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LE REFROIDISSEMENT D'ATOMES PAR DES FAISCEAUX LASER |
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LE REFROIDISSEMENT D'ATOMES PAR DES FAISCEAUX LASER
En utilisant des échanges quasi-résonnants d'énergie, d'impulsion et de moment cinétique entre atomes et photons, il est possible de contrôler au moyen de faisceaux laser la vitesse et la position d'un atome neutre et de le refroidir à des températures très basses, de l'ordre du microKelvin, voire du nanoKelvin. Quelques mécanismes physiques de refroidissement seront passés en revue, de même que quelques applications possibles des atomes ultra-froids ainsi obtenus (horloges atomiques, interférométrie atomique, condensation de Bose-Einstein, lasers à atomes, etc.).
Texte de la 217e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 4 août 2000.
Le refroidissement des atomes par laser par Claude Cohen-Tannoudji
Introduction
Au cours des deux dernières décennies, des progrès spectaculaires ont été réalisés dans notre maîtrise du mouvement des atomes. En faisant interagir ces atomes avec des faisceaux laser de direction, de fréquence et de polarisation convenablement choisies, nous pouvons maintenant contrôler la vitesse de ces atomes, réduire leurs mouvements d’agitation désordonnée, en quelque sorte les assagir, ce qui revient à diminuer leur température. Ces nouvelles méthodes portent le nom de «refroidissement laser». On sait également depuis peu contrôler la position des atomes et les maintenir confinés dans de petites régions de l’espace appelées « pièges ».
Le sujet de cet exposé est le refroidissement laser. Son objectif est double. Je voudrais tout d’abord expliquer en termes très simples comment fonctionne le refroidissement laser. Lorsqu’un atome absorbe ou émet de la lumière, il subit un recul. Comment peut-on utiliser ce recul pour ralentir et refroidir des atomes ? Je voudrais également dans cet exposé passer en revue les principales motivations de ces travaux, les nouvelles perspectives qu’ils ouvrent et essayer de répondre à quelques interrogations : À quoi peuvent servir les atomes ultrafroids ? Quels problèmes nouveaux permettent-ils d’aborder ? Quelles nouvelles applications peut-on envisager ?
Pour ceux d’entre vous qui ne sont pas familiers avec la physique des atomes et du rayonnement, j’ai pensé qu’il serait utile de commencer cet exposé par un rappel succinct de quelques notions de base très simples sur les photons et les atomes, sur les mécanismes d’absorption et d’émission de photons par les atomes. J’aborderai ensuite la description de quelques mécanismes physiques à la base du refroidissement laser : le recul de l’atome émettant ou absorbant un photon, ce qui se passe lorsqu’on place l’atome dans un faisceau laser résonnant, comment les reculs successifs que subit alors l’atome permettent de le ralentir et de le refroidir. Je terminerai enfin mon exposé en passant en revue quelques applications de ces travaux : les horloges à atomes froids, d’une extrême précision, puis l’interférométrie atomique qui utilise des phénomènes d’interférence résultant de la superposition des ondes de de Broglie atomiques, et enfin ces nouveaux états de la matière qui sont nommés condensats de Bose-Einstein. L’apparition, à des températures très basses, de ces nouveaux objets ouvre la voie vers de nouvelles applications comme les lasers à atomes qui sont analogues à des lasers ordinaires dans lesquels les ondes lumineuses seraient remplacées par des ondes de de Broglie.
Quelques notions de base
La lumière
La lumière est un objet d’études qui a toujours fasciné les physiciens et les scientifiques en général. Elle est apparue successivement au cours des siècles comme un jet de corpuscules ou comme une onde. Nous savons aujourd’hui qu’elle est à la fois une onde et un ensemble de corpuscules.
La lumière est tout d’abord une onde électromagnétique, c’est-à-dire un champ électrique et un champ magnétique oscillant à la fréquence ν et se propageant dans le vide à une vitesse
considérable c = 3×108 m/s. Comme toute onde, la lumière donne naissance à des phénomènes d’interférence. Lorsqu’on superpose deux ondes différentes d’égale amplitude,
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en certains points, les ondes vibrent en phase et l’amplitude est doublée, en d’autres points, les ondes vibrent en opposition de phase et l’interférence est destructive. Sur un écran, on peut ainsi apercevoir une succession de zones brillantes et de zones sombres appelées franges d’interférence.
La couleur de la lumière est liée à sa fréquence ν . Le spectre de fréquence des ondes électromagnétiques s’étend de quelques Hertz aux rayons X et gamma. La lumière visible ne couvre qu’une très petite région de ce domaine spectral. Il est possible d’analyser le contenu spectral d’un rayonnement grâce à des appareils dits dispersifs qui font subir à un rayon lumineux une déviation qui dépend de la fréquence. Ainsi, si l’on fait passer un rayon solaire à travers un prisme, ses différentes composantes de couleur sont déviées de manière différente et on observe ce que l’on appelle un spectre.
Au début du siècle, à la suite des travaux de Planck et d’Einstein, il est apparu que la lumière n’était pas seulement une onde, mais qu’elle était aussi une assemblée de corpuscules : les
« photons ». A une onde lumineuse de fréquence ν , sont ainsi associés des corpuscules, les photons, qui possèdent une énergie E = hν proportionnelle à ν , une quantité de mouvement
p = hν / c également proportionnelle à ν . Dans ces équations, c est la vitesse de la lumière,
ν sa fréquence et h une constante que l’on appelle la constante de Planck, introduite en physique par Planck il y a exactement 100 ans.
L’idée importante qui s’est dégagée au cours du siècle précédent est la dualité onde- corpuscule. La lumière est à la fois une onde et un ensemble de corpuscules. Il est impossible de comprendre les divers phénomènes observés en termes d’ondes uniquement ou de corpuscules uniquement. Ces deux aspects de la lumière sont tous deux indispensables et indissociables.
Les atomes
Les atomes sont des systèmes planétaires analogues au système solaire. Ils sont formés de particules très légères, « les électrons », particules de charge négative, qui gravitent autour d’une particule de masse beaucoup plus élevée, dont la charge est positive : « le noyau ». Pour comprendre le mouvement de ces électrons autour du noyau, les physiciens se sont vite rendu compte que la mécanique classique était inadéquate et conduisait à des absurdités. Ils ont alors « inventé » la mécanique quantique, qui régit la dynamique du monde à l’échelle microscopique. Il s’agit là d’une révolution conceptuelle aussi importante que la révolution de la relativité restreinte et de la relativité générale. Une des prédictions les plus importantes de la mécanique quantique est la quantification des grandeurs physiques, en particulier, la quantification de l’énergie.
Dans le système du centre de masse de l’atome, système qui coïncide pratiquement avec le noyau car le noyau est beaucoup plus lourd que les électrons, on observe que les énergies des électrons ne peuvent prendre que des valeurs discrètes, quantifiées, repérées par des
« nombres quantiques ». Pour illustrer la quantification de l’énergie, j’ai représenté ici le niveau fondamental d’énergie la plus basse, le premier niveau excité, le deuxième niveau excité.
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E2 E1
E0
2e Niveau excité 1er Niveau excité
Niveau fondamental
Figure 1 : Niveaux d'énergie d'un atome. Chaque trait horizontal a une altitude proportionnelle à l'énergie du niveau correspondant.
Interaction matière-lumière
Comment un tel atome interagit-il avec la lumière ? Émission et absorption de lumière par un atome
Un atome, initialement dans un état supérieur Eb , peut passer de ce niveau à un niveau inférieur Ea . Il émet alors de la lumière de fréquence ν , plus précisément un photon d’énergie
hν , telle que Eb − Ea = hν . Autrement dit, l’énergie perdue par l’atome, lorsqu’il passe du
niveau Eb au niveau Ea , est évacuée par le photon d’énergie hν . La relation entre la perte
d’énergie de l’atome et la fréquence de la lumière émise n'est donc en fait que la traduction exacte de la conservation de l’énergie.
Eb
Ea
ν Eb −Ea =hν ν
Emission
Absorption
Eb
Ea
Figure 2 : Processus élémentaires d'émission (figure de gauche) et d'absorption (figure de droite) d'un photon par un atome.
Le processus inverse existe, bien sûr : le processus d’absorption de lumière par un atome. L’atome, initialement dans un état inférieur Ea peut passer dans un niveau supérieur Eb en
gagnant l’énergie hν du photon absorbé. En d’autres termes, l’atome absorbe un photon et l’énergie du photon qu’il absorbe lui permet de passer de Ea à Eb . Il apparaît ainsi clairement
que la quantification de l’énergie atomique sous forme de valeurs discrètes entraîne le caractère discret du spectre de fréquences émises ou absorbées par un atome.
La lumière : une source essentielle d’informations sur la structure des atomes 3
Un atome ne peut émettre toutes les fréquences possibles, il ne peut émettre que les fréquences correspondant aux différences des énergies de ses niveaux. Ce résultat est extrêmement important. Il montre en effet que la lumière est une source d’information essentielle sur le monde atomique. En effet, en mesurant les fréquences émises ou absorbées, on peut reconstituer les différences Eb − Ea et obtenir le diagramme d’énergie d’un atome.
C’est ce que l’on appelle la « spectroscopie ». Le spectre d’un atome varie d’un atome à l’autre. Les fréquences émises par l’atome d’hydrogène diffèrent de celles émises par l’atome de sodium, de rubidium ou de potassium. Le spectre de raies émises par un atome constitue en quelque sorte son « empreinte digitale » ou, pour utiliser des termes plus actuels, son
« empreinte génétique ». Il est possible d’identifier un atome par l’observation des fréquences qu’il émet. Autrement dit, en observant la lumière provenant de différents types de milieux, on peut obtenir des informations sur les constituants de ces milieux. Ainsi, en astrophysique, par exemple, c'est la spectroscopie qui permet de déterminer la composition des atmosphères planétaires et stellaires et d'identifier les molécules qui sont présentes dans l’espace interstellaire. L’observation du décalage des fréquences émises par des objets astrophysiques permet de mieux comprendre la vitesse de ces objets et de mesurer ainsi l’expansion de l’univers. L’observation du spectre de la lumière émise ou absorbée permet aussi d’étudier des milieux hostiles comme des plasmas ou des flammes et d’analyser in situ les constituants de ces milieux.
Durée de vie d'un état excité
Considérons un atome isolé, initialement préparé dans un état excité Eb . L’expérience montre qu’au bout d’un certain temps, très court, l’atome retombe spontanément dans un état
inférieur Ea , en émettant et dans n’importe quelle direction, un photon d’énergie
hν = Eb − Ea . Ce laps de temps, très court, à la fin duquel se produit le processus d'émission
est appelé la durée de vie de l’état excité Eb .
Il apparaît ainsi qu'un atome ne peut pas rester excité indéfiniment. La durée de vie de l’état excité, qui varie d’un atome à l’autre, est typiquement de 10-8 s, c’est-à-dire 10 milliardièmes de seconde.
Les mécanismes physiques
Après ces brefs rappels de notions de base, abordons maintenant la seconde partie de cet exposé qui traite des mécanismes physiques à la base du refroidissement laser.
Le recul de l’atome lors de l’émission ou de l’absorption d’un photon
(3a)
Eb Ea M u
hν / c
Ea
Eb
hν / c
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Mu
(3b)
Figure 3 : Recul d'un atome lors de l'émission (figure 3a) ou de l'absorption (figure 3b) d'un photon par cet atome.
En physique, il y a une loi fondamentale qui est « la conservation de la quantité de mouvement ». Considérons un atome excité dans un état Eb supérieur, initialement immobile,
et supposons qu’à l’instant t = 0 , cet atome émette un photon, lequel a une quantité de mouvement hν / c . Dans l’état initial, l’atome étant tout seul et immobile, la quantité de
mouvement globale est nulle. Dans l’état final, comme le photon part avec une quantité de mouvement hν / c , l’atome recule avec la quantité de mouvement opposée Mv = −hν / c .
Vous avez certainement déjà vu, en réalité ou à la télévision, un canon tirer un obus : lorsque le canon tire un obus, il recule. De même, lorsqu’un atome émet un photon, il recule à cause de la conservation de la quantité de mouvement. Sa vitesse de recul est donnée par
vrec =hν/Mc.
Le même phénomène de recul s’observe lors de l’absorption. Considérons un atome dans un
état fondamental Ea , initialement immobile, et supposons qu’on envoie sur lui un photon : l’atome absorbe le photon et parvient à l’état excité. Il recule alors avec la même vitesse de
recul hν / Mc . De même, lorsqu’on tire une balle sur une cible, la cible recule à cause de la
quantité de mouvement qui lui est communiquée par le projectile.
