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Du cœur aux poumons, l’incroyable mécanique des fluides humains

 

 

 

 

 

 

 

Du cœur aux poumons, l’incroyable mécanique des fluides humains

28.09.2015, par Julien Bourdet
Ecoulements biologiques, réseau sanguin Grâce à la mécanique des fluides, discipline qui décrit le comportement des gaz et des liquides, les chercheurs tentent de modéliser le plus fidèlement possible la manière dont les fluides biologiques s’écoulent dans le réseau sanguin et les voies aériennes.

Pour soigner les gênes respiratoires, prédire l’évolution des maladies vasculaires ou encore détecter le paludisme dans le sang, les médecins se tournent aujourd’hui vers les physiciens spécialistes de l’écoulement des fluides.
Observer le mouvement de l’air dans les poumons, voir la poussée du sang gonfler les artères au rythme des battements du cœur. Pour mieux comprendre le fonctionnement global du corps humain, il faut non seulement être capable de représenter les organes qui le composent, mais aussi les fluides qui le parcourent. C’est pourquoi les physiciens viennent aujourd’hui prêter main-forte aux médecins. Grâce à la mécanique des fluides, discipline qui décrit le comportement des gaz et des liquides, ils tentent de modéliser le plus fidèlement possible la manière dont les fluides biologiques s’écoulent dans le réseau sanguin et les voies aériennes. Avec, à la clé, la possibilité d’améliorer les diagnostics médicaux et d’adapter les traitements.

Dépister les risques d’athérosclérose

Considérer les poumons et le système vasculaire comme de simples objets régis par la mécanique des fluides... Voilà une idée qui était loin d'être évidente il y a encore quinze ans. Mais aujourd’hui, de plus en plus de médecins comprennent les bénéfices qu’ils peuvent tirer de cette approche qui commence à faire son entrée dans les hôpitaux. Un exemple révélateur : l’athérosclérose. Cette maladie vasculaire se caractérise par le dépôt d’une plaque composée essentiellement de graisses sur la paroi interne d’une artère. Le diamètre de celle-ci diminue, ce qui peut entraver la circulation sanguine, avec des conséquences parfois dramatiques.

Considérer
les poumons et le
système vasculaire
comme des objets
régis par la
mécanique des
fluides n’était pas
évident il y a
quinze ans.
Grâce aux physiciens, qui font appel à des simulations numériques et à des maquettes du réseau sanguin plus vraies que nature, on sait maintenant que le développement de ce trouble vasculaire est lié en grande partie aux contraintes mécaniques qui s’exercent sur les parois des artères. « En aval d’une bifurcation du réseau sanguin, le flux ralentit, explique Gwennou Coupier, du Laboratoire interdisciplinaire de physique1, à Saint-Martin-d’Hères. Résultat : certaines cellules, les globules blancs en particulier, qui ne sont pas emportées par le courant à cet endroit, parviennent à pénétrer dans la paroi de l’artère, favorisant ainsi la croissance d’une plaque, à l’origine de la maladie. »


Forts de ce constat, les médecins peuvent désormais élaborer un diagnostic précoce pour cette affection pour des sujets dont on sait déjà qu’ils présentent un risque. À partir de la morphologie de leurs vaisseaux reconstituée par IRM, on simule numériquement l’écoulement sanguin dans ce réseau. Et on peut alors pointer du doigt les zones qu’il faut surveiller en priorité.

Guider les chirurgiens dans leurs interventions

Mais ce n’est pas tout : la modélisation peut également guider les chirurgiens dans leurs interventions. « Aujourd’hui, dans le cas de l’athérosclérose, on décide d’opérer un patient selon des critères moyens de taux d’obstruction des artères, précise Gwennou Coupier. En mesurant précisément la contrainte mécanique qui s’exerce sur la paroi de l’artère touchée, on dispose d’un critère plus fin pour prendre la bonne décision. » En fonction des résultats donnés par les modèles, le chirurgien peut ainsi décider d’intervenir ou non. Et, si le choix est fait d’intervenir, les modèles servent à orienter le geste chirurgical. Faut-il dériver le sang en aval de la plaque en effectuant un pontage ? Ou faut-il dilater l’artère à l’aide d’un ballonnet ? Ces deux scénarios peuvent être simulés afin de retenir celui qui rétablira le mieux la circulation sanguine.

Bien d’autres pathologies peuvent être traitées par cette approche biomécanique : les sténoses, ces rétrécissements inhabituels de vaisseaux, ou encore les anévrismes, ces dilatations anormales de la paroi d’une artère qui menacent d’éclater. Objectif des physiciens dans ce dernier cas : évaluer la répartition des pressions et la résistance des parois pour situer le point faible, et tenter de prédire où et quand l’anévrisme va céder. Une fois le diagnostic posé, les calculs permettent là encore de planifier le geste chirurgical. Mais les modélisations de l’écoulement sanguin servent aussi à la conception et à l’optimisation des dispositifs médicaux implantables tels que les stents, les valves ou encore les cathéters. Et permettent une nouvelle fois d’orienter le choix des médecins, qui sauront où les placer exactement chez chaque patient, et quel type utiliser.

Réseau capillaire de l'oeil Réseau des capillaires de l'oeil. Les globules rouges doivent être capables de se déformer pour se frayer un chemin dans ces vaisseaux qui, à certains endroits, sont deux fois plus petits qu’eux.

Dans leur quête d’une description complète des écoulements biologiques, les physiciens ne se focalisent pas seulement sur les plus gros vaisseaux comme les artères et les veines. Ils étudient également le déplacement du sang dans les plus petits capillaires, qui ne mesurent que quelques micromètres de diamètre. « À cette échelle, le fluide ne s’écoule plus de manière homogène, précise Anne-Virginie Salsac, du laboratoire Biomécanique et bioingénierie2, à Compiègne (lire https://lejournal.cnrs.fr/articles/anne-virginie-salsac-et-la-petite-mecanique-du-corps-humainson portrait). Cela est dû au fait que le sang est composé de cellules, et notamment de globules rouges, en suspension. Et, pour se frayer un chemin dans les capillaires, qui à certains endroits sont deux fois plus petits qu’eux, ces derniers doivent se déformer. De leurs déformations dépendront les propriétés de l’écoulement sanguin. »

Diagnostiquer le paludisme

Les scientifiques souhaitent tirer parti de cette observation pour diagnostiquer certaines maladies. À commencer par le paludisme. « Le moustique responsable de cette maladie injecte un parasite qui modifie les propriétés mécaniques des globules rouges, explique Magalie Faivre, de l’Institut des nanotechnologies de Lyon3. Ces derniers qui étaient mous et déformables deviennent rigides. Résultat : ils se bloquent dans les capillaires, avec des conséquences parfois graves. »



D’où l’idée de la chercheuse et de son équipe de développer un dispositif qui utilise la déformabilité des globules rouges pour détecter la présence du paludisme. « Notre dispositif microfluidique est constitué d’un canal de taille micrométrique qui se rétrécit à intervalle régulier, confie-t-elle. On y injecte du sang et on mesure individuellement le déplacement de chaque globule rouge d’un bout à l’autre du canal : capables de se déformer facilement, les globules sains vont vite ; les globules infectés, eux, au contraire, vont beaucoup plus lentement. »

Les chercheurs
ont développé
un dispositif
qui utilise la déformation des
globules rouges
pour détecter
la présence
du paludisme.
Aujourd’hui, l’équipe lyonnaise teste son outil avec du sang dont une partie des globules rouges a été modifiée chimiquement pour imiter les cellules infectées par le parasite. Mais l’année prochaine, les essais commenceront sur des échantillons de sang pathologique. Et d’ici à cinq ans, les chercheurs espèrent pouvoir tester le dispositif, qui à terme fera la taille d’une carte à puce, dans les pays touchés par le paludisme.

Une fois opérationnelle, la technique présentera de nombreux atouts par rapport aux autres méthodes de diagnostic. Premier avantage : on sera quasiment certain de la présence du parasite dans le sang. Ce qui n’est pas le cas actuellement avec une autre technique qui vise à détecter une protéine libérée par le parasite. « On n’est pas à l’abri de faux positifs avec cette méthode biochimique, car la protéine peut persister dans le sang quand bien même tous les parasites ont été éliminés par des médicaments antipaludiques », note Magalie Faivre.

Autre avantage de l’analyse biomécanique : en mettant en évidence deux types de globules rouges – rapides et lents – et en comptant individuellement chacun d’entre eux, il sera possible de mesurer précisément la proportion de cellules infectées. Un paramètre important pour décider du bon traitement à administrer aux malades. Que ne fournit pas actuellement la méthode biochimique.

