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L’arbre généalogique des cellules sanguines et immunes s’agrandit

 

 

 

 

 

 

 

 

L’arbre généalogique des cellules sanguines et immunes s’agrandit 


Leila Perié à l’Institut Curie, en collaboration avec Rob de Boer à l'Université d'Utrecht et Ton Schumacher à l'Institut néerlandais du cancer, révèle que la cellule souche hématopoïétique, la « mère » de toutes les cellules immunitaires et sanguines, se différencie en cinq types de cellules précurseurs différents, au lieu des deux identifiés jusqu’à présent. Cette étude, qui ouvre des perspectives nouvelles en immunothérapie, est publiée dans la revue Cell.


Chez l’adulte, la production et le renouvellement des cellules sanguines et des cellules impliquées dans les réponses immunitaires s’effectue au cours du processus d’hématopoïèse. Avant de devenir des globules rouges ou des globules blancs, les cellules passent par une série d’étapes de maturation dont le point de départ est la cellule souche hématopoïétique. Progressivement, les cellules acquièrent des spécificités : de multipotentes et pouvant donner tous les types de cellules sanguines ou immunes, elles deviennent des cellules progénitrices au spectre plus restreint en termes de descendance, et ainsi de suite jusqu’à être totalement spécialisées. Jusqu’à présent, il était admis que la cellule souche hématopoïétique se divisait en 2 types de précurseurs seulement, l’un se différenciant en cellules lymphoïdes (lymphocytes T et B, etc.) et l’autre principalement en globules rouges et en certains globules blancs, les cellules myéloïdes (macrophages, monocytes, éosinophiles, etc.).

Les chercheurs se sont intéressés à la toute première étape de la longue maturation des cellules sanguines et immunes, au moment où se séparent les futurs lymphocytes (T, B, NK) de tous les autres types de cellules sanguines. L’utilisation d’une technique originale d’étiquetage s’apparentant à un code-barres, leur a permis de suivre le devenir d’une cellule individuelle. A leur grande surprise, ils ont observé que la cellule souche hématopoïétique engendre en fait 4 à 5 cellules progénitrices différentes. Certaines de ces progénitrices peuvent engendrer des globules rouges et des cellules myéloïdes, d’autres uniquement des cellules myéloïdes, d’autres des cellules myéloïdes et lymphoïdes ou enfin seulement des cellules lymphoïdes. Le processus de l’hématopoïèse se complique donc, mais il reste encore beaucoup de mécanismes à élucider et en particulier la raison pour laquelle une cellule choisit telle ou telle branche de l’arbre généalogique.

Ces résultats qui remettent en cause les notions jusqu’alors admises concernant le lignage des cellules sanguines et immunitaires, ouvrent des perspectives nouvelles dans le domaine de la transplantation de cellules souches chez les patients qui souffrent de défauts dans la formation des cellules sanguines et aussi en cancérologie. « Alors que l’immunothérapie fait une entrée fulgurante dans la prise en charge des cancers, commente Leila Perié, la compréhension de la genèse des différents types de cellules impliquées dans les réponses immunitaires constitue un préalable important pour aller plus loin, et « détourner » le système immunitaire pour qu’il lutte contre les cellules tumorales. ». D’autres pans de la cancérologie pourraient aussi bénéficier de ces recherches car à ce jour l’origine de certains cancers du sang est encore mal connue.

 

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Quand la sérotonine tombe sur un os

 

 

 

 

 

 

 

Quand la sérotonine tombe sur un os
01 février 2012
CP de Vernejoul, 1er février 2012 (83,9 ko) 

La sérotonine, un neurotransmetteur cérébral bien connu, est produite localement dans un site inattendu : le tissu osseux. C’est ce que viennent de montrer les chercheurs de l’Unité mixte de recherche 606 "Os et Articulation" (Inserm/Université Paris Diderot) associés au laboratoire de biochimie de l’hôpital Lariboisière et au laboratoire "Cytokines, hématopoïèse et réponse immune" (CNRS/Université Paris Descartes)à l’hôpital Necker à Paris. Cette sérotonine locale favoriserait la dégradation du tissu osseux. Ces résultats publiés cette semaine dans les PNAS suggèrent que des médicaments modulant les effets de la sérotonine, comme les antidépresseurs ou les antimigraineux, pourraient modifier dans un sens ou dans l’autre l’équilibre délicat entre formation et dégradation des os dans l’organisme.