Par ailleurs, nous savons que l’absorption de photon qui porte l’atome, initialement immobile, à l’état excité, est nécessairement suivie d’une émission puisque l’atome ne peut rester excité indéfiniment. Il retombe donc, au bout d’un temps qui est la durée de vie de l'état excité, dans l’état inférieur, en émettant spontanément un photon. Dans ce cycle absorption-émission au cours duquel l’atome absorbe un photon, recule puis émet un photon, la probabilité qu’il émette ce photon dans telle direction ou dans telle autre, dans un sens ou dans le sens opposé, est la même de sorte, qu’en moyenne, la vitesse qu’il perd lors de l’émission est nulle. Il s'ensuit donc que le changement de vitesse de l’atome est, en moyenne, uniquement lié au processus d’absorption et a pour valeur vrec = hν / Mc . Ce résultat est important pour la suite.
L’atome dans un faisceau laser
Essayons maintenant de comprendre comment réagit l’atome en présence, non pas d’un seul photon incident, mais d’un faisceau laser résonnant. Un flot de photons arrive alors sur lui. Il en absorbe un premier, monte dans l’état excité, retombe en émettant un photon, puis absorbe un second photon laser, monte dans l’état excité, retombe en émettant un autre photon , puis en absorbe un troisième et ainsi de suite. L’atome, ainsi plongé dans un faisceau laser, enchaîne les cycles absorption-émission sans pouvoir s’arrêter et, à chacun de ces cycles, sa vitesse change en moyenne de vrec = hν / Mc . Comme la durée de vie moyenne de l’atome
excité est de 10-8 s, il se produit de l'ordre de108 cycles absorption-émission par seconde, c’est-à-dire 100 millions de cycles par seconde ! A chacun de ces cycles, la vitesse de l’atome change de hν / Mc . Pour l'atome de sodium, le calcul de cette vitesse de recul donne 3cm/s.
Pour l'atome de césium, on obtient 3mm/s. Ces vitesses sont très faibles, comparées par exemple aux vitesses des molécules de l'air qui nous entoure, qui sont de l'ordre de 300m/s. C'est pourquoi pendant longtemps les changements de vitesse d'un atome dûs aux effets de recul ont été considérés comme négligeables. En fait la situation est radicalement différente pour un atome dans un faisceau laser. Les cycles d'absorption-émission se répètent 100 millions de fois par seconde, générant un changement de vitesse par seconde de l'ordre de 100 millions de fois la vitesse de recul. On obtient ainsi des accélérations (ou décélérations) de l'ordre de 106 m/s2. A titre de comparaison, prenons un exemple dans la vie courante : quand
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un objet tombe, l’accélération g qu'il subit du fait de la pesanteur est de 10 m/s2. Un atome de
sodium irradié par un faisceau laser est soumis à une accélération, ou une décélération, qui peut atteindre 105g. A titre de comparaison encore, cette accélération est 100 000 fois supérieure à celle, de l’ordre de 1g, que subit une voiture qui roule à 36 km/heure et qui s’arrête en 1 seconde.
Ralentissement d’un jet atomique
Cette force considérable qu’exerce la lumière sur les atomes, résultant de l'accumulation d'un très grand nombre de petits changements de vitesse, permet d’arrêter un jet atomique. Considérons un jet d’atomes sortant d’un four à la température de 300°K ou 400°K et se propageant à une vitesse de l'ordre de 1 km/s. Si ce jet est éclairé tête bêche par un faisceau laser résonnant, la force de pression de radiation que les atomes subissent va ralentir ces atomes, les arrêter et même leur faire rebrousser chemin. Un atome de vitesse initiale v0 de
1 km/s, soit 103 m/s, va être arrêté avec une décélération de 106m/s2, au bout de 10-3seconde, c’est-à-dire en une milliseconde. En une milliseconde, il passe ainsi de 1 km/s à zéro ! La distance L parcourue par l'atome avant qu'il ne s'arrête est donnée par une formule classique de terminale. Elle est égale au carré de la vitesse initiale divisée par deux fois la décélération subie. On obtient ainsi L = 0, 5m . On peut donc ainsi, dans un laboratoire, sur une distance
de l'ordre du mètre, arrêter un jet d’atomes avec un faisceau laser approprié. Evidemment, au fur et à mesure que les atomes sont ralentis, à cause de l’effet Doppler, ils sortent de résonance. Il faut donc modifier la fréquence du faisceau laser ou modifier la fréquence des atomes pour maintenir la condition de résonance et conserver la force à sa valeur maximale tout au long du processus de décélération.
Ralentir les atomes consiste à diminuer leur vitesse moyenne. Par contre la dispersion des valeurs de la vitesse autour de la valeur moyenne demeure en général inchangée. Il faut en fait faire une distinction très claire entre le mouvement d’ensemble caractérisé par la vitesse moyenne et le mouvement d’agitation désordonnée autour de la valeur moyenne de la vitesse. En physique, c’est cette vitesse d’agitation désordonnée qui caractérise la température. Plus un milieu est chaud, plus les vitesses d’agitation désordonnée de ses constituants sont élevées. Refroidir un système, cela veut dire diminuer les vitesses d’agitation désordonnée de ses constituants. Comment peut-on refroidir des atomes avec des faisceaux laser ?
Refroidissement Laser Doppler
(4a)
(4b)
Figure 4 : Principe du mécanisme de refroidissement laser par effet Doppler. Pour un atome au repos (figure 4a) les deux forces de pression de radiation s'équilibrent exactement. Pour
νL <νA νA νL <νA Atome v=0
νapp <ν ν νapp >ν LLALL Atome v v≠0
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un atome en mouvement (figure 4b), la fréquence apparente de l'onde se propageant en sens opposé augmente et se rapproche de résonance. Elle exerce une force de pression de radiation plus grande que celle de l'onde qui se propage dans le même sens que l'atome et dont la fréquence apparente, diminuée par effet Doppler, s'éloigne de résonance.
Le mécanisme de refroidissement laser le plus simple utilise l'effet Doppler et a été proposé au milieu des années 70 par Hansch, Schawlow, Wineland et Dehmelt. L’idée est simple : l'atome est éclairé non plus par une seule onde laser, mais par deux ondes laser se propageant dans des sens opposés. Ces deux ondes laser ont même intensité, et même fréquenceνL , cette
fréquence νL étant légèrement inférieure à celle, νA , de la transition atomique. Que se passe-
t-il alors ? Si l’atome est immobile, avec donc une vitesse nulle, v = 0 , il n’y a pas d’effet Doppler. Dans ce cas, les deux faisceaux laser ont la même fréquence apparente. Les forces qu'ils exercent ont même module et des signes opposés. La force de pression de radiation venant de la gauche et la force de pression de radiation venant de la droite s’équilibrent donc exactement et l’atome n’est soumis à aucune force. Si l’atome se déplace vers la droite, avec une vitesse v non nulle, à cause de l’effet Doppler, la fréquence de l’onde qui se propage en sens opposé apparaît plus élevée. Cette fréquence apparente est ainsi augmentée et se rapproche de résonance. Le nombre de photons absorbés est alors plus élevé et la force augmente. Par contre, l'onde qui se propage dans le même sens que l'atome a sa fréquence apparente qui est diminuée par effet Doppler et qui s'éloigne donc de résonance. Le nombre de photons absorbés est alors moins élevé et la force diminue. A cause de l'effet Doppler, les deux forces de pression de radiation ne s'équilibrent plus. C'est la force opposée à la vitesse qui l'emporte et l'atome est ainsi soumis à une force globale non nulle, opposée à sa vitesse. Cette force globale F peut être écrite pour une vitesse v assez faible sous la forme
F = −α v où α est un coefficient de friction. Autrement dit, l’atome qui se déplace dans
cette configuration de deux faisceaux laser se propageant dans des sens opposés est soumis à une force de friction opposée à sa vitesse. Il se retrouve dans un milieu visqueux, que l’on appelle une mélasse optique par analogie avec un pot de miel. Sous l’effet de cette force, la vitesse de l’atome va être amortie et tendre vers zéro.
Refroidissement Sisyphe
L’étude théorique du mécanisme de refroidissement laser Doppler permet de prédire les températures qui pourraient être obtenues par un tel mécanisme et qu'on trouve de l’ordre de quelques centaines de microkelvin soit quelques 10-4 K. Ce sont des températures très basses comparées à la température ordinaire qui est de l’ordre de 300 K. En fait, quand, à la fin des années 80, on a pu mesurer ces températures de manière plus précise, on s’est aperçu, et ce fut une réelle surprise, que les températures mesurées étaient 100 fois plus basses que prévues, ce qui signifiait que d’autres mécanismes étaient en jeu. C’est l’un deux, le refroidissement Sisyphe que nous avons, mon collègue Jean Dalibard et moi-même, identifié et étudié en détail.
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Figure 5 : l'effet Sisyphe
Sans entrer dans les détails d’un tel mécanisme, essayons d’en donner une idée générale. Les expériences de refroidissement laser utilisent des paires d’ondes laser se propageant dans des sens opposés (voir par exemple la figure 4). Ces ondes interfèrent et l’onde résultante a donc une intensité et une polarisation qui varient périodiquement dans l’espace. Or, on peut montrer que les niveaux d’énergie d’un atome sont légèrement déplacés par la lumière, d’une quantité proportionnelle à l’intensité lumineuse et qui dépend de la polarisation lumineuse. De plus, chaque atome possède en général plusieurs « sous-niveaux » d’énergie dans son état fondamental, qui correspondent chacun à une valeur différente d’une grandeur physique qui, comme l’énergie, est quantifiée. En l’occurrence, il s’agit ici du moment cinétique, l’atome pouvant être considéré comme une petite toupie qui tourne sur elle même. La figure 5 représente deux tels sous-niveaux dont les énergies sont modulées dans l’espace sous l’effet de la lumière. L’atome en mouvement se déplace donc dans un paysage de collines et de vallées de potentiel, paysage qui change suivant le sous-niveau dans lequel il se trouve. Considérons alors un atome se déplaçant vers la droite et initialement au fond d’une vallée de potentiel, dans un certain sous-niveau (Fig.5). Cet atome gravit la colline de potentiel et atteint le sommet de cette colline où il peut avoir une probabilité importante d’absorber et d’émettre un photon, processus à l’issue duquel il va se retrouver dans l’autre sous-niveau d’énergie, au fond d’une vallée. Le même scénario peut alors se reproduire, l’atome gravissant à nouveau une colline de potentiel avant d’atteindre le sommet et d’être transféré dans l’autre sous-niveau au fond d’une vallée, et ainsi de suite...Comme le héros de la mythologie grecque, l’atome est ainsi condamné à recommencer sans cesse la même ascension, perdant à chaque fois une partie de son énergie cinétique. Au bout d’un certain temps, il est tellement épuisé qu’il n’arrive plus à gravir les collines et se retrouve pris au piège au fond d’un puits. L’étude théorique et la comparaison avec les résultats expérimentaux ont conforté la réalité de ce mécanisme de refroidissement qui permet d'atteindre le microkelvin, c’est-à-dire une température de 10-6 K. Nous avons aussi mis au point au laboratoire d’autres méthodes, que je n’ai pas le temps d’approfondir aujourd’hui, qui permettent d'aller encore plus loin et d’atteindre le nanokelvin, c’est-à-dire 10-9 K, un milliardième de Kelvin.
À de telles températures, les vitesses des atomes sont de l’ordre du cm/s voire du mm/s alors qu’à température ordinaire, elles sont de l’ordre du km/s. Ces méthodes de refroidissement ont donc permis d’assagir considérablement le mouvement d'agitation désordonnée des atomes, de les rendre presque immobiles. Mentionnons également, sans entrer dans le détail des phénomènes, qu'on peut confiner les atomes dans une petite région de l'espace, appelée piège, grâce à l'utilisation de gradients d’intensité lumineuse ou de gradients de champ magnétique.
Description de quelques applications
Les horloges atomiques
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∆ν ν0
Figure 6 : Principe d'une horloge atomique
Les applications des atomes froids et les nouvelles perspectives qu’ils ouvrent sont essentiellement liées au fait qu’ils sont animés d’une très faible vitesse. Cette particularité permet de les observer pendant une durée beaucoup plus longue. Or, en physique, une mesure est d’autant plus précise que le temps d’observation est plus long. On comprend très bien alors que, grâce à l’extrême précision des mesures pouvant être faites sur des atomes ultrafroids, des progrès ont pu être réalisés, dans la conception des horloges notamment. Rappelons tout d'abord en quoi consiste une horloge. C’est essentiellement un oscillateur, par exemple un quartz qui oscille à une certaine fréquence. Cependant, la fréquence d'un quartz livré à lui-même, fluctue au cours du temps. Elle accélère ou ralentit. Pour réaliser une horloge stable, il est donc nécessaire d'empêcher sa fréquence de dériver. Pour ce faire, on va maintenir la fréquence du quartz égale à la fréquence centrale d'une raie atomique.
Le principe de cette opération est schématisé sur la figure 6. Un oscillateur, piloté par le quartz, délivre une onde électromagnétique de même fréquence ν que la fréquence d’oscillation du quartz. Cette onde permet une « interrogation » des atomes utilisés pour stabiliser l’horloge. En l’envoyant sur les atomes et en balayant la fréquence ν du quartz, on observe une « résonance » quand ν coïncide avec la fréquence ν0 = (Eb − Ea ) / h
correspondant à l’écart d’énergie Eb − Ea entre deux niveaux d’énergie de cet atome. Un dispositif « d’asservissement » ajuste alors en permanence la fréquence ν du quartz pour la
maintenir au centre de la raie atomique. On stabilise ainsi ν en forçant ν à rester égal à ν0 .
