort de son père en 1960 – sa mère, la reine Kossamak, continuant à symboliser le trône –, crée un « contre-gouvernement ».
7. La crise
Le 2 avril 1967, les paysans de Samlaut, dans la province de Battambang, se révoltent contre les exactions de l'administration locale ; Lon Nol noie le soulèvement dans le sang. Il est remplacé à la tête du gouvernement par l'économiste Son Sann (1er mai). Peu après, la révolution culturelle chinoise fait son apparition à Phnom Penh. Sihanouk riposte en dissolvant les organisations sino-cambodgiennes (septembre) et en menaçant Pékin de remettre en cause les relations entre les deux pays. Zhou Enlai répond par un message conciliant. Mais un certain nombre de Cambodgiens de gauche jugent plus prudent de se réfugier en France ou de rejoindre les Khmers rouges.
En novembre, Sihanouk prend la tête d'un « cabinet d'urgence » ; en janvier 1968, il cède la place à son fidèle Penn Nouth pour un « gouvernement de la dernière chance » ; en novembre, Lon Nol y devient ministre de la Défense. Une révolte tribale éclate à Ratanakiri. Les Américains autorisent la poursuite des Vietnamiens sur le territoire cambodgien, en dépit des protestations du prince. En mars 1969, Nixon et Kissinger ordonnent le bombardement clandestin du Cambodge. Mais, en avril, les États-Unis reconnaissent les frontières du royaume, prélude à la reprise des relations diplomatiques (août). En mai, Sihanouk a reconnu le Gouvernement révolutionnaire provisoire (GRP) sud-vietnamien.
En août 1969, le cabinet Penn Nouth est renversé ; Lon Nol lui succède, avec à ses côtés un autre adversaire déterminé de Sihanouk, son cousin Sirik Matak. Des contacts se nouent secrètement avec Washington, Saigon et Bangkok, qui souhaitent eux aussi se débarrasser du prince et détruire les « sanctuaires » vietnamiens du Cambodge. Le 18 mars 1970, Sihanouk est renversé par l'Assemblée, sous la pression du gouvernement et de l'armée, alors qu'il part pour Pékin. Cheng Heng devient chef de l'État.
8. La guerre
La neutralité proclamée par les auteurs du coup d'État du 18 mars ne les empêche pas de se placer du côté des États-Unis et de Saigon ; le général Lon Nol lance un ultimatum aux troupes de Hanoi et du G.R.P. pour qu'elles quittent le Cambodge, avant d'expulser leurs diplomates et de rompre avec eux. En même temps, il fait appel aux Américains pour une aide militaire. Dès le 20 mars, des troupes saigonnaises ont franchi la frontière cambodgienne pour attaquer des bases communistes. Le 26, l'armée ouvre le feu pour arrêter une marche de partisans du prince Sihanouk sur Phnom Penh. Au début d'avril, cette armée se livre au massacre de milliers de résidents vietnamiens. Nixon et le général Nguyên Van Thiêu renforcent leurs pressions sur les dirigeants cambodgiens afin qu'ils entrent ouvertement dans la guerre.
À Pékin, Sihanouk reçoit l'appui de la Chine et des Khmers rouges pour mener la lutte contre Lon Nol. Le 20 avril 1970 est créé le Front uni national du Kampuchéa (FUNK), présidé par Sihanouk, suivi, le 5 mai, de la création du Gouvernement royal d'union nationale du Kampuchéa (GRUNK), dirigé par Penn Nouth. Khieu Samphan, vice-Premier ministre, dirige la résistance sur le territoire khmer. Les 24-25 avril se tient à Canton la Conférence des peuples indochinois, avec Sihanouk, Pham Van Dong (RDV), Nguyên Huu Tho (GRP) et Souphanouvong (Pathet Lao), qui décide l'unification de la résistance. Sur le terrain, la guerre a commencé, menée par les révolutionnaires vietnamiens, appuyés par les Khmers rouges et de nombreux partisans du prince. Le 30 avril, Nixon annonce l'entrée des troupes américaines au Cambodge, le lendemain de celle des forces saigonnaises. Devant l'opposition de son opinion publique, il doit promettre qu'elles se retireront avant le 30 juin. Cette offensive permet au régime Lon Nol de ne pas s'effondrer ; mais elle ne parvient pas à réduire les « sanctuaires » communistes, qui se déplacent plus avant à l'intérieur du Cambodge, contribuant à faire entrer celui-ci tout entier dans le conflit. Le 4 juin, une partie des temples d'Angkor est occupée par le GRUNK. Sauvé de la défaite, le gouvernement – qui proclamera la république le 9 octobre 1970 – est en fait maintenu à bout de bras par ses alliés. Cette situation durera cinq ans.
