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CAMBODGE

 

Cambodge
Nom officiel : royaume du Cambodge






État d'Asie du Sud-Est, dans la péninsule indochinoise, le Cambodge, baigné à l'ouest par le golfe de Thaïlande, est limité au sud et à l'est par le Viêt Nam, au nord par le Laos et la Thaïlande.
Superficie : 181 000 km2
Nombre d'habitants : 15 135 000 (estimation pour 2013)
Nom des habitants : Cambodgiens
Capitale : Phnom Penh
Langue : khmer
Monnaie : riel
Chef de l'État : Norodom Sihamoni
Chef du gouvernement : Hun Sen
Nature de l'État : monarchie constitutionnelle à régime parlementaire
Constitution :
Adoption : 21 septembre 1993
Révision : mars 1999
Pour en savoir plus : institutions du Cambodge
GÉOGRAPHIE
Le pays, au climat chaud et humide, est formé de plaines ou de plateaux recouverts de forêts ou de savanes, entourant une dépression centrale, où se loge le Tonlé Sap et qui est drainée par le Mékong. C'est dans cette zone que se concentre la population (formée essentiellement de Khmers et en grande majorité bouddhiste), qui vit surtout de la culture du riz.
1. Le milieu naturel
image: http://www.larousse.fr/encyclopedie/data/images/1006941-Plantations_dh%c3%a9v%c3%a9as.jpg
Plantations d'hévéas
Plantations d'hévéas
Le Cambodge est une cuvette, occupée en son centre par les Lacs et par les « Quatre Bras » (Mékong supérieur, Mékong inférieur, Tonlé Sap, Bassac) et accidentée de hauteurs isolées (phnom), avec, sur ses rebords : la falaise rectiligne des Dangrêk, au nord ; les plateaux aux flancs abrupts des Cardamomes (1 000 m d'altitude en moyenne) et de l'Éléphant, au sud et au sud-ouest ; le plateau de Mondolkiri, à l'est.
Le pays a un climat tropical, chaud et humide. Les pluies d'été sont apportées par la mousson du Sud-Ouest. Les hauteurs les plus marquées du pays étant perpendiculaires au flux de mousson, leurs pentes méridionales, « au vent », reçoivent des pluies considérables (parfois plus de 5 m). La cuvette centrale est, au contraire, « sous le vent » et ne reçoit, en moyenne, que 1 300 à 1 400 mm de pluie : mais cet effet d'abri ne se fait sentir que de mai à août, les pluies étant au contraire très abondantes en septembre et en octobre. Relativement sèche, la cuvette cambodgienne est inondée, en son centre, par les hautes eaux du Mékong, qui montent à partir de juin et atteignent leur maximum au début octobre.
2. La population

Plutôt sous-peuplé (63 habitants par km2), sauf dans la région des « Quatre Bras », le Cambodge a une population homogène, essentiellement composée par les Khmers, qui habitent les plaines centrales du pays. À la périphérie, on rencontre quelques minorités montagnardes de langue môn-khmer, pratiquant la culture sur brûlis : les Khmers Loeu, ou « Khmers d'en haut ». Parmi les autres minorités nationales figurent les Chams, encore appelés Khmers Islam parce qu'ils sont musulmans alors que les Khmers sont bouddhistes. Originaires de l'ancien Champa, de Sumatra, de Java ou de Malaisie, ils habitent près des rivières, pratiquent une agriculture variée et intensive, la pêche et l'artisanat. Il existe enfin une minorité sino-khmère, dont le rôle est important dans le commerce et le développement du littoral, ainsi qu'une minorité vietnamienne. Les Khmers sont surtout des paysans, vivant d'une culture extensive du riz, de l'élevage et de la pêche en eau douce. La population cambodgienne a été ravagée par le terrible génocide perpétré par les Khmers rouges (entre un et deux millions de morts), ainsi que par la famine et l'exode de nombreux réfugiés vers la Thaïlande. Autres conséquences de ce tragique événement : la proportion élevée de femmes (54 % de la population de plus de 15 ans), particulièrement sensible dans les campagnes, ainsi que la diminution de la population urbaine, dont le niveau de 1970 ne sera retrouvé que dans les années 1980.
3. L'économie
La situation économique est marquée par les années de guerre. Le Cambodge est un pays pauvre, avec un revenu annuel par habitant qui est l'un des plus bas du monde. L'agriculture occupe 70 % de la population et constitue le secteur dominant. Dans les plaines centrales, sur les hautes terres de la région de Takéo, une riziculture pluviale est pratiquée de manière extensive, sur de petites propriétés, où elle est souvent associée au palmier à sucre. Les grandes exploitations rizicoles irriguées sont concentrées dans la région de Battambang, la deuxième ville du pays. Jusqu'en 1970, la production de riz, même de faible rendement, dégageait un surplus commercial réduit à néant par les années de guerre (1970-1975), les travaux forcés imposés par les Khmers rouges et le type de collectivisation établi par l'occupation vietnamienne (1979-1989). Malgré le rétablissement de la petite exploitation familiale, l'autosuffisance reste précaire et les superficies cultivées sont moins importantes qu'en 1970 – la guerre a laissé de nombreuses mines antipersonnel et la déforestation excessive a créé des problèmes d'approvisionnement en eau.
Sur les rives du Mékong, du Tonlé Sap et du Bassac s'est développée, depuis le xixe s., une polyculture commerciale originale, qui utilise habilement les crues et leurs limons fertiles pour produire maïs, haricots, tabac, sésame, arachides, kapok, soja, etc., certaines de ces cultures permettant deux récoltes par an. L'élevage d'animaux de trait, essentiel pour l'agriculture, a repris. La pêche est très importante pour le pays, le poisson étant la première source de protéines pour les Cambodgiens ; la pêche familiale en eau douce couvre la majeure partie des besoins, les eaux des lacs, les forêts inondées par les crues du Mékong et les rivières étant exceptionnellement poissonneuses. Cependant, ces conditions naturelles favorables sont menacées par la dégradation de l'environnement. La pêche commerciale existe, mais, en eau douce comme en mer, elle est le domaine des Chams, des Vietnamiens et des Chinois, qui subissent de plus en plus la concurrence illégale des pêcheurs thaïlandais.
Le Cambodge développe également quelques cultures à vocation commerciale : le caoutchouc dans la région de Kompong Cham, le poivre dans la zone côtière orientale, des cocoteraies et des cultures fruitières autour des villes. La forêt est surexploitée : elle couvrait 73 % du territoire en 1969 et seulement 35 à 40 % en 1991. Les autorités locales, les Khmers rouges, l'armée – responsable de la gestion de l'exploitation forestière depuis 1994 – ont participé à l'abattage illégal du bois et à sa contrebande vers la Thaïlande et le Viêt Nam, ce qui prive le gouvernement de revenus importants et menace les équilibres écologiques.
Le secteur industriel est dominé par l'habillement, qui représente la majorité des exportations. Le reste de l'industrie (rizeries, latex, agroalimentaire, ciment) est modeste et desservi par un équipement vétuste. Un port, Kompong Som, a été créé sur le golfe de Siam en 1955. Les ressources minières sont limitées (phosphates utilisés pour fabriquer des engrais, pierres précieuses de Païlin). Le Cambodge reste très dépendant de l'aide internationale et il ne parvient pas à séduire les investisseurs, qui, malgré la libéralisation de l'économie, reculent devant la corruption et le manque de structures juridiques. La reprise du tourisme est réelle, avec près de 3 millions d'entrées en 2011.
HISTOIRE
1. Époque du Funan
Du ier au ve s. de notre ère, ce royaume hindouisé se développe dans le delta et le moyen Mékong, avec pour capitale Vyadhapura (près de Bà Phnom, dans la province actuelle de Prey Veng). Le Funan est pendant cinq siècles la puissance dominante d'Asie du Sud-Est et maintient des contacts avec la Chine et l'Inde. Cette dernière exerce une influence déterminante, tant religieuse que culturelle. Au milieu du vie s., le Funan se décompose sous la pression d'un nouveau royaume situé dans le moyen Mékong, le Tchen-la.
2. Époque du Tchen-la
Ce royaume s'empare du Funan et étend sa puissance à l'actuel Cambodge. Le roi Ishanavarman (616-635) fonde une capitale, Ishanapura, dans la région de Kompong Thom. Au milieu du viiie s., le Tchen-la se scinde en deux, le Tchen-la de l'eau, maritime et plus proche du monde malais, et le Tchen-la de terre, situé aux confins du nord du Cambodge, de la Thaïlande, du Laos et des hauts plateaux du centre de l'Annam. Les deux Tchen-la seront réunifiés par le premier souverain angkorien, Jayavarman II.
3. Époque angkorienne

Issu de l'ancienne dynastie et ayant passé une partie de sa vie à Java, qui exerçait une sorte de suzeraineté sur les régions maritimes du pays, Jayavarman II (802-vers 836) restaure la monarchie et installe sa capitale, Mahendraparvata, près du Grand Lac (Tonlé Sap), à proximité du site d'Angkor (plateau du Phnom Kulên). Il instaure le culte du dieu-roi, devaraja, maître et maître d'œuvre du pays, et en particulier de l'irrigation, base de l'économie et donc du pouvoir et de la puissance du royaume.
Son neveu Indravarman Ier, puis le fils de ce dernier, Yashovarman Ier (889-900), vont poursuivre son œuvre et développer Angkor, la capitale. Grand bâtisseur, Rajendravarman (944-968) construit Bantéay Srei et lance des opérations militaires contre le Champa.
Le règne de l'usurpateur Suryavarman Ier (1002-1050), premier grand souverain bouddhiste mahayana, et celui de Suryavarman II (1113-après 1144), bâtisseur d'Angkor Vat, voient l'apogée de la puissance de l'empire angkorien, qui s'étend sur le Siam, atteint la Birmanie, la péninsule malaise, et qui lance ses troupes sur le Champa, le Dai Viêt et contre les Môns. Puissance éphémère cependant, puisqu'elle n'est pas fondée sur l'occupation militaire et l'administration directe, le roi khmer se contentant de faire reconnaître sa suzeraineté et d'installer des gouverneurs locaux.
Ainsi, dès 1177 les Chams relèvent la tête et mettent à sac Angkor. Il faudra quatre ans au futur Jayavarman VII pour les chasser et restaurer la monarchie qui va avec lui briller de ses derniers feux. Le « roi lépreux », qui règne de 1181 à 1218, s'est converti au bouddhisme ; on lui doit le Bayon. Il va restaurer les gloires passées et se venger du Champa, annexé à l'empire de 1203 à 1226.
À partir du xive siècle, la menace siamoise se précise contre l'empire angkorien avec la fondation, en 1350, du royaume Ayuthia ; celui-ci s'étend aux dépens de l'empire khmer, affaibli, et dont la décadence s'amorce. Les hostilités incessantes tournent à l'avantage des Siamois, qui s'emparent d'Angkor en 1431, la pillent et emmènent ses habitants en captivité. Trop exposée à l'envahisseur, la prestigieuse capitale est abandonnée l'année suivante. En 1434, la cour s'installe aux « Quatre Bras », près du site de l'actuelle Phnom Penh.
4. La période moderne
L'histoire du Cambodge du xve au xixe siècle est celle des longues luttes qu'il doit soutenir contre ses deux puissants voisins, le Siam et l'Annam, auxquelles s'ajoute l'instabilité interne chronique.
Le prince Ponhéa Yat, couronné en 1441, donne au pays une brève période de stabilité et de paix, avant d'abdiquer en 1467. Les rivalités intestines reprennent, avec parfois une intervention siamoise en faveur d'un prétendant au trône. Ang Chan (1516-1566) tente de contenir par les armes la pression des Siamois, qu'il bat près d'Angkor dans un lieu qui devient Siem Réap (« La défaite des Siamois »). Il transfère sa capitale à Lovêk. Ses successeurs se disputent à leur tour le pouvoir et ne parviennent pas à repousser une invasion siamoise, qui s'achève par la prise de Lovêk (1594).
C'est vers le milieu du xvie siècle que les premiers Européens arrivent au Cambodge, missionnaires, commerçants et aventuriers, Espagnols ou Portugais ; une tentative de deux d'entre eux, Veloso et Ruiz, pour prendre le contrôle du royaume échouera en 1559.
Après la chute de Lovêk, le Cambodge est devenu le vassal du Siam. Le roi Chey Chêtthâ II tente de secouer le joug siamois, repousse les armées venues de l'ouest et, pour se renforcer, va chercher un appui du côté de l'empire d'Annam, dont il a épousé une des princesses. C'est le début de la politique khmère d'équilibre précaire entre ses deux voisins, et le commencement de l'influence de la cour de Huê dans ce qui deviendra le sud du Viêt Nam et qui est encore cambodgien. L'Annam, qui vient d'écraser le Champa et qui amorce sa « marche vers le sud », obtient du roi l'autorisation de fonder des comptoirs dont l'un deviendra Saigon. La colonisation vietnamienne du delta du Mékong va s'intensifier. Le Cambodge sera d'autant moins à même de s'y opposer qu'il est déchiré pendant tout le xviiie siècle par des guerres civiles ; parallèlement, la pression siamoise ne se relâche pas et Ayuthia annexe des pans de l'ancien empire angkorien.
En 1794, le roi Ang Eng est couronné par le roi de Siam et ramené à Oudong, la capitale, par une armée siamoise ; les provinces de Battambang et de Siem Réap sont annexées de facto au Siam. Ang Eng ne règne que deux ans. Le Cambodge devient le terrain de bataille entre Siamois et Annamites, ces derniers s'étant définitivement installés dans le delta du Mékong. Ang Chan II (1806-1834), fils d'Ang Eng, se constitue vassal de l'empereur d'Annam.
Le Siam considère cette décision inacceptable et la lutte reprend entre Siamois et Annamites, ces derniers prenant le dessus et occupant le Cambodge. Cette domination, souvent brutale, se concrétise en 1835 par l'installation sur le trône d'une femme, la princesse Ang Mei, sans pouvoir réel. Une vietnamisation accélérée du pays s'ensuit ; le Cambodge sera même annexé en 1841 par l'empire d'Annam. Les Khmers réagissent à cette situation en prenant les armes, avec le soutien militaire du Siam. Le général Bodin conduit une armée qui a pour mission de placer sur le trône Ang Duong, frère cadet d'Ang Chan II. Huê et Bangkok, incapables de l'emporter, s'accordent pour exercer une cosuzeraineté sur un royaume qui s'est réduit comme une peau de chagrin, et qui compte à peine un million d'âmes sur un territoire ruiné.
Couronné en 1847, Ang Duong tente, en 1854, d'obtenir l'appui de la France ; mais la mission envoyée l'année suivante et dirigée par Charles de Montigny échoue. Le roi veut préserver l'existence de son royaume, dont il craint la disparition à la suite d'un partage entre le Siam et l'Annam ; en même temps, il tente de réformer l'Administration et de restaurer l'économie.
5. Le protectorat français