En fait, c’est l’atome de césium qui est utilisé pour définir l’unité de temps, la seconde. Par convention internationale, la seconde correspond à 9 192 631 770 périodes d’oscillation
T0 =1/ν0 ,oùν0 estlafréquencecorrespondantàunecertainetransitionreliantdeuxsous- niveaux d’énergie de l’état fondamental de l’atome de césium. Cette fréquence ν0 est
universelle. Elle est la même pour tous les atomes de césium, où qu’ils se trouvent.
Les raies de résonance atomiques ne sont pas infiniment étroites. Elles ont une « largeur » ∆ν (voir figure 6). Plus cette largeur est faible, plus l’asservissement sera efficace, et plus l’horloge sera stable. Or, on peut montrer que la largeur d’une transition atomique reliant deux sous-niveaux de l’état fondamental d’un atome est inversement proportionnelle au temps d’observationTobs.PlusTobs estlong,pluslaraieestfine.Commelesatomesfroids
permettent d’allonger la durée de ce temps d’observation et par conséquence de disposer de raies très fines, il est aujourd’hui possible de réaliser des horloges extrêmement précises. Les horloges qui ont été réalisées jusqu’à ces dernières années utilisent des jets d’atomes de
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césium se propageant à des vitesses de l’ordre du km/s, dans des appareils dont la longueur de l’ordre du mètre. Le temps d’observation accessible avec de tels systèmes est donc de l'ordre d’une milliseconde. Avec des atomes froids, il a été possible d’allonger ce temps d’observation par un facteur 100 et d’améliorer donc les performances des horloges atomiques par le même facteur. En fait, on n’utilise pas dans ces nouveaux dispositifs un jet horizontal d’atomes ralentis, car ils tomberaient rapidement dans le champ de pesanteur. Dans les nouvelles horloges, les jets atomiques sont verticaux. Plus précisément, les atomes refroidis dans une mélasse optique sont lancés vers le haut au moyen d’une impulsion laser et forment une sorte de « fontaine ». Ils traversent la cavité électromagnétique dans laquelle la résonance atomique est mesurée, une première fois dans leur mouvement ascendant, une seconde fois dans leur mouvement descendant quand ils retombent sous l’effet du champ de pesanteur. Les temps d’observation peuvent atteindre alors quelques dixièmes de seconde et être ainsi de l’ordre de cent fois plus longs que dans les horloges précédentes. De telles horloges à atomes froids ont été réalisées à Paris par un des mes collègues, Christophe Salomon en collaboration avec André Clairon du L.P.T.F-B.N.M. (Laboratoire Primaire du Temps et des Fréquences et Bureau National de Métrologie). Ils ont pu ainsi mettre au point, avec une fontaine haute de 1m , l’horloge la plus stable et la plus précise jamais réalisée dans le monde. Deux critères permettent de définir la qualité d’une horloge. Le premier, la stabilité, indique la fluctuation relative de fréquence au cours du temps. Elle est de l’ordre de quelques 10-16 pour un temps de Moyen-Âge de l’ordre de 104 s. Concrètement, cela signifie qu’une horloge atomique qui aurait été mise en marche au début de la création de l’univers ne serait, dix milliards d’années plus tard, désaccordée que de quelques secondes. Le second critère, c’est la précision. Si on réalise deux horloges, leur fréquence coïncide à 10-15 près, compte tenu des déplacements de fréquence liés à des effets parasites.
Ces horloges à atomes froids ont de multiples applications : le GPS ("Global Positioning System"), système de positionnement par satellite, la synchronisation des réseaux de télécommunications à haut débit, les tests de physique fondamentale (relativité générale, variation des constantes fondamentales). Pourrait-on encore augmenter leurs performances en réalisant des fontaines plus hautes, de 10 mètres par exemple ? En fait, un tel projet ne serait pas réaliste car le temps d'observation ne croît que comme la racine carrée de la hauteur et il faudrait blinder le champ magnétique terrestre (qui peut déplacer la fréquence de l'horloge) sur des distances de plus en plus grandes. La solution qui s’impose alors de manière évidente consiste à se débarrasser de la gravité et c’est la raison pour laquelle nous nous sommes engagés en France dans des expériences de microgravité depuis 1993. Ces expériences se déroulent à bord d’un avion avec lequel le pilote effectue plusieurs paraboles d’une vingtaine de secondes chacune. Pour ce faire, le pilote accélère l’avion à 45° en phase ascendante, puis coupe brutalement les gaz. Pendant les 20 secondes qui suivent l’avion est en chute libre et sa trajectoire est une parabole. A l'intérieur de l'avion, les objets flottent et ne tombent plus sur les parois de l'avion. Tout se passe comme s'il n'y avait plus de gravité. Puis le pilote remet les gaz et redresse la trajectoire de l'avion pour se remettre en phase ascendante et effectuer une nouvelle parabole. On a donc pu ainsi effectuer des tests sur le comportement des divers composants de l'expérience dans ces conditions, et leurs résultats ont montré qu’il est possible de réaliser des horloges à atomes froids en apesanteur. A la suite de ces tests, un accord a été signé pour prolonger l’expérience et placer une horloge atomique à atomes froids à bord de la station spatiale internationale qui doit être mise en orbite en 2004.
Les interférences atomiques
Depuis les travaux de Louis de Broglie, nous savons qu’à toute particule de masse M est associée une onde qu’on appelle « l’onde de de Broglie » dont la longueur d’onde λdB ,
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donnée par l’équation λdB = h / M v , est inversement proportionnelle à la vitesse v . Plus la
vitesse est faible, plus la longueur d’onde de de Broglie est grande. Les atomes froids qui sont animés de faibles vitesses ont donc de grandes longueurs d’onde de de Broglie et leur comportement ondulatoire sera par suite beaucoup plus facile à mettre en évidence. Considérons par exemple l’expérience des fentes de Young réalisée avec des ondes lumineuses. Une source lumineuse éclaire un écran percé d’une fente. La lumière issue de cette fente arrive sur une plaque percée de deux fentes en dessous de laquelle est placé un écran. L’onde lumineuse suit ainsi deux trajets passant par l’une ou l’autre de ces fentes avant d’arriver sur l’écran d’observation qui enregistre l’intensité lumineuse. Selon la position du point d’observation sur cet écran, les deux ondes qui arrivent en ce point et qui sont passées par les deux trajets possibles se superposent, en phase ou en opposition de phase. L’intensité de l’onde résultante varie donc entre une valeur élevée et une valeur nulle et on observe ce qu’on appelle « les franges d’interférence d’Young ».
Depuis quelques années, plusieurs expériences analogues ont été réalisées, non plus avec des ondes lumineuses, mais avec les ondes de de Broglie associées à des atomes froids. Des physiciens japonais de l’université de Tokyo, le Professeur Fujio Shimizu et ses collègues, ont ainsi réalisé une expérience tout à fait spectaculaire. Elle consiste à laisser tomber en chute libre un nuage d’atomes froids initialement piégés au-dessus d’une plaque percée de deux fentes. Après traversée des deux fentes, les atomes viennent frapper une plaque servant de détecteur et l’on observe une succession d’impacts localisés. Au début, la localisation de ces impacts semble tout à fait aléatoire. Puis, au fur et à mesure que le nombre d’impacts augmente, on constate qu’ils s’accumulent préférentiellement dans certaines zones et on voit apparaître nettement une alternance de franges brillantes avec des impacts très denses et de franges sombres avec très peu d’impacts. Cette expérience illustre parfaitement la dualité onde-corpuscule. Les atomes sont des corpuscules dont on peut observer l’impact localisé sur un écran de détection. Mais en même temps, il leur est associé une onde et c’est l’onde qui permet de calculer la probabilité pour que le corpuscule se manifeste. Comme l’onde associée aux atomes peut passer par les deux fentes de la plaque, elle donne naissance au niveau de l’écran de détection à deux ondes qui interfèrent et qui modulent donc spatialement la probabilité de détection de l’atome. On est là au cœur de la mécanique quantique, de la dualité onde-corpuscule qui régit le comportement de tous les objets physiques.
La condensation de Bose-Einstein
Depuis quelques années, des progrès spectaculaires ont été réalisés dans un autre domaine : la condensation de Bose-Einstein. A température très basse et à densité suffisamment élevée, l’extension spatiale des ondes de de Broglie associée à chaque atome devient plus grande que la distance moyenne entre deux atomes de sorte que les paquets d’ondes se recouvrent et interfèrent. Il apparaît alors un phénomène nouveau, qu’on appelle « la condensation de Bose- Einstein » : Tous les atomes se condensent dans le même état quantique, le niveau fondamental du puits qui les contient. Ce phénomène, prévu il y a longtemps par Bose et Einstein, joue un rôle important dans certains fluides, comme l’helium superfluide. Il a été observé également il y a cinq ans, pour la première fois aux Etats-Unis, sur des systèmes gazeux, formés d’atomes ultrafroids. Il fait actuellement l’objet de nombreuses études, tant théoriques qu’expérimentales dans de nombreux laboratoires.
L’ensemble des atomes condensés dans l’état fondamental du piège qui les contient porte le nom de « condensat ». Tous les atomes sont décrits par la même fonction d’onde. On obtient ainsi une onde de matière géante. De tels systèmes quantiques macroscopiques ont des propriétés tout à fait originales : cohérence, superfluidité, qui ont pu être observées et étudiées en grand détail. Plusieurs groupes s’efforcent également d’extraire d’un condensat de Bose- Einstein un faisceau cohérent d’atomes, réalisant ainsi un « laser à atomes », qui peut être
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considéré comme l’équivalent, pour les ondes de de Broglie atomiques, des lasers mis au point, il y a trente ans, pour les ondes électromagnétiques . Quand de telles sources cohérentes d’ondes de de Broglie atomiques deviendront opérationnelles, on peut raisonnablement penser qu’elles stimuleront un développement spectaculaire de nouveaux champs de recherche, comme l’interférométrie atomique, la lithographie atomique.
Conclusion
L’étude des propriétés de la lumière et de ses interactions avec la matière a fait faire à la physique des progrès fantastiques au cours du XXe siècle. Ces avancées ont eu plusieurs retombées. Elles ont donné lieu à une nouvelle compréhension du monde microscopique. La mécanique quantique est née. La dualité onde-corpuscule est maintenant une évidence. De nouvelles sources de lumière, les lasers, sont apparues.
J’espère vous avoir convaincu que la lumière n’est pas seulement une source d’information sur les atomes mais également un moyen d’agir sur eux. On sait maintenant « manipuler » les divers degrés de liberté d’un atome, contrôler sa position et sa vitesse. Cette maîtrise accrue de la lumière et de la matière ouvre aujourd’hui de nouvelles perspectives à la recherche . De nouveaux objets d’étude sont apparus, comme les ondes de matière, les lasers à atomes, les systèmes quantiques dégénérés, dont les applications, encore insoupçonnées, verront le jour demain, au XXIe siècle.
Pour en savoir plus :
http://www.lkb.ens.fr/recherche/atfroids/tutorial/welcome.htm
De la lumière laser aux atomes ultrafroids.
Des explications simples sur le refroidissement et le piégeage d’atomes par laser et les applications de ce champ de recherche.
http://www.ens.fr/cct
Le cours de Claude Cohen-Tannoudji au Collège de France
Etude et analyse des travaux de recherche récents sur la Condensation de Bose-Einstein
L’auteur remercie Nadine Beaucourt pour son aide dans la rédaction de ce texte à partir de l’enregistrement de la conférence et Nicole Neveux pour la mise en forme du manuscrit.
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SUIVRE LES RÉACTIONS ENTRE LES ATOMES EN LES PHOTOGRAPHIANT AVEC DES LASERS |
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SUIVRE LES RÉACTIONS ENTRE LES ATOMES EN LES PHOTOGRAPHIANT AVEC DES LASERS
"Les progrès de l'optique ont conduit à des avancées significatives dans la connaissance du monde du vivant. Le développement des lasers impulsionnels n'a pas échappé à cette règle. Il a permis de passer de l'ère du biologiste-observateur à l'ère du biologiste-acteur en lui permettant à la fois de synchroniser des réactions biochimiques et de les observer en temps réel, y compris in situ. Ce progrès indéniable a néanmoins eu un coût. En effet, à cette occasion le biologiste est (presque) devenu aveugle, son spectre d'intervention et d'analyse étant brutalement réduit à celui autorisé par la technologie des lasers, c'est à dire à quelques longueurs d'onde bien spécifiques. Depuis peu, nous assistons à la fin de cette époque obscure. Le laser femtoseconde est devenu "" accordable "" des RX à l'infrarouge lointain. Il est aussi devenu exportable des laboratoires spécialisés en physique et technologie des lasers. Dans le même temps, la maîtrise des outils de biologie moléculaire et l'explosion des biotechnologies qui en a résulté, ont autorisé une modification à volonté des propriétés - y compris optiques - du milieu vivant. Une imagerie et une spectroscopie fonctionnelles cellulaire et moléculaire sont ainsi en train de se mettre en place. L'exposé présentera à travers quelques exemples, la nature des enjeux scientifiques et industriels associés à l'approche "" perturbative "" du fonctionnement des structures moléculaires et en particulier dans le domaine de la biologie. "
Texte de la 211e conférence de l’Université de tous les savoirs donnée le 29 juillet 2000.