La sérotonine régule une vaste gamme de fonctions comme l'humeur, le comportement, le sommeil, la tension et la thermorégulation. Elle a également des fonctions importantes dans plusieurs tissus périphériques et assure la régulation des fonctions vasculaires, du cœur et dans la mobilité gastro-intestinale. Toutefois, la sérotonine circule dans l’organisme à des taux extrêmement faibles. Elle est majoritairement stockée dans les plaquettes et n’est disponible pour les organes périphériques que si elle est relarguée lors de l’activation de ces plaquettes.
Certains chercheurs se sont intéressés au rôle de la sérotonine sur le tissu osseux qui a récemment fait débat. Alors que certains chercheurs ont décrit une action négative de la sérotonine circulante sur le tissu osseux (elle empêcherait la régénération osseuse en agissant sur les ostéoclastes pour diminuer leur prolifération), d’autres ne retrouvent pas de modification osseuse en l’absence de sérotonine chez la souris.

Ostéoclaste ou ostéoblaste ?
Le remodelage osseux est un processus fortement intégré. Il est assuré par un équilibre fin entre la formation d’os assurée par les ostéoblastes et leur dégradation par les ostéoclastes. Ce renouvellement permanent assure une croissance harmonieuse, le maintien et la réparation des os tout au long de la vie.
Si cet équilibre est rompu, une trop forte activité des ostéoclastes aboutit à une augmentation marquée de la densité osseuse. Au contraire, une résorption osseuse accrue est associée à la perte osseuse et déclenche des maladies comme l'ostéoporose, l'arthrite et des lésions osseuses métastatiques.
Une bonne communication moléculaire entre ostéoblastes et ostéoclastes est donc nécessaire pour réguler l'engagement, la prolifération et la différenciation de précurseurs cellulaires osseux.

© Inserm, J.-P. Roux
Zone de croissance et de résorption de l'os. Les ostéoclastes, cellules qui résorbent l'os, sont colorés en rouge
Face à ces résultats contradictoires, Marie Christine De Vernejoul et ses collègues ont souhaité aller plus loin. Grâce à leurs travaux menés chez la souris, ils ont découvert que cet effet sur le tissu osseux n’était pas dû à la sérotonine "circulante" mais à une production de sérotonine nouvelle. "Nos travaux montrent que la sérotonine est produite localement dans un site inattendu : le tissu osseux. Elle est synthétisée par les ostéoclastes, ces cellules osseuses en charge de résorber l’os." explique la chercheuse Inserm Marie-Christine De Vernejoul.

Une fois synthétisée, la sérotonine agit directement sur les cellules qui la produisent, les ostéoclastes, en augmentant leur différenciation. Cette production de sérotonine locale fait partie d’un processus normal et contribue elle aussi à maintenir l’équilibre entre dégradation et formation osseuse.
"Cette sérotonine locale produite par les ostéoclastes est bien plus importante pour le tissu osseux que la sérotonine circulante, ce qui expliquerait les conclusions différentes observées jusqu’à présent par les scientifiques qui avaient étudié des modèles trop particuliers" ajoutent les auteurs.
D’un point de vue fonctionnel, les chercheurs ont découvert que les ostéoclastes expriment à leur surface le transporteur de la sérotonine et certains récepteurs à la sérotonine. Les drogues affectant le transporteur de la sérotonine, comme les antidépresseurs, et les récepteurs de la sérotonine, comme les antimigraineux, pourraient donc modifier la dégradation du tissu osseux et avoir des conséquences sur cet équilibre précieux entre dégradation et formation d’os.
A ce stade, les perspectives des chercheurs sont nombreuses. Ils vont maintenant étudier si la production de sérotonine par les ostéoclastes est augmentée par la carence en œstrogènes. Dans ce cas, cela pourrait signifier que la sérotonine joue rôle dans l’ostéoporose de la femme ménopausée.