Après le départ des troupes américaines le 30 juin et malgré les bombardements américains qui continuent, les révolutionnaires khmers étendent leur emprise sur le pays. En août, Sihanouk affirme que ses partisans contrôlent les deux tiers du territoire. Les Khmers rouges vont progressivement prendre le pas sur les sihanoukistes et remplacer au combat les Vietnamiens. Ces derniers repartent vers le Viêt Nam lors de l'offensive de 1972 et après les accords de Paris (février 1973). À ce moment, la tension monte entre révolutionnaires des deux pays, les Khmers rouges reprochant à leurs alliés de vouloir leur imposer de négocier avec Phnom Penh, comme eux avec Saigon et Washington, et le Pathet Lao avec Vientiane. L'offensive khmère rouge marque le pas. Lorsque les Américains cesseront leurs bombardements, en août 1973, les maquisards seront tellement affaiblis qu'ils seront incapables de lancer l'assaut final attendu contre Phnom Penh.
Frappé d'hémiplégie, Lon Nol, qui est devenu maréchal (21 avril 1971) et président de la République (4 juin 1972), est entouré de conseillers corrompus. Les défaites militaires se succèdent, et les maquisards parviennent à lancer des coups de main jusque dans la capitale. Malgré cela, Phnom Penh et Washington persistent dans la guerre, affirmant qu'ils ne combattent que les Vietnamiens. Sur le terrain, les Khmers rouges éliminent, les uns après les autres, sihanoukistes et communistes provietnamiens, et renforcent leur contrôle du G.R.U.N.K. Quand Sihanouk se rend au Cambodge (mars 1973), il réalise qu'il n'a plus aucun pouvoir réel.
Gouvernant un pays ruiné, où ses soldats ne s'aventurent plus guère dans les campagnes, Lon Nol ne parvient pas non plus à assurer la stabilité de son régime.
Sur le plan diplomatique, le GRUNK est admis au sein du mouvement des non-alignés (août 1972) et reconnu, de facto, par l'URSS (octobre 1973). Moscou, toutefois, maintiendra des diplomates à Phnom Penh jusqu'à sa prise par les Khmers rouges. Le 1er janvier 1975, les Khmers rouges lancent leur offensive finale contre Phnom Penh. Le 17 avril, ils entrent dans la capitale, après le départ de Lon Nol et des Américains.
9. Le régime khmer rouge
Le premier acte des vainqueurs est de vider les villes de leurs habitants ; ces citadins déracinés vont être, avec le reste de la population – divisée en « peuple ancien » et « peuple nouveau » –, progressivement embrigadés dans des coopératives ; les conditions de vie y sont très difficiles, tandis que le travail y est intense et la répression féroce envers ceux qui sont soupçonnés d'avoir travaillé pour le régime républicain. Faible, divisé, manquant de cadres, armé d'une idéologie au nationalisme et à l'autoritarisme extrêmes, le nouveau pouvoir s'affirme par la répression.
Jusqu'à l'intervention vietnamienne de 1978, la réalité du pouvoir sera détenue par l'Angkar, organisation restée secrète jusqu'en 1977. L'Angkar prône l'esprit de lutte, l'idée de responsabilité communautaire et la vertu d'obéissance ; elle s'appuie essentiellement sur l'armée.
L'Angkar offre un exemple unique dans l'histoire des révolutions asiatiques ; la dictature du prolétariat, ailleurs soutenue par un culte de la personnalité, est dirigée au Cambodge par une organisation qui, quoique omniprésente, reste une entité floue et abstraite.