En 1859, Norodom succède à son père Ang Duong. Devant la rébellion de son frère Votha, il doit se réfugier au Siam en 1861. Revenu dans son pays en 1862, il place, en 1863, le Cambodge sous le protectorat de la France et, l'année suivante, transfère sa capitale à Phnom Penh.
De 1865 à 1867, il doit faire face à l'insurrection populaire dirigée par Po Kombo ; il est contraint de faire appel aux forces coloniales venues de Cochinchine. Par le traité de 1867, et en échange de la reconnaissance de la suzeraineté siamoise sur les provinces de Battambang et de Siem Réap – qui seront restituées par le traité de 1907 –, la France obtient de Bangkok le renoncement à ses droits sur le Cambodge. Paris tente de renforcer son emprise sur le royaume en forçant Norodom, qui a entrepris d'importantes réformes, à signer la convention du 17 juin 1884, par laquelle il abandonne en fait tous ses pouvoirs à un résident qui exerce une autorité directe sur l'Administration. Une insurrection éclate aussitôt, avec la connivence du roi.
En 1886, ne pouvant mater le soulèvement, la France propose une application plus souple de la convention et le rétablissement de l'autorité royale ; convoqués par le roi, les rebelles se soumettent. Toutefois, l'emprise coloniale ne va pas cesser de s'affirmer, tandis que des rectifications de frontières sont effectuées au profit de la Cochinchine et de l'Annam.
Le pouvoir colonial s'efforce de moderniser l'Administration et l'économie khmères. Dans ce domaine, le roi Sisovath, qui succède à son frère (1904), va poursuivre l'œuvre entreprise par Norodom. Le développement économique s'accompagne de l'arrivée de nombreux Chinois et surtout de Vietnamiens ; ces derniers forment une importante communauté (commerçants, fonctionnaires, ouvriers des plantations, pêcheurs). À la mort de Sisovath (1927), son fils aîné, Monivong, lui succède. Le royaume subit durement le contrecoup de la grande crise de 1929.
En janvier 1941, profitant de la défaite française et de la présence des Japonais, le Siam attaque le Cambodge pour reprendre les provinces de Battambang et de Siem Réap. Tenus en échec sur le terrain, les Siamois obtiennent néanmoins satisfaction par le biais d'une « médiation » japonaise (11 mars). Le 23 avril, Monivong meurt. Sous la pression de l'amiral Decoux, représentant français en Indochine, inquiet de la réputation de démocrate de Monireth, fils aîné du roi défunt, le Conseil de la couronne choisit un jeune prince de dix-huit ans, Norodom Sihanouk, arrière-petit-fils de Norodom par son père et de Sisovath par sa mère ; il est couronné le 28 octobre. Les Japonais apportent leur soutien à un jeune dirigeant nationaliste originaire de Cochinchine, Son Ngoc Thanh ; celui-ci doit toutefois s'enfuir à Tokyo pour échapper à la police française.
À la suite du coup de force du 9 mars 1945, les Japonais prennent le contrôle direct de l'Indochine et invitent Sihanouk à proclamer l'indépendance, ce qu'il fait dès le 12. Son Ngoc Thanh est nommé ministre des Affaires étrangères (1er juin), puis Premier ministre (14 août). Les Français l'arrêtent dès leur retour (16 octobre). Sihanouk, qui n'a pas les moyens de résister aux Français, signe le modus vivendi du 7 janvier 1946, qui prévoit seulement l'autonomie interne du royaume dans le cadre de l'Indochine.
Une résistance au retour des Français prend corps. Elle donnera naissance à deux mouvements : l'un – les Khmers Issarak, qui deviendront plus tard les Khmers Serei – dirigé par Son Ngoc Than, de droite et antisihanoukiste, qui poursuivra la lutte contre Sihanouk jusqu'à sa chute en 1970, avec le soutien de Bangkok, de Saigon et des États-Unis ; l'autre, dirigé par Son Ngoc Minh, de gauche, qui sera largement contrôlé par le Viêt-minh et formera un gouvernement provisoire en 1951.
Une opposition légale, le parti démocrate du prince Youthevong, remporte les trois quarts des sièges aux élections du 1er septembre 1946. En octobre, Bangkok restitue les deux provinces annexées en 1941.
Le 6 mai 1947, le Cambodge devient une monarchie constitutionnelle, tandis que le conflit entre Sihanouk et les démocrates se poursuit (il durera jusqu'en 1952) et que la guerre fait rage en Indochine. À force de pressions et d'habile diplomatie, Sihanouk obtient une indépendance assortie de limites (8 novembre 1949) ; en 1952, il se proclame Premier ministre. L'année suivante il lance sa « croisade pour l'indépendance », par laquelle il entend également couper l'herbe sous le pied aux mouvements de résistance. L'effet est immédiat : il obtient l'indépendance totale (3 juillet), qui sera confirmée lors de la conférence de Genève de 1954.
6. L'accession à l'indépendance
Dès la conférence de Genève, Sihanouk s'oppose avec succès à la tentative du Viêt Nam de Hô Chi Minh de faire connaître des zones « libérées » à ses partisans « Khmers Viêt-minh ». Phnom Penh ne veut pas pour autant tomber dans l'orbite des États-Unis (qui accordent une aide économique et militaire) et refuse d'entrer dans l'Organisation du traité de l'Asie du Sud-Est (OTASE), fondée en septembre 1954.
L'année suivante, le Cambodge quitte l'Union française. Sihanouk se rapproche du neutralisme, qui s'exprime lors de la conférence de Bandung (avril 1955). Il établit des relations diplomatiques avec l'URSS (1956), puis avec la Chine (1958). Entre-temps, l'Assemblée nationale a voté (1957) la « neutralité » du royaume. L'hostilité et les revendications territoriales de la Thaïlande et du Viêt Nam du sud, alliés des États-Unis, accroissent la méfiance de Sihanouk envers Washington, tandis que ses relations avec Hanoi et Pékin se resserrent.
Le 7 février 1955, Sihanouk fait approuver sa politique par référendum. Le 19, il fait adopter une réforme constitutionnelle selon laquelle le gouvernement n'est plus responsable devant l'Assemblée mais devant le roi. Il abdique le 2 mars en faveur de son père, Norodom Suramarit, et fonde en avril le Sangkum Reastr Niyum (communauté socialiste populaire), qui remporte tous les sièges aux élections du 11 septembre et qui les conservera aux élections de 1958.
En 1958-1959 et en 1963, le parti communiste Prachacheon est frappé par une répression sévère. Ses membres les plus radicaux, sous la conduite de Touch Samuth, puis de son successeur Saloth Sar (qui deviendra Pol Pot) et de Ieng Sary, forment, avec une partie des survivants du parti populaire révolutionnaire – créé en 1951 après l'éclatement du parti communiste indochinois –, un parti communiste khmer (30 septembre 1960). Organisation clandestine, ce parti prend le maquis en 1963 et se lance dans la lutte armée à partir de janvier 1968. Proche de Pékin, il n'aura pas de rapports avec les communistes khmers réfugiés à Hanoi après 1954.
Il existe aussi une gauche légale, représentée surtout par trois députés, Khieu Samphan, Hou Youn et Hu Nim ; les deux premiers seront brièvement ministres (1962), avant de prendre eux aussi le maquis (1967).
La détérioration des rapports avec la Thaïlande et le Viêt Nam du Sud conduit à la rupture avec ces deux pays (1961 et 1963). En 1962, la Cour internationale de justice de La Haye tranche en faveur du Cambodge le conflit portant sur le temple de Preah Vihear, qui doit lui être restitué par Bangkok. Avec Saigon, les incidents frontaliers se multiplient. Au même moment, les adversaires du prince – conduits par Son Ngoc Thanh et ses Khmers Serei, réfugiés en Thaïlande et au Viêt Nam du Sud – complotent pour le renverser, avec l'appui de services spéciaux américains. Le prince renonce à l'aide militaire américaine (novembre 1963), et les relations diplomatiques sont mises en sommeil (14 décembre). Le 1er janvier 1964, l'aide économique américaine cesse. Les relations diplomatiques sont rompues en mai, après l'incident de Chantrea, au cours duquel les troupes de Saigon sont entrées au Cambodge. Le prince relance son initiative en faveur de la neutralisation de son pays et de la reconnaissance de ses frontières. Les États-Unis et leurs alliés refusent d'y souscrire ; le FNL sud-vietnamien et Hanoi les reconnaissent (1967).
La brouille du Cambodge avec les États-Unis le rapproche du camp socialiste, mais aussi de la France ; le général de Gaulle se rend en visite officielle à Phnom Penh (30 août-2 novembre 1966) et y prononce un important discours, où il condamne la politique d'intervention américaine.
Sur le plan intérieur, le prince renforce le contrôle étatique sur l'économie et le commerce par une série de réformes dont auront rapidement raison la mauvaise gestion et la corruption. Le fossé entre villes et campagnes s'élargit ; les Khmers rouges en profitent pour renforcer leur influence sur les paysans. En 1966, le prince décide de ne plus choisir les candidats du Sangkum aux élections ; il s'ensuit un triomphe de la droite et la formation d'un gouvernement Lon Nol. Pour y remédier, le prince, devenu chef de l'État depuis la mort de son père en 1960 – sa mère, la reine Kossamak, continuant à symboliser le trône –, crée un « contre-gouvernement ».
7. La crise
Le 2 avril 1967, les paysans de Samlaut, dans la province de Battambang, se révoltent contre les exactions de l'administration locale ; Lon Nol noie le soulèvement dans le sang. Il est remplacé à la tête du gouvernement par l'économiste Son Sann (1er mai). Peu après, la révolution culturelle chinoise fait son apparition à Phnom Penh. Sihanouk riposte en dissolvant les organisations sino-cambodgiennes (septembre) et en menaçant Pékin de remettre en cause les relations entre les deux pays. Zhou Enlai répond par un message conciliant. Mais un certain nombre de Cambodgiens de gauche jugent plus prudent de se réfugier en France ou de rejoindre les Khmers rouges.
En novembre, Sihanouk prend la tête d'un « cabinet d'urgence » ; en janvier 1968, il cède la place à son fidèle Penn Nouth pour un « gouvernement de la dernière chance » ; en novembre, Lon Nol y devient ministre de la Défense. Une révolte tribale éclate à Ratanakiri. Les Américains autorisent la poursuite des Vietnamiens sur le territoire cambodgien, en dépit des protestations du prince. En mars 1969, Nixon et Kissinger ordonnent le bombardement clandestin du Cambodge. Mais, en avril, les États-Unis reconnaissent les frontières du royaume, prélude à la reprise des relations diplomatiques (août). En mai, Sihanouk a reconnu le Gouvernement révolutionnaire provisoire (GRP) sud-vietnamien.
En août 1969, le cabinet Penn Nouth est renversé ; Lon Nol lui succède, avec à ses côtés un autre adversaire déterminé de Sihanouk, son cousin Sirik Matak. Des contacts se nouent secrètement avec Washington, Saigon et Bangkok, qui souhaitent eux aussi se débarrasser du prince et détruire les « sanctuaires » vietnamiens du Cambodge. Le 18 mars 1970, Sihanouk est renversé par l'Assemblée, sous la pression du gouvernement et de l'armée, alors qu'il part pour Pékin. Cheng Heng devient chef de l'État.
8. La guerre
La neutralité proclamée par les auteurs du coup d'État du 18 mars ne les empêche pas de se placer du côté des États-Unis et de Saigon ; le général Lon Nol lance un ultimatum aux troupes de Hanoi et du G.R.P. pour qu'elles quittent le Cambodge, avant d'expulser leurs diplomates et de rompre avec eux. En même temps, il fait appel aux Américains pour une aide militaire. Dès le 20 mars, des troupes saigonnaises ont franchi la frontière cambodgienne pour attaquer des bases communistes. Le 26, l'armée ouvre le feu pour arrêter une marche de partisans du prince Sihanouk sur Phnom Penh. Au début d'avril, cette armée se livre au massacre de milliers de résidents vietnamiens. Nixon et le général Nguyên Van Thiêu renforcent leurs pressions sur les dirigeants cambodgiens afin qu'ils entrent ouvertement dans la guerre.
À Pékin, Sihanouk reçoit l'appui de la Chine et des Khmers rouges pour mener la lutte contre Lon Nol. Le 20 avril 1970 est créé le Front uni national du Kampuchéa (FUNK), présidé par Sihanouk, suivi, le 5 mai, de la création du Gouvernement royal d'union nationale du Kampuchéa (GRUNK), dirigé par Penn Nouth. Khieu Samphan, vice-Premier ministre, dirige la résistance sur le territoire khmer. Les 24-25 avril se tient à Canton la Conférence des peuples indochinois, avec Sihanouk, Pham Van Dong (RDV), Nguyên Huu Tho (GRP) et Souphanouvong (Pathet Lao), qui décide l'unification de la résistance. Sur le terrain, la guerre a commencé, menée par les révolutionnaires vietnamiens, appuyés par les Khmers rouges et de nombreux partisans du prince. Le 30 avril, Nixon annonce l'entrée des troupes américaines au Cambodge, le lendemain de celle des forces saigonnaises. Devant l'opposition de son opinion publique, il doit promettre qu'elles se retireront avant le 30 juin. Cette offensive permet au régime Lon Nol de ne pas s'effondrer ; mais elle ne parvient pas à réduire les « sanctuaires » communistes, qui se déplacent plus avant à l'intérieur du Cambodge, contribuant à faire entrer celui-ci tout entier dans le conflit. Le 4 juin, une partie des temples d'Angkor est occupée par le GRUNK. Sauvé de la défaite, le gouvernement – qui proclamera la république le 9 octobre 1970 – est en fait maintenu à bout de bras par ses alliés. Cette situation durera cinq ans.
Après le départ des troupes américaines le 30 juin et malgré les bombardements américains qui continuent, les révolutionnaires khmers étendent leur emprise sur le pays. En août, Sihanouk affirme que ses partisans contrôlent les deux tiers du territoire. Les Khmers rouges vont progressivement prendre le pas sur les sihanoukistes et remplacer au combat les Vietnamiens. Ces derniers repartent vers le Viêt Nam lors de l'offensive de 1972 et après les accords de Paris (février 1973). À ce moment, la tension monte entre révolutionnaires des deux pays, les Khmers rouges reprochant à leurs alliés de vouloir leur imposer de négocier avec Phnom Penh, comme eux avec Saigon et Washington, et le Pathet Lao avec Vientiane. L'offensive khmère rouge marque le pas. Lorsque les Américains cesseront leurs bombardements, en août 1973, les maquisards seront tellement affaiblis qu'ils seront incapables de lancer l'assaut final attendu contre Phnom Penh.
Frappé d'hémiplégie, Lon Nol, qui est devenu maréchal (21 avril 1971) et président de la République (4 juin 1972), est entouré de conseillers corrompus. Les défaites militaires se succèdent, et les maquisards parviennent à lancer des coups de main jusque dans la capitale. Malgré cela, Phnom Penh et Washington persistent dans la guerre, affirmant qu'ils ne combattent que les Vietnamiens. Sur le terrain, les Khmers rouges éliminent, les uns après les autres, sihanoukistes et communistes provietnamiens, et renforcent leur contrôle du G.R.U.N.K. Quand Sihanouk se rend au Cambodge (mars 1973), il réalise qu'il n'a plus aucun pouvoir réel.
Gouvernant un pays ruiné, où ses soldats ne s'aventurent plus guère dans les campagnes, Lon Nol ne parvient pas non plus à assurer la stabilité de son régime.
Sur le plan diplomatique, le GRUNK est admis au sein du mouvement des non-alignés (août 1972) et reconnu, de facto, par l'URSS (octobre 1973). Moscou, toutefois, maintiendra des diplomates à Phnom Penh jusqu'à sa prise par les Khmers rouges. Le 1er janvier 1975, les Khmers rouges lancent leur offensive finale contre Phnom Penh. Le 17 avril, ils entrent dans la capitale, après le départ de Lon Nol et des Américains.
9. Le régime khmer rouge
Le premier acte des vainqueurs est de vider les villes de leurs habitants ; ces citadins déracinés vont être, avec le reste de la population – divisée en « peuple ancien » et « peuple nouveau » –, progressivement embrigadés dans des coopératives ; les conditions de vie y sont très difficiles, tandis que le travail y est intense et la répression féroce envers ceux qui sont soupçonnés d'avoir travaillé pour le régime républicain. Faible, divisé, manquant de cadres, armé d'une idéologie au nationalisme et à l'autoritarisme extrêmes, le nouveau pouvoir s'affirme par la répression.
Jusqu'à l'intervention vietnamienne de 1978, la réalité du pouvoir sera détenue par l'Angkar, organisation restée secrète jusqu'en 1977. L'Angkar prône l'esprit de lutte, l'idée de responsabilité communautaire et la vertu d'obéissance ; elle s'appuie essentiellement sur l'armée.
L'Angkar offre un exemple unique dans l'histoire des révolutions asiatiques ; la dictature du prolétariat, ailleurs soutenue par un culte de la personnalité, est dirigée au Cambodge par une organisation qui, quoique omniprésente, reste une entité floue et abstraite.
Pendant les premiers mois, le prince Sihanouk, toujours chef de l'État, continue de symboliser le régime sans exercer d'autorité réelle ; il effectue un court séjour à Phnom Penh (septembre 1975), avant d'entreprendre une grande tournée internationale et de représenter son pays à l'Assemblée générale des Nations unies. De retour au Cambodge (janvier 1976), il participe aux élections du 20 mars, organisées en vertu de la nouvelle Constitution, et est élu député de la capitale. Le 5 avril, il démissionne de son poste. Le Kampuchéa démocratique se donne un nouveau chef de l'État, Khieu Samphan, et un Premier ministre, Pol Pot. Le pays demeure fermé au monde extérieur et n'a de relations étroites qu'avec Pékin.
Dès mai 1975, des incidents éclatent entre le Viêt Nam et le Kampuchéa. Le 31 décembre 1977, Khieu Samphan annonce la rupture des relations diplomatiques avec le Viêt Nam.
Sur le plan intérieur, des travaux gigantesques transforment un pays ravagé par la guerre, les bombardements, et bouleversé par l'exode. Mais le prix en est extrêmement lourd, puisqu'on a pu parler de centaines de milliers de victimes mortes de faim, de maladie ou exécutées sommairement. L'éducation, même primaire, est pratiquement supprimée, les personnes éduquées étant suspectes. Les familles sont souvent séparées. En même temps, les divisions au sein du régime se manifestent par des purges parfois sanglantes et de plus en plus nombreuses, surtout en 1977. La base du régime se rétrécit. Le prince Sihanouk et Penn Nouth vivent en résidence surveillée, isolés, tandis que de nombreux partisans du GRUNK croupissent dans des camps. La fin de 1978 – après que Pol Pot eut consolidé son pouvoir et entamé une timide ouverture vers le monde extérieur – verra une relative normalisation.
10. L'intervention vietnamienne
En décembre 1977, les Vietnamiens ont lancé une nouvelle offensive. Devant la résistance opiniâtre des soldats cambodgiens, ils se sont retirés, emmenant avec eux une partie de la population. En mai 1978, éclate, dans la zone frontalière « 203 », une révolte conduite par un proche de Pol Pot, le vice-président de l'Assemblée, So Phim ; elle est écrasée dans le sang, et So Phim est tué. Les dirigeants vietnamiens, ne pouvant plus compter sur un groupe de rechange au Cambodge même, lancent alors une offensive générale le 25 décembre. Auparavant, le Viêt Nam a signé à Moscou un traité avec l'URSS (3 novembre) et a annoncé la création d'un Front uni de salut national du Kampuchéa (FUNSK) le 3 décembre.
Le 7 janvier 1979, les soldats vietnamiens entrent dans Phnom Penh et, quelques jours plus tard, ils occupent toutes les villes et les grands axes du pays. Le Kampuchéa démocratique s'effondre. Le prince Sihanouk est autorisé à prendre l'avion pour Pékin. Avant de prendre le maquis, Pol Pot a lancé un appel à la guérilla, et son ministre des Affaires étrangères, Ieng Sary, a demandé la convocation d'urgence du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le lendemain de la prise de Phnom Penh, un Conseil révolutionnaire faisant fonction de gouvernement est mis en place, présidé par Heng Samrin, président du FUNSK. Le principal dirigeant est le vice-Premier ministre et ministre de la Défense, Pen Sovan, chef du petit parti communiste provietnamien. L'administration du pays demeure sous tutelle du corps expéditionnaire vietnamien. Le régime prend le nom de République populaire du Kampuchéa.
Le Premier ministre vietnamien se rend à Phnom Penh pour conclure un traité d'amitié (18 février), légalisant la présence vietnamienne et intégrant de fait le Cambodge dans un ensemble indochinois sous l'égide de Hanoi ; un accord similaire sera conclu entre le Cambodge et le Laos (23 mars). Tout en s'affirmant non-aligné, le nouveau régime se place clairement dans le camp soviétique. En avril-mai, l'armée vietnamienne lance une nouvelle offensive qui repousse les Khmers rouges vers la frontière thaïlandaise. De nombreux réfugiés, fuyant les Vietnamiens, mais aussi la faim et la maladie, s'y sont regroupés. Certains sont sous le contrôle d'organisations de résistance ou de groupes armés qui vivent de l'aide internationale et de la contrebande. Car la situation alimentaire et sanitaire a ému l'opinion internationale et l'aide afflue à la frontière, puis vers Phnom Penh.
Battus militairement, les Khmers rouges poursuivent la lutte, soutenus par la Chine, les pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ANASE ou Asean) et par certains pays occidentaux. Cette convergence permet aux Khmers rouges de conserver leur siège aux Nations unies (novembre 1979) et de rester reconnus par la plupart des pays, tandis que la République populaire n'est reconnue que par le bloc soviétique et par quelques pays du tiers-monde dont l'Inde (juillet 1980). Les deux camps se structurent : à Phnom Penh, où Heng Samrin cumule la direction de l'État et du Parti (PPRK, parti populaire révolutionnaire du Kampuchéa), après l'élimination de Pen Sovan (décembre 1981), une Constitution est adoptée (juin 1981), et Hun Sen devient Premier ministre en 1985 ; de l'autre côté, un gouvernement de coalition en exil, constitué en juin 1982, regroupe, sous la présidence du prince Sihanouk, les royalistes du Funcipec (Front uni national pour un Cambodge indépendant, neutre, pacifique et coopératif), les nationalistes de Son Sann et les embarrassants Khmers rouges, dirigés par Khieu Samphan – qui a succédé à Pol Pot en 1979. Étrange alliance d'ennemis, fondée exclusivement sur l'opposition à l'occupation vietnamienne et dont l'équilibre est menacé par la supériorité militaire des Khmers rouges, soutenus par la Chine, via la Thaïlande. Mais, malgré des offensives successives, il s'avère peu à peu que la solution à la crise ne sera pas militaire. Sous la pression internationale – rôle de l'URSS auprès de Hanoi, efforts de la France (rencontre entre le prince Sihanouk et Hun Sen, en décembre 1987) et de l'Indonésie (réunion des quatre factions cambodgiennes à Bogor, en juillet 1988), résolution de l'ONU du 3 novembre 1988 –, les parties en présence s'orientent vers des négociations en vue d'une réconciliation nationale. Non sans mal : la conférence de Paris d'août 1989 est un échec. Cependant, l'essentiel des troupes vietnamiennes quitte le Cambodge fin 1989, alors que Phnom Penh tempère son économie socialiste et que la République populaire du Kampuchéa redevient l'État du Cambodge (avril 1989). En 1990, à l'ONU, les États-Unis retirent leur soutien au prince Sihanouk : ils refusent désormais de voter pour que le siège du Cambodge soit attribué à son gouvernement, en raison de la participation des Khmers rouges à la coalition. Sous la pression internationale, cette participation prend ainsi fin en 1992. Simultanément, à la suite de la tourmente qui bouleverse le monde communiste, le gouvernement provietnamien de Phnom Penh perd l'aide fournie depuis 1980 par l'URSS et le Comecon.
11. La difficile pacification du Cambodge
11.1. Vers une stabilisation politique
Des accords de paix sont finalement signés, à Paris, le 23 octobre 1991. Ceux-ci prévoient des élections en 1993 sous administration de l'ONU. Le Cambodge reste pourtant en état de guerre, et l'Apronuc (Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge) a fort à faire pour organiser le retour à la vie normale – avec, notamment, les questions du rapatriement de 400 000 réfugiés et du désarmement des forces en présence. Le prince Sihanouk devient, en juillet 1991, président d'un Conseil national suprême (CNS), dont les postes sont également répartis entre les deux gouvernements rivaux – et non entre les quatre factions, comme le réclamaient les Khmers rouges. En novembre 1991, le prince et le CNS s'installent à Phnom Penh. Le PPRK, transformé en parti du Peuple cambodgien (PPC, toujours provietnamien), se prononce pour le multipartisme, et Heng Samrin laisse la direction du parti à Chea Sim.
Malgré la permanence du climat de violence et l'obstruction des Khmers rouges, des élections sont organisées en mai 1993. Avec une forte participation, elles donnent la victoire au Funcinpec – dirigé par le prince Norodom Ranariddh, fils du prince Sihanouk –, qui l'emporte sur le PPC avec plus de 45 % des voix. Un gouvernement provisoire de coalition est alors mis en place sous la double présidence du prince Ranariddh et de Hun Sen. La nouvelle Constitution, promulguée en septembre, rétablit la monarchie : Norodom Sihanouk est proclamé roi le 24 septembre, puis, respectivement, Norodom Ranariddh, « premier Premier ministre », et Hun Sen, « second Premier ministre ». Malgré le rétablissement de certaines libertés – celle de la presse, entre autres –, le climat politique demeure tendu, et, alors qu'il serait urgent de relancer l'économie, le manque de transparence, la corruption, l'incurie et la violence politique restent omniprésents. La rivalité entre les deux Premiers ministres s'aggrave, chacun d'eux affrontant parallèlement des divisions dans son propre camp.
Arguant de complots royalistes, Hun Sen évince le prince Ranariddh par un coup de force en juillet 1997, suscitant la condamnation de la communauté internationale. Aux élections de juillet 1998, dont l'organisation a été contestée par l'opposition, les 41,4 % des voix du PPC de Hun Sen, contre 31,7 % pour le Funcinpec et 14 % pour le « parti de Sam Rainsy » (PSR, nouveau nom du parti de la Nation khmère fondé en 1995 par cet ancien ministre des Finances exclu du gouvernement puis du Funcinpec), rendent inévitable une nouvelle coalition gouvernementale.
Sous l'égide du roi Norodom Sihanouk, Norodom Ranariddh et Hun Sen parviennent, après plusieurs mois de tractations, à un accord politique (novembre 1998). Les deux principaux partis du pays (PPC et Funcinpec) constituent un gouvernement de coalition, présidé par Hun Sen. Le prince Ranariddh devient président de l'Assemblée nationale.
Le Cambodge commence à réintégrer les organisations régionales et internationales, comme en témoigne son admission au sein de l'Asean en mars 1999. Malgré quelques avancées, il rencontre toujours des difficultés avec ses voisins, la Thaïlande et le Viêt Nam, alors que ses relations avec la Chine, au beau fixe, se resserrent encore par la multiplication de visites de responsables chinois à Phnom Penh (2000-2001).
11.2. Vers un apurement du passé