Prédire les crises de drépanocytose

Autre maladie affectant les globules rouges et qui pourrait bénéficier de l’apport de la mécanique des fluides : la drépanocytose. Cette maladie génétique modifie la structure de l’hémoglobine transportée par les globules rouges. Comme dans le cas du paludisme, ces derniers deviennent plus rigides et obstruent alors les capillaires, ce qui provoque des crises douloureuses extrêmement fortes. La transfusion sanguine est bien souvent le seul remède possible pour soulager les patients. Mais, pour qu’elle soit efficace, il faut qu’elle ait lieu juste avant une crise.

Globule rouge déformé par la drépanocytose Cette micrographie électronique pointe la différence entre des globules rouges normaux et une cellule anormale dite cellule faucille RBC chez une patiente atteinte d’anémie falciforme, la forme la plus grave de drépanocytose.

L’approche mécanique pourrait justement permettre de prédire la survenue de ces crises. « Nous faisons circuler du sang de malades dans des canaux microfluidiques qui reproduisent le réseau capillaire avec ses rétrécissements et ses bifurcations, explique Gwennou Coupier. Le réseau finit par se boucher à certains endroits. Et nous essayons d’expliquer pourquoi. Est-ce à cause de la rigidité des globules rouges ? Est-ce parce qu’ils s’agrègent les uns aux autres ? Est-ce dû à la géométrie du réseau ? » En répondant à ces questions, le chercheur et son équipe espèrent mieux comprendre le phénomène pour pouvoir un jour mieux anticiper l’apparition des crises.

Au-delà du diagnostic, l’étude de l’écoulement sanguin à l’échelle microscopique offre même la perspective de mettre au point de nouvelles techniques thérapeutiques. Ainsi, les chercheurs travaillent actuellement au développement de micro- et de nanocapsules injectables dans le sang pour délivrer des médicaments à des endroits bien précis. De cette façon, on minimiserait la quantité de médicament et on l’apporterait uniquement à la région malade.

« Si on arrive à bien comprendre le devenir des capsules une fois injectées dans la circulation sanguine, on pourra contrôler là où elles vont aller et la façon dont elles vont relarguer les médicaments, que ce soit par diffusion à travers la membrane ou par sa rupture », explique Anne-Virginie Salsac. Avec ses collègues, la biomécanicienne a développé une nouvelle technique numérique pour simuler le comportement d’une capsule dans un écoulement sanguin. Et ils ont montré que c’est en jouant sur les différentes propriétés mécaniques d’une capsule (taille, élasticité, forme, porosité…) qu’on pourra maîtriser la délivrance du médicament.

Traiter le syndrome de détresse respiratoire aiguë

Il est une maladie en particulier pour laquelle la mécanique des fluides pourrait être d'une aide précieuse : le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA), une inflammation des poumons qui provoque la mort de plus de 10 000 personnes chaque année en France. Un traitement existe pour soulager les malades : il consiste à injecter dans les poumons, via la trachée, un liquide appelé "surfactant", afin qu'ils puissent se gonfler plus facilement. Ce traitement est largement utilisé pour soigner les bébés prématurés qui souffrent de ce syndrome, car le surfactant naturel leur fait souvent défaut, et a permis de faire chuter significativement la mortalité des nourrissons. En revanche, les essais chez les adultes se sont révélés à ce jour inefficaces.

Les travaux d’une équipe de chercheurs internationale pourraient néanmoins changer la donne. Ces derniers ont mis au point le premier modèle numérique qui simule l’écoulement de surfactant dans les poumons. Grâce à ce modèle, ils sont parvenus à expliquer pourquoi la thérapie est un succès chez les nourrissons, alors qu’elle a échoué jusqu’ici chez les adultes. Et ils ont montré qu’en réalité il était possible d’utiliser aussi ce traitement chez l’adulte4.

Répartition de surfactant dans les bronches Chez les patients adultes atteints du syndrome de détresse respiratoire aigüe, l’injection de liquide surfactant destinée à aider les poumons à se gonfler s’est révélée jusqu’à présent inefficace. Et pour cause : la modélisation des écoulements montre que la répartition du surfactant n’est pas uniforme dans l’arbre bronchique (ici à l’image).

« La différence fondamentale entre les poumons d’un nourrisson et ceux d’un adulte, c’est leur taille, explique Marcel Filoche, du Laboratoire de physique de la matière condensée5 à Palaiseau, un des auteurs de ces travaux. Lorsqu’on injecte du surfactant à un bébé, le liquide n’a pas trop de difficulté à se répandre dans l’ensemble de l’arbre respiratoire, de la trachée jusqu’aux minuscules alvéoles pulmonaires. Chez l’adulte, c’est différent. Pour une dose de médicament donnée, si le volume de liquide est trop petit, il n’atteindra pas l’extrémité du réseau pulmonaire. » C’est précisément ce qui s’est passé lors des essais de cette thérapie et qui explique leur échec.

Le modèle développé par les chercheurs met ainsi en évidence toute l’importance du volume à injecter au patient pour assurer le succès du traitement ; il pointe également d’autres paramètres cruciaux à prendre en compte : la vitesse d’injection, la densité du liquide, sa viscosité, mais aussi la position du patient dans l’espace, la gravité aidant le surfactant à diffuser dans les poumons en fonction de l’angle des différents embranchements pulmonaires.« Nos résultats vont permettre de rouvrir d’ici quelques années une voie thérapeutique abandonnée », se réjouit Marcel Filoche. Mieux encore : avec ce modèle, il sera possible d’adapter le traitement à chaque patient. Une fois la géométrie des poumons de chacun connue par imagerie médicale, il suffira de simuler l’écoulement de surfactant dans son système respiratoire. Et de déterminer ensuite les paramètres (volume, densité, viscosité, etc.) qui aboutiront au meilleur résultat possible. La mécanique des fluides n’a pas fini de faire progresser la médecine.

 

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MACHINES ET MOTEURS MOLÉCULAIRES : DE LA BIOLOGIE AU MOLÉCULES DE SYNTHÈSE

 

 

 

 

 

 

 

MACHINES ET MOTEURS MOLÉCULAIRES : DE LA BIOLOGIE AU MOLÉCULES DE SYNTHÈSE


De nombreux processus biologiques essentiels font intervenir des moteurs moléculaires (naturels). Ces moteurs sont constitués de protéines dont la mise en mouvement, le plus souvent déclenchée par l'hydrolyse d'ATP (le "fioul" biologique), correspond à une fonction précise et importante. Parmi les exemples les plus spectaculaires, nous pouvons citer l'ATPsynthase, véritable moteur rotatif responsable de la fabrication de l'ATP. Pour le chimiste de synthèse, l'élaboration de molécules totalement artificielles, dont le comportement rappelle celui des systèmes biologiques, est un défi formidable. L'élaboration de "machines" et "moteurs" moléculaires de synthèse représente un domaine particulièrement actif, qui a vu le jour il y a environ une douzaine d'années. Ces machines sont des objets nanométriques pour lesquels il est possible de mettre en mouvement une partie du composé ou de l'assemblée moléculaire considérée, par l'intervention d'un signal envoyé de l'extérieur, alors que d'autres parties sont immobiles. Si une source d'énergie alimente le système de manière continue, et qu'un mouvement périodique en résulte, l'assemblée moléculaire en mouvement pourra être considérée comme un "moteur". D'ores et déjà, certaines équipes de chimiste ont pu fabriquer des moteurs rotatifs minuscules, des moteurs linéaires mis en mouvement par un signal électronique ou des "muscles" moléculaires de synthèse, capables de se contracter ou de s'allonger sous l'action d'un stimulus externe. Quelques exemples représentatifs seront discutés lors de l'exposé. Un certain nombre de questions ayant trait aux applications potentielles du domaine de "nanomécanique moléculaire" seront abordées : - "ordinateurs moléculaires", pour lesquels certains chercheurs fondent de grands espoirs, stockage et traitement de l'information au niveau moléculaire, - robots microscopiques, capables de remplir une grande variété de fonctions allant de la médecine à la vie de tous les jours, - transport sélectif de molécules ou d'ions à travers des membranes.

Transcription de la 613e conférence de l'Université de tous les savoirs donnée le 20 juin 2006 revue par l'auteur.

Jean Pierre Sauvage : « Machine et moteurs moléculaires : de la biologie aux molécules de synthèse »

De nombreux processus biologiques essentiels font intervenir des moteurs moléculaires naturels. Ces moteurs sont constitués de protéines dont la mise en mouvement, le plus souvent déclenchée par l'hydrolyse d'ATP (le « fuel » biologique), correspond à une fonction précise et importante. Parmi les exemples les plus spectaculaires, nous pouvons citer l'ATPsynthase, véritable moteur rotatif responsable de la fabrication de l'ATP. Pour le chimiste de synthèse, l'élaboration de molécules totalement artificielles, dont le comportement rappelle celui des systèmes biologiques, est un défi formidable.

