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NAISSANCE DES NEURONES ... |
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Naissance des neurones et mort d'un dogme
neurones à volonté - par Heather Cameron dans mensuel n°329 daté mars 2000 à la page 29 (4155 mots) | Gratuit
En quelques années, plusieurs découvertes se sont succédé qui confirment ce qui était autrefois une hérésie : des neurones continuent à naître dans le cerveau adulte des mammifères, y compris l'homme, et ce tout au long de la vie. Des perspectives thérapeutiques révolutionnaires s'ouvrent à nous. Mais de nombreux points restent à éclaircir, et notamment la relation qu'entretient cette neurogenèse avec la mémoire.
On estime généralement que tous les neurones de notre cerveau sont présents dès la naissance. Ce fait est considéré comme une caractéristique essentielle du cerveau des mammifères, et il a plusieurs conséquences importantes ; ainsi, tous les processus d'apprentissage à l'âge adulte s'organisent dans le cadre d'un cerveau anatomiquement stable, et toute mort de neurones à la suite d'une lésion ou d'une maladie entraîne un déficit permanent. Mais nous savons maintenant que ce dogme n'est pas parfaitement exact. Certains types de neurones continuent à être produits tout au long de la vie chez toutes les espèces de mammifères étudiées, y compris l'homme. L'existence de cette neurogenèse la production de nouveaux neurones pourrait modifier les théories du fonctionnement cérébral. Sa compréhension et sa maîtrise permettraient le développement d'outils thérapeutiques exceptionnels pour le traitement des lésions cérébrales ou des maladies neurodégénératives, entre autres.
La vision du cerveau adulte comme un organe anatomiquement stable trouve probablement son origine dans la différence de plasticité entre les cerveaux d'enfant et d'adulte, c'est-à-dire leurs capacités différentes à se modifier en réponse à des perturbations de l'environnement. Cliniquement, on sait depuis longtemps que le cerveau humain en développement, pendant l'enfance, se révèle beaucoup plus capable que le cerveau adulte de récupérer après une lésion. Expérimentalement, on avait constaté que les hormones ont sur le cerveau et sur le comportement des effets anatomiques permanents - des effets dits d'organisation - lorsque l'exposition a lieu pendant le développement, alors qu'elles n'exercent à l'âge adulte qu'une action réversible. Un phénomène similaire avait été observé dans le système visuel : si les signaux visuels reçus pendant la période de développement sont anormaux, le système visuel cérébral est altéré de manière définitive, alors que ces anomalies des stimuli visuels n'ont pas d'effet durable à l'âge adulte. Cette phase du développement caractérisée par une grande plasticité anatomique et comportementale est appelée période critique. Les études sur la prolifération cellulaire confortèrent cette idée d'une différence radicale entre le cerveau en développement et le cerveau adulte : il était facile d'observer des neurones en division dans le cerveau embryonnaire ou à la période postnatale précoce, mais il était extrêmement difficile d'en trouver à l'âge adulte. De plus, on pensait, sur la base de critères morphologiques, que les cellules en division que l'on parvenait à découvrir étaient des précurseurs de cellules gliales* et non de neurones.
Cette différence - qualitative en apparence - de plasticité entre le cerveau en développement et le cerveau adulte a été introduite dans les théories sur le fonctionnement du cerveau. Alors que la capacité à réparer les lésions par la régénération des cellules perdues semble comporter d'énormes avantages et que le phénomène s'observe dans de nombreux tissus, il devait exister une raison extrêmement importante pour que les neurones cérébraux ne se renouvellent pas. Les théories sur la nécessité de la stabilité du cerveau pour que les pensées et les souvenirs puissent se conserver sur toute la durée de vie se fondent sur cette idée que les neurones du cerveau adulte ne se renouvellent pas ; à l'inverse, ces théories ont renforcé la conviction selon laquelle le cerveau adulte est structurellement stable1.
C'est dans les années 1960 que l'on s'aperçut pour la première fois que de nouveaux neurones apparaissent dans le cerveau des mammifères adultes. Cette découverte est due à Joseph Altman, qui s'intéressait alors à la prolifération cellulaire induite par des lésions, dans le cerveau du rat. A l'époque, on pensait que, dans le système nerveux, seules les cellules gliales pouvaient se régénérer. Ainsi, après une lésion du cerveau, on peut observer « une cicatrice gliale ». Comme une cicatrice sur la peau, elle est due à la régénération de cellules, en l'occurrence des astrocytes*. Cependant, outre ce renouvellement glial, Altman observa d'autres cellules nouvelles qui ressemblaient davantage à des neurones. Cette observation était très surprenante car elle contredisait la théorie en vigueur depuis des dizaines d'années et selon laquelle les neurones ne sont produits que pendant une période limitée du développement.
C'est par une caractérisation morphologique que les nouvelles cellules furent identifiées comme neurones. Ceux-ci sont en effet plutôt plus volumineux que les cellules gliales, et apparaissent plus clairs qu'elles avec les colorants classiques. Ce type d'argument, bien qu'évocateur, n'est pas considéré comme concluant, surtout lorsqu'il s'agit d'une question aussi controversée que la neurogenèse chez l'adulte. Pourtant, il y avait effectivement naissance de nouveaux neurones dans le cerveau des mammifères adultes. C'était seulement difficile à prouver. Vers la fin des années 1970 et dans les années 1980, les chercheurs purent montrer que des cellules nées dans le cerveau du rat adulte possédaient des synapses, ces connexions spécialisées qui n'existent qu'entre neurones. C'était la preuve de la naissance de nouveaux neurones, mais la technique de recherche des synapses sur les cellules nouvellement apparues prenait un temps considérable, et le nombre de nouveaux neurones identifiés était extrêmement faible, à peine deux ou trois cellules par cerveau. Du coup, il était facile de considérer la neurogenèse chez l'adulte comme un phénomène négligeable, peut-être un processus ancestral hérité du cerveau des lézards ou des oiseaux, chez lesquels la neurogenèse à l'âge adulte est relativement abondante. Ces dernières années, néanmoins, les techniques immunohistochimiques ont révolutionné de nombreux domaines de la biologie. Elles permettent l'identification de centaines de types cellulaires, y compris les neurones et les cellules gliales, en fonction des protéines particulières qu'ils expriment, au moyen d'anticorps auxquels sont fixés un marqueur visible, par exemple une molécule fluorescente. Avec des marqueurs spécifiques, on a pu observer au début des années 1990 de très nombreux neurones nouveau-nés dans le cerveau adulte. Cette technique a permis une analyse quantitative du nombre de ces nouveaux neurones, et on a ainsi pu étudier les modifications de la production neuronale en réponse à divers traitements expérimentaux.