En savoir plus
Sources
"Decreased osteoclastogenesis in 2 serotonin-deficient mice"
Yasmine Chabbi Achenglia,b, Amélie E. Couderta,b, Jacques Callebert c, Valérie Geoffroya,b, Francine Côté d, Corinne Colleta,b,c,1, and Marie-Christine de Vernejoul a,b,1,2
a Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale U606, Hôpital Lariboisière, Paris, France;
b Unité Mixte de Recherche (UMR) 606, Université Paris Diderot, Paris, France;
c Service de Biochimie, Hôpital Lariboisière, Paris, France; and
d Centre National de la Recherche Scientifique UMR 8147, Hôpital Necker–Enfants Malades, Paris, France
PNAS, janvier 2012

Contact chercheur
Marie Christine de Vernejoul / Corinne Collet
Unité Inserm 606 "Os et Articulation"
Tél. : 01 49 95 63 58/ 64 35
Contact presse
presse@inserm.fr

 

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Cancer du col de l'utérus : première résolution 3D d'une oncoprotéine du virus à papillome humain

 


 

 

 

 

 

Paris, 8 février 2013
Cancer du col de l'utérus : première résolution 3D d'une oncoprotéine du virus à papillome humain

Des chercheurs strasbourgeois du laboratoire Biotechnologie et signalisation cellulaire de l'École Supérieure de Biotechnologie de Strasbourg (CNRS/Université de Strasbourg) et de l'Institut de génétique et de biologie moléculaire et cellulaire (CNRS/Université de Strasbourg/Inserm) ont résolu, pour la première fois, la structure tridimensionnelle d'une oncoprotéine majeure, impliquée dans la prolifération cellulaire et à l'origine du développement du papillomavirus humain. Celui-ci, de type 16 (HPV 16), est le plus dangereux de ces virus, responsable des cancers du col de l'utérus. Ces travaux, publiés le 8 février 2013 dans Science, devraient permettre l'identification et l'amélioration de médicaments bloquant les activités tumorigènes de la protéine.
Le cancer du col de l'utérus est l'un des cancers les plus fréquents au monde et le deuxième en termes de mortalité chez la femme. Il est provoqué par les virus à papillome humains (HPV) dits à « haut risque muqueux» (1). Le papillomavirus humain de type 16 (HPV 16) est le plus dangereux. Lorsque le virus HPV infecte une cellule saine, il doit provoquer la multiplication de ces cellules pour se reproduire. Deux de ses protéines, E6 et E7, induisent cette prolifération cellulaire et sont responsables de la prolifération des tumeurs du col de l'utérus, d'où leur nom : "oncoprotéines".

L'équipe de Gilles Travé, chercheur CNRS au laboratoire Biotechnologie et signalisation cellulaire (CNRS/Université de Strasbourg), en étroite collaboration avec les équipes de Jean Cavarelli et de Bruno Kieffer de l'Institut de Génétique et de Biologie Moléculaire et Cellulaire (CNRS/Université de Strasbourg/Inserm) a résolu, pour la première fois, les structures tridimensionnelles des protéines E6 des virus à papillomes humain de type 16 (HPV 16) ainsi que son équivalent bovin de type 1 (BPV1). La structure de E6 de HPV16 avait déjà été résolue en 2012 (2) par ces mêmes chercheurs sous forme libre mais, cette fois, les protéines E6 sont visualisées en train de capturer des protéines cellulaires cibles. La structure d'une protéine E6 entière, attendue depuis près de trente ans, n'avait jamais été résolue auparavant car celle-ci est très difficile à produire dans un laboratoire.