La vie des molécules biologiques en temps réel : Laser et dynamique des protéines
par Jean-Louis Martin
En aval des recherches autour des génomes, alors que le catalogue des possibles géniques et protéiques est en voie d’achèvement, nous sommes entrés dans l’ère fonctionnelle qui doit nous conduire à comprendre comment toutes les molécules répertoriées interviennent pour « faire la vie ». Le profit qui sera fait de cette masse d’informations, dépend de notre capacité à intégrer ces données moléculaires dans des schémas fonctionnels sous-tendant la constitution et l’activité des cellules voire des organes et des organismes.
Cette intégration va dépendre de domaines de recherche très variés, différents de ceux qui traditionnellement ont fait progresser la biologie des systèmes intégrés.
Au niveau cellulaire, l’approche fonctionnelle est déjà très avancée, en partie parce qu’elle s’appuie sur des compétences, des technologies et des concepts, largement communs à ceux développés par la génétique et la biologie moléculaire. Elle est toutefois, à ce jour, encore loin d’aboutir à une mise en cohérence du rôle fonctionnel des différents acteurs dont elle identifie le rôle au sein de la cellule : récepteurs, canaux ioniques, messagers, second messagers… Les progrès dans ce domaine vont être intimement liés à notre capacité à développer des outils autorisant à la fois un suivi in situ des différents acteurs, et une manipulation à l’échelle de la molécule.
Les développements technologiques spectaculaires dans le domaine des lasers impulsionnels a déjà permis le développement d’une nouvelle microscopie en trois dimensions : la microscopie confocale non linéaire. Associée à la construction de protéines chimères fluorescentes, cet outil a déjà permis de progresser significativement dans la localisation d’une cible protéique ou dans l’identification de voies de trafic intracellulaire.
Cependant, le décryptage in situ et in vivo du rôle fonctionnel des différents acteurs, en particulier protéique, ou plus encore, la compréhension des mécanismes sous-jacents, constituent des défis que peu d’équipes dans le monde ont relevés à ce jour. Il s’agit ici d’associer des techniques permettant de donner un sens à une cascade d’évènements qui s’échelonnent sur des échelles de temps allant de la centaine de femtoseconde1 à plusieurs milliers de secondes.
Le fonctionnement des protéines en temps réel
Le fonctionnement des macromolécules biologiques – protéines, acides nucléiques – est intimement lié à leur capacité à modifier leurs configurations spatiales lors de leur interaction avec des entités spécifiques de l’environnement, y compris avec d’autres macromolécules. Le passage d’une configuration à une autre requiert en général de faibles variations d’énergie, ce qui autorise une grande sensibilité aux variations des paramètres de l’environnement, associée à une dynamique interne des macromolécules biologiques s’exprimant sur un vaste domaine temporel.
Dans une première approche, on peut considérer qu’une vitesse de réaction biologique est la résultante du « produit » de deux termes: une dynamique intrinsèque des atomes et une probabilité de transition électronique. C’est en général ce dernier facteur de probabilité qui limite la vitesse d’une réaction. Une réaction biochimique est généralement lente non pas comme conséquence d’évènements intrinsèquement lents, mais comme le résultat d’une faible probabilité avec laquelle certains de ces évènements moléculaires peuvent se produire.
Plus précisément...
une réaction biologique qui implique, par exemple, une rupture ou une formation de liaison, est tributaire de deux classes d’évènement : d’une part un déplacement relatif des noyaux des atomes et d’autre part une redistribution d’électrons parmi différentes orbitales. Ces deux catégories d’évènements s’expriment sur des échelles de temps qui leur sont propres et qui dépendent de la structure électronique et des masses atomiques des éléments constituant la molécule. Ainsi la dynamique des atomes autour de leur position d’équilibre est, en première approximation, celle d’oscillateurs harmoniques faits de masses ponctuelles couplées par des forces de rappels. Dans le cas des macromolécules biologiques, les milliers d’atomes que comporte le système évoluent sur une hyper-surface d’énergie dont la dimension est déterminée par le nombre de degrés de liberté de l’ensemble du complexe.
Le « travail » que doit effectuer une protéine est de nature très variée : catalyse dans le cas des enzymes, transduction de signal dans le cas de récepteurs, transfert de charges de site à site, transport de substances … mais il existe une caractéristique commune dans le fonctionnement de ces protéines : la sélection de chemins réactionnels spécifiques au sein de cette surface de potentiel. À l’évidence le système biologique n’explore pas l’ensemble de l’espace conformationnel : le coût entropique serait fatal à la réaction… et à l’organisme qui l’héberge.
L’identification de ce chemin réactionnel au sein de l’édifice constitue l’objectif essentiel des expériences de femto-biologie.
L’approche expérimentale : produire un séisme moléculaire et le suivre par stroboscopie laser femtoseconde
Dans une protéine, qui comporte des milliers d’atomes, l’identification des mouvements participant à la réaction moléculaire n’est pas chose aisée.
Comment réussir à caractériser la dynamique conduisant à une conformation intermédiaire qui est elle-même à la fois très fugace et peu probable ?
La cinétique de ces mouvements est directement déterminée par les modes de vibration de la protéine. On peut donc s’attendre à des mouvements dans les domaines femtoseconde et picoseconde2. Pour espérer avoir quelques succès dans cette investigation, il est par ailleurs impératif d’utiliser un système moléculaire accessible à la fois à l’expérimentation et à la simulation, la signature spectrale de la dynamique des protéines n’apportant que des informations indirectes. De plus, la réaction étudiée doit pouvoir être induite de manière « synchrone » pour un ensemble de molécules. Il est donc nécessaire de perturber de manière physiologique un ensemble moléculaire dans une échelle de temps plus courte que celle des mouvements internes les plus rapides, donc avec une impulsion femtoseconde.
Cette approche « percussionnelle » est commune à la plupart des domaines de recherche utilisant des impulsions femtosecondes. La biologie ne se distingue sur ce point, que dans l’adaptation de la perturbation optique pour en faire une perturbation physiologique. Le problème est naturellement résolu dans le cas des photorécepteurs pour lesquels le photon est « l’entrée » naturelle du système. Ceci explique les nombreux travaux en photosynthèse : transfert d’électron dans les centres réactionnels bactériens, transfert d’énergie au sein d’antennes collectrices de lumière dans les bactéries, mais aussi les études transferts de charges au sein d’enzyme de réparation de l’ADN ou responsable de la synchronisation des rythmes biologiques avec la lumière solaire, ainsi que les travaux sur les premières étapes de la vision dans la rhodopsine.
Il existe par ailleurs des situations favorables où la protéine comporte un cofacteur optiquement actif qui peut servir de déclencheur interne d’une réaction: c’est la cas des hémoprotéines comme l’hémoglobine que l’on trouve dans les globules rouges ou les enzymes impliquées dans la respiration des cellules comme la cytochrome oxydase. Dans ces hémoprotéines il est possible de rompre la liaison du ligand (oxygène, NO ou CO) avec son site d’ancrage dans la moléculen par une impulsion lumineuse femtoseconde.On se rapproche ici des conditions physiologiques, la transition optique permettant de placer le site actif de l’hémoprotéine dans un état instable entrainant la rupture de la liaison site actif-ligand en moins de 50 femtosecondes. Cette méthode aboutit à la synchronisation de l’ensemble des réactions d’un grand nombre de molécules. Il est alors possible de suivre leur comportement pendant la réaction et d’identifier les changements de conformation lors du passage des cols énergétiques. On peut faire une analogie sportive : en suivant l’évolution de la vitesse d’un « peloton » de coureurs cyclistes lors d’une étape du tour de France, on peut retracer le profil de cols et de vallées de l’étape, à condition que les coureurs partent au même instant. Pour un « peloton » de molécules, c’est le Laser femtoseconde qui joue le rôle du « starter » de l’étape.
Le paysage moléculaire dans les premiers instants d’une réaction : la propagation d’un séisme moléculaire
Dans les premiers instants qui suivent la perturbation (dissociation de l’oxygène de l’hème, par exemple), les premiers évènements moléculaires resteront localisés à l’environnement proche du site actif. À une discrimination temporelle dans le domaine femtoseconde, correspond donc une discrimination spatiale au sein de la molécule. Il devient ainsi possible de suivre la propagation du changement de conformation au sein de la molécule. Pour donner un ordre de grandeur, celui-ci s’effectue en effet en première approximation à la vitesse d’une onde acoustique ( environ 1200m/s) qui, traduite à l’échelle de la molécule, est 1200x10-12 soit 12 Å par picoseconde. En 100 fs la perturbation initiale est donc essentiellement localisée au site actif. Nous sommes au tout début du séisme moléculaire. En augmentant progressivement le retard de l’impulsion analyse par rapport à l’impulsion dissociation, il est possible de visualiser les chemins de changement conformationnel de la protéine et d’identifier les mouvements associés au fonctionnement de la macromolécule.
Ce simple calcul montre que la spectroscopie femtoseconde se distingue de manière fondamentale des techniques à résolution temporelle plus faible: il ne s’agit plus d’ obtenir des constantes de réaction avec une meilleur précision, mais l’intérêt majeure des « outils femtosecondes » provient du fait que pour la première fois il est possible de décomposer les évènements à l’origine de ces réactions ou induits par la réaction.
Cette discrimination spatiale associée à une résolution temporelle femtoseconde a un autre intérêt qui est de « simplifier » un système complexe sans avoir à utiliser une approche réductionniste (par coupure chimique) qui peut conduire le biophysicien moléculaire à étudier un sous-ensemble d’un complexe moléculaire dont les propriétés n’auront que peu de choses à voir avec la fonction biologique de l’ensemble.
La compréhension d’un automate moléculaire
Dès le début des années 80, l’approche percussionnelle dans le régime femtoseconde a été développée dans le domaine de la dynamique fonctionnelle des hémoprotéines et en particulier pour l’étude de l’hémoglobine. Cette protéine qui comporte quatre sites de fixation de l’oxygène, les hèmes, est capable d’auto-réguler sa réactivité à l’oxygène : c’est une régulation dite « allostérique ». La régulation allostérique de l’hémoglobine se traduit par le fait que la dissociation ou la liaison d’une molécule d’oxygène entraine une modification d’un facteur 300 de l’affinité des autres hèmes pour l’oxygène. La structure de l’hémoglobine est connue à une résolution atomique à la fois dans l’état ligandé (ou oxyhémoglobine) et dans l’état déligandé (désoxyhémoglobine). De ces travaux on sait que l’hémoglobine possède deux structures stables qui lui confèrent soit une haute affinité (état R) soit une basse affinité (état T) pour l’oxygène. Il s’agissait de déterminer le mécanisme, qui partant de la rupture d’une simple liaison chimique entre oxygène et fer induit un changement conformationel de l’ensemble du tétramère conduisant à distance à une modulation importante de l’affinité des autres sites de liaison.
Le débat de l’époque concernant la transition allostérique dans l’hémoglobine n’avait pas encore décidé du choix entre cause et conséquence au sein de l’édifice moléculaire. Nous connaissions les deux structures à l’équilibre avec une résolution atomique, grâce aux travaux de Max Perutz. Il était connu, même si cela n’était pas encore unanimement admis, que la dissociation de l’oxygène de l’hème entrainait « à terme » un changement conformationnel de ce dernier par déplacement de l’atome de fer en dehors du plan des pyrroles. Deux modèles s’opposaient: ce déplacement était-il la cause ou la conséquence du changement conformationnel impliquant la structure tertiaire et quaternaire de l’hémoglobine ? Dans la première hypothèse, cet évènement était crucial puisque le déclencheur de la communication hème-hème au sein de l’hémoglobine, c’est à dire le processus qui traduisait une perturbation très locale ( rupture d’une liaison chimique en un « basculement » de la structure globale vers un autre état). En discriminant temporellement les évènements consécutifs à la rupture de la liaison ligand-fer, il a été montré que le premier évènement est le déplacement du fer en dehors du plan de l’hème en 300 femtosecondes. Cet événement ultra-rapide constitue une étape cruciale dans la réaction de l’hémoglobine avec l’oxygène. Il contribue à donner à l’hémoglobine les propriétés d’un transporteur d’oxygène en autorisant une communication d’un site de fixation de l’oxygène à un autre. Un événement excessivement fugace et à l’échelle nanoscopique a donc retentissement au niveau des grandes régulations physiologiques : ici l’oxygénation des tissus.