L'élaboration de « machines » et « moteurs » moléculaires de synthèse représente un domaine particulièrement actif, qui a vu le jour il y a environ une douzaine d'années. Ces machines sont des objets nanométriques pour lesquels il est possible de mettre en mouvement une partie du composé ou de l'assemblée moléculaire considérée, par l'intervention d'un signal envoyé de l'extérieur, alors que d'autres parties sont immobiles. Si une source d'énergie alimente le système de manière continue, et qu'un mouvement périodique en résulte, l'assemblée moléculaire en mouvement pourra être considérée comme un « moteur ». D'ores et déjà, certaines équipes de chimistes ont pu fabriquer des moteurs rotatifs minuscules, des moteurs linéaires mis en mouvement par un signal électronique ou des « muscles » moléculaires de synthèse, capables de se contracter ou de s'allonger sous l'action d'un stimulus externe.

Quelques exemples représentatifs seront discutés et un certain nombre de questions ayant trait aux applications potentielles du domaine de « nanomécanique moléculaire » seront abordées.

Qu'entend-on par machine et moteur moléculaires ? Et quels sont les systèmes naturels étudiés ?

Une machine moléculaire est un système dynamique comportant plusieurs constituants et capable de subir des mouvements réversibles de grande amplitude. Ces mouvements sont contrôlés par un signal extérieur (le signal peut être photonique, électronique ou chimique).

Il existe 3 catégories de machines moléculaires :

-les protéines moteurs (en biologie): ce sont des moteurs rotatifs, comme l'ATPsynthase ou les flagelles des bactéries qui permettent leur locomotion, des moteurs linéaires (les muscles, la kinésine ou la dynéine), ou encore des presses, comme la famille des chaperons (les chaperons sont capables d'encapsuler et de comprimer des protéines dénaturées pour leur redonner la bonne conformation).

-les systèmes hybrides : ce sont des systèmes développés par des biologistes, souvent en association avec des chimistes et des ingénieurs, comportant des fragments naturels et éventuellement des éléments artificiels issus de la chimie de synthèse.

-les molécules ou assemblées moléculaires totalement artificielles : c'est ce à quoi nous nous intéresserons plus particulièrement.

Détaillons un exemple de moteur moléculaire (de la catégorie des protéines moteurs), l'ATPsynthase schématisée figure 1. L'ATPsynthase est une enzyme universelle (nous pouvons la trouver chez les bactéries les plus primitives ainsi que chez les mammifères : elle est présente dans tous les organismes vivants). Elle est responsable de la fabrication de l'ATP (Adénosine TriPhosphate) à partir d'ADP (Adénosine DiPhosphate) et de phosphate inorganique. L'ATP représente un véritable « fuel » biologique qui permet le stockage énergétique dans la cellule (nous fabriquons chaque jour la moitié de notre poids en ATP !).

Figure 1 : l'ATPsynthase est un moteur rotatif merveilleux

Figure 2 : la rotation du rotor g à l'intérieur de la roue
a3b3 a été mise en évidence en attachant un
filament d'actine à une extrémité et en alimentant
le système en ATP

Lorsqu'une solution d'ATP est ajoutée, le groupe japonais a pu remarquer que le filament d'actine (qui a été modifié de telle façon à être rendu luminescent) tourne dans le sens inverse des aiguilles d'une montre : l'ATPsynthase a agi comme un moteur rotatif réalisant l'hydrolyse de l'ATP en ADP et en phosphate inorganique, c'est à dire la réaction inverse de celle produisant l'ATP.

Ce groupe a donc mis en évidence que nous avons un « fuel », l'ATP, dont la conversion
engendre un mouvement de rotation pour un moteur moléculaire très complexe issu de la
biologie, mais qui peut être classé comme un moteur hybride.

Il existe d'autres protéines moteurs qui sont des moteurs linéaires :

-la kinésine et la dynéine : elles sont responsables du transport de la matière dans les cellules, dans des organelles (sortes de « sacs » présents sur la kinésine). La kinésine bouge très vite (300-400 km/h si l'on ramène l'échelle à celle d'une personne courant sur une piste de stade).

-les muscles striés : ils se contractent ou s'allongent grâce à des filaments (actine : filament fin / myosine : filament épais) qui coulissent les uns le long des autres.

Les molécules de synthèse

De manière générale, l'élaboration de molécules artificielles a beaucoup évolué. Il reste cependant des défis inaccessibles aujourd'hui.

Certaines substances naturelles très complexes peuvent être synthétisées au laboratoire, comme la brévétoxine A (figure 3). Cette molécule présente un grand nombre de carbones asymétriques (22). Elle a été préparée par un groupe américain et a nécessité le travail de 20 personnes sur une période d'environ 12 ans. Cette synthèse représente un véritable tour de force, salué par la communauté des chimistes des molécules.

Figure 3 : le groupe américain de K.C. Nicolaou a réalisé la synthèse totale
de la brévétoxine A
Mais pour le moment, aucune équipe n'est parvenue à synthétiser la maitotoxine (figure 4), substance naturelle comprenant environ une centaine de carbones asymétriques.

Figure 4 : la maitotoxine, un des poisons marins les plus violents, n'a pas encore pu être synthétisée au laboratoire

Les moteurs et machines moléculaires artificiels : caténanes et rotaxanes

Les caténanes et les rotaxanes (figure 5) sont devenus très populaires dans le domaine de la recherche contemporaine (véritable révolution au cours des 20 dernières années) et sont beaucoup étudiés par les chimistes, les physiciens et les ingénieurs pour leur potentiel dans la fabrication de machines moléculaires.

Figure 5 : schéma d'un [2]caténane et d'un [2]rotaxane
Jusqu'au début des années 1980, ces composés semblaient inaccessibles car il n'existait pas de méthode de synthèse, puis une méthode a été découverte (figure 6) : elle met en Suvre l'effet de matrice d'un métal de transition, le cuivre (I), afin d'entremêler 2 fils moléculaires par exemple pour obtenir un précurseur qui permettra ensuite de fabriquer un [2]caténane.

Figure 6 : stratégie pour entremêler 2 fragments moléculaires afin de préparer un [2]caténane

Sur la figure 6, nous avons 2 fragments moléculaires f-f capables d'interagir avec un centre métallique (cation métallique susceptible de rassembler et d'orienter ces 2 fragments). Nous obtenons alors un intermédiaire, comportant deux fils f-f entremêlés, conduisant au [2]caténane par une réaction chimique classique de formation d'anneau.

Traitons un exemple concret pour illustrer cette stratégie : la formation d'un entrelacs de 2 fils moléculaires dppOH (dihydroxyphénylphénanthroline) grâce au cation métallique Cu (I) (figure 7), entrelacs réalisé par Dietrich-Buchecker et al., en 1984.

Figure 7 : réalisation d'un entrelacs de 2 fragments organiques grâce à
l'effet de matrice du cuivre (I)
Le cuivre existe sous 2 états :
-un état oxydé : c'est le cuivre (II) ou Cu2+
-un état réduit : c'est le cuivre (I) ou Cu+.
C'est le cuivre dans son état réduit qui a été utilisé ici et qui est toujours utilisé pour réaliser un entrelacs de ce type.

Une fois l'entrelacs effectué, une réaction de chimie classique est mise en Suvre afin de synthétiser le [2]caténane (figure 8).

Figure 8 : formation du [2]caténane par une réaction chimique classique

Figure 9 : structure cristallographique du
[2]caténane complexé au cuivre

Les deux anneaux étant entrelacés, la seule manière de les séparer est de couper un lien chimique. Il est possible de retirer le cuivre (I) en réalisant ce qu'on appelle la démétallation (figure 10).

Figure 10 : il est facile de retirer le centre métallique en utilisant du cyanure de potassium

Figure 11 : la molécule se réarrange
pendant la démétallation

La première machine moléculaire à partir d'un caténane :

La première machine moléculaire réalisée à partir d'un [2]caténane est un moteur rotatif dont le mouvement est déclenché par l'oxydation et la réduction du cuivre (figure 12). Il faut cependant noter que ce n'est pas un véritable moteur rotatif, dans la mesure où la direction des deux demi-tours représentés sur la figure 12 n'est pas contrôlée.