Nier la neurogenèse devenait impossible. Depuis, elle a été décrite chez toutes les espèces de mammifères étudiées, et notamment chez le rat, la souris, la musaraigne, les primates du Nouveau Monde et ceux de l'Ancien Monde, dont l'homme2, 3. Il apparaît également que cette neurogenèse concerne des zones cérébrales plus étendues qu'on ne le pensait encore très récemment. En effet, on crut tout d'abord que les seuls neurones dotés de cette capacité de renouvellement étaient les cellules granulaires ou simplement « grains » du bulbe olfactif et de la région du g yrus dentatus ou corps godronné de l'hippocampe p. 33. Mais Elizabeth Gould, de l'université de Princeton, a mis en évidence dans un article publié en octobre dernier une production de nouveaux neurones dans certaines régions précises du cortex des primates4. Cette découverte est extrêmement intéressante, non seulement parce que le cortex intervient dans les processus cognitifs dits de haut niveau, bien développés chez l'homme et les autres primates, mais aussi parce qu'elle donne à penser que de nouveaux neurones pourraient apparaître dans d'autres régions du cerveau des mammifères qui n'ont pas encore été examinées d'assez près.
Malgré tout, le vieux dogme n'est pas entièrement faux. Il semble bien que, dans leur grande majorité, les neurones du cerveau adulte aient été produits aux alentours de la naissance. Et, s'il n'est pas actuellement possible d'exclure une poursuite de la neurogenèse dans d'autres régions cérébrales, il ne semble pas que ce renouvellement tout au long de la vie puisse concerner tous les types de neurones. Dans l'hippocampe, qui a été étudié de manière très approfondie, il paraît clair que si les cellules granulaires se reproduisent à l'âge adulte, ce n'est pas le cas des autres populations neuronales de la région. Il en va de même du bulbe olfactif. D'après les connaissances actuelles, il semble donc que seuls certains sous-types de neurones se régénèrent à l'âge adulte, même dans les régions dites neurogènes. Aujourd'hui encore, on ne sait pratiquement rien de l'identité des nouveaux neurones corticaux, on ignore notamment s'ils appartiennent ou non à un seul sous-type neuronal.
Il semble également probable qu'on ne découvrira pas de neurogenèse dans toutes les régions cérébrales. La récente étude sur le néocortex des primates a mis en évidence des neurones nouveaux dans trois régions du cortex associatif les zones préfrontale, temporale inférieure et pariétale postérieure ; en revanche, malgré un examen attentif, il n'a été observé aucun renouvellement dans le cortex strié. Ce résultat est particulièrement intéressant, car le cortex associatif joue un rôle important dans les fonctions cognitives de haut niveau, alors que le cortex strié intervient dans le traitement des informations d'origine visuelle. Cette différence donne à penser que la neurogenèse pourrait jouer un rôle clé dans des fonctions plastiques par essence, alors qu'elle serait sans objet pour des fonctions de bas niveau comme le traitement des données sensorielles, qui sont en général stables tout au long de la vie. Cette idée cadre bien avec ce que l'on sait de la neurogenèse dans le reste du cerveau. Ainsi, il a récemment été démontré que l'apprentissage olfactif a lieu au sein du bulbe olfactif et fait intervenir les neurones granulaires, et on sait par ailleurs depuis longtemps que l'hippocampe est une région importante pour l'apprentissage et la mémoire. On notera néanmoins que si leur localisation incite à penser que les neurones apparus à l'âge adulte peuvent jouer un rôle dans les processus d'apprentissage et de mémoire, rien n'indique qu'ils aient effectivement une fonction. Cela ne veut pas dire qu'ils ne soient pas fonctionnels ; cela traduit seulement les difficultés techniques qui empêchent de recueillir les informations nécessaires. En effet, il est difficile de caractériser les neurones nouveau-nés par l'électrophysiologie, car celle-ci ne permet absolument pas de déterminer l'âge d'une cellule vivante. Les études comportementales sur la neurogenèse à l'âge adulte sont également délicates parce que les manipulations utilisées pour inhiber la neurogenèse perturbent aussi le fonctionnement des autres neurones et des cellules gliales, et qu'il est donc impossible d'établir le lien direct qu'elle pourrait avoir avec une modification comportementale. Surmonter ces obstacles techniques est un enjeu essentiel, car la fonction de la neurogenèse à l'âge adulte est certainement la question qui suscite le plus d'intérêt.
Bien qu'on ne sache pas grand-chose de la fonction des neurones apparus à l'âge adulte, de nombreux travaux ont permis d'élucider plusieurs aspects de leur prolifération, de leur différenciation et de leur survie. C'est dans le gyrus dentatus que la neurogenèse à l'âge adulte est la mieux connue ; jusqu'à présent, cette région est aussi la seule où une neurogenèse ait été observée chez l'homme adulte. Le nombre des neurones qui y apparaissent est loin d'être négligeable, puisqu'il suffit à renouveler plusieurs fois toute la population des neurones granulaires au cours de la vie d'un rongeur. Cependant, cette production de nouveaux neurones ne paraît pas répondre à un modèle de simple renouvellement, dans lequel des cellules neuves viendraient remplacer les neurones qui meurent. Ainsi, certains neurones granulaires persistent pendant toute la vie de l'animal, alors que d'autres n'ont qu'une brève durée de vie. Les nouveaux neurones pourraient augmenter l'effectif de la population totale, ou bien remplacer les cellules qui meurent sans modifier l'effectif total, et la neurogenèse pourrait donc avoir pour objet de modifier soit l'effectif de cette population, soit l'âge moyen des neurones qui la constituent. Par ailleurs, le rythme de production des neurones n'est pas constant, mais modulé en permanence par des signaux provenant des milieux interne et externe. Peut-être sera-t-il possible de se faire une idée de la fonction des nouveaux neurones à partir de la compréhension des facteurs qui contrôlent la neurogenèse. En ce qui nous concerne, nous avons découvert que deux facteurs contrôlant la neurogenèse dans le gyrus dentatus chez l'adulte jouent tous deux un rôle important dans les processus hippocampiques d'apprentissage et de mémoire, une relation que nous allons détailler maintenant.