À ce jour, l’essentiel du scénario consécutif à cet événement initial, qui conduit à la communication hème-hème, reste à découvrir. Pour cela il est nécessaire de faire appel à des outils permettant de suivre la propagation de ce « séisme initial » au sein de l’édifice et d’identifier ainsi les mouvements atomiques contribuant au chemin réactionnel. Des nouveaux outils restent à découvrir, certains sont en cours de développement : diffraction RX femtoseconde, spectroscopie infra-rouge dans le domaine THz sont probablement les outils adaptés.
La catalyse enzymatique : la caractérisation des états de transition
Dans son commentaire sur le prix Nobel en « femtochimie », l’éditeur de Nature3 écrit dans le dernier paragraphe : « It seems inevitable that ultrafast change in biological systems will receivre increasing attention ».
Sur quoi se fonde une telle certitude ?
Pour une part, sur une réflexion qui date d’un demi-siècle : celle de Linus Pauling qui était essentiellement de nature théorique. Pauling a proposé que le rôle des enzymes est d’augmenter la probabilité d’obtenir un état conformationnel à haute énergie très fugace ou, en d’autres termes, de stabiliser l’état de transition c’est-à-dire l’état conformationnel conduisant à la catalyse. En d’autres termes, il s’agit d’optimiser l’allure du « peloton » au sommet du Tourmalet. Dans les enzymes comme pour les coureurs, c’est à cet endroit que l’avenir de la réaction se joue, et c’est ici que les enzymes interviennent !
Le préalable à la compréhension du fonctionnement des enzymes est donc la caractérisation des états de transition. Une démonstration expérimentale indirecte a été la production d’anticorps catalytiques- ou abzymes- par Lerner et coll. dans le début des années 80. En effet, suivant le raisonnement de Pauling, les anti-corps « reconnaissent » leur cible épitopique dans leur état fondamental ( c’est à dire au minimum de la surface de potentiel, dans la vallée énergétique) alors que les enzymes reconnaissent leur cible, le substrat, dans son état de transition, au col énergétique. Les anticorps deviendont catalytiques si, produits en réponse à la présence d’une molécule mimant l’état de transition d’un substrat, ils sont mis en présence de ce dernier... : ça marche... plus ou moins bien, mais ceci est une autre histoire.
La caractérisation de cet état de transition est donc un préalable à la compréhension des mécanismes de catalyse mais aussi à la conception d’effecteurs modifiant la réactivité. Dans une protéine, qui comporte des milliers d’atomes, l’identification des mouvements participant à la réaction moléculaire n’est pas chose aisée, l’interprétation des spectres ne pouvant plus être directe, comme dans le cas des molécules diatomiques. La cinétique de ces mouvements est directement déterminée par les modes de vibration de la protéine. On peut donc, ici aussi, s’attendre à des mouvements dans le domaine femtoseconde.
Il existe une classe d’enzymes pour laquelle la structure de l’état de transition est connue grace à des approches théoriques : ce sont les protéases dont on sait qu’elles favorisent la configuration tétrahédrique du carbone de la liaison peptidique.Cette connaissance de l’état de transition a autorisé une approche rationnelle dans la conception de molécules « candidat-médicament »: les inhibiteurs de protéase. Il n’est donc pas surprenant qu’à ce jour, les seuls médicaments sur le marché -et non des moindres- issus d’une démarche scientifique véritablement rationnelle soient des inhibiteurs de protéases ou de peptidases : inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), inhibiteurs de protéase du virus HIV, base de « la tri-thérapie ».
En donnant l’espoir de photographier les états de transition, la femto-biologie ouvre la perspective d’une démarche rationnelle dans la conception d’inhibiteurs spécifiques. Avant qu’une telle possibilité ne soit offerte, il reste néanmoins à surmonter de sérieuses difficultés: le développement d’une méthode plus directe de visulisation des conformations, en particulier par diffraction RX femtoseconde, mais aussi la mise au point de méthodes de synchronisation à l’échelle femtoseconde de réactions enzymatiques au sein d’un cristal.
Filmer les molécules à l’échelle femtoseconde a permis de mettre en évidence un comportement inattendu d’enzymes de la respiration : l’utilisation de mouvements de balancier des atomes au profit d’une grande efficacité de réaction
La vie de tous les organismes aérobies – dont nous sommes – dépendent d’une classe d’enzyme : les oxydases et plus particulièrement pour les eucaryotes, de cytochromes oxydases. Cette enzyme est la seule capable de transférer des électrons à l’oxygène en s’auto-oxydant de manière réversible. Elle est responsable de la consommation de 90 % de l’oxygène de la biosphère.
Un dysfonctionnement de cette enzyme a un effet délétère sur la cellule, en particulier par production du très toxique radical hydroxyle °OH. Au delà d’un certain seuil de production, les systèmes de détoxification sont débordés. Le stress oxydatif qui en résulte peut se traduire par diverses pathologies. On retrouve une telle situation en période post-ischémique dans l’infarctus du myocarde, mais aussi dans des maladies neurodégénératives ou lors du vieillissement.
Cette enzyme catalyse la réduction de l’oxygène en eau à partir d’équivalents réducteur cédés par le cytochrome c soluble. Cette réduction à quatre électrons est couplée à la translocation de quatre protons à travers la membrane mitochondriale. L’oxygène et ses intermédiaires restent liés à un hème (l’hème a3) dans un site très spécifique. Ce site comprend, outre l’heme a3, un atome de cuivre, le CuB. Cet atome joue un rôle important dans le contrôle de l’accès des ligands vers ce site ou vers le milieu. Des ligands diatomiques (O2, NO, CO) peuvent établir des liaisons soit avec le Fer de l’hème a3, soit avec le CuB, mais le site actif parait trop encombré pour accommoder deux ligands.
Des études récentes en dynamique femtoseconde ont permis d’élucider le mécanisme de transfert de ligand (monoxyde de carbone (CO)), de l’hème a3 vers le CuB. Le CO est une molécule de transduction du signal produite en faible quantité par l’organisme, qui inhibe la cytochrome c oxidase par formation d’un complexe heme a3-CO stable. En suivant cette réaction par spectroscopie femtoseconde, il a été possible de mettre en évidence un mécanisme très efficace, et en toute sécurité, de transfert d’une molécule dangereuse pour la vie cellulaire. L’enzyme libère la molécule de CO d’un premier site en lui donnant une impulsion qui oriente sa trajectoire vers le site suivant en la protégeant de collisions avec l’environnement.
Dans ce dernier exemple l’enzyme a atteint un degré de sophistication supplémentaire : outre le franchissement du col énergétique de façon optimale, l’enzyme évite la diffusion d’une molécule dangereuse pour la survie cellulaire, tout en l’utilisant comme messager très efficace !
Vers le décloisonnement des disciplines
Le cinema moléculaire n’en est qu’à ses débuts. Il est essentiellement muet. La filmothèque est à peine embryonnaire, le nombre de plan-séquences ne permet pas encore de révéler un véritable scénario. L’essentiel est donc à venir.
Reconstruire le film des évènements conduisant à la vie cellulaire, les intégrés dans des schémas fonctionnels, va donc constituer l’objectif des prochaines décennies.
Cette intégration va dépendre de domaines de recherche très variés, différents de ceux qui traditionnellement ont fait progresser la biologie de la cellule ou des organes. Le transfert des outils de la physique, et au-delà, l’invention de nouveaux outils, y compris moléculaires, l’émergence de nouveaux concepts, va nécessiter le développement de synergies entre acteurs évoluant jusqu’ici dans des sphères disjointes : biologistes cellulaire et moléculaire, physiciens, chimistes, bioinformaticiens… Dans ce cadre il sera utile de créer les conditions permettant de rassembler en un seul site, l’ensemble des compétences.
1 Femtoseconde : le milliardième de millionième de seconde.
2 Picoseconde : millioniène de millionième de seconde = 1000 femtosecondes.
3 Vol 401,p. 626,14 octobre 1999.
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CÉSIUM 137 |
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césium 137
Isotope radioactif du césium, noté 137Cs, dont le nombre de masse est égal à 137.
C’est un radio-isotope très connu, car il constitue la principale source de radioactivité des déchets des réacteurs nucléaires avec le strontium 90 et différents isotopes du plutonium (→ nucléaire).
1. Origine du césium 137
Le césium 137 n’existe pas à l’état naturel. Il est principalement produit lors de la fission de l’uranium dans les réacteurs nucléaires. Chaque réacteur à eau pressurisée conventionnel (REP) produit environ 24 kg de césium 137 par an.
De grandes quantités de césium 137 ont également été produites lors des nombreux essais nucléaires atmosphériques réalisés jusque dans les années 1990. Ce césium 137 s’est depuis déposé sur l’ensemble de la planète.
Par ailleurs, le césium 137 est également l’une des principales sources de contamination radioactive lors des accidents de réacteurs nucléaires, dont les plus connus sont ceux des centrales de Three Miles Island (États-Unis) en 1979, de Tchernobyl (Ukraine) en 1986 et de Fukushima (Japon) en 2011.
2. Propriétés du césium 137
Comme tous les isotopes du césium (39 radio-isotopes au total), le noyau du césium 137 comporte 55 protons, mais il se distingue par son nombre de neutrons égal à 82. Son spin est de 7/2 et sa masse atomique est d’environ 136,907.
Le césium 137 se désintègre en baryum 137 (nucléide stable) selon le mode de désintégration β–, en émettant des rayons gamma de haute énergie (énergie de désintégration égale à 1,176 MeV) (→ élément, matière).
C’est un isotope radioactif dont la durée de vie est considérée comme moyenne. Sa période radioactive, ou temps de demi-vie (c’est-à-dire le temps au bout duquel la moitié des noyaux radioactifs, initialement présents, se sont désintégrés) est de 30,07 années.
3. Toxicité du césium 137
Du fait de ses émissions de rayonnement gamma, le césium 137 est extrêmement dangereux pour tous les êtres vivants (végétaux, animaux, hommes). De plus, sa toxicité est accrue par sa similarité chimique avec le potassium qu’il tend à remplacer dans les processus d’assimilation par les végétaux ou par ingestion dans l’organisme.
3.1. Effets du césium 137 sur la santé
On distingue généralement l’exposition externe et l’exposition interne au césium 137. Les contaminations cutanées sont difficiles à éliminer (la période au niveau de la peau étant d’environ quatre jours) et une dose locale élevée de césium 137 provoque une brûlure cutanée qui doit être traitée comme une brûlure classique (voir irradiation).
L’exposition interne est beaucoup plus dangereuse. En effet, s’il est inhalé ou ingéré, le césium 137 est assimilé comme son homologue et compétiteur naturel, le potassium, dans l’ensemble de l’organisme en se concentrant préférentiellement dans les muscles (avec une charge plus importante chez l’enfant que chez l’adulte). Sa période biologique (c’est-à-dire le temps au bout duquel la moitié du césium 37 qui a pénétré dans l’organisme est rejetée à l’extérieur dans les urines, les selles et la sueur) est de 100 jours environ.
L’ingestion de fortes doses de césium 137 a des effets dévastateurs : insuffisance médullaire, altération du système immunitaire et de la fonction de reproduction, affections rénales… Par ailleurs, à doses plus faibles et à plus long terme, le césium 137 entraîne une augmentation des cancers de la thyroïde, des malformations congénitales et fœtales, ainsi que des troubles neurologiques.
En termes de prise en charge thérapeutique des patients contaminés par le césium 137, le bleu de Prusse (ferrocyanure de fer) est le seul traitement efficace pour évacuer le césium 137 après ingestion.
3.2. Effets du césium 137 sur l’environnement
Dans l’environnement terrestre, le césium 137 reste concentré dans les couches supérieures du sol où il est fixé par les minéraux. Il est intercepté par le feuillage de la végétation et se retrouve ainsi dans la litière des forêts. Les champignons qui se développent en surface et à quelques centimètres sous la surface du sol, piègent le césium 137 (comme ils piègent, par ailleurs, les pesticides).
L’isotope radioactif peut ainsi se concentrer dans la chaîne alimentaire, notamment dans la chair du gibier (sangliers, etc.) ; mais il contamine tout aussi bien la chair des poissons du fait de sa présence dans des eaux courantes et les océans.
4. Utilisations industrielles et médicales
Dans les secteurs industriel et médical, le césium 137 est utilisé pour ses rayons gamma. Il est produit artificiellement par bombardement neutronique de césium stable (césium 133), puis est placé à l’intérieur d’une capsule scellée, où il est généralement mélangé avec une résine. L’activité de ces sources scellées de césium 137 peut varier de façon considérable (de 106 Bq à 1015 Bq).
La majeure partie de ces sources sont utilisées dans l’industrie dans les appareils de gammagraphie pour le contrôle non destructif de pièces métalliques, de soudures ou d’ouvrages d’art, ainsi que dans les irradiateurs industriels pour la stérilisation des aliments.