Pour ce faire deux processus ont été nécessaires : d'une part la mise au point de techniques permettant d'isoler la protéine E6 et d'autre part l'utilisation combinée de techniques de résonance magnétique nucléaire (RMN) (3) et de cristallographie (4). Après avoir traité différents problèmes d'agrégation et de purification, les chercheurs ont réussi à produire la protéine E6. Le défi à ce stade était de conserver son repliement (la capacité à s'auto-organiser de la protéine et donc sa fonction biologique). L'acquisition de données de RMN et de cristallographie ont permis d'établir la structure de la protéine E6 à l'aide d'outils informatiques et d'obtenir ainsi sa "photographie" tridimensionnelle à haute résolution.

La structure tridimensionnelle de la protéine E6 capturant sa cible révèle précisément le mécanisme moléculaire de son activité cancérogène et explique aussi l'étonnante capacité de la protéine à détourner, tel un terroriste viral, un grand nombre de fonctions de la cellule infectée. Au niveau thérapeutique, cette avancée est d'une grande importance dans la lutte contre le cancer du col de l'utérus, car elle devrait permettre l'identification et l'amélioration de médicaments bloquant les activités tumorigènes de la protéine.


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Du cœur aux poumons, l’incroyable mécanique des fluides humains

 

 

 

 

 

 

 

Du cœur aux poumons, l’incroyable mécanique des fluides humains

28.09.2015, par Julien Bourdet
Ecoulements biologiques, réseau sanguin Grâce à la mécanique des fluides, discipline qui décrit le comportement des gaz et des liquides, les chercheurs tentent de modéliser le plus fidèlement possible la manière dont les fluides biologiques s’écoulent dans le réseau sanguin et les voies aériennes.

Pour soigner les gênes respiratoires, prédire l’évolution des maladies vasculaires ou encore détecter le paludisme dans le sang, les médecins se tournent aujourd’hui vers les physiciens spécialistes de l’écoulement des fluides.
Observer le mouvement de l’air dans les poumons, voir la poussée du sang gonfler les artères au rythme des battements du cœur. Pour mieux comprendre le fonctionnement global du corps humain, il faut non seulement être capable de représenter les organes qui le composent, mais aussi les fluides qui le parcourent. C’est pourquoi les physiciens viennent aujourd’hui prêter main-forte aux médecins. Grâce à la mécanique des fluides, discipline qui décrit le comportement des gaz et des liquides, ils tentent de modéliser le plus fidèlement possible la manière dont les fluides biologiques s’écoulent dans le réseau sanguin et les voies aériennes. Avec, à la clé, la possibilité d’améliorer les diagnostics médicaux et d’adapter les traitements.

Dépister les risques d’athérosclérose

Considérer les poumons et le système vasculaire comme de simples objets régis par la mécanique des fluides... Voilà une idée qui était loin d'être évidente il y a encore quinze ans. Mais aujourd’hui, de plus en plus de médecins comprennent les bénéfices qu’ils peuvent tirer de cette approche qui commence à faire son entrée dans les hôpitaux. Un exemple révélateur : l’athérosclérose. Cette maladie vasculaire se caractérise par le dépôt d’une plaque composée essentiellement de graisses sur la paroi interne d’une artère. Le diamètre de celle-ci diminue, ce qui peut entraver la circulation sanguine, avec des conséquences parfois dramatiques.

Considérer
les poumons et le
système vasculaire
comme des objets
régis par la
mécanique des
fluides n’était pas
évident il y a
quinze ans.
Grâce aux physiciens, qui font appel à des simulations numériques et à des maquettes du réseau sanguin plus vraies que nature, on sait maintenant que le développement de ce trouble vasculaire est lié en grande partie aux contraintes mécaniques qui s’exercent sur les parois des artères. « En aval d’une bifurcation du réseau sanguin, le flux ralentit, explique Gwennou Coupier, du Laboratoire interdisciplinaire de physique1, à Saint-Martin-d’Hères. Résultat : certaines cellules, les globules blancs en particulier, qui ne sont pas emportées par le courant à cet endroit, parviennent à pénétrer dans la paroi de l’artère, favorisant ainsi la croissance d’une plaque, à l’origine de la maladie. »


Forts de ce constat, les médecins peuvent désormais élaborer un diagnostic précoce pour cette affection pour des sujets dont on sait déjà qu’ils présentent un risque. À partir de la morphologie de leurs vaisseaux reconstituée par IRM, on simule numériquement l’écoulement sanguin dans ce réseau. Et on peut alors pointer du doigt les zones qu’il faut surveiller en priorité.