Figure 12 : rotation d'un anneau à l'intérieur d'un autre anneau, sans contrôle de la
direction : utilisation du couple Cu(II) / Cu(I)

Le cuivre (I) est stable lorsqu'il est entouré de 4 atomes donneurs (atomes d'azote) : il présente une géométrie pseudo-tétraédrique lors de la coordination à deux phénanthrolines (chacune a 2 atomes d'azote).
Le cuivre (II) n'est lui par contre pas stable en pseudo-tétraèdre, il préfère être entouré de 5
atomes donneurs : une phénanthroline et une terpyridine (respectivement 2 et 3 atomes
d'azote).
Lorsque le cuivre (I) est oxydé (-e-) en cuivre (II), nous passons d'une situation stable (en haut à gauche) à une situation instable (en haut à droite). Le système instable va évoluer (se relaxer) et la relaxation implique qu'un des deux anneaux tourne à l'intérieur de l'autre anneau. Ceci s'effectue de manière à venir placer le fragment à 3 azotes (terpyridine) en position d'interaction avec le cuivre : le système retrouve alors une situation stable (en bas à droite). Ce réarrangement a été réalisé en effectuant une rotation d'un demi-tour.
Le système est réversible, ce qui signifie qu'il est possible de réduire (+e-) le cuivre (II) en cuivre (I) pour revenir à la situation de départ (en haut à gauche), en passant par un système instable (en bas à gauche).

Ce moteur rotatif est donc fondé sur un mouvement contrôlé par électrochimie et le système est parfaitement réversible : il est possible de faire autant de cycles CuI à CuII à CuI que l'on veut.

Une navette moléculaire à partir d'un rotaxane :

Nous avons vu qu'un rotaxane pouvait être un moteur rotatif ou un moteur linéaire. Le groupe de Fraser Stoddart, aux Etats-Unis, a préparé une navette moléculaire (figure 13) à partir d'un rotaxane, c'est un moteur linéaire.

Figure 13 : schématisation d'une navette moléculaire

C'est un processus électronique qui permet de faire coulisser l'anneau d'une station vers l'autre (figure 14).

Figure 14 : une « navette » moléculaire :la mise en mouvement se fait en
oxydant la station verte puis en réduisant sa forme oxydée

Ce processus est réversible puisqu'il est possible de revenir à la situation de départ en réduisant la station verte, c'est à dire en revenant à sa forme neutre du point de vue des charges.
Cette navette moléculaire et des molécules dérivées de sa structure originelle ont conduit à des applications qui peuvent être importantes : des chimistes se sont associés à des ingénieurs et à des physiciens pour tenter de fabriquer des systèmes de stockage d'information (mémoires) et des ordinateurs primitifs à base moléculaire.

Peut-on mettre en Suvre un système de stockage de l'information moléculaire en utilisant une navette moléculaire ?

Figure 15 : découverte de l'année 2001, publiée dans le magazine Science, vol. 294, 21
décembre 2001, p. 2442 : nous dirigeons-nous vers des ordinateurs moléculaires ?

Le système qui a été élu « découverte de l'année 2001 » par le magazine Science (figure 15) pourrait donner naissance à un ordinateur moléculaire, permettant le stockage de l'information.
Ce dispositif est composé de barreaux de semi-conducteur ou d'un métal conducteur : 3 barreaux en haut et 3 barreaux en bas, positionnés de manière orthogonale. Entre ces barreaux ont été intercalées des molécules de la navette moléculaire. Lorsqu'un potentiel est appliqué entre deux barreaux perpendiculaires, la position de l'anneau (représenté en blanc sur la figure) peut être contrôlée. Dans le même temps, les propriétés de conduction de l'électricité du filament organique sont modifiées. Ainsi, selon la position de l'anneau sur le filament organique, nous avons un conducteur (qui peut être considéré comme le 1 d'un système informatique) ou un isolant (qui est alors le 0). L'état du fil organique reliant les barreaux peut être « lu ». Il est également possible d' « effacer » afin de revenir à l'état initial.
Nous avons donc un système permettant le stockage de l'information, à base moléculaire. Il faut cependant noter que ce petit dispositif fait encore l'objet de nombreuses discussions et débats.

Vers des muscles moléculaires de synthèse à l'échelle nanométrique :

Il est possible de mimer les moteurs linéaires que sont les muscles. Cela a été réalisé par Maria Consuelo Jiménez et Christiane Dietrich-Buchecker qui ont cherché à imiter le fonctionnement du muscle strié en préparant un dimère de rotaxane (figure 16). Dans ce dimère de rotaxane, les filaments vont pouvoir coulisser l'un sur l'autre pour conduire à une forme contractée ou à une forme étirée.

Figure 16 : un dimère de rotaxane est la topologie idéale pour réaliser l'interconversion d'une structure étirée et d'un système contracté. L'axe d'une sous-unité (bleue, par exemple) traverse l'anneau de l'autre sous-unité (noire)

La synthèse du muscle est un réel défi, proche du point de vue de la difficulté, de celui que peut représenter la synthèse de produits naturels complexes. C'est la coordination au métal qui détermine le fait qu'il soit étiré ou contracté. L'étape clé de la préparation du muscle est la réaction de double « enfilage » (figure 17). La structure doublement entrelacée de ce composé a été mise en évidence par diffraction des rayons X (figure 18).

Figure 17 : formation du dimère de rotaxane par double enfilage au cuivre (I)

Figure 18 : structure cristallographique du
composé doublement entrelacé

La mise en mouvement du muscle est réalisée par une réaction d'échange cuivre (I) / zinc (II) (figure 19).
Comme nous l'avons vu précédemment, le cuivre (I) est stable lorsqu'il est tétracoordiné : sa sphère de coordination est composée de 2 phénanthrolines, c'est la forme étirée (85 Angström). Le mouvement est induit par échange du cuivre (I) par du zinc (II) qui, lui, est stable lorsqu'il est pentacoordiné (géométrie de bipyramide trigonale) : sa sphère de coordination comprend une phénanthroline et une terpyridine, c'est la forme contractée (65 Angström).
L'amplitude est à peu près la même que celle que nous trouvons dans les muscles striés (myosine / actine) : la contraction est d'environ 25 % de la longueur totale de l'objet dans la forme étirée.

Figure 19 : les deux états du muscle

Il est donc possible de contracter ou d'étirer une molécule par une réaction chimique, de manière très substantielle. La mise en mouvement d'objets ou de particules beaucoup plus grands que cette espèce suscite actuellement beaucoup d'intérêt.

Les moteurs et machines moléculaires fondés sur des molécules non entrelacées : un exemple de système mis en mouvement par la lumière

Plusieurs machines moléculaires ont été proposées par différents laboratoires, qui travaillent sur des composés qui ne comportent pas d'anneaux entrelacés. Nous discuterons brièvement un exemple précis, conduisant à un véritable dispositif micrométrique.
Un groupe de chercheurs hollandais (Feringa et al.) a publié en 2006, dans la revue Nature, un article à propos d'un nanomoteur qui engendre la rotation d'objets de l'ordre du micron. Il s'agit en fait d'un moteur moléculaire intégré dans un film de cristal liquide (figure 20) qui utilise la lumière pour faire tourner des objets de grande taille, par comparaison à celle du moteur moléculaire lui-même.

Figure 20

Le groupe de Feringa a déposé un barreau de verre (5x28mm) sur ce film de cristal liquide dopé. Sous irradiation lumineuse, le petit barreau est entraîné et il est possible de visualiser clairement la rotation, ce qui constitue une très jolie preuve de principe.

Finalement, quelles sont les motivations des chercheurs travaillant dans le domaine des machines et moteurs moléculaires de synthèse ?

Tout d'abord, la fabrication de tels objets, molécules ou dispositifs, représente un véritable défi synthétique : les molécules pouvant donner naissance à un moteur ou à une machine moléculaire sont complexes et originales. Leur synthèse nécessite beaucoup de temps et de talent. Leur obtention représente un véritable exploit, que ce soit au niveau conceptuel ou du point de vue expérimental.

Ensuite, c'est la possibilité de reproduire les fonctions les plus simples des moteurs biologiques qui attire les chercheurs. Il faut cependant noter que les machines moléculaires accessibles aujourd'hui sont extrêmement primitives, comparées aux machines naturelles très complexes mises au point par la nature au cours de l'évolution.

Pour finir, ce sont certainement les nombreux domaines d'applications possibles qui captivent également les chercheurs :

-le stockage et le traitement de l'information au niveau moléculaire (écrire / lire / effacer)
-la mise au point de robots microscopiques capables d'assurer des fonctions variées
-en chimie médicinale : le transport d'une molécule jusqu'à un endroit précis ou celle-ci sera utile (médicament), l'ouverture / la fermeture d'une valve ou d'une porte qui contrôle le flux d'une molécule dans un fluide biologique, le pilotage d'une micro-seringue susceptible d'injecter un composé dans une cellule...