À partir de 1996, les Khmers rouges, réfugiés à la frontière thaïlandaise, privés de l'aide chinoise et de tout avenir politique, commencent à se rallier en nombre croissant. Certains de leurs chefs, comme Ieng Sary, amnistié, essaient, à la faveur de la rivalité des deux factions gouvernementales, de retrouver une influence politique. Pol Pot, « condamné à la prison à vie » par ses anciens partisans, en juillet 1997, meurt en avril 1998.
Les redditions – ou arrestations, selon le cas – de hauts responsables khmers rouges fin 1998 et début 1999 relancent le débat sur le type de tribunal – national ou international – devant lequel doivent être traduits les responsables des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité commis au Cambodge dans la seconde moitié des années 1970. La solution d'un tribunal national ouvert à une coopération de juges et de procureurs étrangers est finalement retenue. En 2001, l'Assemblée nationale et le Sénat adoptent la législation relative à la création du tribunal, qui est entérinée par le Conseil constitutionnel puis ratifiée par le roi Sihanouk (août).
Après de nombreux échecs, dont le retrait de l'ONU du processus des négociations en mars 2002, faute de garanties sur l'indépendance et l'objectivité du tribunal, un accord est finalement trouvé en juin 2003, prévoyant la création de tribunaux d'exception devant travailler dans le cadre du système judiciaire du royaume, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC). Mais leur mise en place effective se heurte à de nombreux obstacles d'ordre politique, bureaucratique, juridique et financier.
À partir de juillet 2007, cinq hauts dirigeants de l'ancien régime sont inculpés de crimes contre l'humanité ainsi que, pour trois d'entre eux, de crimes de guerre, et mis en détention : Nuon Chea (ex-numéro 2 du régime), Ieng Sary (ex-ministre des Affaires étrangères), son épouse Ieng Thirith (ex-ministre des Affaires sociales), Khieu Samphan (ex-chef de l'État du Kampuchea démocratique) et Kaing Guek Eav, alias Duch (qui dirigea le plus important centre pénitentiaire khmer rouge, le S-21, arrêté en 1999). Le 17 février 2009, avec la comparution de ce dernier en audience préliminaire devant la Chambre de première instance des CETC, s'ouvre ainsi le premier procès d'un dignitaire du régime khmer rouge. Alors que la santé déclinante des accusés (I. Sary meurt en mars 2013) et le manque de moyens financiers font craindre un enlisement général des procédures en cours, il faut attendre février 2012 pour que Duch soit condamné à la prison à perpétuité.
11.3. L'hégémonie du PPC et la division des royalistes
Les élections législatives de juillet 2003 voient la victoire du PPC de Hun Sen (73 députés sur 123), devant le Funcinpec du prince Norodom Ranariddh (26 sièges) et le parti de Sam Rainsy (PSR, 24 sièges). Toutefois, la formation d'un gouvernement se heurte à la majorité des deux tiers imposée en 1993. En novembre, le Funcinpec et le PSR acceptent, sous la pression du roi Norodom Sihanouk, de faire partie d'un gouvernement dirigé par Hun Sen, vice-président du PPC et Premier ministre sortant, mais la crise se durcit en janvier 2004, avec l'assassinat du principal dirigeant syndical du royaume, Chea Vichea. Après l'adoption par les deux chambres d'une procédure controversée de « vote bloqué », l'Assemblée nationale parvient à se réunir et à investir, en juillet, le gouvernement, présidé par Hun Sen. Norodom Ranariddh conserve la présidence de l'Assemblée nationale.
Parallèlement, souhaitant régler sa succession de son vivant afin de préserver l'institution royale, le roi Norodom Sihanouk annonce, en octobre 2004, vouloir prendre sa retraite et voir son dernier fils, Norodom Sihamoni, prendre sa succession sur le trône. Ce dernier est élu par le Conseil du trône le 14, et intronisé le 29.
La même année, le Cambodge, qui a signé avec l'Union européenne un accord concernant l'accès aux marchés en juin 2003, devient, le 13 octobre, le 148e État membre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC).
Dans la perspective des élections législatives de juillet 2008, Hun Sen peut mettre en avant les effets bénéfiques de cette politique de libéralisation (un taux de croissance du PIB de plus de 12 % en moyenne entre 2004 et 2008 selon la Banque mondiale) face à une opposition qui dénonce de son côté la corruption et l'insuffisance des mesures contre la pauvreté ; ces thèmes de campagne sont cependant éclipsés par un différend frontalier avec la Thaïlande autour du temple de Preah Vihear, qui ravive le sentiment nationaliste.
Le PPC l'emporte largement avec 90 sièges devant le PSR (26 députés) qui accuse le pouvoir de fraude. Les sièges restants se répartissent entre le parti des Droits de l'homme (fondé en juillet 2007 par Khem Sokha, 3 sièges), le nouveau parti de N. Ranariddh – alors en Malaisie après avoir été condamné pour abus de confiance et évincé de la direction du Funcinpec – (2 sièges) et ce dernier, désormais réduit, à la suite de ces dissensions, à deux députés. Après confirmation des résultats par la Commission nationale des élections, Hun Sen est reconduit dans ses fonctions. Le prince Ranariddh, gracié, peut rentrer d'exil.
En octobre 2012, la mort de Norodom Sihanouk, auquel les Cambodgiens rendent hommage à Phnom Penh pendant trois mois avant l’organisation des funérailles, clôt un chapitre de l’histoire du pays.
11.4. Les élections de 2013 et la progression de l’opposition
Le PPC conserve officiellement sa majorité aux élections législatives de juillet 2013, mais réalise son plus mauvais score depuis 1998 avec 68 sièges sur 123 contre 55 au parti du Sauvetage national du Cambodge (CNRP, issu de la fusion en 2012 du PSR et du parti des Droits de l'homme) conduit par S. Rainsy. Condamné pour diffamation en septembre 2010, ce dernier avait pu mettre fin à son exil en France après avoir été gracié par le roi et prendre la tête de l’opposition sans être cependant autorisé à se présenter comme candidat.
Réunissant plusieurs milliers de manifestants dans la capitale le 26 août puis les 7 et 15 septembre, l’opposition revendique la victoire avec 63 sièges et exige, en vain, une enquête indépendante sur les irrégularités supposées du scrutin et le climat d’intimidation qui l’a entouré, la commission électorale étant accusée d’être inféodée au pouvoir. Les résultats sont cependant validés par le Conseil constitutionnel. En obtenant un nombre inattendu de voix, le CNRP parvient ainsi à ébranler l’hégémonie et la légitimité du parti au pouvoir. C’est dans un contexte toujours tendu qu’en l’absence des députés de l’opposition qui boycottent la séance de l’Assemblée, Hun Sen est investi pour un nouveau mandat le 24 septembre.

 

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SAINT-PÉTERSBOURG

 


 

 

 

 

Saint-Pétersbourg
Ville de Russie, à l'embouchure de la Neva, chef-lieu de l'arrondissement fédéral Nord-Ouest.
Population : 4 848 742 hab. (recensement de 2010)
GÉOGRAPHIE
La ville de Pierre le Grand
Saint-Pétersbourg est la deuxième agglomération de la Russie après celle de Moscou, l'une des grandes villes mondiales et, parmi les capitales européennes, l'une des plus récentes. Elle offre également un exemple caractéristique d'une création de toutes pièces. L'histoire date sa fondation de mai 1703. Pierre Ier le Grand, en lutte contre l'armée et la marine suédoises, décide de construire une ville au fond du golfe de Finlande, là même où s'élevait un fortin suédois, non loin de l'embouchure de la Neva. Gagnée par les Russes, la guerre du Nord aboutit à la conquête définitive du littoral baltique. La première forteresse russe, appelée « Pierre-et-Paul », construite sous la menace de l'artillerie ennemie, est protégée quelques années plus tard par celle de Kronchtadt, construite sur l'île de Kotline, au point où le golfe n'a qu'une vingtaine de kilomètres de large. Saint-Pétersbourg devient la capitale de la Russie en 1713 ; une académie navale y est fondée en 1718, et une académie des sciences en 1725. Cette année-là la ville compte déjà 75 000 habitants. De cette époque restent le plan et le site primitif, la forteresse Pierre-et-Paul, la « maisonnette » de l'empereur, les premières marques d'un urbanisme de prestige.
La position géographique est favorable aux échanges extérieurs, mais le site, imposé par les circonstances, présente les plus graves inconvénients. Le golfe de Finlande est dominé vers le sud par une côte, ou cuesta, le glint, qui domine une dépression dans laquelle se jette la Neva, émissaire du lac Ladoga, par un delta complexe, divisé en de nombreuses îles de taille variée et inondé lors de la débâcle. Il a fallu drainer les terres, construire les fameux parapets faits de blocs de granité apportés de loin sur des péniches, abattre la forêt marécageuse et dessoucher, creuser des canaux de drainage et de nouvelles voies d'eau qui découpent de nouvelles îles, jeter des ponts (l'agglomération actuelle en compte plus de 600), édifier les premiers bâtiments sur des pilotis, importer des briques de Hollande, puis fonder les premières briqueteries et tuileries.
L'urbanisme monumental a bien tiré parti de ces conditions. La ville contemporaine reste celle du xviiie s. et présente tous les caractères d'une capitale de prestige. L'ensemble s'ordonne en fonction du bassin des bras anastomosés de la Neva (la Grande et la Petite Nevka, la Grande et la Petite Neva), isolant les îles dites Aptekarski (« des Pharmaciens ») et Vassilievski ; puis il rayonne vers le sud et le sud-est à partir de l'ensemble monumental formé, sur la rive gauche de la Grande Neva, par l'Amirauté et l'Ermitage, dessinant des avenues (prospekt) qui traversent quatre canaux semi-circulaires unissant la Neva en amont de son embouchure à l'est au port et à la Grande Neva à l'ouest : successivement la Moïka, le Griboïedov, la Fontanka (le plus large, le plus régulier) et enfin l'Obvodnyï ; ce dernier canal, en grande partie rectiligne, est le plus long, et limite vers le sud le centre de la ville. La perspective la plus longue, la Nevski, est aussi la plus célèbre. Ainsi s'est modelée une ville planifiée, faite pour la Cour, œuvre de Pierre le Grand, poursuivie par Catherine II. Elle apparaît comme la ville des eaux, si bien qu'on a pu la comparer à Venise.
La capitale