Pendant les premiers mois, le prince Sihanouk, toujours chef de l'État, continue de symboliser le régime sans exercer d'autorité réelle ; il effectue un court séjour à Phnom Penh (septembre 1975), avant d'entreprendre une grande tournée internationale et de représenter son pays à l'Assemblée générale des Nations unies. De retour au Cambodge (janvier 1976), il participe aux élections du 20 mars, organisées en vertu de la nouvelle Constitution, et est élu député de la capitale. Le 5 avril, il démissionne de son poste. Le Kampuchéa démocratique se donne un nouveau chef de l'État, Khieu Samphan, et un Premier ministre, Pol Pot. Le pays demeure fermé au monde extérieur et n'a de relations étroites qu'avec Pékin.
Dès mai 1975, des incidents éclatent entre le Viêt Nam et le Kampuchéa. Le 31 décembre 1977, Khieu Samphan annonce la rupture des relations diplomatiques avec le Viêt Nam.
Sur le plan intérieur, des travaux gigantesques transforment un pays ravagé par la guerre, les bombardements, et bouleversé par l'exode. Mais le prix en est extrêmement lourd, puisqu'on a pu parler de centaines de milliers de victimes mortes de faim, de maladie ou exécutées sommairement. L'éducation, même primaire, est pratiquement supprimée, les personnes éduquées étant suspectes. Les familles sont souvent séparées. En même temps, les divisions au sein du régime se manifestent par des purges parfois sanglantes et de plus en plus nombreuses, surtout en 1977. La base du régime se rétrécit. Le prince Sihanouk et Penn Nouth vivent en résidence surveillée, isolés, tandis que de nombreux partisans du GRUNK croupissent dans des camps. La fin de 1978 – après que Pol Pot eut consolidé son pouvoir et entamé une timide ouverture vers le monde extérieur – verra une relative normalisation.
10. L'intervention vietnamienne
En décembre 1977, les Vietnamiens ont lancé une nouvelle offensive. Devant la résistance opiniâtre des soldats cambodgiens, ils se sont retirés, emmenant avec eux une partie de la population. En mai 1978, éclate, dans la zone frontalière « 203 », une révolte conduite par un proche de Pol Pot, le vice-président de l'Assemblée, So Phim ; elle est écrasée dans le sang, et So Phim est tué. Les dirigeants vietnamiens, ne pouvant plus compter sur un groupe de rechange au Cambodge même, lancent alors une offensive générale le 25 décembre. Auparavant, le Viêt Nam a signé à Moscou un traité avec l'URSS (3 novembre) et a annoncé la création d'un Front uni de salut national du Kampuchéa (FUNSK) le 3 décembre.
Le 7 janvier 1979, les soldats vietnamiens entrent dans Phnom Penh et, quelques jours plus tard, ils occupent toutes les villes et les grands axes du pays. Le Kampuchéa démocratique s'effondre. Le prince Sihanouk est autorisé à prendre l'avion pour Pékin. Avant de prendre le maquis, Pol Pot a lancé un appel à la guérilla, et son ministre des Affaires étrangères, Ieng Sary, a demandé la convocation d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le lendemain de la prise de Phnom Penh, un Conseil révolutionnaire faisant fonction de gouvernement est mis en place, présidé par Heng Samrin, président du FUNSK. Le principal dirigeant est le vice-Premier ministre et ministre de la Défense, Pen Sovan, chef du petit parti communiste provietnamien. L'administration du pays demeure sous tutelle du corps expéditionnaire vietnamien. Le régime prend le nom de République populaire du Kampuchéa.
Le Premier ministre vietnamien se rend à Phnom Penh pour conclure un traité d'amitié (18 février), légalisant la présence vietnamienne et intégrant de fait le Cambodge dans un ensemble indochinois sous l'égide de Hanoi ; un accord similaire sera conclu entre le Cambodge et le Laos (23 mars). Tout en s'affirmant non-aligné, le nouveau régime se place clairement dans le camp soviétique. En avril-mai, l'armée vietnamienne lance une nouvelle offensive qui repousse les Khmers rouges vers la frontière thaïlandaise. De nombreux réfugiés, fuyant les Vietnamiens, mais aussi la faim et la maladie, s'y sont regroupés. Certains sont sous le contrôle d'organisations de résistance ou de groupes armés qui vivent de l'aide internationale et de la contrebande. Car la situation alimentaire et sanitaire a ému l'opinion internationale et l'aide afflue à la frontière, puis vers Phnom Penh.