Remerciements

Caténanes :

-synthèse et chimie de coordination :
Laboratoire de Chimie Organo-Minérale (Strasbourg) :
Christiane Dietrich-Buchecker, Jean-Claude Chambron, Jean-Marc Kern, et beaucoup
d'autres...
-structures cristallographiques par diffraction des rayons X :
Claudine Pascard, Michèle Césario (Gif-sur-Yvette)
Jean Fischer, André De Cian, Nathalie Gruber, Richard Welter (Strasbourg)

Mouvement de caténanes et rotaxanes complexés au cuivre :

-catenanes in motion :
Aude Livoreil, Diego J. Cardenas
-translation of a ring along an axle:
Jean-Paul Collin, Pablo Gaviña
-pirouetting of a ring along the axle:
Laurence Raehm, Jean-Marc Kern, Ingo Poleschak, Ulla Létinois, Jean-Paul Collin
-towards molecular muscles :
Maria Consuelo Jiménez, Christiane Dietrich-Buchecker

 

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LES HORMONES

 

 

 

 

 

 

 

Les hormones
Ursula Lenseele, Olivier Bosler, Yves Combarnous,Nadine Imbault dans mensuel 357
daté octobre 2002 -  Réservé aux abonnés du site
Chefs d'orchestre du monde vivant, les hormones ? Très courantes chez les végétaux et présentes dans presque tout le règne animal, elles sont incontournables chez les animaux à sang chaud. Aucune des grandes fonctions physiologiques ne leur échappe : même ce grand ordonnateur qu'est le cerveau se trouverait, sans elles, bien dépourvu.
Qu'est-ce qu'une hormone ?
C'est à la fin du XIXe siècle que le biologiste Claude Bernard commence à travailler sur les sécrétions internes et que le physiologiste Charles-Edouard Brown propose une première définition de celles qu'on n'appelle pas encore hormones : « Principe sécrété par un groupe de cellules agissant à distance sur un autre groupe de cellules avec différents effets. » Le terme hormone du grec « j'excite » fait son apparition en 1905. En 1909, c'est au tour de l'endocrinologie, « la science des sécrétions internes », de voir le jour.

Chez l'homme, il existe de nombreux types structuraux d'hormones : des stéroïdes, solubles dans les graisses et qui traversent donc facilement les membranes biologiques, des peptides et des protéines insolubles dans les graisses insuline, hormone de croissance..., et des dérivés d'un acide aminé, telles l'adrénaline ou la mélatonine. Le monoxyde d'azote, lui, se distingue en tant qu'hormone gazeuse. Certaines hormones sont produites par des cellules spécialisées rassemblées en glandes hypophyse, thyroïde, glande surrénale..., d'autres par des cellules endocrines plus ou moins dispersées dans divers organes ovaires, testicules..., d'autres enfin par des cellules qui ne sont pas seulement endocrines. Les hormones sont impliquées dans la régulation de toutes les grandes fonctions physiologiques : le métabolisme énergétique, l'équilibre du milieu intérieur, la nutrition, la reproduction, le développement et la croissance, sans oublier la maturation du système nerveux.

Elles sont répandues dans tout le règne animal, tant chez les vertébrés que chez les invertébrés. Chez ces derniers, ce sont souvent des sécrétions du système nerveux. Ainsi l'hydre possède-t-elle, à la base de ses tentacules, des cellules nerveuses qui synthétisent une neurohormone impliquée dans la croissance, la régénération et la reproduction de l'animal. Certains mollusques - les céphalopodes, par exemple - ont des systèmes plus élaborés : de véritables glandes endocrines, comme la glande optique. Les crustacés, quant à eux, possèdent un système endocrinien complexe, tout comme les insectes, chez qui les hormones exercent des effets sur la croissance et les métamorphoses ou sur le maintien dans l'hémolymphe* de concentrations appropriées en métabolites.

Les végétaux ont-ils aussi des hormones ?
Oui. Les hormones végétales ont été découvertes au début du XXe siècle. La première à avoir été cristallisée, en 1934, est l'auxine. Mais dès 1880, lors d'expériences sur le phototropisme, Charles Darwin avait mis en évidence l'existence dans les végétaux d'une substance capable de diffuser. Cinq grandes classes d'hormones végétales ont par la suite été définies : les auxines, les cytokinines, les gibbérellines, l'acide abcissique et l'éthylène gazeux. Depuis, d'autres molécules impliquées dans la morphogenèse végétale ont été découvertes. Là où les hormones animales sont véhiculées par le sang ou l'hémolymphe, les hormones végétales circulent dans les vaisseaux xylème et phloème qui transportent la sève. Elles sont aussi, parfois, prises en charge par d'autres systèmes de transport.

Les auxines, cytokinines et gibbérellines interviennent principalement dans la régulation du métabolisme de la plante et de sa croissance, la stimulation de la différenciation tissulaire, la détermination de la floraison et la maturation des fruits. L'acide abscissique, lui, fut initialement considéré comme un inhibiteur impliqué dans la dormance des bourgeons. Mais on sait maintenant que, à l'intar des autres régulateurs de croissance, il joue des rôles multiples durant le cycle de développement de la plante. Quant à l'éthylène, c'est l'hormone de la maturation du fruit qui le synthétise, mais aussi des fruits voisins. C'est pourquoi « un fruit pourri gâte tout le panier ». L'éthylène agit aussi durant les périodes de croissance, de floraison et de chute des feuilles. Il existe, par ailleurs, des phytohormones qui jouent un rôle dans la défense des plantes en cas d'agression par des insectes prédateurs ou d'attaque par des pathogènes : la traumatine et l'acide jasmonique.

Comment les hormones agissent-elles ?
Chez l'animal, les hormones se lient à un récepteur protéique spécifique situé soit dans la membrane de la cellule cible, soit dans le cytoplasme ou le noyau de ladite cellule. Leurs effets sont à court ou à long terme. Celles qui se lient à des récepteurs membranaires par exemple l'adrénaline et les hormones peptidiques et protéiques agissent plutôt sur un mode aigu. Celles reconnaissant des récepteurs nucléaires ont une action plus prolongée, directement au niveau de l'expression des gènes - c'est le cas des hormones stéroïdes comme la progestérone, l'oestradiol ou le cortisol. La quantité d'hormone synthétisée est finement régulée, soumise à des boucles de contrôle positif ou négatif qui permettent d'adapter la production aux besoins. Cette régulation se fait soit par le biais de l'hormone elle-même - on parle alors de rétrocontrôle -, soit par le biais d'une autre hormone. Elle implique parfois le système nerveux.

On sait moins de choses du mode d'action des hormones végétales. Leur étude est rendue difficile par le fait qu'elles agissent à des quantités infimes et de façon moins spécifique que les hormones animales. En effet, chacune peut intervenir sur plusieurs mécanismes physiologiques et, inversement, un même processus physiologique peut être modulé par des hormones différentes. Par ailleurs, elles peuvent interagir physiologiquement. Si l'on pense qu'un grand nombre d'entre elles agissent par le biais de récepteurs membranaires, l'existence de ces récepteurs n'a été prouvée que dans peu de cas. Quant aux boucles de rétrocontrôle, on ne sait pas si elles existent.

La sécrétion hormonale suit-elle des rythmes ?
Cela dépend. La plupart des hormones sont sécrétées selon un rythme circadien. L'hormone de croissance, par exemple, est produite principalement la nuit, tandis que le cortisol, qui prépare l'organisme à affronter les contraintes de l'environnement, est libéré massivement au réveil. D'autres sont sécrétées selon un rythme cyclique lié à la répétition d'un mécanisme biologique donné - le cycle ovulatoire féminin, par exemple. La sécrétion d'une hormone donnée peut également répondre à un stimulus physiologique précis. Ainsi l'insuline est-elle libérée après le repas, lorsque la quantité de sucre sanguin augmente. De même une situation stressante et le fait de passer à l'action provoquent-ils une augmentation du taux d'adrénaline qui stimule le rythme cardiaque. A l'extrême, certaines hormones ne sont sécrétées qu'une fois dans la vie d'un individu. C'est le cas de l'ecdysone, hormone de la métamorphose de la chenille en papillon ou de la thyroxine qui permet la transformation du têtard en grenouille.

Si les phénomènes de sécrétion hormonale sont soumis à des rythmes, ils en génèrent également. La mélatonine, dont la sécrétion est strictement nocturne, joue un rôle particulièrement important dans l'adaptation de l'individu à son environnement. Cette hormone véhicule un double message. D'une part, elle contribue à la synchronisation des rythmes biologiques par une interaction avec l'horloge interne des individus. D'autre part, elle régule le déclenchement des fonctions saisonnières en informant l'organisme des variations de la longueur du jour : c'est l'hormone « donneuse de temps ». Elle joue ainsi un rôle important chez les espèces dont la reproduction, saisonnière, est influencée par la lumière : la sécrétion de leurs hormones sexuelles est conditionnée par le taux de mélatonine. Chez les moutons, par exemple, le taux des hormones sexuelles augmente avec le taux de mélatonine, lorsque les nuits rallongent. L'activité sexuelle est déclenchée à l'automne et la naissance des agneaux a lieu cinq mois et demi plus tard, au printemps. Inversement, chez les chevaux, c'est la diminution printanière du taux de mélatonine, lorsque les jours rallongent, qui stimule la sécrétion des hormones sexuelles. Les poulains naissent onze mois plus tard, au printemps également, période la plus favorable.