Le premier de ces facteurs est le stress, qui réduit la production de nouveaux neurones granulaires5. Le fait a été démontré par deux tests classiques, chez des primates installés dans la cage d'un mâle qui ne leur était pas familier et chez des rats exposés à l'odeur d'un prédateur. Ces effets du stress sur la prolifération cellulaire sont dus à la modification de la concentration d'hormones : les corticoïdes6. Cette observation a été confirmée par l'ablation des glandes surrénales situées au-dessus des reins, comme leur nom l'indique, elles produisent la principale de ces hormones. Elle entraîne une augmentation de la production de nouveaux neurones. Comme les concentrations d'hormones corticoïdes évoluent selon un cycle diurne, la production de nouveaux neurones varie sans doute au cours de la journée, passant par un minimum au réveil et par un maximum douze heures plus tard. Il est probable que des facteurs de stress mineurs et de courte durée ralentissent la neurogenèse pendant plusieurs heures, alors que le stress chronique pourrait la bloquer pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois. Quel sens donner à ces résultats ? On considère souvent le stress comme quelque chose de négatif. Cependant, toute expérience nouvelle s'accompagne d'une élévation des concentrations d'hormones corticoïdes et d'autres signes de stress léger, phénomènes qui sont en fait importants pour l'apprentissage qu'impliquent ces situations nouvelles. Pourquoi ralentir la production de nouveaux neurones dans l'hippocampe pendant ce genre de situations ? Il semble que la survie des nouveaux neurones soit meilleure pendant les phases d'apprentissage. Il est donc possible qu'un ralentissement de leur production soit nécessaire pour éviter toute surpopulation.
Dans les processus hippocampiques d'apprentissage, un autre signal important est la liaison d'un neurotransmetteur, le glutamate, à un récepteur appelé NMDA7. Si les récepteurs NMDA sont bloqués, les rats sont incapables d'améliorer leurs performances aux tests de mémoire spatiale faisant intervenir l'hippocampe, comme la classique localisation d'une plate-forme immergée dans une piscine. Le blocage des récepteurs NMDA accroît la production de neurones granulaires et, à l'inverse, une activation de ces récepteurs réduit la production de ces neurones. Paradoxalement, les cellules en cours de division ne portent pas de récepteurs NMDA. Comment le glutamate exerce-t-il son action ? Il pourrait contrôler indirectement la prolifération par l'intermédiaire de signaux provenant des neurones granulaires matures. Ceux-ci émettraient en fait des signaux différents commandant aux cellules précurseurs de se diviser, lorsque leurs récepteurs NMDA sont inactifs. Par ailleurs, de nouvelles données montrent que d'autres neurotransmetteurs, comme la sérotonine et les opiacés, contrôlent eux aussi la prolifération des précurseurs des neurones granulaires ; on est donc conduit à penser que le niveau global d'activité des neurones granulaires matures pourrait contrôler la production des nouvelles cellules. Il existe un autre argument allant dans ce sens : la destruction d'un petit nombre de neurones granulaires matures active aussi la prolifération de leurs précurseurs8. Or les neurones granulaires morts sont inactifs, extrêmement, ce qui cadre avec l'idée selon laquelle une baisse d'activité de ces neurones serait le signal d'une augmentation de la production de nouveaux neurones. On aboutit à un modèle dans lequel les neurones granulaires actifs, dont on peut supposer qu'ils fonctionnent correctement, s'opposent à la production de nouveaux neurones, alors que les neurones silencieux parce qu'ils sont malades ou parce qu'ils ne participent pas à des circuits utiles ou importants déclenchent la production de nouveaux neurones destinés à prendre leur place.
La mise en évidence de la neurogenèse chez l'être humain adulte a suscité des espoirs considérables. La perspective de réparer le cerveau, ou de lui offrir des cures de rajeunissement a été évoquée à de multiples reprises. Qu'en est-il aujourd'hui ?
On a trouvé des neurones nouveau-nés dans l'hippocampe chez les plus âgés des rats et des singes étudiés, et chez des êtres humains jusqu'à l'âge de 72 ans. Mais le nombre de ces nouveaux neurones chute jusqu'à 10 % à peine de la production qu'on observe chez l'adulte jeune. Cette baisse liée à l'âge pourrait s'expliquer par le fait que les précurseurs immatures dotés de la capacité de division et de production de nouveaux neurones persisteraient plus longtemps dans cette région que dans la plupart des autres, mais finiraient malgré tout par mourir. Toutefois, nous avons récemment découvert que, si l'on supprime les corticoïdes surrénaliens chez des rats âgés, la prolifération retrouve le même niveau que chez les adultes jeunes9. Or, les concentrations de corticoïdes sont élevées chez les rats âgés. Ces hormones paraissent donc être responsables de la baisse de la neurogenèse avec l'âge. Fait intéressant, on observe chez certains êtres humains âgés un niveau élevé ou croissant d'hormones corticoïdes, et ce groupe de personnes est beaucoup plus affecté par ce qu'on appelle les pertes de mémoire bénignes de la sénescence liées au vieillissement normal qui diffèrent de celles liées, par exemple, à la maladie d'Alzheimer10. On pense que les pertes de mémoire en question sont liées à la formation hippocampique, où justement la production de neurones granulaires diminue11. Il est donc possible qu'elles soient liées à la diminution de la neurogenèse. A l'heure actuelle, cette relation n'est qu'une corrélation, mais la possibilité - fascinante - existe qu'un abaissement des taux de corticoïdes chez les personnes âgées puisse relancer la neurogenèse et corriger leurs troubles de la mémoire.