En médecine, on utilise des sources de césium 137 d’activités assez faibles (environ 109 Bq) dans le traitement de tumeurs cancéreuses, en plaçant la source directement au contact de la tumeur à traiter (brachythérapie, voir radiothérapie). Des sources d’activités plus élevées (de l’ordre de 1014 Bq ) sont utilisées pour l’irradiation de produits sanguins, permettant ainsi d’inhiber la division lymphocytaire afin d’éviter les risques de maladie post-transfusionnelle chez les patients immunodéprimés.
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LE MONDE QUANTIQUE AU TRAVAIL : L'OPTOÉLECTRONIQUE |
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LE MONDE QUANTIQUE AU TRAVAIL : L'OPTOÉLECTRONIQUE
L'optoélectronique est une discipline scientifique et technologique qui a trait la réalisation et l'étude de composants mettant en jeu l'interaction entre la lumière et les électrons dans la matière. Ces composants, qui permettent de transformer la lumière en courant électrique et réciproquement, sont des instruments privilégiés pour comprendre le nature de la lumière et des électrons. Il est donc peu étonnant que ce soit le tout premier composant opto-électronique (la cellule photoélectrique) qui soit à l'origine de la découverte d'Albert Einstein de la dualité onde-corpuscule. Dans cette Conférence, nous décrirons comment ce concept fondateur de la Physique Quantique a permis de comprendre les propriétés électroniques et optiques de la matière. Nous décrirons comment ces propriétés quantiques sont mises en oeuvre dans les quelques briques de base conceptuelles et technologiques à partir desquelles tous les composants optoélectroniques peuvent être élaborés et compris. Nous décrirons enfin quelques exemples de ces composants optoélectroniques qui ont changé profondément notre vie quotidienne : - les détecteurs quantiques (caméscopes, cellules solaires, infrarouge…) - les diodes électroluminescentes (affichage, éclairage, zapettes, …) - les diodes laser (réseaux de télécommunication, lecteurs de CD-DVD, internet, …) Nous explorerons finalement quelques nouvelles frontières de cette discipline, qui est un des domaines les plus actifs et des plus dynamiques de la Physique à l'heure actuelle.
Transcription* de la 590e conférence de l'Université de tous les savoirs prononcée le 12 juillet 2005
Le monde quantique au quotidien : l'optoélectronique
Par Emmanuel Rosencher
Cet exposé propose de vous montrer comment la mécanique quantique, domaine abstrait, sophistiqué, voire ésotérique pour certains, est à la base de révolutions technologiques qui ont transformé notre quotidien. Nous montrerons tout d'abord comment la physique quantique est née de l'étude d'un composant optoélectronique (définissons l'optoélectronique comme étant l'étude de l'interaction qui a lieu entre la lumière et les électrons dans les solides). Nous montrerons ensuite comment la mécanique quantique a rendu la monnaie de sa pièce à l'optoélectronique en lui fournissant des briques de bases conceptuelles extrêmement puissantes, à partir desquelles un certains nombres de composants comme les détecteurs quantiques ou les émetteurs de lumière ont été réalisés. Nous présenterons enfin les défis actuels que l'optoélectronique tente de relever.
Là où tout commence : l'effet photoélectrique
Tout commence en 1887. Rudolph Hertz, célèbre pour la découverte des ondes Hertziennes, va découvrir l'effet photoélectrique, aidé de son assistant Philipp von Lenard. Cet effet va révolutionner notre compréhension de la lumière comme de la matière, bref, notre vision du monde. L'expérience qu'ils ont réalisée était pourtant on ne peut plus simple : deux plaques métalliques sont placées dans le vide. On applique à ces plaques une différence de potentiel. Le courant qui circule dans le système est mesuré. Comme les plaques métalliques sont placées dans le vide, les électrons n'ont pas de support pour passer d'une électrode à l'autre, et donc aucun courant ne peut circuler dans le système. Hertz décide alors d'illuminer une des plaques avec de la lumière rouge, il s'aperçoit que rien ne change. Par le hasard de l'expérience, il éclaire alors la plaque avec de la lumière bleue, et s'aperçoit cette fois qu'un courant commence à circuler. Il est important de noter que, même avec une grande intensité de lumière rouge, aucun courant ne circule, alors qu'une faible lumière bleue fait circuler le courant. Les deux savants concluent leur expérience par la phrase suivante, qui deviendra une des pierres fondatrices de la physique quantique : « il semble y avoir un rapport entre l'énergie des électrons émis et la fréquence de la lumière excitatrice. »
A la même époque, un autre grand savant, Max Planck, travaille sur un sujet totalement différent, à savoir le « spectre du corps noir » ( voir Figure 1): en d'autres termes, il étudie la lumière émise par des corps chauffés. Le fer, par exemple, une fois chauffé devient rouge. A plus haute température, il vire au jaune, puis au blanc. Max Planck étudie donc le fait que tous les corps chauffés vont avoir un comportement commun : à une température donnée, ils rayonneront principalement une certaine longueur d'onde. Par exemple, notre corps à 37°C émet des ondes à 10 mm (lumière infrarouge non visible). En revanche, à 5000°C (température correspondant à la surface du soleil), le maximum se déplace, le corps émet autour de 500 nm (jaune). Cette correspondance entre la température du corps noir et la nature de la lumière émise par ce corps va littéralement rendre fou toute une génération de physiciens qui n'arrivent pas à expliquer ce phénomène. Max Planck, au début du XXème siècle, déclarera à la société allemande de physique qu'il peut rendre compte de ce comportement. Pour cela, il doit supposer que la lumière arrive en paquets d'énergie et que chaque paquet d'énergie est proportionnel à la fréquence de la lumière, c'est-à-dire que l'énergie de chaque grain de lumière est le produit de la fréquence de cette onde par une constante, ridiculement petite (environ 6.10-34 J.s). S'il est persuadé d'avoir fait une grande découverte, Max Planck n'a pour autant pas la moindre idée de ce que sont ces « quanta » d'énergie qu'il a introduits dans son calcul.
figure1
Spectre du corps noir (le fer chauffé de la photo émet des longueurs d'onde réparties sur la courbe bleue, la courbe rouge est émise par un humain qui n'a pas de fièvre)
Pendant ce temps, à la société Anglaise de physique, Lord Kelvin fait son discours inaugural, où il déclare que toute la physique est constituée, la récente théorie ondulatoire de Maxwell rendant très bien compte du comportement de la lumière. Il ne reste plus que quelques phénomènes incompris, d'un intérêt secondaire. Parmi ces phénomènes incompris figurent évidemment le spectre du corps noir, et l'effet se produisant dans la cellule photoélectrique.
Albert Einstein va réaliser le tour de force de montrer que ces deux phénomènes ont une même origine, origine qu'il baptisera la dualité onde-corpuscule. L'hypothèse révolutionnaire d'Einstein est de dire que la lumière, considérée jusqu'alors comme une onde, est également une particule. A la fois onde et particule, la lumière véhicule ainsi une quantité d'énergie bien précise.
Le raisonnement d'Einstein se comprend bien sur un diagramme d'énergie, où est représentée l'énergie des électrons en fonction de leur position ( voir Figure 2). Pour être arraché du métal, un électron doit recevoir l'énergie qui lui permet d'échapper à l'attraction du métal. Cette énergie est appelée potentiel d'ionisation. Les électrons sont donc piégés dans le métal, et il leur faut franchir ce potentiel d'ionisation pour le quitter. L'hypothèse d'Einstein consiste à dire que la lumière est constituée de particules et que chaque particule a une énergie valant h.f, où h est la constante établie par Max Planck, et f la fréquence de la lumière. Si cette énergie h.f est inférieure au potentiel d'ionisation (comme c'est le cas pour la lumière rouge), aussi puissant que soit le faisceau de lumière, nous n'arracherons pas le moindre électron au métal. En revanche, si la lumière est bleue, la longueur d'onde est plus courte, ce qui correspond à une fréquence f plus grande, donc une énergie plus grande, les électrons vont alors acquérir l'énergie suffisante pour quitter le métal et aller dans le vide. Cette théorie permet donc d'expliquer le phénomène jusqu'alors incompris observé par Hertz et Leenard.
figure2
Diagramme d'énergie d'Einstein
Einstein ne se contente pas de cette explication, il propose une expérience permettant de vérifier son hypothèse. Si on mesure l'excès d'énergie des photons (représenté DE sur la Figure 2), c'est-à-dire si on mesure l'énergie des électrons une fois qu'ils ont été arrachés par la lumière, on doit pouvoir en déduire la valeur de la constante de Planck h.
La théorie d'Einstein est accueillie à l'époque avec fort peu d'enthousiasme. La physique semblait jusqu'alors bien comprise, la lumière était une onde, et on rendait compte de l'écrasante majorité des phénomènes observés. Et Einstein vient tout bouleverser ! De nombreux scientifiques vont donc tenter de montrer que sa théorie est fausse. Notamment Millikan, qui va passer 12 années de sa vie à tester la prédiction d'Einstein. Millikan reconnaîtra finalement son erreur : son expérience montrera bien que l'énergie en excès dans les électrons est proportionnelle à la fréquence de la lumière excitatrice, et le coefficient de proportionnalité est bien la constante de Planck h.
Einstein venait d'unifier deux phénomènes qu'a priori rien n'apparentait : la lumière émise par un corps chauffé, et l'excès d'énergie d'un électron émis dans le vide. Ce lien existe, et c'est la physique quantique.
On peut donc relier la longueur d'onde de la lumière à son énergie ( voir Figure 3). Ainsi, le soleil qui rayonne principalement dans le jaune, c'est-à-dire à des longueurs d'onde d'environ 500 nm émet des photons de 2 eV (électron-volt). Le corps humain à 37°C rayonne une onde à 10 mm, ce qui correspond à des photons d'énergie 0,1eV. Rappelons qu'un électron-volt correspond à l'énergie d'un électron dans un potentiel électrique de 1V.
figure3
Correspondance entre longueur d'onde de la lumière et énergie du photon
Les briques de base
Comme nous l'avons mentionné en introduction, la physique entre alors dans un cercle vertueux : la technologie (par la cellule photoélectrique) fournit à la physique un nouveau concept fondamental, la physique quantique va en retour développer des outils conceptuels extrêmement puissants qui vont permettre le développement des composants optoélectroniques que nous allons étudier.
Les Semi-conducteurs
Avant d'entrer dans ce cercle vertueux, un concept manque encore à la physique quantique. Il va être proposé par le français Louis de Broglie en 1925. Ce dernier fait le raisonnement suivant : Einstein vient de montrer que la lumière, qui est une onde, se comporte comme une particule. Que donnerait le raisonnement inverse? Autrement dit, pourquoi la matière (les atomes, les électrons, tout objet ayant une masse) ne se comporterait-elle pas également comme une onde ? De Broglie va montrer qu'on peut associer à l'énergie d'une particule matérielle une longueur d'onde. Il montre notamment que, plus la particule a une énergie élevée, plus sa longueur d'onde est faible. La correspondance entre énergie et longueur d'onde pour la matière différera cependant de celle pour les photons, car les photons n'ont pas de masse.
Partant de cette hypothèse, Wigner, Seitz et Bloch se demandent ce que devient cette longueur d'onde lorsque l'électron est dans la matière, où il est soumis à un potentiel d'environ 5V. Leur calcul leur montre que sa longueur d'onde est alors d'environ 5 angströms (1 angström valant 10-10 mètres)... ce qui correspond à peu près à la distance entre atomes dans la matière.
figure4
Comportement d'une onde électronique dans la matière et naissance de la structure de bandes
La physique quantique va alors donner une compréhension nouvelle et profonde du comportement des électrons dans la matière. Rappelons que la matière peut souvent être représentée par un cristal, c'est-à-dire un arrangement périodique d'atomes, distant de quelques angströms. Imaginons qu'une onde électronique (c'est-à-dire un électron) essaie de traverser le cristal. Si la longueur d'onde vaut 20 angströms, elle est très grande par rapport au maillage du cristal, et elle ne va donc pas interagir avec le cristal. Cette longueur d'onde va donc pouvoir circuler, on dira qu'elle est permise, et par conséquent l'énergie qui lui correspond est elle aussi permise (onde rouge sur la Figure 4). Il y aura un très grand nombre de longueur d'ondes permises, auxquelles correspondront des bandes d'énergies permises. En revanche, si la longueur d'onde de l'électron est de l'ordre de 5 angströms (onde bleue sur la Figure 4), c'est-à-dire de la distance être atomes, l'électron va alors résonner avec la structure du cristal, et l'onde ne va pas pouvoir pénétrer dans la matière. L'onde électronique est alors interdite dans la matière, et l'énergie qui lui correspond est également interdite dans la matière. Ainsi on voit apparaître, pour décrire les électrons dans la matière, une description en termes de bandes permises et de bandes interdites. Nous appellerons la bande permise de plus basse énergie (sur la figure 5) la bande de valence, et la bande permise au-dessus d'elle la bande de conduction.