Guider les chirurgiens dans leurs interventions

Mais ce n’est pas tout : la modélisation peut également guider les chirurgiens dans leurs interventions. « Aujourd’hui, dans le cas de l’athérosclérose, on décide d’opérer un patient selon des critères moyens de taux d’obstruction des artères, précise Gwennou Coupier. En mesurant précisément la contrainte mécanique qui s’exerce sur la paroi de l’artère touchée, on dispose d’un critère plus fin pour prendre la bonne décision. » En fonction des résultats donnés par les modèles, le chirurgien peut ainsi décider d’intervenir ou non. Et, si le choix est fait d’intervenir, les modèles servent à orienter le geste chirurgical. Faut-il dériver le sang en aval de la plaque en effectuant un pontage ? Ou faut-il dilater l’artère à l’aide d’un ballonnet ? Ces deux scénarios peuvent être simulés afin de retenir celui qui rétablira le mieux la circulation sanguine.

Bien d’autres pathologies peuvent être traitées par cette approche biomécanique : les sténoses, ces rétrécissements inhabituels de vaisseaux, ou encore les anévrismes, ces dilatations anormales de la paroi d’une artère qui menacent d’éclater. Objectif des physiciens dans ce dernier cas : évaluer la répartition des pressions et la résistance des parois pour situer le point faible, et tenter de prédire où et quand l’anévrisme va céder. Une fois le diagnostic posé, les calculs permettent là encore de planifier le geste chirurgical. Mais les modélisations de l’écoulement sanguin servent aussi à la conception et à l’optimisation des dispositifs médicaux implantables tels que les stents, les valves ou encore les cathéters. Et permettent une nouvelle fois d’orienter le choix des médecins, qui sauront où les placer exactement chez chaque patient, et quel type utiliser.

Réseau capillaire de l'oeil Réseau des capillaires de l'oeil. Les globules rouges doivent être capables de se déformer pour se frayer un chemin dans ces vaisseaux qui, à certains endroits, sont deux fois plus petits qu’eux.

Dans leur quête d’une description complète des écoulements biologiques, les physiciens ne se focalisent pas seulement sur les plus gros vaisseaux comme les artères et les veines. Ils étudient également le déplacement du sang dans les plus petits capillaires, qui ne mesurent que quelques micromètres de diamètre. « À cette échelle, le fluide ne s’écoule plus de manière homogène, précise Anne-Virginie Salsac, du laboratoire Biomécanique et bioingénierie2, à Compiègne (lire https://lejournal.cnrs.fr/articles/anne-virginie-salsac-et-la-petite-mecanique-du-corps-humainson portrait). Cela est dû au fait que le sang est composé de cellules, et notamment de globules rouges, en suspension. Et, pour se frayer un chemin dans les capillaires, qui à certains endroits sont deux fois plus petits qu’eux, ces derniers doivent se déformer. De leurs déformations dépendront les propriétés de l’écoulement sanguin. »

Diagnostiquer le paludisme

Les scientifiques souhaitent tirer parti de cette observation pour diagnostiquer certaines maladies. À commencer par le paludisme. « Le moustique responsable de cette maladie injecte un parasite qui modifie les propriétés mécaniques des globules rouges, explique Magalie Faivre, de l’Institut des nanotechnologies de Lyon3. Ces derniers qui étaient mous et déformables deviennent rigides. Résultat : ils se bloquent dans les capillaires, avec des conséquences parfois graves. »