Des modifications de la neurogenèse interviennent peut-être aussi dans d'autres troubles hippocampiques comme la maladie d'Alzheimer, les pertes de mémoire consécutives aux accidents vasculaires cérébraux, ou l'épilepsie12 . Si ces hypothèses se vérifiaient, une normalisation de la prolifération des neurones granulaires pourrait contribuer à guérir ces différentes maladies cérébrales. Mais il y a plus encore : on saura peut-être un jour provoquer une régénération dans des populations neuronales qui ne se renouvellent pas normalement, ce qui permettrait de remplacer dans l'ensemble du cerveau les cellules perdues à la suite de lésions ou de maladies. Cependant, rien n'indique encore qu'il soit possible de forcer à se renouveler des neurones qui ne le font pas normalement chez l'adulte. A cette fin, il faudrait tout d'abord comprendre pourquoi la plupart des neurones ne se reproduisent pas à l'âge adulte. On pourrait ainsi se demander quelles sont les caractéristiques communes à ceux qui conservent au contraire cette capacité. A plusieurs égards, ces sous-types de neurones sont très différents les uns des autres. Les neurones granulaires du bulbe olfactif sont inhibiteurs, alors que ceux de l'hippocampe sont excitateurs. Dans le bulbe olfactif, ce sont des interneurones, renvoyant des signaux aux cellules qui leur ont adressé des messages, alors que les grains du gyrus dentatus sont des neurones projectifs, qui envoient des axones véhiculant le principal signal d'entrée des neurones pyramidaux de l'hippocampe. Les neurones corticaux nouveau-nés ont un axone, mais on ne sait pas encore s'ils sont excitateurs ou inhibiteurs, ou s'il en existe des deux types. Néanmoins, ces deux populations possèdent des points communs, le plus manifeste étant bien entendu leur dénomination : cellules granulaires, ou grains. Dans les deux cas, ils furent baptisés par les anciens anatomistes en raison de leur corps cellulaire arrondi et très petit. En outre, ces deux types cellulaires ont tous les deux un arbre dendritique relativement simple, peu ramifié, c'est-à-dire une structure probablement plus facile à produire dans le cerveau mature où l'espace libre est bien moins abondant que dans le cerveau en développement.
Il est possible que les précurseurs neuronaux persistant dans le cerveau adulte n'aient que des possibilités limitées et ne puissent se différencier que pour donner des neurones dotés seulement de ces structures élémentaires. Pourtant, même des cellules immatures transplantées à partir d'un cerveau embryonnaire se révèlent incapables de produire des neurones dans des régions du cerveau adulte où il n'y a pas normalement de neurogenèse. Il existerait donc, dans ces régions particulières, des signaux contrôlant quels types de neurones pourront, ou non, se régénérer à l'âge adulte. De tels signaux existent pendant le développement. Produits au moment voulu et provenant de diverses localisations, ils sont essentiels au développement morphologique des neurones et à l'établissement de leurs connexions, mais ils sont presque certainement absents dans la plus grande part du cerveau adulte. En effet, avec la maturation du système nerveux, les neurotransmetteurs de l'embryogenèse et de l'enfance sont remplacés par ceux de l'âge adulte. Point intéressant, le développement des deux populations de neurones qui se régénèrent à l'âge adulte commence très tard ; les premiers neurones granulaires des deux types apparaissent deux jours avant la naissance chez le rat, à un moment où cesse la production de la plupart des autres neurones. Ce détail est peut-être important, parce que cela signifie que les signaux nécessaires au développement de ces cellules proviennent probablement de neurones relativement matures, qui pourraient persister à l'âge adulte.
Malheureusement, on sait actuellement très peu de chose sur les signaux qui commandent normalement la différenciation et l'intégration en réseaux de la plupart des neurones. Dans le gyrus dentatus adulte, les nouveaux neurones granulaires envoient leur axone en direction des bonnes cellules cibles les cellules pyramidales CA3, et les connexions s'établissent assez rapidement - dans les quatre à dix jours après la fin de la division cellulaire13. Il ressort par ailleurs que cette intégration en circuits est essentielle à la survie des nouveaux neurones ; chez le rat de laboratoire normal, la moitié environ des neurones granulaires nouveau-nés meurent entre une et deux semaines après leur apparition, mais le taux de survie est beaucoup plus élevé si on soumet les rats à des tâches d'apprentissage. Cet effet ne s'observe que si les tâches en question font intervenir l'hippocampe, et s'il y a apprentissage véritable, et non pas seulement activation hippocampique. Peu après la connexion des nouvelles cellules à d'autres neurones, une activation spécifique des circuits ainsi établis est donc probablement nécessaire pour que les nouveaux neurones survivent. Comme l'activation des récepteurs NMDA est un élément essentiel de l'apprentissage hippocampique, il est probable que ces récepteurs sont importants pour la survie et pour la production de nouveaux neurones granulaires dans le gyrus dentatus . Serait-ce l'un des signaux recherchés ? Quoi qu'il en soit, pour remplacer les neurones disparus partout dans le cerveau, il faudra résoudre le problème complexe consistant à fournir tous les signaux nécessaires à leur bonne maturation morphologique et à leur intégration spatiale et temporelle.
Outre le fait qu'elle ouvre des perspectives en matière de réparation du cerveau, la neurogenèse à l'âge adulte modifie la manière dont il faut envisager le fonctionnement normal du cerveau. Depuis quelques années, on observe de plus en plus de signes de plasticité anatomique du cerveau adulte, à plusieurs niveaux, et notamment en ce qui concerne la forme et le nombre des synapses. Cependant, certains scientifiques tiennent encore pour une forme très rigoureuse d'hypothèse du cerveau stable, selon laquelle il n'y aurait aucune plasticité anatomique du cerveau adulte, et notamment du cortex ; ils estiment que la plasticité fonctionnelle qui sous-tend les mécanismes d'apprentissage suppose des modifications de la force des synapses, produites par une modification des récepteurs ou de l'environnement intracellulaire des neurones, au niveau moléculaire. Mais on sait désormais que certains neurones de régions importantes dans les processus d'apprentissage se renouvellent continuellement - ce qui constitue une modification anatomique relativement importante. Les populations de neurones où persiste une neurogenèse échangent toutes des informations avec d'autres populations considérées comme stables pendant toute la vie. Le remplacement de ces sous-populations disséminées signifie que des populations neuronales stables interagissent continuellement avec des populations qui ne cessent de changer, et que les neurones à longue durée de vie doivent établir de nouvelles synapses, ce qui modifie probablement la forme de leur arborescence dendritique. On a observé une formation et une disparition rapide des synapses au niveau des cellules pyramidales de l'hippocampe, mais il est probable que le même phénomène se produise aussi dans d'autres régions cérébrales. Même les populations non neurogènes pourraient donc être moins fixes morphologiquement qu'on ne le pensait auparavant. On est donc conduit à imaginer un modèle complexe de la plasticité cérébrale, dans lequel différentes sous-populations neuronales interagissent et font intervenir des types de plasticité différents, concernant l'expression des protéines, la morphologie cellulaire ou le renouvellement des neurones.