Hormones et cerveau : qui commande ?
Ni l'un ni l'autre. Système nerveux et système hormonal vont coopérer tout au cours de la vie, et même partager certaines molécules.

Ces dernières années, en effet, la distinction entre neurotransmetteurs et hormones s'est faite de plus en plus floue. Classiquement, un neurotransmetteur est une substance libérée par un neurone donné dans la fente synaptique, substance qui inhibe ou active le neurone suivant. Une hormone est quant à elle sécrétée dans le milieu intérieur le sang et exerce son effet sur un tissu ou organe éloigné. Cependant, on s'est rendu compte que certains neurotransmetteurs ont une action hormonale. En effet, il existe des neurones dits neurosécréteurs, qui libèrent des neurohormones : des molécules qui agissent comme neurotransmetteurs quand elles sont libérées au niveau d'une synapse, et comme hormones quand elles passent dans le circuit sanguin. C'est le cas de la vasopressine, synthétisée par des neurones de l'hypothalamus, libérée dans la circulation sanguine au niveau de l'hypophyse, et classiquement connue pour son effet antidiurétique. De nombreux travaux soulignent à présent ses capacités de neurotransmetteur.

Les deux systèmes, nerveux et hormonal, interagissent étroitement. Par exemple, la libération d'hormones par l'hypophyse est sous le contrôle des neurohormones dites « de libération », produites par l'hypothalamus, dont les neurones sont eux-mêmes stimulés ou inhibés par les influx nerveux provenant du système nerveux central. Ainsi, le fait qu'un nourrisson commence à téter est enregistré et transmis par le système nerveux jusqu'à l'hypothalamus qui déclenche la libération, par l'hypophyse, de l'hormone responsable de la montée de lait l'ocytocine. Inversement, les hormones exercent des rétroactions sur le système nerveux. Les stéroïdes, par exemple, peuvent traverser la barrière hémato-encéphalique* et agir directement sur le fonctionnement des neurones en se liant à des récepteurs situés à l'intérieur de la cellule nerveuse. Enfin, certaines hormones exercent une action globale sur les réseaux neuronaux. Elles interviennent dans le développement du cerveau et dans ce qu'on appelle la plasticité neuronale division cellulaire, différenciation des neurones, pousse des prolongements, établissement de contacts entre cellules, lors du développement prénatal et durant les mois qui suivent la naissance. Ces hormones sont susceptibles d'intervenir à nouveau à l'âge adulte lorsqu'il faut établir de nouvelles connexions en cas de lésion cérébrale, ou quand se réorganisent les circuits nerveux.

Garçon ou fille : les hormones ont-elles leur mot à dire ?
Aussi étrange que cela puisse paraître, la réponse est, dans une certaine mesure, oui. Certes, chez les mammifères, la détermination du sexe et la sexualisation des gonades en testicules ou en ovaires est essentiellement génétique. Mais la différenciation des voies génitales en voies mâles est conditionnée par la présence de testostérone et d'hormone anti-müllérienne*, toutes deux produites par le testicule embryonnaire. La perturbation de la synthèse de ces hormones peut engendrer des ambiguïtés sexuelles dans lesquelles le sexe phénotypique morphologique n'est pas en accord avec le sexe génotypique chromosomique. Très actives durant la vie foetale et les premiers mois de vie, les hormones sexuelles sont moins présentes durant l'enfance. Durant la puberté, elles sont à nouveau synthétisées de façon conséquente et conduisent à la mise en place du système mature féminin ou masculin et du cycle ovulatoire chez la femelle.

Chez les oiseaux et la plupart des amphibiens, la détermination du sexe se fait de façon similaire à celle des mammifères. En revanche, poissons et reptiles sont dépourvus de chromosomes sexuels. Chez eux, la sexualisation des gonades est entièrement sous dépendance hormonale. Chez certaines espèces comme les crocodiliens, la plupart des tortues, et quelques lézards et poissons, c'est la température du milieu qui oriente la sexualisation, car elle régule l'activité des gènes codant telle ou telle hormone. Chez beaucoup de poissons de récifs, c'est la structure du groupe la proportion de mâles et de femelles qui « décide » du sexe d'un individu. Ces poissons sont hermaphrodites : ils possèdent ovaires et testicules. Si un mâle disparaît, une femelle se masculinise. Ce phénomène s'effectue sous l'influence d'hormones dont la production, pense-t-on, est déclenchée sous l'effet de différents stimuli nerveux.

Les hormones influencent-elles les comportements ?
Les hormones sont impliquées dans de nombreux comportements qui vont du stress au comportement amoureux en passant par le comportement maternel ou l'agressivité. Elles n'agissent toutefois jamais seules dans leur mise en place, mais en liaison étroite avec le système nerveux. Par exemple, chez la brebis, l'attachement maternel est lié à la présence d'une hormone, l'ocytocine, dont la production est déclenchée par les stimulations nerveuses générées par les contractions de la femelle en train de mettre bas. En temps normal, la brebis éprouve de la répulsion pour le liquide amniotique. Sous l'influence de l'ocytocine, elle sera attirée par ce liquide dont est imprégné son nouveau-né. Cette attirance temporaire va la pousser à lécher son petit et à établir un premier contact. Les hormones jouent également un rôle important dans le comportement sexuel - par exemple, les parades très ritualisées des oiseaux. Chez les humains, ce sont les stéroïdes qui prédominent en ce domaine. Mais leur effet est plus difficile à estimer que celui des hormones intervenant dans la sexualité d'autres animaux au comportement très stéréotypé, car il se conjugue à d'autres paramètres, notamment culturels. Par ailleurs, une baisse de testostérone au cours de la vie, ou une surproduction, aura des effets centraux sur le comportement.

Les hormones végétales influencent quant à elles le comportement de la plante en fonction de l'environnement. Par exemple, en cas de stress hydrique, l'acide abscissique entraîne une fermeture des stomates au niveau de la feuille. Certaines phytohormones comme l'acide jasmonique sont synthétisées en cas de danger et enclenchent la production de molécules de résistance à l'agression.

Qu'est-ce qu'une hormone de synthèse ?
Les stéroïdes ont été les premières hormones synthétisées in vitro, dans les années 1950. C'était alors par voie chimique. En 1975, ce fut le tour des hormones protéiques comme l'insuline, par génie génétique cette fois. Dans ce type de synthèse, le gène codant pour l'hormone est transféré dans le génome de cellules en culture, généralement des bactéries. Ces dernières présentent l'avantage de se diviser rapidement, et donc de fournir de grosses quantités d'hormones en peu de temps. Pour les hormones plus complexes, par exemple les hormones glycoprotéiques comme les gonadotropines les dernières à avoir été synthétisées et les plus difficiles à fabriquer, on est obligé, les bactéries ne pouvant pas synthétiser de protéines glycosylées, d'utiliser des cellules eucaryotes qui se divisent moins vite. Ce mode de production coûte donc plus cher. L'utilisation d'hormones de synthèse représente une avancée décisive, car elle permet d'éviter les problèmes sanitaires qui peuvent résulter de l'usage d'hormones d'extraction. En effet, ces dernières sont susceptibles de servir de vecteur de contamination. Ainsi, des patients traités par de l'hormone de croissance extraite d'hypophyses prélevées sur les cadavres de personnes atteintes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ont contracté la maladie. Aujourd'hui, cette hormone est exclusivement produite par génie génétique.

Les hormones peuvent-elles servir de médicament ?
Oui. On peut évidemment les utiliser pour soigner les pathologies dues à un déficit en une hormone donnée : diabète, problèmes de croissance, problèmes de fécondité. Dans ce cas, l'hormone utilisée sera précisément celle qui fait défaut. Dans les troubles causés par une surproduction hormonale, il suffit bien souvent de traiter le malade avec une hormone impliquée dans la boucle de régulation et exerçant un contrôle négatif sur l'hormone incriminée. Reste le cas des pathologies hormono-dépendantes telles que le cancer de la prostate et une forme de cancer du sein : la croissance des cellules tumorales est stimulée dans le premier cas par la testostérone et dans le second cas par l'oestradiol. Une fois cette dépendance hormonale établie, la thérapie vise à supprimer la sécrétion de l'hormone en question.

Un traitement hormonal n'étant pas anodin, il ne doit être mis en oeuvre que si le rapport bénéfice/risque est réellement favorable. Ainsi la controverse concernant les effets secondaires des traitements hormonaux de substitution des femmes ménopausées risques accrus de cancers du sein, par exemple n'est-elle pas close. Quant aux hormones « de confort » telles que la mélatonine ou la DHEA, leur prise inconsidérée n'est pas à conseiller : au mieux elle n'a aucun effet, au pire elle est dangereuse. Les dangers d'une utilisation non contrôlée d'hormones sont particulièrement flagrants dans le cas du dopage. L'érythropoïétine EPO, par exemple, est une hormone qui stimule la production des globules rouges. Elle augmente l'hématocrite et permet de fixer plus d'oxygène, mais augmente parallèlement le risque de thrombose.