D’où l’idée de la chercheuse et de son équipe de développer un dispositif qui utilise la déformabilité des globules rouges pour détecter la présence du paludisme. « Notre dispositif microfluidique est constitué d’un canal de taille micrométrique qui se rétrécit à intervalle régulier, confie-t-elle. On y injecte du sang et on mesure individuellement le déplacement de chaque globule rouge d’un bout à l’autre du canal : capables de se déformer facilement, les globules sains vont vite ; les globules infectés, eux, au contraire, vont beaucoup plus lentement. »

Les chercheurs
ont développé
un dispositif
qui utilise la déformation des
globules rouges
pour détecter
la présence
du paludisme.
Aujourd’hui, l’équipe lyonnaise teste son outil avec du sang dont une partie des globules rouges a été modifiée chimiquement pour imiter les cellules infectées par le parasite. Mais l’année prochaine, les essais commenceront sur des échantillons de sang pathologique. Et d’ici à cinq ans, les chercheurs espèrent pouvoir tester le dispositif, qui à terme fera la taille d’une carte à puce, dans les pays touchés par le paludisme.

Une fois opérationnelle, la technique présentera de nombreux atouts par rapport aux autres méthodes de diagnostic. Premier avantage : on sera quasiment certain de la présence du parasite dans le sang. Ce qui n’est pas le cas actuellement avec une autre technique qui vise à détecter une protéine libérée par le parasite. « On n’est pas à l’abri de faux positifs avec cette méthode biochimique, car la protéine peut persister dans le sang quand bien même tous les parasites ont été éliminés par des médicaments antipaludiques », note Magalie Faivre.

Autre avantage de l’analyse biomécanique : en mettant en évidence deux types de globules rouges – rapides et lents – et en comptant individuellement chacun d’entre eux, il sera possible de mesurer précisément la proportion de cellules infectées. Un paramètre important pour décider du bon traitement à administrer aux malades. Que ne fournit pas actuellement la méthode biochimique.

Prédire les crises de drépanocytose

Autre maladie affectant les globules rouges et qui pourrait bénéficier de l’apport de la mécanique des fluides : la drépanocytose. Cette maladie génétique modifie la structure de l’hémoglobine transportée par les globules rouges. Comme dans le cas du paludisme, ces derniers deviennent plus rigides et obstruent alors les capillaires, ce qui provoque des crises douloureuses extrêmement fortes. La transfusion sanguine est bien souvent le seul remède possible pour soulager les patients. Mais, pour qu’elle soit efficace, il faut qu’elle ait lieu juste avant une crise.

Globule rouge déformé par la drépanocytose Cette micrographie électronique pointe la différence entre des globules rouges normaux et une cellule anormale dite cellule faucille RBC chez une patiente atteinte d’anémie falciforme, la forme la plus grave de drépanocytose.

L’approche mécanique pourrait justement permettre de prédire la survenue de ces crises. « Nous faisons circuler du sang de malades dans des canaux microfluidiques qui reproduisent le réseau capillaire avec ses rétrécissements et ses bifurcations, explique Gwennou Coupier. Le réseau finit par se boucher à certains endroits. Et nous essayons d’expliquer pourquoi. Est-ce à cause de la rigidité des globules rouges ? Est-ce parce qu’ils s’agrègent les uns aux autres ? Est-ce dû à la géométrie du réseau ? » En répondant à ces questions, le chercheur et son équipe espèrent mieux comprendre le phénomène pour pouvoir un jour mieux anticiper l’apparition des crises.

Au-delà du diagnostic, l’étude de l’écoulement sanguin à l’échelle microscopique offre même la perspective de mettre au point de nouvelles techniques thérapeutiques. Ainsi, les chercheurs travaillent actuellement au développement de micro- et de nanocapsules injectables dans le sang pour délivrer des médicaments à des endroits bien précis. De cette façon, on minimiserait la quantité de médicament et on l’apporterait uniquement à la région malade.