Ce modèle s'oppose à l'hypothèse d'un cerveau anatomiquement stable, mais il n'entre pas forcément en contradiction avec l'idée selon laquelle une population stable de neurones serait nécessaire à la conservation des souvenirs à long terme. Après tout, l'expérience nous apprend que le cerveau est performant pour garder des souvenirs sur des dizaines d'années, mais qu'il sait aussi bien oublier. Notre cerveau reçoit chaque jour tant d'informations nouvelles qu'il est absolument essentiel de les trier et d'éliminer des données sans importance ou dont nous n'avons plus besoin. On ne sait pratiquement rien de la manière dont s'effectuent ces processus, mais il est intéressant de rappeler que l'une des fonctions attribuées à l'hippocampe serait celle de transformer les souvenirs à court terme en souvenirs durables. Il est possible que les neurones à longue durée de vie, peu plastiques, soient essentiels pour la mémoire à long terme, ainsi que pour des fonctions sensitives et motrices qui n'ont pas besoin de changer beaucoup à l'âge adulte, alors que les neurones qui régénèrent interviendraient dans les processus rapides d'apprentissage et de mémoire à court terme.
Par Heather Cameron
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ÉVEIL DE LA PERCEPTION |
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L'éveil de la perception
Dossier spécial cerveau - par Olivier Houdé, Grégoire Borst dans mensuel n°477 daté juillet 2013 à la page 46 (2113 mots) | Gratuit
Comment le bébé perçoit-il son environnement ? Et comment, à partir de ces informations, construit-il le réel, selon l'expression de Jean Piaget, de l'université de Genève ? Au-delà de la simple perception du monde, le jeune enfant doit en effet utiliser des outils cognitifs pour apprendre à penser et à mémoriser de façon cohérente le monde perçu : réaliser des opérations de catégorisation (pour définir les qualités des objets), de dénombrement (quantité d'objets) et de raisonnement (inférer, déduire, etc.).
Ces capacités naissantes sont explorées par les psychologues. Lesquels ne cessent, depuis quelques années, de révéler l'étendue des compétences des tout-petits. Des découvertes récentes en sciences cognitives indiquent, par exemple, que très tôt, avant même l'apparition du langage (soit avant deux ans), les bébés font déjà des statistiques pour comprendre et anticiper les événements qu'ils perçoivent.
Mais en amont de ces capacités, des goûts, des odeurs et des sons animent déjà la vie du foetus ! Dès trois mois après la fécondation et alors qu'il ne mesure que 10 centimètres environ, ce dernier commence, dans le ventre de sa mère, à découvrir les saveurs et les odeurs à travers le liquide amniotique qu'il avale par la bouche, qu'il déglutit en partie et qu'il souffle par le nez. Une carte perceptive des goûts et des odeurs, associée sans doute aux toutes premières émotions, se met ainsi en place dans le cerveau en construction. Cette carte prénatale va orienter les préférences postnatales du bébé. C'est l'aube des sens. Il en est de même pour les sons. On sait que les foetus perçoivent partiellement et mémorisent les voix familières et la musique. Quant à la vision, elle ne se mettra réellement « au point » qu'après la naissance, lors de l'ouverture des yeux sur le monde des objets tridimensionnels. Le regard du bébé gagnera alors en acuité au fil des mois. Mais avant la naissance, déjà sensible aux ombres et aux nuances dans la forte lumière, le système visuel du foetus, comme tous les autres systèmes sensoriels et perceptifs, se prépare déjà.
Capacités des prématurés
Dans ce domaine d'étude des tout débuts de la vie, les découvertes scientifiques récentes ont porté sur l'observation des capacités des prématurés, ces bébés nés un peu ou beaucoup trop tôt, auxquels les meilleurs soins sont aujourd'hui prodigués dans les services de néonatalogie. L'observation des prématurés offre aux psychologues qui se rendent à leur chevet une fenêtre temporelle exceptionnelle pour mesurer « en avant-première » les mécanismes perceptifs par lesquels le monde vient aux bébés. C'est ainsi que deux expériences ont montré récemment que le monde des formes et des sons vient très tôt à l'esprit des bébés et que leur cerveau, non encore achevé, travaille déjà avec finesse et subtilité.
Édouard Gentaz, du CNRS à Grenoble, et ses collaborateurs ont ainsi étudié comment deux mois avant le terme, c'est-à-dire à sept mois de grossesse, des bébés sont déjà capables d'apprendre à reconnaître des formes géométriques par le toucher [1]. Dans cette étude, les chercheurs ont utilisé une méthode expérimentale simple qui s'appuie sur un principe universel : le désintérêt progressif que nous manifestons pour un objet familier et le regain d'attention que nous marquons pour un objet nouveau.
Les psychologues ont d'abord placé dans une main de chaque bébé un petit objet en forme de prisme ou de cylindre. Dès que le bébé lâchait l'objet, les psychologues le lui remettaient dans la main et mesuraient la durée pendant laquelle il le conservait. Ils ont ainsi observé qu'au fil des essais le bébé gardait l'objet de moins en moins longtemps.
Pour vérifier que cela n'était pas dû à la fatigue, ils ont ensuite présenté à la moitié des bébés un objet de forme différente, et à l'autre moitié le même objet. Résultat : les bébés confrontés au nouvel objet l'ont tenu plus longtemps que celui qu'ils connaissaient déjà. En revanche, le temps de tenue des autres bébés n'a pas augmenté.
Cela prouve que ces prématurés savent distinguer deux objets de formes différentes avec leurs mains. Il ne s'agit pas de simples réflexes, mais d'un apprentissage par habituation et réaction à la nouveauté. Les performances de ces prématurés ont ensuite été comparées avec celles de bébés nés à terme. Or leurs aptitudes manuelles étaient similaires, que ce soit avec la main droite ou avec la main gauche. Seule différence : les prématurés se désintéressaient plus rapidement de l'objet, probablement en raison d'une fatigue cognitive due à leur état.
Pour cette expérience d'exploration tactile, les régions sensorimotrices du cortex cérébral suffisent, en l'occurrence celles liées à la discrimination par le toucher. On sait qu'elles sont les premières zones du cerveau à arriver à maturation, bien avant les régions préfrontales, liées au contrôle cognitif élaboré. Cette étude montre donc que ces régions sensorimotrices sont fonctionnelles à sept mois de grossesse. Chez les prématurés nés deux mois avant le terme, les fondements neurocognitifs de la catégorisation des formes, voire de la géométrie, sont ainsi déjà en construction. Une découverte précieuse pour les professionnels de néonatalogie : ils pourront facilement reproduire ce type d'exercice actif d'apprentissage pour éveiller l'intelligence de ces bébés, à condition de ne pas trop les fatiguer.