Battus militairement, les Khmers rouges poursuivent la lutte, soutenus par la Chine, les pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE ou Asean) et par certains pays occidentaux. Cette convergence permet aux Khmers rouges de conserver leur siège aux Nations unies (novembre 1979) et de rester reconnus par la plupart des pays, tandis que la République populaire n'est reconnue que par le bloc soviétique et par quelques pays du tiers-monde dont l'Inde (juillet 1980). Les deux camps se structurent : à Phnom Penh, où Heng Samrin cumule la direction de l'État et du Parti (PPRK, parti populaire révolutionnaire du Kampuchéa), après l'élimination de Pen Sovan (décembre 1981), une Constitution est adoptée (juin 1981), et Hun Sen devient Premier ministre en 1985 ; de l'autre côté, un gouvernement de coalition en exil, constitué en juin 1982, regroupe, sous la présidence du prince Sihanouk, les royalistes du Funcipec (Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif), les nationalistes de Son Sann et les embarrassants Khmers rouges, dirigés par Khieu Samphan – qui a succédé à Pol Pot en 1979. Étrange alliance d'ennemis, fondée exclusivement sur l'opposition à l'occupation vietnamienne et dont l'équilibre est menacé par la supériorité militaire des Khmers rouges, soutenus par la Chine, via la Thaïlande. Mais, malgré des offensives successives, il s'avère peu à peu que la solution à la crise ne sera pas militaire. Sous la pression internationale – rôle de l'URSS auprès de Hanoi, efforts de la France (rencontre entre le prince Sihanouk et Hun Sen, en décembre 1987) et de l'Indonésie (réunion des quatre factions cambodgiennes à Bogor, en juillet 1988), résolution de l'ONU du 3 novembre 1988 –, les parties en présence s'orientent vers des négociations en vue d'une réconciliation nationale. Non sans mal : la conférence de Paris d'août 1989 est un échec. Cependant, l'essentiel des troupes vietnamiennes quitte le Cambodge fin 1989, alors que Phnom Penh tempère son économie socialiste et que la République populaire du Kampuchéa redevient l'État du Cambodge (avril 1989). En 1990, à l'ONU, les États-Unis retirent leur soutien au prince Sihanouk : ils refusent désormais de voter pour que le siège du Cambodge soit attribué à son gouvernement, en raison de la participation des Khmers rouges à la coalition. Sous la pression internationale, cette participation prend ainsi fin en 1992. Simultanément, à la suite de la tourmente qui bouleverse le monde communiste, le gouvernement provietnamien de Phnom Penh perd l'aide fournie depuis 1980 par l'URSS et le Comecon.
11. La difficile pacification du Cambodge
11.1. Vers une stabilisation politique
Des accords de paix sont finalement signés, à Paris, le 23 octobre 1991. Ceux-ci prévoient des élections en 1993 sous administration de l'ONU. Le Cambodge reste pourtant en état de guerre, et l'Apronuc (Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge) a fort à faire pour organiser le retour à la vie normale – avec, notamment, les questions du rapatriement de 400 000 réfugiés et du désarmement des forces en présence. Le prince Sihanouk devient, en juillet 1991, président d'un Conseil national suprême (CNS), dont les postes sont également répartis entre les deux gouvernements rivaux – et non entre les quatre factions, comme le réclamaient les Khmers rouges. En novembre 1991, le prince et le CNS s'installent à Phnom Penh. Le PPRK, transformé en parti du Peuple cambodgien (PPC, toujours provietnamien), se prononce pour le multipartisme, et Heng Samrin laisse la direction du parti à Chea Sim.
Malgré la permanence du climat de violence et l'obstruction des Khmers rouges, des élections sont organisées en mai 1993. Avec une forte participation, elles donnent la victoire au Funcinpec – dirigé par le prince Norodom Ranariddh, fils du prince Sihanouk –, qui l'emporte sur le PPC avec plus de 45 % des voix. Un gouvernement provisoire de coalition est alors mis en place sous la double présidence du prince Ranariddh et de Hun Sen. La nouvelle Constitution, promulguée en septembre, rétablit la monarchie : Norodom Sihanouk est proclamé roi le 24 septembre, puis, respectivement, Norodom Ranariddh, « premier Premier ministre », et Hun Sen, « second Premier ministre ». Malgré le rétablissement de certaines libertés – celle de la presse, entre autres –, le climat politique demeure tendu, et, alors qu'il serait urgent de relancer l'économie, le manque de transparence, la corruption, l'incurie et la violence politique restent omniprésents. La rivalité entre les deux Premiers ministres s'aggrave, chacun d'eux affrontant parallèlement des divisions dans son propre camp.