Enfin, dans la relation entre hormones et santé, un autre problème commence à préoccuper les scientifiques : l'impact de ce que l'on appelle les perturbateurs endocriniens. Ces molécules, pesticides ou autres substances chimiques, pourraient en effet perturber notre système de régulation hormonale et celui des animaux et végétaux de notre environnement.

Qu'est-ce qu'un boeuf ou un poulet « aux hormones » ?
Il s'agit d'un boeuf en fait, plutôt un veau ou d'un poulet auquel on a fait des injections d'hormones pour augmenter sa masse musculaire, et donc la quantité de viande obtenue après abattage. Certains pays, comme les Etats-Unis ou le Canada, font couramment usage de ce type de traitement. Mesure protectionniste ou d'intérêt sanitaire : il a été interdit en Europe dès 1984. Son impact sur la santé n'est pas démontré. Par ailleurs, il convient d'établir un distinguo entre l'injection d'un surplus d'hormones déjà synthétisées naturellement par l'animal et l'injection d'hormones qui lui sont totalement étrangères. En effet, les hormones naturelles sont rapidement dégradées par le boeuf ou le poulet. La testostérone, par exemple, disparaît en quelques jours, et le consommateur ne risque pas de l'absorber si la dernière injection a lieu quelques jours avant l'abattage. Mais elle a tout de même un effet sur le goût car elle modifie le ratio protéines/graisse - laquelle donne l'essentiel de sa saveur à la viande. Quant aux hormones qui ne sont pas naturellement déjà présentes chez l'animal, elles présentent le désavantage réel, quand on les injecte, d'être dégradées assez lentement et de s'accumuler dans la masse graisseuse. Le consommateur risque donc de les ingérer.
NOTES
* Hémolymphe : fluide qui circule dans les vaisseaux et l'espace interstitiel des tissus des invertébrés, et transporte les métabolites et l'oxygène sauf chez les insectes, où ce dernier circule dans des trachées.

*La barrière hémato-encéphalique , constituée par la paroi des vaisseaux capillaires du cerveau, restreint au strict minimum le type de molécules accédant à ce dernier. Elle le protège ainsi des variations de composition du sang, mais interdit aussi le passage de nombreux médicaments.

* Hormone anti-müllérienne : hormone sécrétée par le testicule embryonnaire. Elle provoque l'atrophie du canal de Müller qui, chez l'embryon femelle, est à l'origine des trompes, de l'utérus et d'une grande partie du vagin.
SAVOIR
-Y. Combarnous, Les hormones, PUF, collection « Que sais-je ? », 1998.

-J.-D. Vincent, La Biologie des passions, éditions Odile Jacob, 1999 poche 2002.

-C.G.D. Brook et N.J. Marshall, Endocrinologie, De Boeck Université, 1998.

 

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La modification de l'ADN à la portée de tous
Jean-Philippe Braly dans mensuel 495


daté janvier 2015 -  Réservé aux abonnés du site
Dérivée d'un mécanisme de défense bactérien, une nouvelle technique de suppression et d'insertion de gènes se répand dans les laboratoires. En ligne de mire : l'espoir de traiter de nombreuses maladies génétiques.
« Je ne serais pas surpris que cette innovation révolutionnaire soit très vite récompensée par un Nobel », lançait récemment Alain Fischer, de l'hôpital Necker, l'un des spécialistes français de thérapie génique, ensemble de traitements qui corrigent directement chez les patients des gènes défectueux à l'origine de maladies. L'innovation révolutionnaire en question ? Une technique de génie génétique, aussi efficace que son nom est imprononçable : CRISPR-Cas9. Et Alain Fischer n'est pas le seul à s'enthousiasmer : le jury du prix Breakthrough a récompensé en novembre 2014 Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna, qui ont reçu chacune 3 millions de dollars pour cette découverte.

En à peine deux ans, des équipes du monde entier se sont approprié CRISPR-Cas9 pour modifier le génome de nombreux types de cellules, tant chez les bactéries que chez les plantes ou chez les animaux, avec une facilité déconcertante. Et en 2014, la technologie a franchi deux nouvelles étapes importantes. D'abord, elle s'est révélée utilisable sur des primates. Ensuite, elle a permis de corriger des maladies génétiques in vivo sur des souris.

Palindromes
CRISPR-Cas9 tire son origine d'études très fondamentales du génome bactérien. En 1987, Atsuo Nakata et son équipe de l'université d'Osaka, au Japon, découvrent de curieuses séquences d'ADN répétitives dans le génome de bactéries Escherichia coli [1]. Dans certaines parties de ces séquences, les quatre « lettres » constitutives de l'ADN forment des suites identiques dans un sens de lecture ou dans l'autre, comme des palindromes.

Ces séquences énigmatiques suscitent toutefois peu d'intérêt. Pour preuve, ce n'est qu'en 2002 qu'on les baptisera officiellement CRISPR (acronyme anglais pour « courtes répétitions en palindrome regroupées et régulièrement espacées »). En 2005, tout de même, des bio-informaticiens découvrent que les morceaux d'ADN intercalés entre ces palindromes sont souvent des séquences d'ADN de virus.

En 2007, des chercheurs de l'industriel laitier danois Danisco découvrent que lorsque les bactéries qu'ils utilisent pour fabriquer des yaourts et des fromages ont des séquences CRISPR, elles survivent mieux aux infections virales. « Il s'agit d'une sorte de système immunitaire capable de garder la mémoire d'une agression par un virus ou une séquence d'ADN étrangère, afin de combattre ce même agresseur lorsqu'il envahit à nouveau la bactérie », résume Christine Pourcel, de l'Institut de génétique et microbiologie d'Orsay, qui a participé à cette découverte.

Bref, les CRISPR agiraient comme une sorte de vaccin. Restait à comprendre comment. Plusieurs microbiologistes à travers le monde vont s'y atteler. Parmi eux : la Française Emmanuelle Charpentier qui travaille alors à l'université suédoise d'Umeå. Avec son équipe, elle va contribuer au décryptage d'un des principaux mécanismes mis en jeu.

Technique de routine
Comme pour n'importe quel gène, chaque séquence CRISPR, qui contient donc de l'ADN viral, est transcrite en plus petites molécules intermédiaires, des ARN, qui contiennent la séquence complémentaire de l'ADN viral. Mais plutôt que d'être ensuite traduits en protéines, ces ARN vont se lier à une enzyme découpeuse d'ADN nommée Cas9. Si cette structure rencontre l'ADN correspondant d'un virus dans la cellule, l'ARN s'y apparie et la Cas9 le coupe en deux. Toutefois, le mécanisme permettant l'accès à l'un des deux brins de l'ADN viral n'est pas encore bien élucidé. En attendant, le système constitue un redoutable attelage pour détecter facilement une séquence d'ADN donnée, puis la découper avec précision.

Ces caractéristiques en feraient un outil rêvé de génie génétique : on pourrait l'utiliser pour supprimer un gène et ainsi découvrir sa fonction ; on pourrait aussi éliminer un gène néfaste ou déficient. Il suffirait de fabriquer en laboratoire un « ARN guide » correspondant au gène que l'on souhaite cibler, puis de l'arrimer à une enzyme Cas9. Cette dernière découperait alors le gène. C'est précisément ce qu'Emmanuelle Charpentier réussit à faire in vitro en 2012, en s'alliant avec sa consoeur Jennifer Doudna, de l'université de Berkeley, aux États-Unis. [2]

Ce résultat a immédiatement enflammé les généticiens du monde entier. Il faut dire que CRISPR-Cas9 possède plusieurs atouts de taille par rapport aux meilleures enzymes découpeuses d'ADN (les nucléases) développées avant lui : nucléases à doigts de zinc (ZFNs), nucléases « TALENs », etc.

Premier atout : la simplicité. En effet, pour se lier à l'ADN cible, ces nucléases concurrentes nécessitent la fabrication de fragments protéiques sur mesure pour chaque gène ciblé, une opération très complexe, notamment à cause de la longueur des fragments protéiques à créer. Tandis qu'avec CRISPR-Cas9, il suffit de fabriquer de petits ARN, une technique déjà utilisée en routine dans les laboratoires de recherche du monde entier, par exemple pour faire synthétiser telle ou telle protéine dans une cellule, ou pour perturber le fonctionnement de gènes. Et en utilisant plusieurs ARN guides, diverses équipes ont très facilement réussi à cibler plusieurs gènes à la fois, y compris dans des cellules humaines.