Réseau du langage
L'équipe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale de Ghislaine Dehaene à NeuroSpin près de Paris, est, quant à elle, parvenue à visualiser l'activité du cerveau de bébés prématurés, de deux à un mois avant le terme, lors d'une tâche de discrimination auditive de syllabes [2]. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé au chevet des prématurés un équipement de spectroscopie proche infrarouge, qui permet d'observer l'activité cérébrale de très jeunes enfants en contextes naturels. Bien que le cerveau soit loin d'être mature à cet âge, les résultats ont révélé chez le prématuré l'activation d'un circuit du cortex semblable au réseau adulte du langage, avec une spécialisation déjà en place dans l'hémisphère gauche.
Grâce à ce réseau neuronal, ces bébés, y compris les prématurés très jeunes de l'échantillon (vingt-neuf semaines de gestation), sont capables de discriminer finement les changements de phonèmes (ba ou ga) et de voix humaines (une voix masculine ou féminine). De fait, les variations de ces stimulations ont pu être corrélées avec l'activité de régions frontales inférieures situées à l'avant de leur cerveau. Enfin, les résultats de l'étude montrent que ces deux types de changements (phonèmes et genre de la voix) mobilisent des régions frontales droites, alors que seul le cortex frontal gauche s'active spécifiquement pour la discrimination de phonèmes.
Ce dernier point confirme la mise en place extrêmement précoce d'une spécialisation à gauche pour la perception de stimuli linguistiques dans le cerveau humain. Le résultat remarquable de cette étude est aussi que la partie frontale du cerveau du tout-petit travaille déjà pour catégoriser sélectivement les informations du monde sonore. Une surprise. Car on pensait jusqu'à présent que cette partie avant du cerveau n'entrait en action que bien plus tardivement au cours du développement cognitif de l'enfant.
Depuis plusieurs décennies, les psychologues du bébé ont déjà démontré, au niveau comportemental, que durant la première année de la vie les nourrissons sont beaucoup plus intelligents que ne l'avait imaginé Piaget. Bien avant l'apparition du langage articulé (vers l'âge de 2 ans), il est aujourd'hui établi, par l'étude des réactions visuelles des bébés, qu'ils comprennent très tôt des principes élémentaires d'unité et de permanence des objets, de nombre, ainsi que de causalité physique ou mentale. Dans le prolongement de ces découvertes, un nouveau courant a récemment émergé, considérant le bébé comme un véritable petit scientifique qui fait des statistiques pour comprendre et anticiper les événements qu'il perçoit. Ce serait donc par les statistiques que le monde vient aux bébés ! Et pas n'importe quelles statistiques : celles au nom barbare de principes « bayésiens ».
Capacité d'abstraction
C'est la psychologue américaine Alison Gopnik, de l'université de Californie, à Berkeley, qui est le principal chef de file de ce nouveau courant de recherche [3]. Selon elle, les bébés et les jeunes enfants sont des statisticiens bayésiens, autrement dit des petits penseurs qui déjà imaginent des structures abstraites à partir des données perceptives de leur environnement. Ainsi, les bébés détectent des motifs statistiques et les utilisent pour tester des hypothèses, c'est-à-dire des attentes assez précises qu'ils ont à propos des objets et des personnes.
Par exemple, en utilisant une technique de réactions visuelles, Fei Xu, de l'université de Colombie-Britannique à Vancouver, a montré que des bébés de 8 mois sont sensibles à des motifs statistiques dans une expérience avec des balles de ping-pong [4]. L'expérimentatrice montrait aux bébés une grande boîte remplie de balles blanches et rouges. Ensuite, elle fermait les yeux et prenait au hasard quelques balles de la boîte pour les disposer dans une autre boîte, plus petite, à côté [fig. 1]. Si l'échantillon tiré était réellement aléatoire, alors la distribution des balles dans la petite boîte devait correspondre à celle de la grande boîte.
Après le tirage, les bébés voyaient un échantillon de balles dans la petite boîte qui, selon les conditions expérimentales, soit correspondait à la distribution probabiliste (événement statistiquement attendu), soit n'y correspondait pas (événement non attendu). Résultat : quand l'événement perceptif était non conforme aux probabilités, les bébés étaient surpris et regardaient plus longtemps la scène. Ils ont donc perçu l'erreur et détecté la transgression du motif statistique. Dans une condition contrôle, les bébés voyaient exactement la même séquence d'actions mais l'expérimentatrice tirait les balles de sa poche et non de la grande boîte. Dans ce cas, aucune réaction de surprise n'a eu lieu.
Un autre groupe de chercheurs, dont Vitorrio Girotto, du CNRS à l'université d'Aix-Marseille, a également confirmé que les bébés possèdent dès 12 mois d'étonnantes capacités de raisonnement probabiliste lors de la perception de configurations complexes d'objets en mouvement [5]. D'autres études encore, menées dans le même esprit, ont révélé que les bébés utilisent déjà des motifs statistiques pour tester des hypothèses à propos de séries d'images, de phrases parlées, etc. Il y a donc bien de véritables petits statisticiens cachés dans les berceaux ! Et c'est grâce à ce cerveau « proto-mathématique » - en apparence passif mais très actif et lucide - que le monde vient aux bébés.
Marqueur de la conscience
Lucidité ? Oui. De fait, Sid Kouider, du CNRS et de l'École normale supérieure de Paris, avec l'équipe de Ghislaine Dehaene, vient de montrer que le bébé possède dès 5 mois une conscience perceptive proche de celle de l'adulte : il présente en effet un marqueur électrophysiologique de la conscience analogue au nôtre [6]. Comme l'adulte - et avant même qu'il ne puisse s'exprimer par le langage -, son cerveau répond en deux temps à la perception d'un événement extérieur.
Dans un premier temps, il traite les informations de façon non consciente, ce qui se caractérise par une activité neuronale linéaire proportionnelle à la durée de présentation de l'événement. Puis, dans un second temps, la réponse neuronale n'est plus linéaire, signal que le seuil de la conscience est franchi. Cette seconde étape est atteinte en 300 millisecondes (ms) environ chez l'adulte, contre 900 ms chez le bébé de 5 mois, et 750 ms chez celui de 15 mois. Démontrer un tel phénomène chez des bébés qui ne parlent pas encore était un véritable défi scientifique. Les chercheurs l'ont relevé en présentant aux bébés des images de visages plus ou moins visibles. L'accès conscient à ces images a été indirectement mesuré par la technique des potentiels évoqués cérébraux dont on connaissait déjà très bien la séquence temporelle chez l'adulte.