Saint-Pétersbourg compte déjà 150 000 habitants à l'avènement de Catherine II (1762) et 400 000 (deux fois plus que Moscou) au moment de l'incendie de Moscou (1812). Pétersbourg est la résidence du tsar. Elle s'entoure de parcs et de châteaux : Tsarskoïe Selo (le « village de l'empereur »), Peterhof (aujourd'hui Petrodvorets). Les souverains sont ensevelis dans la forteresse Pierre-et-Paul. Un commerce et un artisanat de luxe, liés aux besoins de la Cour, se développent. De ce rôle de capitale, la ville a gardé les monuments les plus prestigieux, édifiés et décorés par des artistes étrangers, surtout italiens. On y compte une cinquantaine de musées, une vingtaine de théâtres, et la vie culturelle y reste au moins aussi développée qu'à Moscou. Fondée en 1819, l'université est aujourd'hui la deuxième de Russie après celle de Moscou. Elle groupe de nombreuses facultés, quarante grandes écoles et un grand nombre d'instituts de recherche. Saint-Pétersbourg reste la ville de l'innovation technique, de la mode, de la production de qualité et même de luxe : sa « maison de la fourrure » est fréquentée chaque année par des négociants étrangers. Le travail de la soie, du cuir, du verre, la fabrication de meubles, l'optique et la mécanique de précision restent développés.
La ville du Nord
Par sa position, la ville est considérée comme une capitale du nord des pays russes. Sous le 60e parallèle, elle est déjà une ville septentrionale, ce qui se marque moins par la rigueur des températures de l'hiver, adouci par les dépressions de la Baltique, que par la hauteur de la couche de neige, la durée de l'embâcle de la Neva, la prise de son port par les glaces et surtout la longueur des nuits d'hiver, qui imposent une forte dépense d'électricité : la contrepartie en sont les délices des « nuits blanches » du solstice d'été, au cours desquelles la ville ne dort pas. Les changements et les contrastes de saisons entraînent des activités nouvelles, dynamiques (sport de glace, baignades dans les eaux glacées, célébration des saisons), qui sont l'occasion d'autant de fêtes, plus brillantes qu'à Moscou.
Saint-Pétersbourg est également la ville du Nord par la spécialisation de ses activités intellectuelles. Son université rassemble les étudiants du nord de la Russie et est orientée vers l'étude des problèmes du Nord ; ainsi ont été créés une section de recherche ethnologique pour l'étude des peuples hyperboréens, un institut pédagogique qui a fourni les premiers instituteurs, un institut linguistique et ethnographique des peuples de Sibérie…
Saint-Pétersbourg est devenue non seulement la capitale de la province (oblast) qui porte son nom, mais aussi celle de la « grande région économique » dite « du Nord-Ouest », qui s'étend jusqu'aux rivages de la mer Blanche et de la mer de Barents à l'Oural. À ce titre, elle rassemble les organismes chargés de l'exploitation des régions nordiques : administrations des ressources minières de la péninsule de Kola et des régions de la Petchora, laboratoires de recherche pour les expéditions polaires et la « route maritime du Nord ». Elle commande donc une région très dynamique.
La fenêtre sur l'Occident
Dans une position périphérique par rapport à la vieille Russie, la ville – maritime et opposée à la terrienne Moscou – est demeurée un grand port : les installations s'étendent au débouché de la Grande Neva sur le fond du golfe de Finlande, à la fois sur l'île de Goutouïev et sur celle de Vassiliev, dont les prospekt, anciennes laies forestières, orthogonales, s'ordonnent en fonction des quais. Le port militaire s'est maintenu, en particulier sur l'île de Kronchtadt. Le trafic du port de commerce est composé surtout de bois et de minerais destinés à l'exportation. Le port de voyageurs est devenu une escale importante des croisières de plus en plus nombreuses organisées par les pays occidentaux.
La ville reste, beaucoup plus que Moscou, plus que les autres ports de la Russie, largement ouverte vers l'Europe occidentale. Les mœurs et les techniques de l'Europe furent introduites en Russie par Saint-Pétersbourg. De nombreuses denrées finlandaises importées sont vendues dans les boutiques de la ville. Les étrangers, hommes d'affaires ou touristes, y viennent nombreux. Saint-Pétersbourg a été choisie comme capitale mondiale du mouvement des villes jumelées (elle est jumelée à vingt-cinq autres villes, dont les ports d'Anvers et du Havre). Des congrès et des colloques internationaux s'y tiennent fréquemment. Ainsi apparaît-elle comme une ville plus dynamique, plus ouverte que Moscou. Elle préfigure l'évolution de l'ensemble de la Russie. La culture, la mode (il y a une maison de haute couture), la qualité de la vie y sont plus imprégnées du reste de l'Europe qu'à Moscou. Le taux de motorisation y est plus élevé.
Ainsi Saint-Pétersbourg est-elle la plus extérieure, la plus étrangère des villes russes ; seule, sans doute, Odessa peut lui être comparée.
Le dernier siècle
Saint-Pétersbourg fut la ville de la Révolution précisément parce qu'elle était la ville de la Cour et la ville en rapport avec l'Europe. Des sociétés occidentales y avaient investi des capitaux, implanté des usines, et des compagnies bancaires et d'assurances y avaient établi leur siège. Une classe ouvrière naissante, mais consciente de sa force, bien organisée s'y était développée. La ville connut le « Dimanche rouge » de 1905, et les révolutions de Février et d'Octobre 1917 y éclatèrent. C'est à la gare de Finlande que débarquèrent Lénine et ses compagnons. On suit dans la ville contemporaine toutes les traces, tous les hauts lieux de la révolution bolchevique, pieusement conservés ou transformés en musées : l'Institut Smolnyï, le croiseur Aurore, l'automitrailleuse de marque Renault qui transporta Lénine…
Devenue Petrograd en 1914, Leningrad en 1924 et demeurée la capitale de la Révolution, la ville a dû céder à Moscou, plus centrale, moins exposée, le titre de capitale. Sa population l'emportait encore en 1917 sur celle de sa rivale (2 200 000 hab. contre 1 800 000), mais cette dernière, attirant par ses industries et ses nouvelles fonctions la population rurale des environs, dépassa Saint-Pétersbourg pendant les années 1920. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, Saint-Pétersbourg comptait 3 200 000 habitants, 800 000 de moins que la capitale.
Or, la ville a beaucoup plus souffert de la guerre que Moscou. Durant le siège allemand et finlandais, qui dura 900 jours, la population de Saint-Pétersbourg, bombardée sans cesse par l'artillerie ennemie, et coupée du ravitaillement extérieur, qui s'opérait dans des conditions précaires sur le lac Ladoga gelé, a compté plus d'un demi-million de personnes mortes de froid ou de famine. À la libération, en 1944, l'agglomération avait perdu plus d'un million d'habitants et n'a tout juste retrouvé son niveau d'avant guerre qu'au recensement de 1959. Plus du tiers des maisons (10 000 avaient été détruites ou sévèrement endommagées. Le haut lieu de Piskarev, où sont ensevelies les victimes et qui est devenu un musée des souffrances de la ville, exprime tout le martyre des habitants. Une population nouvelle, plus jeune, est venue habiter la ville, et l'on considère qu'il ne reste plus que le quart des anciens habitants ou de leurs descendants. Mais les nouveaux venus se sont fondus dans la population ancienne, et la ville n'a rien perdu de son esprit traditionnel.
La fonction industrielle
Les industries sont d'abord liées à la fonction portuaire. Le chantier de constructions navales Ordjonikidze est un des plus actifs de Russie. Il construit des cargos, des bateaux de pêche et des pétroliers de petit et moyen tonnage, mais aussi de gros chalutiers et des « usines flottantes » qui parcourent les océans sans relâcher dans les ports russes. Il a lancé le premier brise-glace à propulsion nucléaire, le Lénine, employé pour ouvrir le chenal aux convois de la « route maritime du Nord ».
D'autres industries sont liées au trafic portuaire. Ainsi, le quartier du port commercial est le centre des industries travaillant le bois (meubles, cellulose), dont une partie arrive par voie de mer, l'autre par les lacs et la Neva ; les produits élaborés sont en partie exportés vers l'étranger.
Les matières premières de la presqu'île de Kola alimentent les industries de transformation de la partie septentrionale de l'agglomération. Ainsi, les apatites du massif de Khibiny alimentent le combinat Nevski, qui fabrique des superphosphates, et la néphéline une usine d'aluminium.
La métallurgie est née du port militaire, de l'arsenal de Kronchtadt. On sait que les ouvriers de l'usine Poutilov s'étaient portés à l'avant-garde de la Révolution. Devenue « Kirov », l'entreprise livre des machines d'extraction minière et de l'équipement pour les usines métallurgiques. Les tracteurs de forte puissance employés dans les régions polaires sont fabriqués par une autre entreprise. Elektrossila a fourni des turbines de grande taille, d'abord pour les centrales établies dans la région, sur le Volkhov, ensuite pour les grands ouvrages construits sur la Volga et les fleuves sibériens.
Enfin, plus que Moscou, Saint-Pétersbourg concentre des activités récentes, de qualité et même de luxe, destinées à la consommation urbaine, aux laboratoires de recherche, à l'industrie aéronautique et spatiale, dont une partie de la production est exportée. C'est grâce à la production de la ville que la région du Nord-Ouest assure le cinquième de la production russes des téléviseurs, le tiers de celle des moteurs électriques. L'optique, la mécanique de précision, l'appareillage électroménager, la photographie et le cinéma, l'appareillage téléphonique, les machines-outils pour l'équipement des industries alimentaires et textiles, l'imprimerie et tout ce qui intéresse l'édition, la fabrication de bicyclettes et de motocyclettes sont des secteurs caractéristiques (d'où est exclue toutefois l'automobile, initialement monopolisée par Moscou). Tous imposent un niveau supérieur de technicité, une formation professionnelle poussée des cadres et de la main-d'œuvre. Tous utilisent des quantités relativement faibles de matières premières et livrent des produits de valeur. Tous, enfin, exigent une grande quantité d'énergie ; celle-ci était fournie déjà avant la Révolution par de grosses centrales thermiques recevant du charbon importé par le port ; elle l'est depuis les premiers plans quinquennaux par les centrales hydrauliques du Volkhov et par les centrales construites au terminus du gazoduc venant de Moscou et de Stavropol, et dont l'accroissement de capacité doit permettre le développement d'une nouvelle catégorie d'industries, textiles synthétiques et matières plastiques. La ville joue donc un rôle d'avant-garde dans toutes les branches industrielles, à l'exception de l'industrie lourde.
L'extension de l'agglomération
L'ensemble du territoire de la ville, qui couvre plus de 320 km2, tend à dépasser largement les limites de la ville « historique ». Le centre prend peu à peu le caractère d'une ville-musée et, pour la perspective Nevski, d'une city, où se concentrent bureaux et commerces. Les îles sont consacrées aux espaces verts, aux loisirs (parc Kirov) et au port. Vers le nord, les usines et les ensembles résidentiels qui les entourent tendent à se fondre dans la taïga. Au sud, l'extension se fait le long des voies ferrées et des routes, sous la forme de longs faubourgs, comme le Moskovski, le « faubourg de Moscou ». De nouveaux quartiers remplacent les médiocres quartiers détruits durant la guerre. Un combinat de matériaux préfabriqués, situé près d'un grand espace vert, le « parc de la Victoire », contribue à la progression rapide de l'urbanisation. Mais en dehors des voies de communication subsistent encore des espaces vides. La campagne commence de façon brutale. À ce titre, Saint-Pétersbourg, au contraire de Moscou, est une ville sans banlieue proche.
L'extension de l'agglomération avait posé dès avant 1941 le problème des communications, bien qu'on se soit toujours efforcé de ne pas dissocier lieu de résidence et lieu de travail. Une partie des migrants « pendulaires », si ce n'est la majorité, utilise la voie ferrée. Les grandes gares pénètrent soit jusqu'au bord de la Neva, sur sa rive droite (gare de Finlande), soit à l'extrémité de la Nevski (gare de Moscou), ou enfin, pour le sud, jusqu'au canal Obvodnyï (gares de la Baltique et de Varsovie). La construction d'un métro aussi luxueux que celui de Moscou avait commencé avant la dernière guerre. Deux lignes se croisent à peu près au centre de la ville, et l'on envisage le creusement d'une troisième ligne et d'une rocade. Enfin, les trolleybus, dont le faisceau de lignes se noue sur la Nevski, facilitent les mouvements migratoires. Il est caractéristique que ceux-ci sont moins développés que dans d'autres agglomérations russes : la ville compte moins de 20 p. 100 de sa population active recensée dans les villes dites « spoutnik » (satellites) contre 36 p. 100 à Moscou.
Saint-Pétersbourg et sa région
Il est difficile de définir les caractères et les limites de ce qui serait, par analogie avec Moscou, un « grand Saint-Pétersbourg ». Les autres localités de la région sont de petite taille. Ce sont des centres industriels, animés par l'électricité hydraulique ou la batellerie du système de la Neva, qui unit le port de Saint-Pétersbourg au lac Ladoga (ainsi Kirovsk, Petrokrepost) ; des centres de culture maraîchère et d'élevage laitier pour le ravitaillement de l'agglomération (le long de la route de Moscou, au bord du littoral, dans les clairières de la taïga, où se dispersent aussi scieries et industries du bois) ; des villes-musées, anciens lieux de résidence des tsars (Petrodvorets, Pouchkine, mont Poulkovo [site d'un observatoire], qui sont devenus des localités de datcha ou des lieux de récréation pour la population de Saint-Pétersbourg. En revanche, le port semble paralyser tout développement d'une activité maritime d'importance, au moins jusqu'à la frontière de l'Estonie, au sud, et jusqu'aux abords de Vyborg, au nord. Il semble donc que la ville exerce une action efficace plus sur l'ensemble de sa grande région économique que sur son arrière-pays immédiat. Ce développement relativement limité peut s'expliquer par la perte du rôle de capitale aussi bien que par la modestie, sur le plan international, des activités portuaires. C'est bien pourquoi le sort de la ville dépend étroitement de la politique d'ouverture de la Russie et en particulier de l'élargissement de ses relations avec l'Occident par la voie baltique.
Le climat
Le climat de Saint-Pétersbourg est tempéré de transition, avec des précipitations modérées (559 mm par an), qui tombent surtout en été, et des températures qui oscillent entre 18 °C en juillet et − 8 °C en janvier et février, pour une moyenne annuelle de 4,5 °C.
L'HISTOIRE DE SAINT-PÉTERSBOURG
Appelée parfois la « Venise du Nord » à cause de ses nombreux canaux et de ses quelque 600 ponts, Saint-Pétersbourg est, parmi les métropoles européennes, l'une des plus récentes. Elle offre également un exemple caractéristique d'une création de toutes pièces. L'embouchure de la Neva, peuplée par des Ingriens ou Ijores, est conquise en 1703 par Pierre le Grand, qui veut doter la Russie d'une fenêtre sur l'Europe et d'un port sur la Baltique. La première pierre de la future Saint-Pétersbourg est posée en mai 1703. Dès 1712, Saint-Pétersbourg devient la capitale de la Russie. Elle s'enrichit de nombreux édifices sous Élisabeth Petrovna et Catherine II, et acquiert sous Nicolas Ier la majestueuse physionomie qu'elle a gardée.
À la fin du xviiie s., la ville compte 220 000 habitants environ. Elle assure la majeure partie du commerce extérieur russe (exportation des lingots de fer vers l'Angleterre) et est, avec Kronchtadt, le principal port militaire. Grande ville industrielle (textile, construction navale et mécanique), elle se développe rapidement dans la seconde moitié du xixe s. (usines Poutilov, Nobel, Oboukhov). Elle offre le contraste de ses palais et hôtels aristocratiques, le long des canaux et de la Neva, et de ses faubourgs ouvriers misérables. En 1897, elle compte 1 297 000 habitants, dont 150 000 ouvriers.
Saint-Pétersbourg, qui avait été le théâtre de l'insurrection décembriste (1825), joue un rôle décisif dans les révolutions de 1905 et de 1917. La ville, rebaptisée Petrograd en 1914, est le siège du gouvernement provisoire (mars-octobre 1917) puis du soviet des commissaires du peuple (Sovnarkom) constitué en octobre-novembre 1917 sous la présidence de Lénine. Lors de l'offensive allemande de mars 1918, le Sovnarkom s'établit à Moscou, qui redevient la capitale de la Russie. Menacée par Ioudenitch (1919), ruinée par les destructions de la révolution et de la guerre civile ainsi que par la famine de 1921, la ville se reconstruit et se développe. Elle prend le nom de Leningrad en 1924. Les luttes politiques y sont particulièrement vives et meurtrières à l'époque stalinienne, notamment au sein du comité urbain du parti communiste, présidé successivement par Zinoviev (1921-1926), Kirov (1926-1934) et Jdanov (1934-1948), à la mort duquel une dernière purge y sera organisée en 1949.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Leningrad est investie dès septembre 1941, au sud, par la Wehrmacht, qui prend Schlüsselburg le 8, et, au nord-ouest, par les troupes finlandaises, en Carélie. Une seule voie ferrée, établie sur le lac Ladoga pris par les glaces, la relie à l'intérieur. Ce blocus n'est brisé qu'en janvier 1943 (réoccupation de Schlüsselburg), mais les Allemands ne seront repoussés à 250 km de la cité que lors de l'offensive soviétique du 13 janvier 1944.
En 1991, la ville reprend son ancien nom de Saint-Pétersbourg.
L'ART À SAINT-PÉTERSBOURG
« Fenêtre ouverte sur l'Europe », selon le dessein de son fondateur, la ville de Pierre le Grand occupe, précisément par son caractère européen, une place tout à fait à part dans l'architecture urbaine russe. En outre, son plan géométrique, son unité architecturale et le réseau des canaux qui la traverse contribuent à lui donner un cachet particulier.
En 1709, le tsar créa une « chancellerie des constructions » qui, chargée de proposer des modèles d'édifices, devait veiller à ce que la ville ne se développât pas de façon anarchique, mais au contraire selon un plan bien ordonné. Pierre le Grand, comme par la suite ses successeurs, fit appel à des architectes étrangers, et la plupart des monuments de la cité sont l'œuvre d'Italiens et de Français.
Les premiers bâtiments de la ville furent édifiés en style pseudo-classique par le Tessinois Domenico Trezzini (1670-1734). Plus tard, sous le règne d'Elisabeth Petrovna (1741-1762), triomphe le style baroque : l'Italien Bartolomeo Francesco Rastrelli embellit la ville d'édifices aux façades richement décorées, peintes en vert tendre ou bleu pâle. Sous Catherine II, avec la fondation de l'académie des Beaux-Arts qui exerça une influence dominante sur l'art et l'architecture russes jusqu'au milieu du xixe s., le style baroque est remplacé par le style classique, qu'illustrent les œuvres des Italiens Antonio Rinaldi (1709-1790) et Giacomo Quarenghi (1744-1817), et du Français Jean-Baptiste Michel Vallin de La Mothe (1729-1800). Sous Alexandre Ier (1801-1825) se répand le style Empire avec l'Italien Carlo Rossi (1775-1849), le Français Thomas de Thomon (1754-1813) et les Russes Andreï Nikiforovitch Voronikhine (1759-1814) et Adrian Dmitrievitch Zakharov (1761-1811). À partir du milieu du xixe s., la construction se ralentit et l'on ne bâtit plus que des édifices isolés, parfois assez lourds et s'harmonisant mal avec l'architecture des périodes antérieures.
La forteresse, berceau de la ville, est due à Trezzini, qui y construisit en style hollandais la cathédrale Pierre-et-Paul (1712-1721), refaite en 1750 par Rastrelli. Mais c'est le palais d'Hiver (1754-1762), avec les édifices qui l'entourent, qui imprime à la ville son caractère dominant. Les façades, vert clair et richement décorées, sont l'œuvre de Rastrelli ; l'intérieur fut refait par Vassili Petrovitch Stassov (1769-1848) sous Nicolas Ier. Pour abriter les collections impériales, noyau de l'immense musée actuel, Vallin de La Mothe construisit le Petit Ermitage (1764-1767), que Velten prolongea par le Vieil Ermitage (1775-1784), édifice qui se trouve séparé par un canal du théâtre de l'Ermitage, bâti par Quarenghi en style Empire (1783-1787) ; au-delà se dresse le Nouvel Ermitage (1839-1852), décoré d'immenses atlantes de granite. La place du Palais, avec au centre la colonne Alexandrine, élevée en 1834 par Auguste Ricard de Montferrand (1786-1858) est bordée par les bâtiments de l'État-Major (1819-1847), reliés par un arc de triomphe au ministère des Finances et des Affaires étrangères, œuvre maîtresse de Carlo Rossi. Plus en aval s'élève l'Amirauté, édifice de 1704 reconstruit en style Empire par Zakharov et que domine une tour haute de 70 m avec sa flèche.
Au-delà de l'Amirauté et débouchant sur la rive de la Neva s'étend la place du Sénat (place des Décembristes), bordée par les bâtiments du Sénat et du Synode élevés par Rossi et que relie un arc monumental ; au centre de la place et face au fleuve se dresse la célèbre statue de Pierre le Grand par Falconet. Derrière la place du Sénat, on aperçoit le dôme de la cathédrale Saint-Isaac, construite de 1819 à 1858 par Ricard de Montferrand et qui rappelle Saint-Paul de Londres. Devant l'Amirauté prend naissance une avenue rectiligne de plus de 4 km, l'avenue de la Neva (perspective Nevski). Au début de cette avenue se dresse la cathédrale Notre-Dame-de-Kazan (1801-1811), imitée par Voronikhine de Saint-Pierre de Rome. Plus loin sur la perspective Nevski, le théâtre Aleksandra (théâtre Pouchkine, 1823-1832) forme, avec les bâtiments de la rue Rossi qui s'étend derrière, un ensemble Empire d'une grande unité, œuvre de Rossi. De l'autre côté de la perspective s'élève, en retrait, un palais construit de 1819 à 1825 par le même architecte pour le grand-duc Michel Pavlovitch (aujourd'hui le Musée russe). Au milieu de la perspective, à l'angle du canal de la Fontanka, se dresse le palais Anitchkov (1741-1750) construit par Rastrelli pour le comte Razoumovski et achevé en 1806 par Quarenghi ; à cet endroit, la perspective Nevski enjambe la Fontanka par le pont Anitchkov, décoré des chevaux de bronze de Peter Jacob Clodt.
La perspective aboutit au grand monastère Alexandre Nevski, que domine la cathédrale de la Trinité commencée en 1716 par Trezzini, puis transformée par Ivan Egorovitch Starov (1743-1808). Au nord du monastère, Rastrelli édifia en style baroque, pour l'impératrice Elisabeth, le couvent Smolnyï, terminé vers 1830 par V. P. Stassov conformément aux projets initiaux ; Quarenghi y éleva pour Catherine II l'Institut Smolnyï, qui servit d'état-major lors des journées d'Octobre.
L'aménagement de la pointe de l'île Basile fut confié à Thomas de Thomon, qui y construisit la Bourse (1805-1810) et deux colonnes rostrales décorées de statues représentant la Volga, le Dniepr, le Volkhov, la Neva. De beaux édifices bordent l'île : le Kunstkammer (1718-1734), reconnaissable à sa tour-lanterne bleutée ; l'académie des sciences (1783-1789), de style classique, œuvre de Quarenghi. On peut encore admirer le palais Menchikov (1710-1716), seul hôtel particulier intact de cette époque, et le bâtiment des Douze-Collèges (1722-1742), de Trezzini, par la suite université.
De nombreuses propriétés furent aménagées dans les environs de la ville. Pierre le Grand rêvait d'avoir son Versailles. En 1715, le Français Alexandre Leblond (1679-1719) lui construisit à Peterhof (Petrodvorets) une résidence d'été, agrandie (1747-1752) par Rastrelli ; dans le parc, agrémenté de fontaines, de cascades et de statues, s'élèvent plusieurs petits palais, comme le château de Marly, celui de Montplaisir, le pavillon de l'Ermitage. À Tsarskoïe Selo (Pouchkine), Rastrelli édifia pour l'impératrice Elisabeth un palais (1752-1761) que Catherine II transforma en résidence d'été ; l'intérieur fut refait en style pompéien par l'Écossais Charles Cameron (vers 1740-1812). Quarenghi bâtit dans la même ville le palais Alexandre (1792-1796), qui, à partir de 1811, servira de lycée. C'est à Gatchina, dans le château (1766-1781) élevé par Antonio Rinaldi pour le comte Orlov, que Paul Ier établira sa cour. Charles Cameron construisit le château de Pavlovsk (1782-1786), dont le parc est un des plus beaux de Russie.
De l'époque soviétique datent les larges avenues bordées d'immeubles, les places et monuments dédiés aux révolutionnaires, des édifices comme le théâtre du Komsomol Lénine (1933-1939) ou le théâtre de la Jeunesse (1962).
LES MUSÉES DE SAINT-PÉTERSBOURG
image: http://www.larousse.fr/encyclopedie/data/images/1314726-Saint-
La ville compte de nombreux musées, au premier rang desquels l'Ermitage. Riche d'environ 2 700 000 objets d'art, de la préhistoire au xxe s., c'est un des plus grands musées du monde. Ses collections de peintures françaises (de Poussin à Matisse, avec un très riche ensemble du xviiie s.) sont particulièrement remarquables.
Il faut signaler également le Musée russe (collections d'art russe du xiie s. au xxe s.), le Musée ethnographique (art et artisanat populaire des peuples de l'ex-U.R.S.S.), le musée de la Littérature, le musée de la Marine (dans l'ancienne Bourse), le musée Mendeleïev.