A partir de cette structure de bandes, Pauli va montrer que les atomes peuplent d'abord les états de plus basse énergie. Ils vont ainsi remplir complètement la bande de valence, et laisser la bande de conduction vide. Il montre alors que dans une telle configuration les électrons ne peuvent pas conduire l'électricité.
figure5
Les électrons de la bande de valence, comme les pièces d'un jeu de taquin
Pour illustrer ses propos, comparons la matière à un jeu de taquin ( Figure 5). Rappelons que le taquin est un puzzle fait de pièces carrées et où ne manque qu'une pièce. C'est l'absence d'une pièce qui permet de déplacer les pièces présentes. Pour Pauli, une bande de valence pleine d'électrons, est comme un taquin qui n'aurait pas de trous : aucun élément ne peut bouger, car toutes les cases sont occupées. C'est pourquoi beaucoup de matériaux, notamment les semi-conducteurs (qui, comme leur nom l'indique sont de mauvais conducteurs), ne peuvent pas conduire le courant, leur bande de valence étant trop pleine. Pour conduire l'électricité, il va être nécessaire de prendre des électrons de la bande de valence, et de les envoyer dans la bande de conduction. Alors les rares électrons dans la bande de conduction auront tout l'espace nécessaire pour bouger, ils conduiront aisément le courant. De plus, ces électrons auront laissé de la place dans la bande de valence, ce qui revient, dans notre image, à enlever une pièce au taquin. Les électrons pourront alors bouger, mal, mais ils pourront bouger. Ce déplacement des électrons dans la bande de valence peut être réinterprété : on peut considérer qu'un électron se déplace pour occuper une place vacante, puis qu'un autre électron va occuper la nouvelle place vacante, et ainsi de suite... ou on peut considérer que nous sommes en présence d'un trou (une absence d'électron) qui se déplace dans le sens opposé au mouvement des électrons ! Cette interprétation nous indique alors que, dans la bande de valence, ce ne sont pas les électrons qui vont bouger, ce sont les « absences d'électrons », c'est-à-dire des trous, qui sont, de fait, de charge positive.
Wigner, Pauli et Seitz venaient de résoudre une énigme qui datait du temps de Faraday (1791-1867), où l'on avait observé des charges positives se déplaçant dans la matière sans avoir idée de ce que c'était. Il s'agit en fait des trous se déplaçant dans la bande de valence. Pour la suite, nous nous intéresserons donc aux électrons se trouvant dans la bande de conduction, et aux trous de la bande de valence.
Comment envoyer ces électrons de la bande de valence vers la bande de conduction ? En utilisant le photon ! Le photon va percuter un électron de la bande de valence et créer une paire électron-trou, c'est-à-dire qu'il va laisser un trou dans la bande de valence et placer un électron dans la bande de conduction. Il s'agit d'un phénomène d'absorption car au cours de ce processus, le photon disparaît. Il a été transformé en paire électron-trou.
Evidemment le mécanisme inverse est possible : si on arrive à créer par un autre moyen une paire électron-trou, l'électron va quitter la bande de conduction pour se recombiner avec le trou dans la bande de valence, et émettre un photon. La longueur d'onde du photon émis correspondra à l'énergie de la bande interdite ( energy gap en anglais). Il y a donc une correspondance fondamentale entre la couleur du photon émis et l'énergie de la bande interdite.
figure6
Gap d'énergie et distance inter-atomiques des principaux semi-conducteurs
La Figure 6 montre l'énergie de la bande interdite pour différents matériaux. On constate que certains matériaux se retrouvent sur la même colonne, c'est-à-dire qu'ils ont la même distance inter-atomique. C'est le cas par exemple de l'Arséniure de Gallium (GaAs) et de l'Aluminure d'Arsenic (AlAs). Etant des « jumeaux cristallographiques », il sera aisé de les mélanger, les faire croître l'un sur l'autre. En revanche, ils ont des bandes d'énergie interdite très différente. A partir de ce graphique, on peut donc conclure quel semi-conducteur conviendra à la lumière que l'on veut produire. Ainsi, la lumière rouge sera émise par le Phosphure de Gallium (GaP). Pour aller dans l'infrarouge lointain, un mélange entre CdTe et HgTe est cette fois préconisé.
Le dopage et la jonction P-N
Nous venons de présenter la première brique de l'optoélectronique, à savoir l'énergie de la bande interdite. La deuxième brique qui va nous permettre de réaliser des composants optoélectroniques va être le dopage. Comme nous l'avons dit précédemment, un semi-conducteur, si on n'y ajoute pas des électrons, conduit aussi bien qu'un bout de bois (c'est-à-dire plutôt mal !). Pour peupler la bande de valence, nous allons utiliser le dopage.
Nous nous intéresserons aux éléments des colonnes III, IV et V de la classification périodique des éléments de Mendeleïev (une partie en est représentée Figure 7). Le numéro de la colonne correspond au nombre d'électrons se trouvant sur la dernière couche électronique. Ainsi les éléments de la colonne IV, dits tétravalents, comme le Carbone et le Silicium, possèdent IV électrons sur leur dernière couche. Dans la colonne III (éléments trivalents), nous trouverons le Bore, et dans la colonne V (éléments pentavalents) se trouve le Phosphore.
figure7
Dopage de type P et dopage de type N
Regardons ce qui se passe si on introduit un élément pentavalent dans un cristal de Silicium. On peut dire que le Phosphore, tel l'adolescent dans une cour d'école, veut à tout prix ressembler aux copains. Ainsi, le Phosphore va imiter le Silicium et construire des liaisons électroniques avec 4 voisins. Il va donc laisser un électron tout seul. Cet électron va aller peupler la bande de conduction. C'est ce qu'on appelle le dopage de type N. Le Phosphore joue le rôle de Donneur d'électrons.
Le raisonnement est le même pour des éléments trivalents comme le Bore. Ce dernier va mimer le comportement du Silicium en créant 4 liaisons électroniques. Pour cela, il va emprunter un électron à la structure de Silicium, consommant ainsi un électron dans la bande de valence. Il crée donc un trou dans la bande de valence. Le dopage est dit de type P. Le Bore joue le rôle d'Accepteur d'électrons.
Le dopage n'est pas un processus aisé à réaliser. A l'heure actuelle, nous n'avons toujours pas trouvé le moyen de doper efficacement certains semi-conducteurs (c'est le cas du diamant par exemple). Pour le Silicium (Si) et l'Arséniure de Gallium (GaAs), le dopage est en revanche bien maîtrisé.
On va alors pouvoir réaliser des jonctions P-N ( Figure 8). Il s'agit en fait de juxtaposer un matériau dopé P avec un matériau dopé N. Dans la zone dopée N, le Phosphore a placé de nombreux électrons dans la bande de conduction. La zone dopée P quant à elle possède de nombreux trous dans la bande de valence. Nous sommes ainsi en présence délectrons et de trous qui se « regardent en chiens de faïence ». Ils vont donc se recombiner. Ainsi, à l'interface, les paires électrons trous vont disparaître, et laisser seules des charges négatives dans la zone dopée P, et des charges positives dans la zone dopée N. Ces charges fixes (qui correspondant en fait aux atomes dopants ionisés) vont créer un champ électrique. Cette jonction P-N sera au cSur de très nombreux composants optoélectroniques.
figure8
Jonction P-N: les électrons de la zone N se recombinent avec les trous de la zone P, laissant des charges nues dans une zone baptisée zone de charge d'espace. Les charges fixes induisent un champ électrique.
Le Puits Quantique
Dernière brique de l'optoélectronique que nous présenterons : le puits quantique. Ce dernier peut être considéré comme le fruit du progrès technologique. Dans les années 70-80, les ingénieurs étudient l'Ultra-Vide, c'est-à-dire les gaz à très basse pression (10-13 atmosphère). Comme il s'agit d'un milieu extrêmement pur, bien vite on se rend compte, que cela reproduit les conditions primordiales dans lesquelles les matériaux ont été créés. Dans un tel milieu, on va alors pouvoir « jouer au bon dieu » et empiler des couches d'atomes, créer des structures artificielles qui n'existent pas dans la nature.
Typiquement, il va être possible de réaliser des sandwichs de matériaux, où par exemple de l'Arséniure de Gallium (GaAs) serait pris entre deux tranches d'un matériau qui lui ressemble, AlGaAs (nous avons vu précédemment que AlAs et GaAs sont miscibles). Sur la photo ( Figure 9), issue d'un microscope électronique nous permettant d'observer les atomes, on voit que ces matériaux n'ont aucun problème à croître l'un sur l'autre. La couche de GaAs ne mesure que 20 angströms.
figure9
Puits quantique. En haut, sa composition. Au milieu une photo au microscope électronique d'une telle structure. En bas, diagramme d'énergie du puits quantique, la forme des oscillations de l'électron a également été représentée
Examinons le comportement de l'électron dans un tel milieu. Le GaAs a plus tendance à attirer les électrons que AlGaAs. L'électron se trouve piégé dans un puits de potentiel. C'est alors qu'intervient la mécanique quantique, réinterprétant le puits de potentiel en « puits quantique ». L'électron est une onde, une onde prisonnière entre deux murs (les barrières de potentiel formées par l' AlGaAs). L'électron ne va avoir que certains modes d'oscillation autorisés, comme l'air dans un tuyau d'orgue qui ne va émettre que des sons de hauteur bien définie.
Techniquement, il nous est possible de créer à peu près n'importe quel type de potentiel, puisqu'on est capable de contrôler l'empilement des atomes. Par exemple, plus on élargit le puits quantique, plus il y a de modes d'oscillation possibles pour l'électron, et plus il y a de niveaux d'énergies accessibles à l'électron. On peut ainsi synthétiser la répartition de niveau d'énergies que l'on souhaite.
Nous avons à présent un bon nombre d'outils de base que nous a fournis la mécanique quantique : la structure de bandes, le dopage et la jonction P-N qui en découle, et pour finir, le puits quantique. Nous allons à présent voir comment ces concepts entrent en jeu dans les composants optoélectroniques.
La détection quantique
Le principe de la photo-détection quantique (utilisé dans tous les appareils photo numérique) est extrêmement simple : il s'agit, à l'aide d'un photon, de faire transiter l'électron entre un niveau de base, où il ne conduit pas l'électricité, et un niveau excité où il va la conduire. Le semi-conducteur pur peut par exemple faire office de photo-détecteur quantique ( Figure 10): à l'état de base, il ne conduit pas le courant, mais un photon peut créer, par effet photoélectrique, une paire électron-trou et placer un électron dans la bande de conduction, permettant le transport du courant.
figure10
Deux mécanismes de détection quantique. A gauche, on utilise la structure de bande d'un semi-conducteur. A droite, un puits quantique.
Un puits quantique peut également réaliser cette fonction ( Figure 10): les électrons se trouvent piégés dans le puits quantiques, car la barrière d'AlGaAs les empêche de sortir, mais par absorption d'un photon, les électrons vont avoir l'énergie leur permettant de sortir du piège et donc de conduire le courant.
L'effet Photovoltaïque
Le détecteur quantique le plus répandu est la cellule photovoltaïque. Elle est constituée d'une jonction P-N. Imaginons que des photons éclairent la structure. Dans la zone ionisée (appelée zone de charge d'espace), ils vont alors créer des paires électron-trou. Mais cette région possédant un champ électrique du fait des charges fixes, les électrons vont être attirés par le Phosphore, les trous par le Bore, ce qui va générer un courant électrique.
figure11
Cellule photovoltaïque. En haut, la jonction P-N reçoit des photons qui créent des paires électron-trou. En bas, diagramme d'énergie montrant les électrons de la bande de conduction tombant dans la zone N, et les trous de la bande de valence remontant dans la zone P.
On peut représenter ce mécanisme sur un diagramme d'énergie ( Figure 11). Le champ électrique présent au niveau de la jonction P-N provoque une courbure de la bande de valence et de la bande de conduction. Le photon va créer une paire électron-trou. L'électron va glisser le long de la pente de la bande de conduction, et se retrouver dans la zone dopée N, tandis que le trou, tel une bulle dans un verre de champagne, va remonter la bande de valence et se retrouver dans la zone dopée P.