Erreurs de raisonnement
Il y a toutefois un paradoxe. Si, comme on vient de le voir, le cerveau des prématurés est déjà prêt, avant terme, à rapidement travailler et qu'ensuite, dès la première année de vie, les bébés perçoivent le monde de façon aussi lucide, intelligente et scientifique, alors pourquoi les enfants plus grands à l'école et même les adultes font-ils autant d'erreurs systématiques de raisonnement logique ? Comme Piaget l'avait bien identifié chez les enfants d'âge préscolaire et scolaire et, après lui, le Prix Nobel Daniel Kahneman, de l'université de Princeton, chez les adultes, notre cerveau raisonne le plus souvent de travers, obéissant davantage à des biais heuristiques ou à des intuitions perceptives qu'aux règles logiques et mathématiques abstraites.
Expliquer ce paradoxe des compétences précoces et des incompétences tardives est la tâche principale de la psychologie actuelle du développement cognitif. L'une des façons de lever ce paradoxe est de considérer que le cerveau humain, notamment sa partie préfrontale, doit encore apprendre à inhiber, au cas par cas durant l'enfance et même à l'âge adulte, certains automatismes perceptifs acquis plus ou moins précocement [7]. Par conséquent, si le monde perceptif s'impose à nous très tôt dans le développement, il faut aussi apprendre à lui résister pour bien raisonner. Et cela ne va pas de soi !
Par Olivier Houdé, Grégoire Borst
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LES FOURMIS ... |
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Paris, 18 Janvier 2016
Comment les fourmis s'auto-organisent pour construire leur nid
Les fourmis construisent collectivement des nids dont la taille peut atteindre plusieurs milliers de fois celle des individus et à l'architecture parfois très complexe. Leur capacité à coordonner plusieurs milliers d'individus pour bâtir leurs nids demeure cependant une énigme. Pour comprendre les mécanismes impliqués dans ce phénomène, des chercheurs du CNRS, de l'Université Toulouse III – Paul Sabatier et de l'Université de Nantes1 ont combiné des techniques d'analyse comportementale, d'imagerie 3D et de modélisation. Leurs travaux montrent que les fourmis s'auto-organisent en interagissant avec les structures qu'elles construisent et grâce à l'ajout d'une phéromone à leur matériel de construction. Ce signal chimique contrôle localement leur activité bâtisseuse et détermine la forme du nid. Sa dégradation au cours du temps et par les conditions environnementales permet également aux fourmis d'adapter la forme de leurs nids. Ces travaux font l'objet d'une publication dans la revue PNAS le 18 janvier 2016.
Chez la fourmi noire des jardins, Lasius niger, le nid est composé d'une partie souterraine constituée par un réseau de galeries et d'un dôme en terre constitué d'un grand nombre de chambres en forme de bulles, étroitement imbriquées les unes aux autres. A l'aide de techniques d'imagerie 3D comme la tomographie aux rayons X2 et le scanner 3D, les chercheurs ont caractérisé les structures tridimensionnelles réalisées par les fourmis ainsi que la dynamique de construction. Par ailleurs, ils ont analysé les comportements de construction de ces insectes à l'échelle individuelle.
Dans la partie située au-dessus du sol, les insectes entassent leurs matériaux de construction pour former des piliers qui servent à délimiter les chambres. Les fourmis déposent préférentiellement leurs boulettes de terre dans les zones où d'autres amas ont déjà été réalisés. Elles ajoutent en effet une phéromone à leurs matériaux, ce qui incite leurs congénères à construire aux mêmes endroits et conduit à la formation de piliers régulièrement espacés. Lorsque ces colonnes atteignent une hauteur correspondant à la longueur moyenne d'une fourmi, les ouvrières façonnent alors des « chapiteaux » au sommet des piliers. Elles utilisent leur corps comme gabarit pour déterminer quand elles doivent cesser de construire verticalement et commencer à déposer des boulettes latéralement. Les fourmis disposent donc de deux types d'interactions indirectes pour édifier des architectures complexes.
Par ailleurs, la phéromone se dégrade avec le temps, plus ou moins vite selon les conditions climatiques, ce qui permet à la construction de s'adapter à l'environnement. Ainsi, dans un environnement sec, la quantité de phéromone diminue rapidement et il y a donc moins de piliers construits. Les chambres sont alors plus grandes, ce qui permet aux fourmis de s'y agréger afin de conserver le peu d'humidité. A l'inverse, dans un environnement humide, la phéromone persiste plus longtemps ce qui conduit à un nombre de piliers plus élevé et à des chambres plus petites.
Les chercheurs ont ensuite conçu un modèle mathématique en 3D de la construction du nid, obtenu grâce à l'analyse du comportement individuel des fourmis. Ce modèle montre que les deux formes d'interactions indirectes, utilisées par les fourmis pour coordonner leurs activités, reproduisent fidèlement la dynamique de construction et les structures construites lors des expériences. Il souligne également le rôle clé joué par la phéromone de construction dans la dynamique de croissance et les formes des nids.
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LES SOURCES ABYSSALES , BERCEAU DE LA VIE |
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Les sources abyssales, berceau de la vie ?
spécial mer - par Franck Zal dans mensuel n°355 daté juillet 2002 à la page 22 (2425 mots) | Gratuit
D'étonnantes communautés animales prolifèrent au plus profond des océans, là où les sources hydrothermales créent un environnement que l'on croyait très défavorable à la vie. Or, ces conditions drastiques sont, en bien des points, semblables à celles qu'offrait la Terre primitive. Peut-on pour autant en déduire que la vie est née dans les abysses ?
« Il est aussi absurde de réfléchir à l'origine de la vie que de réfléchir à l'origine de la matière. » Le 17 septembre 1835, le HMS Beagle, avec à son bord l'auteur même de ce propos, Charles Darwin, touchait terre sur une île de l'archipel des Galapagos, dans le Pacifique. Tandis que Darwin s'émerveillait des différents morphotypes* d'espèces qu'il y découvrait et qui seront à l'origine de sa théorie sur l'évolution, il ne se doutait pas que les abysses de cette même région du Globe seraient le théâtre, cent quarante deux ans plus tard, d'une fabuleuse découverte.