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révolutions européennes de 1848

 

 

 

 

 

 

 

révolutions européennes de 1848


Mouvements insurrectionnels d'inspiration libérale ou démocratique qui tentèrent de mettre fin aux régimes absolutistes de l'Europe et de satisfaire les revendications nationales, notamment en Allemagne, Autriche, Hongrie, Italie, ainsi qu'en France (→ révolution française de 1848).
1. Le « printemps des peuples » (février-mars 1848)
1.1. L’Europe du congrès de Vienne
Un continent cadenassé
Depuis le congrès de Vienne qui, après la fin de l’aventure napoléonienne, a redessiné la carte de l’Europe (1815), celle-ci vit sous le régime de la Sainte-Alliance : entente entre les grandes monarchies (Prusse, Autriche, Russie) pour prévenir tout retour offensif de la France sur la scène internationale, préserver l’Ancien Régime (société d’ordres et absolutisme) des miasmes révolutionnaires et comprimer toute velléité d’émancipation des groupes nationaux. Le Royaume-Uni, seule monarchie libérale et parlementaire, n’adhère pas aux aspects les plus traditionnels de ce programme (notamment la conclusion de la Sainte-Alliance « au nom de la Sainte-Trinité »), mais est attentif à l’équilibre des puissances, nécessaire à la bonne marche des affaires économiques.
Bien qu’ébranlé par des soulèvements en 1820-1822 (Italie, Grèce), et surtout en 1830-1831 (Italie encore, Pologne, Belgique, Allemagne), qui aboutissent à deux indépendances (Grèce et Belgique), cet édifice n’est pas sérieusement remis en cause avant le Printemps des peuples de 1848.
L’imminence d’un nouveau conflit (1846-1847)
Depuis 1846, l'imminence d'un nouveau conflit entre les forces de conservation et les forces de révolution se profile à l'horizon. La Suisse règle par une sanglante guerre civile le contentieux de 1815 : les radicaux, représentants du libéralisme bourgeois, y écrasent le Sonderbund, conservateur et catholique. L'Autriche, attentive aux évolutions des moindres mouvements nationalistes, prend ses précautions. En 1846, elle annexe la république de Cracovie. Un an plus tard, elle occupe Ferrare, dans les États du pape, et jette en prison l'agitateur vénitien Daniele Manin.
1.2. Un mouvement synchrone
La terminologie de 1848 affectionne deux catégories d'expressions. La première rend compte de la soudaineté des événements : c'est l'« explosion », la « vague », la « flambée ». La seconde, à tonalité humaniste, met en valeur l'aspect fraternel et philanthropique des aspirations : « printemps des peuples », « aurore de l'humanité ». De fait, le synchronisme des insurrections (et de leurs échecs), la communauté des revendications, du moins au niveau des principes, et l'interdépendance des régimes révolutionnaires ont frappé les contemporains et ont longtemps influencé les jugements de l'historien.
La vague révolutionnaire (février-mars 1848)
Le signal des révolutions est donné à Palerme le 12 janvier 1848. Une insurrection à dominante séparatiste y éclate, et la Sicile réclame le retour au régime libéral de 1812 et le rejet de la tutelle napolitaine. En quelques mois, successivement, la vague insurrectionnelle atteint la France (22-24 février), où la monarchie de Juillet est renversée et la IIe République proclamée, l'Autriche (13 mars), la Prusse (18-21 mars) et, par voie de conséquence, les absolutismes satellites de Vienne en Italie (Parme, Modène, Toscane) ou en Allemagne. Les « nations » tchèque et hongroise se soulèvent.
Des revendications libérales et nationalistes
Le processus revêt à peu près partout des analogies frappantes. L'insurrection est surtout urbaine, populaire, à encadrement bourgeois et universitaire. Dans un premier temps, les principales revendications réformatrices se résument à l'octroi d'une Constitution à base censitaire et à la reconnaissance des libertés fondamentales (de réunion et de presse). C'est dire le caractère modéré et bourgeois du mouvement initial. Enfin, les exigences libérales se doublent d'exigences nationales et unitaires, propres à assurer le respect de la personnalité historique, ethnique et linguistique des minorités opprimées par le pouvoir central.
1.3. Un tour d’Europe
L'Italie
L'Italie, cette « expression géographique », selon le mot cruel du chancelier autrichien Metternich, sous la dure domination autrichienne, voit s'effondrer les régimes absolutistes. Le grand-duc de Toscane Léopold II, le roi des Deux-Siciles Ferdinand II, le pape Pie IX et le roi de Piémont-Sardaigne Charles-Albert dotent leurs États respectifs d'institutions plus ou moins libérales. Venise et Milan se soulèvent victorieusement contre l'occupant militaire autrichien. Venise instaure la république sous la direction de l'avocat Manin, et Milan confie un gouvernement provisoire à une oligarchie libérale de grands propriétaires favorables à l'influence piémontaise.
L'Autriche
En Autriche, la fuite de Metternich consacre l'effondrement des principes réactionnaires du système de 1815. L'empereur Ferdinand Ier doit mettre en chantier une Constitution et faire face dans le même temps à la virulente pression autonomiste.
En Hongrie, qui fait partie de l’Empire d’Autriche, un gouvernement national se forme, rassemblant les représentants libéraux de la noblesse (→ Ferenc Deák, József Eötvös) et ceux de la fraction démocratique groupée autour du journaliste Lajos Kossuth, chef du parti radical. Des réformes capitales sont promulguées (liberté de presse et de réunion, abolition du servage et rachat des redevances seigneuriales). Le 11 avril 1848 naît un État unitaire hongrois, composé des pays de la couronne de saint Étienne, provinces croates et transylvaines comprises.
La Bohême, de son côté, obtient, par une charte ratifiée par Vienne le 8 avril, la reconnaissance de l'égalité civile et administrative des Tchèques et des Allemands.
Les États allemands
Les ministères de mars. Dans les États allemands, la vieille Confédération germanique de 1815 et son organe suprême, la Diète, instrument de la domination autrichienne, semblent disparaître sans coup férir. Partout s'installent les « ministères de mars ». Dans certains États, la révolution consiste en une simple passation des pouvoirs, en un remaniement ministériel opéré en douceur au profit des dirigeants de l'opposition bourgeoise et modérée. C'est le cas de la Saxe, de la Hesse, du Wurtemberg. Ailleurs, il faut forcer la décision, comme en Bavière, où le roi Louis Ier abdique.
L'aile marchante du parti révolutionnaire est assez composite. Artisans, étudiants et petits-bourgeois des villes, groupés dans des associations démocratiques, constituent le gros de la troupe. Les Turner, sociétés de gymnastique paramilitaires et d'esprit pangermaniste, se chargent des opérations de rue et des assauts contre les palais et les bâtiments administratifs.
Le tournant en Prusse. À vrai dire, le déferlement des jacqueries, de ces soulèvements paysans contre les redevances seigneuriales qui éclatent entre Main et Neckar dès janvier 1848 a été pour beaucoup dans la rapide capitulation des princes les plus intransigeants. Berlin, le dernier bastion de l'absolutisme, cède après la sanglante insurrection du 18 mars. Frédéric-Guillaume IV entérine le vote, par le Landtag prussien, des libertés fondamentales. Qui plus est, le Landtag vote un projet d'Assemblée nationale élue au suffrage universel, consacrant par là le triomphe apparent d'un mouvement national et unitaire, aux antipodes de la politique traditionnelle d'intérêts dynastiques de la maison de Prusse des Hohenzollern.
Un mouvement panallemand. Ce mouvement est l'héritier des grandes batailles patriotiques de 1813 (victoire de Leipzig sur Napoléon, commémorée en 1817, en même temps que le tricentenaire de la Réforme de Luther, dans la fête de la Wartburg, au cours de laquelle ont été brûlés les écrits et les symboles réactionnaires) et de 1817, revigoré par la crise franco-allemande de 1840 (autour de la question du Rhin fleuve français ou allemand), avait pris naissance en Bade dès février 1848.
À Mannheim d'abord, à Heidelberg ensuite, des réunions enthousiastes de bourgeois libéraux et radicaux débouchent sur un projet de réforme des institutions fédérales. Le 31 mars, un Préparlement (Vorparlament) est élu, destiné à mettre sur pied une Chambre panallemande, à abroger le statut de la Confédération et, par là, à rayer de l'histoire le particularisme d’une Allemagne éclatée en de multiples États.
2. La crise du mouvement libéral et national (mai-août 1848)
En quelques mois pourtant, la situation va se retourner complètement en faveur des forces de la réaction. Une seconde vague de revendications, bien plus radicales cette fois, va déferler sur les États, tentant d'imposer aux faibles régimes libéraux l'adoption de réformes démocratiques et sociales. D'autre part, les mouvements nationaux, confrontés aux réalités, vont se désagréger sous le poids des séparatismes, des rivalités de tendances ou des ambitions dynastiques.
2.1. En Italie
La « guerre sainte » de Charles-Albert
Charles-Albert, roi de Piémont-Sardaigne, se faisant le champion de l'unité italienne lance contre les Autrichiens une véritable croisade patriotique, la « guerre sainte », à laquelle se rallient quelques milliers de volontaires enthousiastes venus de toute la péninsule et, à leur corps, défendant, la plupart des autres États italiens, qui envoient des contingents symboliques (24 mars 1848). L'opération, sous ses couleurs patriotiques, dissimule mal l'impérialisme dynastique inavoué de la maison de Savoie.
Elle emporte en tout cas l'adhésion de la Lombardie et de Venise, lasses de la domination autrichienne, qui votent leur annexion au Piémont, ainsi que celle des partisans divisés, mais confiants, du Risorgimento (mouvement de « resurgissement », prônant l’unité de l’Italie) : néo-guelfes, qui rêvent d'une monarchie fédérale sous la direction du pape ; mazziniens, qui veulent un État républicain, démocratique et centralisé, et qui, minoritaires, se résignent à soutenir l'albertisme à son apogée.
Le coup d’arrêt pontifical

Le 29 avril, un coup sévère est porté à l'action en cours, lorsque Pie IX, dont l'élection en 1846 avait pourtant été saluée comme un succès libéral, condamne solennellement la croisade et rappelle le contingent pontifical. Encouragé par ce qui constitue dans l'histoire de 1848 le premier acte de résistance de la contre-révolution, Ferdinand II des Deux-Siciles renvoie son gouvernement libéral, dissout la Chambre et restaure avec brutalité l'ordre traditionnel (15 mai). C'est le signal de la débandade.
La Sicile prononce pourtant la déchéance de Ferdinand et choisit comme successeur le fils de Charles-Albert (juillet). Ce geste de Palerme est en fait un repli stratégique et séparatiste à l’égard de Naples, pas un ralliement à l'idéal unitaire. Le 25 juillet, l'armée piémontaise est battue à Custoza. C'est la fin du grand rêve de l'« Italia fara da se » (« l’Italie se fera par elle-même »).
La rupture du front du Risorgimento

L'enthousiasme retombe, et la déception alimente la propagande de Mazzini, qui rend les libéraux responsables de la défaite. Le parti démocratique récupère la rancœur nationaliste, tandis que surgit à l'extrême gauche une agitation d'inspiration sociale, dirigée par des sociétés secrètes « communistes ». Gênes, Livourne, Florence sont le théâtre de manifestations violentes contre la hausse des prix et le chômage.
À Rome, mazziniens et modérés se déchirent. L'assassinat du ministre Pellegrino Rossi, un libéral qui a vainement tenté de suivre une politique centriste, est le signal de la révolution (15 novembre). Le pape refuse de céder aux révolutionnaires, qui exigent la constitution d'un régime démocratique et la déclaration de guerre à l'Autriche. Il s'enfuit à Gaète sous la protection du roi de Naples et appelle les puissances à la reconquête de son État.
2.2. Autriche-Hongrie
La monarchie impériale des Habsbourg doit faire face à deux adversaires principaux : les démocrates viennois d'abord, les Magyars ensuite. Pour ce faire, elle va tenter de s'appuyer sur les éléments slaves, encore largement respectueux des droits sacrés de la couronne habsbourgeoise et adversaires résolus des Hongrois.
L’œuvre des démocrates viennois
Le 22 juillet, l'Assemblée constituante (Kremsier) se réunit à Vienne. Élue au suffrage universel, elle comprend une large majorité de députés, représentant les éléments paysans d'origine slave. La gauche viennoise et les Slaves coalisés emportent une décision capitale : l'abolition du servage et des corvées ainsi que le rachat des redevances seigneuriales. C'est la fin théorique de l'Ancien Régime économique, la nuit du 4-Août de l'Empire. Mais le bloc révolutionnaire se désagrège rapidement. Vienne est le théâtre d'une première insurrection ouvrière, durement réprimée par la garde nationale bourgeoise.
La Hongrie sur la voie de l’indépendance