Arguant de complots royalistes, Hun Sen évince le prince Ranariddh par un coup de force en juillet 1997, suscitant la condamnation de la communauté internationale. Aux élections de juillet 1998, dont l'organisation a été contestée par l'opposition, les 41,4 % des voix du PPC de Hun Sen, contre 31,7 % pour le Funcinpec et 14 % pour le « parti de Sam Rainsy » (PSR, nouveau nom du parti de la Nation khmère fondé en 1995 par cet ancien ministre des Finances exclu du gouvernement puis du Funcinpec), rendent inévitable une nouvelle coalition gouvernementale.
Sous l'égide du roi Norodom Sihanouk, Norodom Ranariddh et Hun Sen parviennent, après plusieurs mois de tractations, à un accord politique (novembre 1998). Les deux principaux partis du pays (PPC et Funcinpec) constituent un gouvernement de coalition, présidé par Hun Sen. Le prince Ranariddh devient président de l'Assemblée nationale.
Le Cambodge commence à réintégrer les organisations régionales et internationales, comme en témoigne son admission au sein de l'Asean en mars 1999. Malgré quelques avancées, il rencontre toujours des difficultés avec ses voisins, la Thaïlande et le Viêt Nam, alors que ses relations avec la Chine, au beau fixe, se resserrent encore par la multiplication de visites de responsables chinois à Phnom Penh (2000-2001).
11.2. Vers un apurement du passé

À partir de 1996, les Khmers rouges, réfugiés à la frontière thaïlandaise, privés de l'aide chinoise et de tout avenir politique, commencent à se rallier en nombre croissant. Certains de leurs chefs, comme Ieng Sary, amnistié, essaient, à la faveur de la rivalité des deux factions gouvernementales, de retrouver une influence politique. Pol Pot, « condamné à la prison à vie » par ses anciens partisans, en juillet 1997, meurt en avril 1998.
Les redditions – ou arrestations, selon le cas – de hauts responsables khmers rouges fin 1998 et début 1999 relancent le débat sur le type de tribunal – national ou international – devant lequel doivent être traduits les responsables des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis au Cambodge dans la seconde moitié des années 1970. La solution d'un tribunal national ouvert à une coopération de juges et de procureurs étrangers est finalement retenue. En 2001, l'Assemblée nationale et le Sénat adoptent la législation relative à la création du tribunal, qui est entérinée par le Conseil constitutionnel puis ratifiée par le roi Sihanouk (août).
Après de nombreux échecs, dont le retrait de l'ONU du processus des négociations en mars 2002, faute de garanties sur l'indépendance et l'objectivité du tribunal, un accord est finalement trouvé en juin 2003, prévoyant la création de tribunaux d'exception devant travailler dans le cadre du système judiciaire du royaume, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC). Mais leur mise en place effective se heurte à de nombreux obstacles d'ordre politique, bureaucratique, juridique et financier.
À partir de juillet 2007, cinq hauts dirigeants de l'ancien régime sont inculpés de crimes contre l'humanité ainsi que, pour trois d'entre eux, de crimes de guerre, et mis en détention : Nuon Chea (ex-numéro 2 du régime), Ieng Sary (ex-ministre des Affaires étrangères), son épouse Ieng Thirith (ex-ministre des Affaires sociales), Khieu Samphan (ex-chef de l'État du Kampuchea démocratique) et Kaing Guek Eav, alias Duch (qui dirigea le plus important centre pénitentiaire khmer rouge, le S-21, arrêté en 1999). Le 17 février 2009, avec la comparution de ce dernier en audience préliminaire devant la Chambre de première instance des CETC, s'ouvre ainsi le premier procès d'un dignitaire du régime khmer rouge. Alors que la santé déclinante des accusés (I. Sary meurt en mars 2013) et le manque de moyens financiers font craindre un enlisement général des procédures en cours, il faut attendre février 2012 pour que Duch soit condamné à la prison à perpétuité.