Les caméras CCD
Techniquement, il existe des technologies pour synthétiser ces minuscules détecteurs par millions en une seule fois. Ces détecteurs ont changé notre vie quotidienne. En effet, au cSur de tous les appareils photo et caméscopes numériques se trouve une matrice CCD ( charge coupled devices). Il ne s'agit pas exactement de jonctions P-N, mais d'une myriade de transistors MOS. Néanmoins les concepts physiques mis en jeu sont tout à fait analogues. Il s'agit d'une couche semi-conductrice de Silicium séparée d'une couche métallique par une couche isolante d'oxyde. Lorsqu'un photon arrive dans la zone courbée du diagramme de bande (c'est là encore, la zone de charge d'espace), une paire électron-trou est créée, les électrons vont s'accumuler à l'interface entre le semi-conducteur et l'isolant, il vont alors pouvoir être « évacués » par les transistors qui vont récupérer les « tas d'électrons » et se les donner, comme des pompiers se passant des bacs d'eau (d'où leur nom). Les matrices CCD actuelles ont des caractéristiques vertigineuses, contenant aisément 10 millions de pixels mesurant chacun 6 mm x 6 mm.
figure12
Matrice CCD. A gauche, diagramme d'énergie d'un transistor MOS (Métal Oxide Silicium). A droite, photo d'une matrice CCD
Les détecteurs infrarouges
Un deuxième type de détecteurs très importants sont les détecteurs infrarouge, notamment ceux détectant les longueurs d'onde comprises entre 3 et 5 mm, et entre 8 et 12 mm. Comme nous l'avons mentionné au début, le corps humain à 37°C rayonne énormément de lumière, sur toute une gamme de longueurs d'onde (représentée en bleu sur la Figure 13), centrée autour de 10 mm. Mais l'atmosphère ne laisse pas passer toutes les longueurs d'onde (la courbe rouge représente la transmission de l'atmosphère). Et justement entre 3 et 5 mm, et entre 8 et 12 mm, elle a une « fenêtre de transparence ». En particulier, à plus haute altitude, un avion peut voir à plusieurs centaines de kilomètres dans la bande 8-12 mm. Un autre intérêt de détecter cette gamme de longueur d'onde est qu'elle correspond à l'absorption de certains explosifs qui seraient alors détectables.
figure13
Spectre de transmission de l'atmosphère (courbe rouge), et spectre d'émission du corps humain, c'est-à-dire d'un corps noir à 37°C (courbe bleue)
Comment réaliser ces détecteurs autour de 5 et de 10 mm (c'est-à-dire ayant un gap d'énergie de 0,1 à 0,2 eV)? La Figure 6 nous indique que le couple CdTe (Tellure de Mercure) - HgTe (Tellure de Cadmium) est un bon candidat. Notons au passage que la France, grâce notamment aux laboratoires du CEA et de l'ONERA) est leader mondial dans ce domaine. Avec de tels détecteurs, il devient possible de voir des avions furtifs, indétectables par radar. Des applications existent aussi dans le domaine médical, où ces capteurs permettent de déceler certaines variations locales de température sur une simple image. Il est également possible de détecter le niveau de pétrole à l'intérieur d'un conteneur, l'inertie thermique du pétrole différant de celle de l'air.
figure14
Exemples d'images prises par des détecteurs infrarouges (source : www.x20.org)
Les cellules solaires
Dernier type de détecteur que nous examinerons : les cellules solaires, qui transforment la lumière en électricité. Le matériau roi (parce que le moins cher) dans ce domaine est le Silicium. Malheureusement son rendement quantique n'est pas bon (15%), c'est-à-dire que le Silicium absorbe très bien le rayonnement à 1 eV, tandis que le soleil émet essentiellement entre 2 à 3 eV. Des recherches sont actuellement menées afin de développer des matériaux absorbant plus efficacement dans ces gammes d'énergie. Ces recherches sont extrêmement importantes pour les nouvelles sources d'énergie.
Les émetteurs de lumière
Diodes électroluminescentes
On se rappelle qu'en se recombinant, les paires électron-trous créent un photon. Réaliser un émetteur de lumière est donc possible à partir d'un puits quantique ( Figure 15). Ce dernier confine les électrons. Prenons, comme précédemment, le cas d'un puits quantique de GaAs « sandwiché » entre deux domaines d'AlGaAs. Cette fois, nous dopons N l'AlGaAs se trouvant d'un côté du puits, et P l'AlGaAs se trouvant de l'autre côté. Si on fait passer du courant dans cette structure, les électrons de la zone dopée N vont tomber dans le puits quantique, les trous de la zone dopée P vont monter dans le puits de la zone de valence. Une fois dans le puits quantique, électrons et trous vont se recombiner et émettre un photon. Ce composant est appelé Diode Electroluminescente (LED). Ce n'est ni plus ni moins qu'un photo-détecteur dans lequel on a forcé le courant à passer.
figure15
Diagramme d'énergie d'une diode électroluminescente. Trous de la zone P et électrons de la zone N vont être piégés dans le puits quantique et se recombiner en émettant de la lumière
Les LED remplissent, elles aussi notre quotidien. Elles ont un énorme avantage sur d'autres type d'éclairage : le processus de création de photon d'une LED est extrêmement efficace. En effet, dans une LED chaque électron donne un photon. Ainsi avec un courant d'un ampère, on obtient une puissance lumineuse d'environ un Watt, alors qu'une ampoule ne donnera que 0,1W pour le même courant. L'utilisation plus répandue des LED pour l'éclairage aura un impact extrêmement important pour les économies d'énergie et l'environnement. A l'heure actuelle, elles sont utilisées dans nos télécommandes, les panneaux d'affichages, les feux de signalisation.
Depuis quelques temps les diodes rouges, orange et vertes existent. La diode bleue, plus récemment apparue a connue une histoire insolite. En 1974, des ingénieurs se penchent sur le problème de la réalisation d'une telle diode, et trouvent qu'un matériau possède le gap d'énergie adéquat (3-4 eV) : le Nitrure de Gallium (GaN). Ils vont alors chercher à le doper... pendant 10 ans... sans succès. En 1984, un grand théoricien soutient, démonstration à l'appui, qu'il n'est théoriquement pas possible de doper un tel semi-conducteur. Toutes les équipes arrêtent alors progressivement leurs recherches sur le sujet... toutes, sauf une. Celle du Dr. Nakamura (qui sans doute n'avait pas lu l'article de l'éminent théoricien) de la société Japonaise Nichia. En 1993, il trouve que le Magnésium (Mg) dope le Nitrure de Gallium ! Dix ans après, sa découverte a révolutionné le marché de l'optoélectronique. En effet, avec les autres couleurs de LED, il est à présent possible de réaliser d'immenses écrans publicitaires...
Diodes lasers
Etudions à présent l'émission stimulée. Nous avons vu que le semi-conducteur pouvait absorber un photon, qu'il pouvait également en émettre s'il possède un électron dans sa bande de conduction. En 1917, Albert Einstein s'aperçoit qu'il manque un mécanisme dans cette description de l'interaction entre la lumière et la matière. Par une démarche purement théorique, il va découvrir un nouveau phénomène : l'émission stimulée ( Figure 16).
Dans l'émission stimulée, l'électron est dans l'état excité. Arrive alors un photon, qui va stimuler la désexcitation de l'électron. Cette désexcitation va naturellement s'accompagner de l'émission d'un autre photon, dit photon stimulé. Si on se trouve dans un matériau où beaucoup d'électrons sont excités, un photon va alors pouvoir donner 2, puis 4, puis 8 ... photons ! Ce phénomène est appelé l'amplification optique.
figure16
Diagramme des mécanismes d'absorption, d'émission spontanée, et d'émission stimulée
Il est alors possible de réaliser un LASER. Pour cela, il suffit de placer deux miroirs aux extrémités de l'amplificateur optique. La lumière va être amplifiée lors d'un premier passage, une partie va être émise en dehors de la cavité, l'autre partie va être réfléchie et refaire un passage dans le milieu amplificateur. La même chose se produit sur le deuxième miroir. Si après un tour on a plus d'énergie qu'au départ, nous sommes face à un phénomène d'avalanche où le nombre de photons créés va croître très rapidement. Le système se met à osciller, c'est l'oscillation LASER.
John von Neumann, l'inventeur de l'ordinateur, prévoit que les semi-conducteurs devraient permettre de réaliser des lasers. En effet en partant d'un puits quantique et en y plaçant beaucoup d'électrons et de trous, nous allons obtenir notre milieu amplificateur. En plaçant des miroirs aux extrémités du puits quantique, on obtient alors un laser ( Figure 17). Le laser à semi-conducteur sera découvert 50 ans après, et par 3 laboratoires différents (General Electric, IBM et Bell Labs) en l'espace de 10 heures !
figure17
Schéma d'une diode laser. Le milieu à gain est constitué par la jonction P-N. A ses extrémités des miroirs forment la cavité, et laissent sortir un faisceau laser unidirectionnel
L'intérêt du laser à semi-conducteur est qu'on peut concentrer toute la puissance lumineuse sur un fin pinceau lumineux. Là encore, les applications sont nombreuses : pointeurs, lecteur de CD, télécommunications... Revenons un instant sur l'importance des matériaux émettant dans le bleu (le Nitrure de Gallium). Le laser bleu va en effet avoir des retombées importantes dans le domaine des disques lasers. Le principe du lecteur de disque est d'envoyer un laser sur la surface du disque qui réfléchit (ou non) la lumière, lumière qui est alors lue par un détecteur quantique. La surface du disque est criblée de trous stockant les bits d'information. Il se trouve que la dimension minimale d'un faisceau laser correspond à la longueur d'onde qu'il émet. Ainsi la tâche d'un laser rouge est de 0,8 mm, tandis que celle d'un faisceau bleu est de 0,4 mm. On pourra donc lire 4 fois plus d'information avec un laser bleu Les diodes bleues vont donc progressivement (et rapidement) remplacer les diodes rouges des lecteurs de disques.
La lumière d'un laser va également pouvoir être envoyée à l'intérieur d'une fibre optique, qui est une structure guidant la lumière au cSur d'un guide en verre (silice) de 4 mm de diamètre. La fibre optique permet alors de transporter énormément d'information extrêmement rapidement. A l'heure actuelle, les fibres optiques permettent d'envoyer en un dixième de seconde tout le contenu de l'Encyclopedia Universalis à 3000 km ! Cette révolution technologique, fruit de l'optoélectronique, est à la base du succès d'Internet.
Les nouvelles frontières
L'optoélectronique est un des domaines scientifiques les plus effervescents à l'heure actuelle, et de nombreuses technologies encore balbutiantes semblent très prometteuses dans un proche future : il s'agit par exemple des cristaux photoniques, des oscillateurs paramétriques optiques, de la nano-optique,... Nous nous intéresserons ici aux nouvelles longueurs d'ondes ainsi qu'au domaine des attosecondes.
Les ondes Térahertz
L'optoélectronique investit aujourd'hui de nouvelles longueurs d'onde, et ne se cantonne plus au domaine du visible et de l'infrarouge. Ces ondes appartiennent à la famille des ondes électromagnétiques ( Figure 18), qui renferme également, les ondes radio, les ondes radars et micro-ondes,... Entre les ondes radio et les ondes optiques, se trouve le domaine des ondes dites Térahertz (THz), qui jusqu'à peu ne disposaient pas de sources efficaces. L'optoélectronique développe actuellement de nouvelles sources lasers dans ce domaine, resté pendant longtemps une terra incognita.
figure18
Le spectre des ondes électromagnétiques
De telles sources permettront de développer de nouveaux systèmes de sécurité, car ils permettront notamment de voir à travers les vêtements. En effet, même au travers de matériaux opaques, les photons pénètrent, sur une longueur de quelques longueurs d'onde. Dans le cas des ondes Térahertz, la longueur d'onde est de 300 mm, le photon va pénétrer un matériau opaque sur plusieurs millimètres ! L'onde Térahertz pourra ainsi traverser les vêtements. La Figure 19 montre comment un couteau caché par un journal a pu être détecté par de l'imagerie Térahertz.
figure19
Image d'une scène dans le visible (à gauche) et dans les Térahertz (à droite). La grande longueur d'onde des ondes Térahertz permet de traverser les vêtements et les journaux.
(Jefferson Lab : www.jlab.org)
Les attosecondes
Une autre percée réalisée par l'optoélectronique concerne l'étude des temps très courts. Le domaine des attosecondes est désormais accessible à l'expérience. Une attoseconde ne représente que 0,000 000 000 000 000 001 seconde (10-18 seconde)! Il y a autant d'attosecondes dans une seconde que de secondes écoulées depuis la création de l'univers.
Pour créer des impulsions aussi courtes, il faut des ondes ayant des fréquences très élevées. L'impulsion la plus courte qu'on puisse faire avec une onde consistera à ne prendre qu'une seule oscillation de l'onde. L'optoélectronique nous propose des techniques qui permettent de ne découper qu'une seule oscillation du champ électromagnétique. Si on prend de la lumière visible (de fréquence 1015 Hz), on est capable de découper une tranche de 10-15 seconde (une femtoseconde). On peut aujourd'hui aller encore plus loin, et atteindre le domaine des attosecondes.
La Figure 20 montre en fonction du temps les plus petites durées atteignables par l'électronique et par l'optoélectronique. L'électronique, ayant des fréquences limitées à quelques gigahertz (GHz) est actuellement limitée, tandis que l'optique, avec des photons aux fréquences bien plus élevées permet de sonder des durées bien plus faibles.
figure20
Evolution des plus petites durées mesurables par l'électronique et l'optoélectronique dans les 40 dernières années
L'électron met environ 150 attosecondes pour « faire le tour » de l'atome d'Hydrogène. Nous devrions donc avoir d'ici peu les techniques permettant d'observer ce mouvement ! On retrouve le cercle vertueux que nous avions évoqué au début : la science fondamentale a fourni des technologies, et ces technologies, en retour, fournissent aux sciences fondamentales des possibilités d'observer de nouveaux domaines du savoir et de la connaissance de l'univers.
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