La Hongrie, sous l'impulsion des radicaux de Kossuth, s'engage dans la voie d'une indépendance totale. Le gouvernement de Pest vote des lois militaires, émet une monnaie nationale et établit de son propre chef des relations diplomatiques avec un certain nombre d'États européens. Sans tenir aucun compte des aspirations des minorités croates, serbes ou roumaines, la Diète magyare légifère dans l'intérêt exclusif de la nation hongroise. Faute capitale qu'utilise à fond le gouvernement impérial. Le 3 octobre, celui-ci dissout la Diète de Pest, proclame l'état de siège et confie les pleins pouvoirs à Josip Jelačić, le ban croate, âme de la lutte antimagyare.
2.3. En Allemagne
Le Parlement de Francfort
Le Préparlement (31 mars-3 avril) a cédé la place à un Parlement national, qui siège à Francfort (18 mai). Composée de près de 400 intellectuels – les Akademiker – sur 573 représentants, cette Assemblée se voue à la discussion des innombrables projets de réforme fédérale ; se distinguent dans ces débats juridico-historiques les universitaires Friedrich Christoph Dahlmann et Georg Gervinius (1805-1871).
En juin, on aboutit à la création d'un pouvoir central, confié à un vicaire du Reich et à un gouvernement unitaire. Mais, en l'occurrence, le vicaire est l'archiduc Jean de Habsbourg, oncle de l'empereur Ferdinand Ier, et le nouveau cabinet, après quelques essais infructueux de personnalités libérales, est confié à Anton von Schmerling, un conservateur austrophile, de réputation autoritaire.
Ce n'est qu'en octobre que le Parlement aborde la discussion de la Constitution du futur Reich.
La réaction
Pendant ce temps, les vaincus de mars et les fonctionnaires de la Diète, nullement privés de leurs moyens d'actions réels, s'emploient à torpiller les projets de réforme. Les princes relèvent la tête. Nombre de bourgeois modérés sont inquiets de la révolution sociale qui s'annonce (émeute ouvrière du 15 juin à Berlin, congrès des artisans et des compagnons à Francfort en juillet et en septembre).
La question du Schleswig-Holstein
Surtout, le mouvement unitaire paraît dégénérer en un sursaut pangermaniste peu soucieux du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. En effet, les duchés danois, Schleswig et Holstein, sont le théâtre d'une âpre lutte d'influence entre la minorité allemande, désireuse d'entrer dans une nouvelle Confédération à titre d'État autonome, et le parti danois, furieusement antiallemand et partisan d’une incorporation au Danemark. Le 24 mars, la minorité allemande constitue un gouvernement provisoire à Kiel. La Diète proclame alors l'incorporation du Schleswig à la Confédération ! Étrange « révolution » allemande, qui laisse légiférer des organismes renversés depuis mars, alors qu'elle s'évertue à les déclarer caducs… Les forces militaires fédérales sous direction prussienne sont alors lancées contre les armées danoises (avril 1848).
3. La victoire de la réaction (septembre 1848-mai 1849)
Le retour en force des courants conservateurs s'était déjà manifesté depuis mai à Naples et depuis juin à Paris (basculement dans la République conservatrice, après la répression des journées ouvrières), ainsi qu’à Prague. En Bohême en effet, le Congrès panslave, réuni le 2 juin, avait été dissous par les armées autrichiennes vingt-six jours plus tard. Mais il ne s'agissait là que de péripéties ne remettant pas en cause la marche des idées nouvelles. Le destin des révolutions fut scellé quand les dynasties de Berlin et de Vienne prirent la direction des opérations en vue de refouler définitivement les « forces d'anarchie ».
3.1. Italie
L’initiative aux démocrates
C’est désormais la tendance démocratique qui a pris en charge les aspirations nationales. En Toscane, le 8 février 1849, la république de Francesco Guerrazzi se substitue au gouvernement du grand-duc Léopold II, tandis qu'à Rome Mazzini fait proclamer à son tour la république le 9.
La fin de Charles-Albert

Oublieux des leçons de Custoza et en dépit de son total isolement, Charles-Albert reprend alors la guerre contre l'Autriche. Le 23 mars 1849, c'est le deuxième et irréparable désastre de Novare. Le roi de Piémont-Sardaigne doit abdiquer au profit de son fils Victor-Emmanuel II. La monarchie sarde ne conserve son indépendance et son régime constitutionnel que grâce à la pression conjuguée de la France et de la Grande-Bretagne.
L’écrasement des mouvements révolutionnaires
Les armées impériales continuent sur leur lancée et s'emparent successivement de Parme, de Modène et de la Toscane. La Sicile capitule en mai 1849, et Venise après un siège de quatre mois (22 août). Enfin, Pie IX est restauré dans la plénitude de son pouvoir par l'expédition française d'Oudinot, détournée de son but originel (juillet). Une abominable réaction se déchaîne dans toute la péninsule, où toutes les réformes, même les plus modérées, sont abolies. L'Italie est rejetée trente ans en arrière.
3.2. En Autriche
La répression de l’insurrection viennoise


La solidarité entre les démocrates viennois et les révolutionnaires hongrois se manifeste de façon éclatante à l'annonce des mesures prises par Vienne contre le jeune État magyar. Une insurrection éclate le 23 octobre 1848 dans la capitale. On tente d'empêcher le départ des renforts pour la Hongrie. Il faudra plus d'une semaine pour que le maréchal Windischgrätz rétablisse l'ordre à Vienne, au prix d'un affreux carnage. Ferdinand Ier, incapable et discrédité, doit abdiquer le 2 décembre au profit de son neveu François-Joseph.
Le retour à l’ordre
Ardent partisan de l'ordre, le nouvel empereur choisit un président du Conseil autoritaire et ultraconservateur, Schwarzenberg, qui manifeste un zèle redoutable dans les opérations répressives. Des centaines d'ouvriers sont condamnés de manière expéditive par des tribunaux militaires en fonction de lois datant de… 1814. On fusille ensuite les démocrates étrangers, comme Robert Blum, le leader de la gauche catholique allemande, malgré les démarches du Parlement de Francfort.
Une nouvelle Constitution unitaire
Le 7 novembre, le Reichstag autrichien est dissous, et cet acte, purement arbitraire, qui annonce le retour au despotisme, est suivi, quelques mois plus tard, de l'octroi d'une Constitution réorganisant l'Empire. Désormais, l'Empire ne constitue qu'un État unitaire, officiellement composé d'un seul peuple, mais reconnaissant l'existence de groupes parlant des langues différentes. Certes, on reconnaît l'égalité des sujets devant la loi et l'on proclame le respect des langues allogènes. Mais l'Empire est divisé en « États » brisant les cadres historiques traditionnels : il n'y a plus de pays de la couronne de saint Étienne ou de saint Venceslas, mais la Hongrie, purement magyare désormais, la Croatie, la Transylvanie, la Bohême, disposant de droits égaux et d'une représentation propre au sein du futur Parlement d'Empire.
L’échec de l’indépendance hongroise
C'était porter un coup fatal aux droits historiques de la Hongrie et démembrer son territoire. C'était surtout la fin de la noblesse magyare, ruinée par l'abolition du servage, que confirmait cette Constitution, pourtant fort peu libérale. Soulevée d'indignation, la nation magyare appuie le radicalisme intransigeant de Kossuth. Le 14 avril, l'indépendance est proclamée. Dans un premier temps, l'armée régulière, la Honvéd, aidée des légions de volontaires étrangers, repousse les Impériaux. Mais François-Joseph fait alors appel au tsar, et, le 13 mai 1849, les troupes de Nicolas Ier entrent en Hongrie. Il leur faudra quatre mois, à vingt contre un, pour venir à bout de leurs adversaires, tandis que l'Europe s'enflamme pour le geste héroïque des compatriotes de Kossuth. La restauration de l'ordre impérial dans les plaines danubiennes prend des allures de Saint-Barthélemy de la noblesse nationale.
3.3. En Allemagne
Le Parlement de Francfort discrédité
Le Parlement de Francfort poursuit sa tâche avec ardeur et crée sur le papier une série de ministères et d'administrations, charpente du Reich de demain. Au fil des événements, il apparaît de plus en plus comme une entité marginale, totalement dépourvu de moyens d'action réels. Quand, le 26 août 1848, l'armistice de Malmö est signé avec le Danemark, l'opinion publique, en particulier démocrate, l'interprète comme une reculade prussienne et une trahison à l'égard de la nation allemande. La fureur nationaliste éclate (barricades à Francfort, émeutes en Bade). L'ordre est maintenu grâce aux contingents austroprussiens appelés en catastrophe par… le ministère du Reich (septembre). Ainsi, un des premiers actes du nouveau pouvoir central unitaire est d'avouer officiellement son impuissance en quémandant le secours des forces traditionnelles de l'ex-Confédération ! On conçoit que son image de marque n'en ait pas été rehaussée.
L’affaissement de la révolution en Prusse
En Prusse aussi, l'euphorie de mars s'est vite dissipée. À leur tour, les modérés s'inquiètent de la tournure prise par les événements, en particulier de la montée du parti démocratique et de l'activisme ouvrier. Les classes moyennes et la paysannerie s'effrayent de l'agitation lancée par les démocrates berlinois, dont la propagande par les clubs et la presse se fait chaque jour plus audacieuse. De leur côté, les associations ouvrières (Arbeiterverein), alors en plein essor, suscitent de puissantes manifestations revendicatrices, et les échos de leurs congrès contribuent à entretenir la peur sociale.
La réaction relève la tête
Encouragée par les succès de l'ordre en Europe, les forces de réaction prussienne, junkers, bureaucrates et militaires, soutenus par la Cour et l'Église luthérienne, reprennent du terrain. Le 8 novembre, Frédéric-Guillaume IV constitue un ministère autoritaire (Friedrich Wilhelm von Brandenburg et Otto von Manteuffel), qui dissout l'Assemblée le 5 décembre.
Grande Allemagne contre petite Allemagne
Partout les princes s'emploient à reconquérir leur pouvoir, usurpé depuis mars, et à torpiller les projets que le Parlement de Francfort élabore péniblement, en particulier la Constitution discutée depuis octobre. Après s'être mis d'accord sur l'idée de confier la dignité suprême du futur Reich à un empereur, les délégués commencent à se diviser en austrophiles et en prussophiles. Il y a les « Grands Allemands » (un Reich englobant l'Autriche dans sa totalité, y compris ses États slaves) et les « Petits Allemands » (un Reich sous direction prussienne, restreint aux territoires germanophones).
La fin du parlement de Francfort
Le 28 avril 1849, malgré un vote favorable de l'Assemblée prussienne et le ralliement de la plupart des autres États, le roi de Prusse refuse la couronne impériale.
Manifestation d'hostilité sans réserve à l'égard d'une institution d'origine libérale ? Officiellement oui. Mais surtout volonté d'éviter de la part du Hohenzollern une rupture inévitable avec la monarchie autrichienne, plus puissante que jamais. La Constitution du Reich restera lettre morte, et la « Realpolitik » balaie les principes généreux et illusoires qui l'avaient inspirée.
Le Parlement de Francfort, en butte aux attaques de la réaction, amputé des représentants autrichiens et prussiens, se survit péniblement. Réfugié à Stuttgart, puis à Karlsruhe, il disparaît en juin 1849, dans la dernière et violente tourmente révolutionnaire.
L’ultime poussée révolutionnaire (mai-juillet 1849)
En effet, en mai, trois soulèvements se produisent simultanément au nom de la défense de la Constitution du Reich : en Saxe, à Dresde, où le mouvement républicain, auquel participe le jeune compositeur Richard Wagner, est brisé en une semaine ; dans le Palatinat et le Bade. Dans ces deux États, le soulèvement est le fait de la population tout entière, appuyée par l'armée régulière, et aboutit à la constitution d'un gouvernement d'inspiration radicale et nationaliste, arborant le drapeau noir-rouge-or. C'est une véritable campagne militaire que les Prussiens, désormais gendarmes de l'Allemagne, sont obligés de mener contre les insurgés, auxquels s'est ralliée l'armée régulière badoise, ardemment patriote. En juillet, au moment même où s'écroule la Hongrie, le Bade doit s'avouer vaincu. La révolution allemande est terminée.
4. Explications et interprétations des révolutions de 1848
4.1. 1848 et la conjoncture économique
Le synchronisme des événements de 1848 doit être replacé dans le cadre d'une dépression économique généralisée à toute l'Europe et affectant toutes les structures existantes, archaïques ou développées, agraires ou industrielles.
La crise agricole
La crise atteint son point culminant à partir de 1845, quand une succession de mauvaises récoltes, due à des accidents climatiques, entraîne sur les marchés une flambée de prix. L'augmentation du prix des grains et de la pomme de terre atteint souvent 100 p. 100 en Allemagne, en France, en Flandre, en Irlande.
Cette crise des subsistances témoigne de la persistance de l'Ancien Régime économique, qui domine encore dans la plupart des États, Grande-Bretagne exceptée. Des troubles agraires d'une exceptionnelle violence éclatent, qui vont des attaques de convois de grains à de véritables jacqueries, comme celles qui s'étendent dans le sud-ouest de l'Allemagne ou dans les provinces ruthènes.
La crise commerciale et industrielle
La crise agricole est relayée en 1847 par une crise commerciale et industrielle. Dans cette Europe des temps précapitalistes, les moyens monétaires sont rares, le crédit est inorganisé et l'argent cher. Les ponctions opérées sur les caisses publiques par les autorités pour acheter des grains, en particulier sur le marché russe, ont vidé les réserves et entraîné une dislocation des circuits. Faute de crédit, les entreprises ferment. La fièvre spéculatrice née de l'essor des chemins de fer retombe brutalement. C'est la déroute des sociétés par actions et une cascade de faillites sans précédent.
La crise sociale
Toutes les couches de la société sont frappées, peuples des campagnes et des villes, artisans et manufacturiers, ouvriers et bourgeois. La misère s'installe autour des centres industriels (verreries de Bohême, métallurgie saxonne, textile rhéno-westphalien, chantiers navals génois).
Cette crise profonde a réveillé les antagonismes multiples, un moment assoupis. Le mécontentement explose contre les systèmes en place, contre les autocraties, rendues responsables des injustices et des archaïsmes, contre les tutelles étrangères, qui s'expriment souvent par le maintien d'une domination économique de type colonial.
4.2. 1848 : fraternité universelle ou égoïsme sacré ?
La légende dorée du Printemps des peuples
L'historiographie de 1848 a longtemps privilégié le rôle des idéologies et fait une large part à l'imagerie naïve et sécurisante : une internationale de peuples fraternellement unis dans la reconquête de leurs droits, de ce fameux droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, fondement de l'idéal démocratique. On a insisté sur la solidarité incontestable qui a uni parfois les combattants, sur l'initiative exemplaire des légions de volontaires, traversant fleuves et montagnes pour voler au secours de l'une ou l'autre révolution en danger. Belle préfiguration de l'internationalisme du xxe s. que l'action du Polonais Józef Bem, successivement à la tête de l'armée sicilienne et d'un corps d'armée hongrois, ou celle de son compatriote Ludwik Mierosławski !
Chauvinisme hongrois, panslavisme et modernisme autrichien
Conformément à ce schéma, la lutte libératrice du peuple hongrois a été parfois sacralisée. C'est oublier un peu vite que le combat du nationalisme magyar s'inspirait de la volonté de maintenir l'état de servitude sur un million de serfs croates, slovaques, ruthènes, roumains ou serbes. La noblesse hongroise, essentiellement formée de petits gentilshommes campagnards, était d'autant plus farouchement attachée à ses privilèges seigneuriaux que l'évolution économique entraînait une irrémédiable chute de ses revenus. La haine de l'oppression autrichienne tenait aussi au déséquilibre des échanges imposé par Vienne (« exclusif » sur les produits agricoles et les matières premières achetées à bas prix). Quant au droit des peuples, la nation hongroise l'interprétait dans un sens éminemment restrictif, en imposant par exemple à la Diète de Pest l'emploi exclusif du magyar, rejetant dans les ténèbres extérieures les allogènes slaves ou roumains.
Au chauvinisme hongrois va s'opposer le panslavisme, la lutte libératrice des Croates et des Tchèques, devenus paradoxalement le soutien de la monarchie des Habsbourg. Autre ambiguïté de la situation : Vienne, en brisant le mouvement des nationalités, visait à faire éclater les structures archaïques de son économie agraire pour entreprendre sa révolution industrielle et entrer de plain-pied dans le capitalisme modernisateur.
En Italie, les particularismes plus forts que l’unitarisme
Les fondements économiques des révolutions sont tout aussi perceptibles en Italie. L'Autriche avait installé une série de barrières douanières qui lésaient en premier lieu le Piémont et les intérêts de l'aristocratie sarde, politiquement conservatrice, mais ralliée au capitalisme agraire, à l'instar des landlords (grands propriétaires terriens) britanniques. La libération de la tutelle autrichienne et l'unité apparaissaient bien comme l'expression de revendications socialement et géographiquement particularistes.
D'ailleurs, la lutte du peuple italien doit être ramenée à ses justes dimensions. L'immense majorité des habitants de la péninsule, à savoir les paysans, est restée à peu près totalement en dehors du mouvement. Mieux encore, c'est dans un esprit antiréactionnaire que les paysans toscans se sont soulevés à l'appel du clergé contre la république de Florence en avril 1849.
D'ailleurs, il semble que l'influence du courant unitaire ait été bien inférieure à celle des traditions particularistes. Le séparatisme sicilien et les réserves de Venise à l'égard des projets d'annexion au Piémont le confirment bien. À l'exception d'une poignée de bourgeois et d'universitaires, l'inculture politique était générale, et les modes de pensées, forgés par des siècles d'attachement au campanilisme, constituaient des obstacles à l'unité tout aussi efficaces que les baïonnettes autrichiennes.
En Allemagne, une révolution de la bourgeoisie d’affaires
Les causes de l'échec des révolutions en Allemagne s'apparentent avec évidence à celles de l'Italie et de l'Autriche. Le mouvement libéral et unitaire a été initialement l'expression de la bourgeoisie d'affaires, rhénowestphalienne surtout, bloquée dans son développement par le maintien des structures absolutistes et particularistes. En un sens, la révolution de mars, impulsée par les grands bourgeois David Hanseman (1790-1864) et Ludolf Camphausen, est le complément logique du Zollverein.
En son temps, Friedrich Engels avait attribué l'échec du mouvement à la trahison de cette même bourgeoisie, qui, devant la montée du mouvement ouvrier, avait procédé à un complet renversement des alliances au cours de l'été 1848, en se jetant dans les bras des bureaucrates conservateurs. Loin de pousser jusqu'au bout la logique de la révolution bourgeoise, comme dans la France de 1789, industriels et banquiers avaient reculé devant les conséquences d'un bouleversement décisif des superstructures politiques.
L’attachement des révolutionnaires allemands à la notion d’État
Les travaux postérieurs de Edmond Vermeil et de Vincent Valentin ont mis en valeur un aspect original et non moins fondamental de la vie politique allemande, à savoir l'attachement à la notion d'État et d'autorité. L'idéologie dominante, enseignée dans les prestigieuses universités d'outre-Rhin, donnait le rôle primordial à l'État, considéré comme la réalité suprême, au-delà des petitesses individuelles et des idéaux centrifuges. L'État, entité dominatrice et collective, fondait en un seul bloc les énergies et les forces spirituelles pour un plus grand destin du Deutschtum.
L'élite bourgeoise et intellectuelle, totalement imprégnée de ce syncrétisme hégéliano-kantien, condamnait l'absolutisme non parce qu'il opprimait l'individu, mais parce qu'il retardait l'inéluctable triomphe de l'État moderne, non parce qu'il était l'antithèse de la Déclaration des droits de l'Homme, mais parce qu'il interdisait la participation à la vie de la cité, interprétée comme un devoir supérieur, un impératif catégorique. On comprend mieux dans ces conditions l'étrange timidité des « révolutionnaires » de Francfort, prorogeant les pouvoirs de la Diète et des princes, et respectant au nom de l'histoire les « glorieuses dynasties ».
4.3. Luttes de classes et socialisme de 1848
Une dimension sociale indéniable
L'aspect social dans les révolutions de 1848, hors de France, bien qu'apparemment secondaire, n'en a pas moins été partout présent. Dans les régions en voie d'industrialisation et à des degrés divers suivant les zones géographiques, la condition misérable faite aux ouvriers des manufactures comme l'appauvrissement continu des artisans ont entraîné des manifestations plus ou moins violentes contre l'ordre social et politique établi. En Rhénanie, en Saxe, en Bohême, des émeutes ont éclaté sporadiquement tout au long de l'année 1848. Des associations ouvrières, groupant les travailleurs des différents statuts, se sont constituées avec une rapidité qui tranchait sur l'atonie relative des années antérieures.
Des revendications très mesurées
Mais la nature des revendications formulées restait fondamentalement réformiste (protection sociale, garantie du salaire, ouverture d'ateliers ou de chantiers par l'État). Le poids de l'artisanat et des modes de pensée de caractère artisanal canalisait souvent les exigences non pas vers la prise en main collective, par la classe ouvrière, des instruments de production, mais bien vers l'accession individuelle ou coopérative de ces mêmes moyens. C'est ce qui ressort ainsi du programme de la puissante Association des travailleurs berlinois, dirigée par un homme d'envergure, Stephan Born (1824-1898), le type même de l'ouvrier quarante-huitard allemand.
Un socialisme modéré
L'attitude réaliste de Karl Marx, alors théoricien parmi d'autres, mais militant en vue du mouvement révolutionnaire, confirme bien cette vision des choses. Marx était très au fait de la situation du prolétariat allemand, de sa faiblesse et de ses conceptions traditionalistes. La parution à Londres, en février 1848, du Manifeste du parti communiste, écrit en collaboration avec F. Engels, n'avait guère eu d'influence sur l'orientation des luttes. La plupart des travailleurs allemands étaient alors bien plus proches des théoriciens du communisme évangélique, comme le tailleur Wilhelm Weitling, ou des bourgeois radicaux Gustav von Struve (1805-1870) et Friedrich Hecker (1811-1881).
Conscient à la fois de la sûreté de sa prospective – une lutte de classe bipolaire entre la bourgeoisie et le prolétariat, dont ce dernier sortira vainqueur dès que les conditions objectives seront réunies – et de la crainte des classes moyennes démocrates devant les projets de société communiste, Karl Marx dissout la ligue de société communiste en avril 1848. Il va s'activer à unifier le programme et la stratégie des associations démocrates. Tactique payante, semble-t-il. Son influence grandit, au point qu'il apparaît au Congrès démocratique de Berlin, en octobre 1848, comme un des chefs les plus en vue de la révolution allemande. Mais l’Association internationale des travailleurs, ou Iere Internationale, d’inspiration marxiste, ne sera fondée qu’en 1864.