Multiples applications
Deuxième atout majeur : la rapidité, liée à la simplicité du système. « La mise au point d'un CRISPR-Cas9 prêt à cibler un gène particulier prend une à deux semaines tout compris contre un à deux mois avec une ZFN ou une TALEN », indique Tuan Huy Nguyen, chercheur Inserm au Centre de recherche en transplantation et immunologie (CRTI) de Nantes. Troisième atout enfin, qui n'est pas le moindre, CRISPR-Cas9 est au minimum dix fois moins coûteux que ses concurrents, l'obtention d'ARN sur mesure faisant appel à des techniques de routine en biologie moléculaire.

« En théorie, cette technique ne permet ni de cibler plus de zones du génome ni de le faire plus précisément, tempère Ignacio Anegon, également au CRTI de Nantes, où il utilise CRISPR-Cas9 pour créer des rats génétiquement modifiés. Mais en pratique, en simplifiant le génie génétique et en le rendant accessible à n'importe quel laboratoire, la technique a fait exploser le nombre d'études. Cette démocratisation s'est en effet vite concrétisée par une déferlante de publications confirmant son efficacité sur un très grand nombre de génomes de bactéries, mais aussi d'animaux et de végétaux. CRISPR-Cas9 fonctionne avec la même facilité sur les génomes plus complexes des cellules eucaryotes, où l'ADN est recroquevillé dans un noyau. » Les scientifiques commencent tout juste à entrevoir les mécanismes très complexes mis en jeu par CRISPR-Cas9 pour y parvenir, mais en tout cas, ça marche !

Ainsi, en janvier 2013, quatre équipes annoncent avoir réussi à détruire des gènes cibles dans des cellules humaines. Les applications vont alors s'enchaîner à un rythme effréné et avec succès pour modifier des gènes d'organismes variés : bactéries, levures, riz, mouches, nématodes, poissons-zèbres, rongeurs, etc. Et certains chercheurs modifient légèrement la technique pour que la Cas9 ne coupe pas le gène cible, mais stimule son expression, l'inhibe ou le remplace par un autre... transformant l'outil en une sorte de couteau suisse génétique [fig. 1].

Copier-coller de l'ADN
En 2014, l'outil a franchi deux caps importants : son premier succès sur des primates, et sa capacité à corriger des maladies génétiques sur des souris. Le premier résultat a été présenté en février par Jiahao Sha, de l'université médicale de Nanjing, en Chine [3].

Dans des embryons de macaques asiatiques encore constitués d'une seule cellule, son équipe a injecté cinq ARN guides conçus pour cibler simultanément cinq zones réparties sur trois gènes particuliers, ainsi que le matériel génétique nécessaire à la synthèse de Cas9. Ils ont observé que chez huit embryons ainsi traités, CRISPR-Cas9 avait réussi à agir sur deux des trois gènes cibles. Puis les biologistes ont recommencé l'opération sur 86 autres embryons qu'ils ont transférés dans 29 femelles porteuses. À la publication de l'étude, une seule femelle était arrivée à terme. Elle avait donné naissance à des jumeaux chez lesquels CRISPR-Cas9 avait aussi agi simultanément sur deux des trois gènes.

« Ce résultat montre que CRISPR-Cas9 pourrait être utilisé pour générer des primates modèles de maladies humaines, ce qui constituerait une avancée importante », commente Tuan Huy Nguyen. Enfin, les chercheurs n'ont détecté aucune mutation sur le reste du génome. Un résultat de bon augure si l'on veut un jour utiliser CRISPR-Cas9 pour corriger des cellules humaines malades en laboratoire, avant de les réimplanter aux patients.

Mais c'est surtout fin mars qu'une équipe de l'Institut de technologie du Massachussets, aux États-Unis, a concrétisé le potentiel médical de CRISPR-Cas9 [4]. Ces biologistes l'ont utilisé sur la souris pour corriger une maladie génétique incurable du foie, liée à une mauvaise dégradation de la tyrosine, un acide aminé, la tyrosinémie*. À des souris malades adultes, l'équipe a injecté trois ARN guides ciblant trois séquences d'ADN liées à la mutation, le gène de la Cas9 et le gène sain.

Résultat : environ 0,5 % des cellules du foie, les hépatocytes, ont correctement incorporé le gène sain à la place du gène déficient. Trente jours plus tard, ces cellules redevenues saines ont commencé à proliférer et à remplacer les cellules malades, pour finalement représenter environ un tiers de tous les hépatocytes. Une proportion suffisante pour que les souris survivent malgré l'arrêt du médicament de référence qui réduit la production de tyrosine.

Myopathie de Duchenne
En août dernier, c'est une autre maladie génétique incurable qui a subi la loi de CRISPR-Cas9 : la myopathie de Duchenne. Cette dégénérescence des muscles est due à des mutations sur le gène codant la dystrophine, protéine indispensable au bon fonctionnement des fibres musculaires. Menée à l'université du Texas, aux États-Unis, une étude a porté sur de jeunes embryons de souris juste après fusion de l'ovule et du spermatozoïde, chez lesquels le gène de la dystrophine avait été muté pour mimer la maladie [5].

L'équipe leur a injecté un ARN guide ciblant le gène muté, la Cas9, et un gène destiné à corriger la mutation. Puis les embryons ont été implantés dans des mères porteuses. Ils ont donné naissance à des souris que les chercheurs ont élevées pendant neuf mois. Chez celles dont le taux de cellules correctement corrigées par CRISPR-Cas9 atteignait au moins 40 %, les muscles étaient normaux. « Ces études sur des souris constituent les premières preuves in vivo que CRISPR-Cas9 est capable de corriger des maladies génétiques », commente Tuan Huy Nguyen.

Pourrait-on alors utiliser CRISPR-Cas9 sur l'homme ? Il faudra d'abord franchir plusieurs étapes. « Le point critique sera de confirmer que ce système n'induit pas de lésions dans d'autres régions du génome, prévient Alain Fischer. Et afin d'obtenir un effet thérapeutique, il faudra aussi optimiser la fréquence à laquelle les cellules ciblées sont corrigées. » Voilà pourquoi les recherches vont bon train pour développer des moyens capables de mieux faire pénétrer CRISPR-Cas9 dans les cellules : nanoparticules, Cas9 plus petites, etc.

D'autres applications pourraient toutefois voir le jour : lutte contre les bactéries résistantes aux antibiotiques, applications en agriculture, en virologie, en pharmacie... « Cette technologie concerne tous les domaines de recherche en biologie ! » résume Alain Fisher. « Dérivée d'études très en amont sur les bactéries, cette invention montre l'importance de continuer à investir dans la recherche fondamentale », conclut Emmanuelle Charpentier.
* LA TYROSINÉMIE est une maladie génétique qui génère une accumulation de déchets endommageant le foie.
L'ESSENTIEL
- UNE NOUVELLE MÉTHODE permet de modifier facilement le génome de toutes les sortes de cellules.

- NOMMÉE CRISPR-CAS9, elle est issue d'un mécanisme de défense bactérien découvert il y a moins de dix ans.

- EN 2014, elle a été utilisée avec succès chez des primates et elle a permis de soigner des souris adultes malades.
UN SUCCÈS QUI AIGUISE BIEN DES APPÉTITS
La technique CRISPR-Cas9 qui se répand agite le secteur des biotechnologies. Les sociétés et les laboratoires ayant préalablement investi dans les outils concurrents - ZFNs et TALENs - accusent le coup. Résultat : de nombreuses sociétés se ruent désormais sur CRISPR-Cas9 en proposant des kits prêts à l'emploi. Mais les experts du secteur misent surtout sur les possibles applications médicales de la technologie, au premier rang desquelles la correction de gènes défectueux (la thérapie génique). Emmanuelle Charpentier, aujourd'hui au Centre Helmholtz pour la recherche sur les infections, en Allemagne, et Jennifer Doudna, à l'université de Berkeley, aux États-Unis, qui ont codirigé la découverte initiale, l'ont bien compris : chacune a fondé une société de biotechnologie dans cette optique, respectivement CRISPR Therapeutics (implantée en Suisse et au Royaume-Uni) et Editas (aux États-Unis). Elles ont déjà levé plusieurs dizaines de millions de dollars. Toutefois, d'autres chercheurs essaient de s'accaparer la propriété intellectuelle de l'invention. C'est le cas de Feng Zhang, du Broad Institute à Cambridge, aux États-Unis - également cofondateur d'Editas - qui vient de faire valider un brevet sur CRISPR-Cas9 auprès des autorités américaines grâce à une procédure accélérée... court-circuitant le duo Charpentier-Doudna, dont le brevet commun est toujours en cours d'instruction ! « L'affaire est aujourd'hui entre les mains des avocats », concède Emmanuelle Charpentier, qui préfère rester discrète sur le sujet.

 

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