11.3. L'hégémonie du PPC et la division des royalistes
Les élections législatives de juillet 2003 voient la victoire du PPC de Hun Sen (73 députés sur 123), devant le Funcinpec du prince Norodom Ranariddh (26 sièges) et le parti de Sam Rainsy (PSR, 24 sièges). Toutefois, la formation d'un gouvernement se heurte à la majorité des deux tiers imposée en 1993. En novembre, le Funcinpec et le PSR acceptent, sous la pression du roi Norodom Sihanouk, de faire partie d'un gouvernement dirigé par Hun Sen, vice-président du PPC et Premier ministre sortant, mais la crise se durcit en janvier 2004, avec l'assassinat du principal dirigeant syndical du royaume, Chea Vichea. Après l'adoption par les deux chambres d'une procédure controversée de « vote bloqué », l'Assemblée nationale parvient à se réunir et à investir, en juillet, le gouvernement, présidé par Hun Sen. Norodom Ranariddh conserve la présidence de l'Assemblée nationale.
Parallèlement, souhaitant régler sa succession de son vivant afin de préserver l'institution royale, le roi Norodom Sihanouk annonce, en octobre 2004, vouloir prendre sa retraite et voir son dernier fils, Norodom Sihamoni, prendre sa succession sur le trône. Ce dernier est élu par le Conseil du trône le 14, et intronisé le 29.
La même année, le Cambodge, qui a signé avec l'Union européenne un accord concernant l'accès aux marchés en juin 2003, devient, le 13 octobre, le 148e État membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Dans la perspective des élections législatives de juillet 2008, Hun Sen peut mettre en avant les effets bénéfiques de cette politique de libéralisation (un taux de croissance du PIB de plus de 12 % en moyenne entre 2004 et 2008 selon la Banque mondiale) face à une opposition qui dénonce de son côté la corruption et l'insuffisance des mesures contre la pauvreté ; ces thèmes de campagne sont cependant éclipsés par un différend frontalier avec la Thaïlande autour du temple de Preah Vihear, qui ravive le sentiment nationaliste.
Le PPC l'emporte largement avec 90 sièges devant le PSR (26 députés) qui accuse le pouvoir de fraude. Les sièges restants se répartissent entre le parti des Droits de l'homme (fondé en juillet 2007 par Khem Sokha, 3 sièges), le nouveau parti de N. Ranariddh – alors en Malaisie après avoir été condamné pour abus de confiance et évincé de la direction du Funcinpec – (2 sièges) et ce dernier, désormais réduit, à la suite de ces dissensions, à deux députés. Après confirmation des résultats par la Commission nationale des élections, Hun Sen est reconduit dans ses fonctions. Le prince Ranariddh, gracié, peut rentrer d'exil.
En octobre 2012, la mort de Norodom Sihanouk, auquel les Cambodgiens rendent hommage à Phnom Penh pendant trois mois avant l’organisation des funérailles, clôt un chapitre de l’histoire du pays.
11.4. Les élections de 2013 et la progression de l’opposition
Le PPC conserve officiellement sa majorité aux élections législatives de juillet 2013, mais réalise son plus mauvais score depuis 1998 avec 68 sièges sur 123 contre 55 au parti du Sauvetage national du Cambodge (CNRP, issu de la fusion en 2012 du PSR et du parti des Droits de l'homme) conduit par S. Rainsy. Condamné pour diffamation en septembre 2010, ce dernier avait pu mettre fin à son exil en France après avoir été gracié par le roi et prendre la tête de l’opposition sans être cependant autorisé à se présenter comme candidat.
Réunissant plusieurs milliers de manifestants dans la capitale le 26 août puis les 7 et 15 septembre, l’opposition revendique la victoire avec 63 sièges et exige, en vain, une enquête indépendante sur les irrégularités supposées du scrutin et le climat d’intimidation qui l’a entouré, la commission électorale étant accusée d’être inféodée au pouvoir. Les résultats sont cependant validés par le Conseil constitutionnel. En obtenant un nombre inattendu de voix, le CNRP parvient ainsi à ébranler l’hégémonie et la légitimité du parti au pouvoir. C’est dans un contexte toujours tendu qu’en l’absence des députés de l’opposition qui boycottent la séance de l’Assemblée, Hun Sen est investi pour un nouveau mandat le 24 septembre.

 

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