 

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RISQUES NATURELS ET TECHNOLOGIQUES

 



 

 

 

 

RISQUES NATURELS ET TECHNOLOGIQUES
La nature et l'homme

Événements à caractère de catastrophe, probables mais non forcément prévisibles, dus soit au déchaînement des forces de la nature (risques naturels), soit à la proximité d'activités humaines dangereuses (risques technologiques).
La nature et l'homme

Les risques naturels varient selon les continents, selon le sol et le sous-sol, le relief et le climat. Il n'y a pas de séisme sans zone de faille ou de cyclone loin des mers tropicales. Ce sont des risques généralement indépendants de l'intervention humaine. Cependant, la densité de population et l'urbanisation en sont des facteurs aggravants dans les régions volcaniques, dans les bassins fluviaux et dans les zones côtières.
Les risques technologiques sont pour leur part des risques permanents ou accidentels, directement liés à l'activité de l'homme, qui peut les aggraver par son imprévoyance ou au contraire les limiter par des mesures de sécurité préalables. Ces risques peuvent avoir des conséquences graves pour la santé des individus, pour leurs biens ou pour l'environnement.
En réalité, la société moderne accepte de plus en plus difficilement le risque en raison de son coût humain et financier. On cherche à l'identifier, à le prévenir et à le diminuer. À cette fin, une nouvelle discipline se développe : la cindynique (du grec kindunos, « danger »). Les cindyniques sont des experts du danger.
Le coût de quelques catastrophes récentes
Les risques naturels

Définition

Le Perbuatan, IndonésieLe Perbuatan, Indonésie
La notion de risque naturel se distingue de celle de phénomène naturel. Les phénomènes naturels peuvent être de nature atmosphérique (froid, chaleur, orages violents, tempêtes, rayonnement solaire, inondations, avalanches…) ou géologique (séismes, activités volcaniques, inondations, mouvements de terrain, raz de marée…). Un risque naturel découle de la conjonction d'un phénomène naturel (aléatoire) et de la présence de biens ou d'activités vulnérables. Ainsi, un orage de très forte intensité entraîne un risque faible dans une zone déserte ou peu habitée, tandis que des pluies d'intensité moyenne peuvent provoquer des dommages considérables si elles surviennent dans des villes.
En France, la notion de catastrophe naturelle, telle qu'elle définie par la loi n° 92-665 du 16 juillet 1995, est liée à l'existence de dommages importants ayant eu pour cause déterminante « l'intensité anormale d'un agent naturel, lorsque les mesures habituelles à prendre pour prévenir ces dommages n'ont pu empêcher leur survenance ou n'ont pu être prises ». L'état de catastrophe naturelle est constaté par un arrêté ministériel qui détermine les zones et les périodes où s'est produite la catastrophe.

InondationInondation
Les catastrophes naturelles sont, en dehors des maladies, les événements qui provoquent le plus grand nombre de victimes et les dommages les plus importants : dans le monde, de 1980 à 1990, elles ont coûté la vie à plus de 8 millions de personnes, bouleversé l'existence d'au moins 2 milliards d'autres et entraîné des dégâts matériels immédiats supérieurs à 75 milliards d'euros. On constate d'ailleurs depuis 1970 une augmentation régulière du nombre annuel des catastrophes naturelles dans le monde, et des dégâts qu'elles provoquent, sans doute plus en raison des facteurs anthropiques (dûs à l'action de l'homme, comme l’extension des zones urbanisées et des activités dans les zones exposées, les déboisements massifs, etc.) que de l'augmentation de l'intensité ou de la fréquence des phénomènes. Certains experts avancent que cette « accumulation notable d'événements atmosphériques extrêmes peut être une indication que le réchauffement global conduit à une exacerbation des risques de catastrophes naturelles dans de nombreuses régions » et qu'il « devient quasi inévitable qu'une poursuite des changements climatiques causés par l'homme amène plus de phénomènes naturels extrêmes et par là plus de pertes importantes dues aux catastrophes. »
Typologie des risques naturels


Ce type de risque tient à la manifestation, avec une intensité anormale, d'un agent naturel sur une région habitée. Sont dits risques naturels :
– les inondations dues à la crue d'un fleuve ou à la saturation des nappes phréatiques ;
– les ruissellements de boue, notamment sur des pentes fragilisées par la déforestation, les glissements ou effondrements de terrain ;
– les feux de forêt ;
– les éruptions volcaniques (→ volcan) ;
– les séismes, dans la proximité des zones de friction des plaques tectoniques ;
– les raz de marée et les tsunamis ;
– les cyclones et, dans les régions continentales, les tornades ;
– les avalanches, masses de neige ou de glace en mouvement ayant une vitesse supérieure à 1 m/s ;
– les pluies diluviennes, comme celles de la mousson ou celles qui résultent de l'influence du courant tropical El Niño.
Les catastrophes climatiques liées à El Niño en 1982-1983
Catastrophes climatiques liées à « El Niño » en 1982-1983


Tsunami de 2011 au JaponTsunami de 2011 au Japon
De toutes les catastrophes naturelles qui se sont produites, l'une des plus meurtrières a été le tsunami du 26 décembre 2004 en Asie du Sud-Est, provoqué par un séisme sous-marin dont l'épicentre était situé au large de Sumatra – l'un des plus violents jamais enregistrés dans le monde, avec une magnitude de 9 sur l'échelle ouverte de Richter. Entraînant la destruction de 580 000 habitations, le tsunami a fait plus de 230 000 morts (dont 50 000 disparus) et 500 000 blessés sur le littoral principalement de l'Indonésie (132 000 morts), mais aussi de la Thaïlande, du Sri Lanka, de l'Inde et des îles Maldives, et a fait sentir ses effets jusque sur la côte orientale de l'Afrique. Son coût économique à court et long terme est également d'une exceptionnelle ampleur. En mars 2011, le tsunami qui a suivi le séisme de magnitude 9 au Nord-Est du Japon a causé la mort et la disparition de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Ouragan Katrina, La Nouvelle-Orléans, 2005Ouragan Katrina, La Nouvelle-Orléans, 2005
Le 29 août 2005, l'ouragan Katrina, qui a touché les côtes de la Louisiane (États-Unis), a provoqué la destruction immédiate de plus de 5 500 maisons dans les quartiers bas de La Nouvelle-Orléans, puis la rupture de digues qui a elle-même entraîné la formation d'un flux marin dévastateur.
Le 12 mai 2008, un séisme de magnitude proche de 8 sur l’échelle de Richter a ravagé l’ouest de la Chine (région de Chengdu, dans le Sichuan), faisant avec ses répliques (de magnitude supérieure ou égale à 6 sur l’échelle de Richter) près de 90 000 victimes et détruisant plus de 350 000 édifices.
Maîtrise des risques naturels

Vulnérabilité
De nombreuses régions du monde sont vulnérables aux risques naturels :
– zones de montagne (Himalaya, Alpes, cordillère des Andes…) ;
– zones de confrontation de plaques tectoniques (plaques Afrique contre Europe, plaques Inde contre Asie, arc circum-Pacifique…) ;
– zones tropicales génératrices de cyclones ;
– vallées alluviales (Nil, Mississippi, fleuves chinois) ;
– pays de mousson (Bangladesh, Inde, Asie du Sud-Est).
AvalanchesAvalanches

– En France, les régions les plus vulnérables sont les départements et territoires d'outre-mer (forte zone sismique aux Antilles; volcans en Guadeloupe, Martinique et Réunion; cyclones; inondations; érosion, etc.), les Alpes et les Pyrénées (avalanches, inondations, mouvements de terrain, séismes), les vallées alluviales, les zones karstiques (régions calcaires comme dans le sud du Massif central et le Sud-Est), les régions d'anciennes cavités souterraines (Nord, Normandie, Aquitaine, Île-de-France), etc. Plus de 10 500 communes françaises sont vulnérables aux avalanches, séismes, mouvements de terrain et inondations par débordement de cours d'eau.
Prévoir l’imprévisible
Les phénomènes naturels étant imprévisibles, les hommes se sont généralement installés sans en tenir compte (en particulier le long des cours d'eau) et les ont d'abord perçus comme un bienfait de la terre nourricière ou l'expression de forces surnaturelles. Les interrogations des philosophes du xviiie s. (Voltaire et son poème sur le désastre de Lisbonne) traduisent les premières tentatives d'accommodation et de transformations permises par les progrès de la science. Mais ce n'est qu'au milieu du xxe s., lorsque les mécanismes des phénomènes naturels ont commencé à être mieux connus (grâce, par exemple, à l'hypothèse de la tectonique des plaques, aux progrès de la géologie ou à l'application des probabilités aux observations) et que les agglomérations humaines se sont considérablement développées, que les risques naturels sont devenus une des données de l'aménagement du territoire.
Les caractéristiques de la plupart des phénomènes naturels sont telles que la probabilité de leur survenance décroît lorsque augmente leur intensité : plus une catastrophe naturelle est forte, plus elle est rare. Pour certaines d'entre elles, comme les crues ou les mouvements de terrain, des lois mathématiques liant une de leurs caractéristiques (par exemple le débit d'un cours d'eau ou la hauteur du plan d'eau) à la probabilité de dépassement d'une intensité ont pu être établies ; ainsi, sur la Loire à Orléans, le débit d'une crue survenant en moyenne une fois tous les 10 ans est de 3 000 m3/s, alors que le débit d'une crue survenant en moyenne une fois tous les 100 ans est de 6 400 m3/s. Toutefois, de telles lois ne peuvent être déduites que d'observations, donc de mesures qui doivent être nombreuses et précises pour les rendre fiables, surtout pour les phénomènes rares. Des modèles physiques réduits de la réalité permettant d'imiter certains phénomènes naturels peuvent également être réalisés pour la conception d'ouvrages ou de travaux. Les différentes études des scientifiques peuvent aider à la compréhension, à la prévision et à la prévention des catastrophes naturelles.
→ climatologie, météorologie, sismologie, tectonique, volcan.
La prévision s'appuie en premier lieu sur l'historique des phénomènes naturels (causes, fréquence, déroulement, intensité, conséquences) et sur les études géologiques : des modèles sont élaborés, qui précisent par exemple des trajectoires ou des élévations de niveau.
L'espace au secours de la Terre

Mais, de plus en plus, c'est la technologie spatiale qui est mise à contribution : avant la catastrophe, pour réduire la vulnérabilité des personnes et des biens grâce aux observations satellitaires ; pendant la catastrophe, pour fournir une aide aux services de la sécurité civile et aux équipes de sauvetage grâce aux télécommunications spatiales, qui permettent de désengorger les réseaux terrestres. Ainsi, la prévision des cyclones s'est généralisée en même temps que les satellites d'observation météorologiques. De même, la prévision des tremblements de terre, des éruptions volcaniques et des tsunamis fait appel à des micro-satellites tels que ceux qui sont utilisés dans le cadre de la mission Demeter pour caractériser les signaux électromagnétiques associés à ces phénomènes. Outre l'imagerie satellitaire, la technique de l'interférométrie radar est sollicitée pour la cartographie des déplacements de plaques tectoniques et celle des failles les plus importantes.
La Charte internationale Espace et Catastrophes, entrée en vigueur le 1er novembre 2000, prévoit la mise en commun de leurs ressources en images au service de la prévision par l'Agence spatiale européenne, le Centre national d'études spatiales, l'Agence spatiale canadienne, l'Organisation indienne de recherche spatiale et la National Oceanic and Atmosphere Administration, aux États-Unis.
Les procédures de prévention des catastrophes
La prévention des risques naturels (gérée, en France, depuis 2001, par le Comité interministériel de prévention des risques naturels majeurs) a pour objectif de limiter les pertes humaines et les dommages matériels.
Protection des populations
La protection des populations résulte de la mise en place de dispositifs d'alerte. Être averti à temps du danger de survenance d'un phénomène naturel implique :
– l'existence d'un service public ou d'un organisme chargé de ce travail ; il ne s'en constitue pas facilement, en raison de la responsabilité importante qui leur incombe et du coût financier ;
– la connaissance des signes avant-coureurs des catastrophes (par exemple, relation entre l'intensité des pluies et la hauteur d'eau dans les rivières) ; elle n'est pas toujours facile à établir (tremblements de terre) ;
– l'observation des phénomènes à des intervalles de temps suffisamment rapprochés pour ne pas manquer ces signes précurseurs ; des progrès significatifs ont été obtenus grâce aux mesures automatiques, au développement des transmissions et à l'emploi de l'informatique.
Protection des habitations
Cette prévention passe notamment par une meilleure gestion de l'urbanisme dans les zones les plus menacées. En France, un plan de prévention des risques naturels (PPR), établi sous la responsabilité de l'État, délimite les zones sujettes à un risque naturel : il permet d'interdire tout type de construction sur ces zones, ou d'en réglementer l'usage ; il définit aussi les mesures à prendre par les collectivités publiques et les particuliers. Le PPR est subordonné à une enquête publique et à l'avis du conseil municipal ; il fait ensuite l'objet d'un arrêté préfectoral.
Protection des infrastructures
La protection, des infrastructures résulte pour sa part de la mise en place d'innovations architecturales (constructions antisismiques) et de travaux de sécurisation des terrains (ouvrages paravalanches, bassins de rétention des eaux de crues, bandes coupe-feu, débroussaillage ou reboisement, etc.). Les différentes mesures techniques de prévention sont adoptées spontanément par les entreprises ou imposées par les autorités administratives. Les matériels retenus doivent répondre à certaines conditions de fiabilité et de sécurité (circuits et appareils électriques antidéflagrants ou à sécurité intrinsèque), des mesures localisées doivent être intégrées dans la conception du procédé de fonctionnement (détection d'élévations de température, de frottements, de concentrations anormales et dispositifs d'arrêt d'urgence). L'ensemble de ces dispositions doit permettre que la défaillance d'un élément du dispositif s'avère insuffisante pour être à l'origine d'un processus accidentel.
En milieu industriel (nucléaire, chimique, biotechnologique), la prévention implique la réalisation d'une étude des dangers présentés par l'installation, le recensement des diverses catégories de défaillances possibles (y compris par malveillance ou attentat). Elle doit se traduire par diverses mesures : double système de vanne, confinement des produits qui peuvent s'échapper accidentellement, etc. Des cuvettes étanches placées sous les réservoirs et canalisations de liquides à la température ordinaire peuvent jouer ce rôle ; des enceintes de confinement physique (par exemple en béton résistant aux conséquences d'un incendie ou d'une explosion) peuvent assurer cette fonction face à des émanations gazeuses toxiques ou explosives.
Dans le domaine des biotechnologies, la dispersion de micro-organismes dans l'environnement peut être prévenue par des dispositions d'ordre physique (travail en cellules étanches, salles « blanches » à air filtré avec sas d'entrée/sortie pour les personnels et les matériels). Un confinement « biologique » peut aussi être utilisé : les micro-organismes mis en œuvre au cours des réactions et manipulations sont alors modifiés pour les rendre inaptes à synthétiser un produit (souvent un acide aminé) indispensable à leur survie, empêchant ainsi toute multiplication.
L'éloignement des installations dangereuses des immeubles d'habitation ou recevant du public ressortit également à la prévention. Ces distances d'isolement, établies de longue date dans l'industrie pyrotechnique et pour les stockages de chlore et d'ammoniac, doivent l'être pour les gaz de pétrole liquéfiés.