« Si on arrive à bien comprendre le devenir des capsules une fois injectées dans la circulation sanguine, on pourra contrôler là où elles vont aller et la façon dont elles vont relarguer les médicaments, que ce soit par diffusion à travers la membrane ou par sa rupture », explique Anne-Virginie Salsac. Avec ses collègues, la biomécanicienne a développé une nouvelle technique numérique pour simuler le comportement d’une capsule dans un écoulement sanguin. Et ils ont montré que c’est en jouant sur les différentes propriétés mécaniques d’une capsule (taille, élasticité, forme, porosité…) qu’on pourra maîtriser la délivrance du médicament.

Traiter le syndrome de détresse respiratoire aiguë

Il est une maladie en particulier pour laquelle la mécanique des fluides pourrait être d'une aide précieuse : le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), une inflammation des poumons qui provoque la mort de plus de 10 000 personnes chaque année en France. Un traitement existe pour soulager les malades : il consiste à injecter dans les poumons, via la trachée, un liquide appelé "surfactant", afin qu'ils puissent se gonfler plus facilement. Ce traitement est largement utilisé pour soigner les bébés prématurés qui souffrent de ce syndrome, car le surfactant naturel leur fait souvent défaut, et a permis de faire chuter significativement la mortalité des nourrissons. En revanche, les essais chez les adultes se sont révélés à ce jour inefficaces.

Les travaux d’une équipe de chercheurs internationale pourraient néanmoins changer la donne. Ces derniers ont mis au point le premier modèle numérique qui simule l’écoulement de surfactant dans les poumons. Grâce à ce modèle, ils sont parvenus à expliquer pourquoi la thérapie est un succès chez les nourrissons, alors qu’elle a échoué jusqu’ici chez les adultes. Et ils ont montré qu’en réalité il était possible d’utiliser aussi ce traitement chez l’adulte4.

Répartition de surfactant dans les bronches Chez les patients adultes atteints du syndrome de détresse respiratoire aigüe, l’injection de liquide surfactant destinée à aider les poumons à se gonfler s’est révélée jusqu’à présent inefficace. Et pour cause : la modélisation des écoulements montre que la répartition du surfactant n’est pas uniforme dans l’arbre bronchique (ici à l’image).

« La différence fondamentale entre les poumons d’un nourrisson et ceux d’un adulte, c’est leur taille, explique Marcel Filoche, du Laboratoire de physique de la matière condensée5 à Palaiseau, un des auteurs de ces travaux. Lorsqu’on injecte du surfactant à un bébé, le liquide n’a pas trop de difficulté à se répandre dans l’ensemble de l’arbre respiratoire, de la trachée jusqu’aux minuscules alvéoles pulmonaires. Chez l’adulte, c’est différent. Pour une dose de médicament donnée, si le volume de liquide est trop petit, il n’atteindra pas l’extrémité du réseau pulmonaire. » C’est précisément ce qui s’est passé lors des essais de cette thérapie et qui explique leur échec.

Le modèle développé par les chercheurs met ainsi en évidence toute l’importance du volume à injecter au patient pour assurer le succès du traitement ; il pointe également d’autres paramètres cruciaux à prendre en compte : la vitesse d’injection, la densité du liquide, sa viscosité, mais aussi la position du patient dans l’espace, la gravité aidant le surfactant à diffuser dans les poumons en fonction de l’angle des différents embranchements pulmonaires.« Nos résultats vont permettre de rouvrir d’ici quelques années une voie thérapeutique abandonnée », se réjouit Marcel Filoche. Mieux encore : avec ce modèle, il sera possible d’adapter le traitement à chaque patient. Une fois la géométrie des poumons de chacun connue par imagerie médicale, il suffira de simuler l’écoulement de surfactant dans son système respiratoire. Et de déterminer ensuite les paramètres (volume, densité, viscosité, etc.) qui aboutiront au meilleur résultat possible. La mécanique des fluides n’a pas fini de faire progresser la médecine.

 

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