En France, les conditions d'indemnisation des victimes de catastrophes naturelles sont prévues par la loi du 13 juillet 1982. Les souscripteurs d'un contrat d'assurance dommages ou perte d'exploitation peuvent être indemnisés si l'événement donne lieu à une déclaration d'état de catastrophe naturelle. L'initiative en revient aux pouvoirs publics, qui en font le constat par arrêté interministériel publié au Journal officiel. Le financement de cette forme de solidarité résulte de la surprime payée pour chaque contrat (habitation, automobile ou autre). La Caisse centrale de réassurance permet d'équilibrer les risques entre les compagnies. Ainsi 3 milliards de francs (457 millions d'euros) ont été versés par l'État en 1999, année de grandes catastrophes (avalanche de Montroc, cyclones de Guadeloupe et de Martinique, inondations dans le Midi, tempête de décembre).
Il arrive que l'on recherche des responsabilités individuelles, quand une faute humaine est à l'origine de la catastrophe ou en a aggravé les conséquences. Des personnes physiques ou morales peuvent alors être condamnées pour mise en danger de la vie d'autrui : ce peut être le cas de skieurs hors piste qui déclenchent une avalanche ou d'autorités qui accordent des permis de construire au mépris des règles de précaution.
Les risques technologiques

Définition et enjeux

Distingué du risque naturel, indépendant des activités humaines, le risque technologique découle de l'action de l'homme à travers l'existence d'ouvrages, l'exploitation d'installations artificielles ou l'exercice d'activités économiques.
Le « risque technologique majeur » est un enjeu à la fois par les conséquences directes sur les personnes, les biens et l'environnement, mais aussi par les conséquences indirectes et les effets déstabilisants sur les systèmes industriels et sociaux. Ainsi, les grands accidents technologiques connus (explosion de la poudrerie de Grenelle en 1794, plus de 1 000 morts ; catastrophe minière à Courrières en 1906, au moins 1 200 morts ; rupture du barrage de Malpasset en 1959, 424 morts ; incendie de la centrale nucléaire de Tchernobyl en Ukraine, etc.) ont entraîné – outre des pertes en vies humaines, des dégâts matériels et des pertes économiques – des remises en cause de certaines pratiques industrielles ou de procédures techniques (contrôle de leur mise en œuvre, notamment).
Les accidents industriels récents – Seveso (Italie, 1976), pas de victimes, mais de nombreuses personnes intoxiquées ; Mexico (Mexique, 1984), plus de 500 morts ; Bhopal (Inde, 1984), environ 8 000 morts dans les deux premières semaines qui ont suivi la catastrophe ; Tchernobyl (1986), 56 morts directement imputables à la catastrophe, et des milliers de personnes intoxiquées ; Toulouse (2001), 30 morts – ont également révélé la très grande sensibilité du public aux accidents impliquant les industries nucléaire et pyrotechnique, la chimie et la pétrochimie avec des produits communs tels le chlore et l'ammoniac, les gaz de pétrole liquéfiés et les gaz combustibles, les hydrocarbures ou le développement des biotechnologies (crainte de la dissémination de micro-organismes modifiés qui auraient des effets pathogènes et contribueraient à la rupture de certains équilibres écologiques). Ces secteurs d'activités, associés à ceux des grands ouvrages (barrages) et aux transports des matières dangereuses, constituent des risques technologiques majeurs. Ceux-ci concernent, en France, les barrages de plus de 20 m de hauteur, les installations nucléaires (centrales nucléaires, usines de fabrication et de retraitement de combustibles) et les usines chimiques visées par les directives communautaires « Seveso » : la première, datant de 1982, « relative aux risques d'accidents industriels majeurs », a été suivie en 1996 d'une nouvelle directive, « Seveso II », élargissant le champ des activités concernées et durcissant les obligations des industriels. En 2001, le nombre des sites à haut risque, dits à « seuils hauts », s'élevait à environ 400, tandis que 1 250 sites étaient couverts par la classification « Seveso II ».
D'autres risques technologiques sont qualifiés de « diffus » ou « domestiques », telles les intoxications ou asphyxies dues au défaut de fonctionnement de chauffe-eau au gaz (plus de cent décès par an en France). Malgré leur nombre, ils n'ont pas le retentissement des accidents technologiques majeurs ; ils peuvent susciter des interventions au niveau du contrôle des produits mis en vente, mais généralement pas de remise en cause de procédés industriels, ni d'émotion publique ou de mouvements de société. Enfin, le thème des pluies acides, qualifié de « risque au ralenti », témoigne aussi de la naissance d'appréhensions dont la perception rejoint également celle du « risque majeur », même si les manifestations de ce risque n'ont pas la rapidité ou la brutalité de l'accident technologique, la rupture de barrages, l'incendie ou l'explosion.
Le risque technologique majeur se caractérise donc par la juxtaposition d'un inconvénient ou d'un dommage potentiel et d'un niveau de conscience de l'ampleur et des causes du danger tel qu'il peut mener à des mouvements populaires, qui peuvent se traduire par une déstabilisation du tissu social ou par la remise en cause de certaines technologies.
Typologie des risques technologiques

Le risque industriel
Il est propre aux activités qui consistent à fabriquer, à transformer ou à stocker des matières dangereuses (explosifs, défoliants, produits corrosifs ou inflammables). Il s'observe principalement dans les secteurs de l'industrie chimique et pétrochimique. L'agroalimentaire est concerné tant du point de vue du stockage que de la consommation de produits tels que les engrais et les farines animales (→ encéphalopathie spongiforme bovine). L'industrie du vivant est également concernée en raison des risques de dissémination de germes infectieux dont elle peut être la source soit par accident, soit par fait de guerre (la guerre bactériologique), soit encore par attentat (→ bioterrorisme, terrorisme).

Explosion de l'usine AZF, Toulouse, 2001Explosion de l'usine AZF, Toulouse, 2001
En France, plusieurs catastrophes ont marqué les esprits :
– le 4 janvier 1966, à Feyzin, près de Lyon, une erreur de manipulation dans une raffinerie de pétrole a été à l'origine d'une fuite de propane : 11 réservoirs ont été détruits, 18 personnes ont trouvé la mort et 84 ont été blessées, dont de nombreux pompiers, 1 475 habitations ou installations ont été endommagées ;
– le 21 septembre 2001, l'explosion de l'usine pétrochimique AZF de Grande-Paroisse, à Toulouse, a fait 30 morts, 1 170 blessés et provoqué des dégâts d'une ampleur sans précédent dans la ville elle-même et dans toute son agglomération. Le débat national qui s'en est suivi a montré la nécessité d'une loi destinée à assurer une meilleure maîtrise de l'urbanisation à proximité des usines à risque, à renforcer la protection des salariés et à ouvrir largement l'information aux riverains.
En Italie, l'accident de Seveso, le 10 juillet 1976, a eu pour origine un nuage de dioxine : plus de 200 personnes ont été intoxiquées (et les risques de cancers multipliés) et de nombreux animaux ont dû être abattus ; il en a résulté la directive Seveso. En Inde, la catastrophe de Bhopal, le 3 décembre 1984, a entraîné la mort (officiellement) de 8 000 personnes dans les deux premières semaines qui ont suivi la catastrophe.
Le risque nucléaire
Il est inhérent à l'usage militaire et civil de l'atome. L'Agence internationale de l'énergie atomique classe les risques selon une échelle de gravité de 1 à 7 :
– le niveau 1 correspond à une anomalie de fonctionnement sans conséquence radioactive ;
– le niveau 5 correspond à un accident présentant des risques pour l'environnement sous l'effet d'une émission de radioactivité liée à de graves dommages subis par l'installation (exemple de la catastrophe de Three Mile Island, aux États-Unis, en 1979) ;
– le niveau 7 est atteint en cas d'accident conduisant au rejet d'une part importante des éléments radioactifs dans l'atmosphère, rejet qui entraîne une grave contamination des êtres vivants et de l'environnement dans un large rayon. Ce dernier cas est celui qui s'est produit à Tchernobyl, en Ukraine, le 26 avril 1986 : le nuage radioactif issu de l'explosion a recouvert l'Europe centrale et orientale, mais a aussi touché l'Europe du Nord et de l'Ouest.
Autres risques majeurs

Le transport de substances dangereuses ou polluantes, par route, voie ferrée, fluviale ou maritime est générateur de risques. En matière de pollution marine, la France a connu deux des plus grandes catastrophes de l'histoire du transport pétrolier : en 1978, avec le naufrage de l'Amoco Cadiz ; en 1999, avec celui de l'Erika. En 2002, le Prestige, qui a sombré avec sa cargaison de fioul au large des côtes espagnoles de Galice, a été la source d'une nouvelle pollution touchant principalement le littoral français du golfe de Gascogne et s'étendant jusqu'au sud de la Bretagne.
Les barrages hydroélectriques offrent un autre type spécifique de risques. On en compte 16 000 dans le monde, mais on ne déplore en moyenne qu'une rupture par an. En France, celle du barrage de Malpasset, près de Fréjus (Var), le 2 décembre 1959, a entraîné la mort de 424 personnes.
Le classement des installations en France

Pollution d'un cours d'eauPollution d'un cours d'eau
C'est l'État qui exerce la police des installations classées par l'intermédiaire des préfets en vue de protéger l'environnement. La loi de référence est celle du 19 juillet 1976, qui concerne toutes les activités industrielles, le traitement des déchets et les élevages intensifs, mais non les sites nucléaires et miniers.
Les installations sont, selon les risques qu'elles présentent, assujetties à un régime juridique de déclaration ou d'autorisation. L'autorisation est obligatoire dans le cas des activités les plus polluantes ou les plus dangereuses (64 000 établissements concernés). L'exploitant doit fournir au préfet un dossier qui comprend notamment une étude d'impact et une étude de danger. L'étude d'impact indique les effets directs ou indirects de l'activité sur l'environnement et sur la santé de la population ; elle peut être assortie de mesures pour réduire ou supprimer ces effets. L'étude de danger inventorie les sources de risque, examine les scénarios d'accidents possibles et fait les propositions susceptibles de prévenir les dangers ou d'en atténuer les conséquences ; cette étude, qui doit être réactualisée au moins tous les cinq ans, peut être complétée à la demande du préfet par une expertise confiée aux soins d'un organisme indépendant. Si un établissement comporte plusieurs installations, des études de danger sont menées pour chacune d'elles.
L'inspection des installations classées, qui relève de la Direction régionale de l'industrie, de la recherche et de l'environnement (DRIRE), vérifie le respect des prescriptions techniques. On procède à la consultation des collectivités locales concernées et à une enquête publique. Si le préfet autorise l'exploitation, il peut le cas échéant lui imposer des normes (rejet, bruit, etc.). Des sanctions pénales peuvent être prononcées à l'égard de la personne qui exploite une installation classée sans autorisation légale ou en infraction avec les prescriptions. Après mise en demeure de l'exploitant, le préfet peut aussi prendre des sanctions administratives, pouvant aller jusqu'à la suspension du fonctionnement.
Les directives Seveso

En 1982, la directive européenne dite « directive Seveso » a mis en œuvre un dispositif global de gestion des risques : réalisation d'une étude de danger, renforcement de la sûreté des installations, délimitation de périmètres de protection, élaboration de plans de secours, obligation d'informer les riverains. Ce dispositif concernait alors 371 établissements des industries chimique, pétrolière ou gazière.
Une directive Seveso II (datant du 9 décembre 1996 et reprise dans le droit français par le décret du 20 mars 2000 et l'arrêté ministériel du 10 mai 2000 relatifs à la prévention des accidents majeurs) a remplacé la première directive. Visant à renforcer et à harmoniser à l'échelon européen la protection des personnes et de l'environnement, elle couvre un champ plus large, puisqu'elle concerne toutes les entreprises utilisant des matières dangereuses ; elle s'applique aussi aux infrastructures desservant les entreprises et précise les mesures à prendre pour les établissements dits « à hauts risques » et « à bas risques ». En France, 1 239 sites industriels sont classés Seveso II (dont 670 à hauts risques).
L'organisation des secours en France

Les moyens de secours

Canadair CL-215Canadair CL-215
Au niveau national, c'est la Direction de la défense et de la sécurité civile (DDSC), relevant du ministère de l'Intérieur, qui contrôle les services chargés des secours, les moyens d'intervention de la sécurité civile, la prévention des risques civils de toute nature, l'assistance aux services d'incendie et de secours. Elle arme un centre opérationnel, le CODISC, et peut faire appel à des unités spécialisées de l'armée de terre (unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile) ou à des moyens de la sécurité civile (hélicoptères, bombardiers d'eau).
Au niveau départemental, les directions départementales des services d'incendie et de secours (qui disposent notamment d'une cellule mobile d'intervention chimique [CMIC]) et les services médicaux d'urgence (samus) constituent l'essentiel des moyens d'intervention, auxquels s'ajoutent, dans leur domaine particulier, les forces de police et de gendarmerie. La gendarmerie, en particulier, dispose d'unités spécialisées dans les interventions avec risque nucléaire, biologique ou chimique ; elle peut aussi être amenée à intervenir en montagne ou sur mer.
Les plans de secours

Le plan ORSEC (ORganisation des SECours) est le plus connu. Mis en œuvre soit par le Premier ministre (ORSEC national), soit par le préfet de zone (ORSEC zonal), soit par le préfet de département (ORSEC départemental), il est défini par la loi du 22 juillet 1987, relative notamment à la prévention des risques majeurs. Le plan permet de mobiliser les moyens de l'État et des collectivités publiques, et de réquisitionner des moyens privés (ambulances, autobus, engins de travaux publics, etc.). Il est organisé en cinq cellules : police-renseignement, secours et sauvetage, soins, entraide et assistance, transports et travaux, liaisons et transmissions.
Le plan rouge est mis en œuvre par le préfet en cas d'accident ou de catastrophe faisant de nombreuses victimes. Il n'est pas exclusif du plan ORSEC. S'appuyant sur un « poste médical avancé », il permet d'organiser la relève des blessés, leur répartition selon l'importance des blessures, leurs soins immédiats ou leur évacuation vers les hôpitaux.
Le plan d'opération interne

Le responsable d'un établissement présentant des risques pour les personnels, la population et l'environnement doit adopter, sous le contrôle de l'autorité préfectorale, un plan d'opération interne (POI), qui précise les mesures à prendre en cas d'accident. Ce plan prévoit l'organisation des secours, les méthodes d'intervention et les moyens ou équipements à utiliser. Il prescrit aussi les modalités d'alerte du public, des collectivités locales et des services publics. Un exercice doit être organisé au moins tous les trois ans.
Le plan particulier d'intervention

Lorsque les risques peuvent avoir des conséquences en dehors de l'enceinte de l'entreprise, un plan particulier d'intervention (PPI) est établi sous l'autorité du préfet, qui prend la direction des opérations de secours. Ce plan décrit les installations, dresse la liste des communes concernées par un éventuel accident et précise la procédure d'information de la population. Il définit les missions des services de l'État ou des collectivités territoriales (police, gendarmerie, Direction départementale des services d'incendie et de secours, samu, etc.) et prévoit les moyens de nature privée qui peuvent être mis à contribution. En cas d'accident, l'exploitant doit immédiatement alerter les autorités compétentes et prendre certaines mesures d'urgence (alerte des populations, éloignement des personnes proches du site, etc.). Le PPI doit être mis à jour tous les trois ans au moins.
L'information du public

Le Code de l'environnement stipule que les citoyens ont droit à une information sur les risques majeurs auxquels ils sont soumis dans certaines zones du territoire et sur les mesures de sauvegarde qui les concernent. Ce droit s'applique aux risques technologiques et aux risques naturels prévisibles.
Le préfet peut établir un dossier départemental sur les risques majeurs pesant sur les communes. Chacune d'elles reçoit alors un document synthétique qui récapitule les risques. Le maire doit ensuite diffuser son propre document à l'usage de ses administrés ; les trois pièces sont consultables en mairie. L'affichage dans les lieux publics des risques et des consignes vient compléter cette information due aux citoyens.

 

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