Le 15 février 1977, une mission océanographique américaine regroupant des géochimistes et des géologues, et dirigée par John Corliss, de l'université de l'Oregon, découvrit par 2 600 m de fond sur la dorsale océanique des Galapagos une communauté animale tout à fait étonnante, constituée d'organismes le plus souvent inconnus de la science. La présence d'une telle densité biologique non suspectée, ni même imaginée, sauf peut-être par le célèbre romancier d'avant-garde Jules Verne, demeura une véritable énigme durant plusieurs années. En effet, tous les écosystèmes sur la Terre, qu'ils soient terrestres ou aquatiques, dépendent de la présence d'organismes dits autotrophes, c'est-à-dire capables de synthétiser des molécules organiques à partir du dioxyde de carbone puisé dans leur environnement. C'est notamment le cas des végétaux, qui utilisent l'énergie solaire pour réaliser ces processus chimiques lors du phénomène de photosynthèse. Toutefois, la photosynthèse est impossible à grande profondeur, en raison de l'obscurité totale. Comment la vie pouvait-elle se développer dans ces ténèbres ? Une fois leur surprise passée, les scientifiques remarquèrent que cette luxuriance animale était restreinte aux zones d'hydrothermalisme sous-marin. La dorsale océanique, chaîne montagneuse d'environ 60 000 km de long qui jalonne les fonds océaniques aux limites des grandes plaques constituant l'écorce terrestre, possède en son centre un canal, ou graben, caractérisé par une très forte activité volcanique à l'origine du phénomène de tectonique des plaques. Le magma en fusion monte, puis s'étale et se solidifie... tout en se craquelant. L'eau de mer s'infiltre alors dans ces profondes fissures, se réchauffe au contact du basalte, puis remonte par d'autres fissures. Elle est alors très chaude 300 à 400 °C, acide son pH est compris entre 2,0 et 5,9, totalement dépourvue d'oxygène et enrichie en sels minéraux, en ions polymétalliques et en composés toxiques tel que l'hydrogène sulfuré. La rencontre de ce fluide hydrothermal avec l'eau de mer provoque une précipitation des sels polymétalliques qu'il contient et engendre de hautes cheminées hydrothermales dépassant parfois 20 m : les fumeurs noirs. C'est à l'interface entre fluide hydrothermal et eau de mer, où les conditions du milieu sont agressives et temporellement hyper variables, que l'on observe les luxuriantes communautés animales des abysses.
Débat relancé. Plusieurs années passèrent avant que l'origine de cette biocénose* fût découverte. Les résultats de prélèvements de fluides hydrothermaux révélèrent la présence de fortes concentrations en hydrogène sulfuré autour des animaux. Quelques années plus tard, le groupe de Holger Jannasch, de l'institut océanographique Woods Hole, et celui de David Karl, de l'université d'Hawaii, démontrèrent l'existence de bactéries autotrophes autour et dans ces organismes1. Ces bactéries sulfoxydantes pouvaient transformer du dioxyde de carbone en molécules organiques en utilisant non pas l'énergie solaire, mais l'oxydation de l'hydrogène sulfuréI. Elles étaient donc à la base de la chaîne alimentaire de cet écosystème.
Cette découverte étonnante relança le débat sur l'origine de la vie sur TerreII. L'hydrothermalisme océanique en serait-il la clé ? Selon le Russe Alexandre Ivanovitch Oparin, biochimiste de formation, et le biologiste anglais John Haldane, ce sont les conditions physico-chimiques engendrées par la genèse de la Terre - il y a 4,55 milliards d'années - qui auraient permis la formation des molécules organiques indispensables à la vie. Ces chercheurs comparaient les conditions originelles à une réaction chimique impliquant trois éléments essentiels : l'atmosphère terrestre comme réacteur ; le Soleil comme source d'énergie ; les gaz et composés chimiques émis par le Soleil ou engendrés par le dégazage du manteau terrestre comme réactifs. Selon leur théorie, énoncée en 1922, la clé du problème des origines de la vie réside en une bonne compréhension de l'atmosphère primitive de la Terre, constituée d'une part de méthane, d'ammoniac et de vapeur d'eau provenant du Soleil, d'autre part de dioxyde de carbone, d'hydrogène sulfuré et de vapeur d'eau issus du dégazage du manteau terrestre. Les radiations UV émises par le Soleil, les décharges électriques ou encore l'énergie volcanique auraient, en rompant les liaisons chimiques de ces cinq molécules, entraîné la formation de radicaux libres réagissant très rapidement les uns avec les autres pour donner de nouvelles molécules de plus en plus complexes. Le dioxyde de carbone et le méthane induisant un effet de serre qui élève la température de la surface du Globe, la vapeur d'eau se serait condensée, formant des nuages dans la haute atmosphère avant de retomber en pluie, entraînant avec elle, dans les océans ainsi formés, les nouvelles molécules organiques composées d'atomes de carbone, d'hydrogène, d'oxygène et d'azote.
Cette vision conceptuelle de l'origine de la vie fut, dans les années 1950, testée par un jeune doctorant, Stanley Miller, qui travaillait à l'université de Chicago. Il conçut un réacteur fermé, parfaitement stérile, dans lequel il était possible de faire le vide. Il introduisit dans ce système de l'eau H2O et les gaz mentionnés par Oparin et Haldane CH4, NH3 et H2S. Sous l'effet de la chaleur produite par une flamme, l'eau est vaporisée et se mélange aux gaz : c'est l'atmosphère primitive. Deux électrodes produisent des étincelles qui simulent les éclairs : c'est la source d'énergie. Un système de refroidissement provoque la condensation de la vapeur d'eau, qui entraîne avec elle les molécules nouvellement synthétisées : c'est la pluie. Finalement, le tout s'accumule au bas du système : c'est la soupe primitive constituant les océans. Après analyse, S. Miller met en évidence la synthèse d'un certain nombre de molécules organiques, notamment des sucres et des acides aminés. L'ère de la chimie prébiotique était née.
Toutefois, cette chimie bute sur un certain nombre de problèmes, au coeur d'ardentes discussions à l'heure actuelle. La composition de l'atmosphère primitive n'était probablement pas celle décrite par Oparin et Haldane. Elle aurait été moins réduite et plus riche en CO2, ce qui est indispensable à la création d'un océan liquide par le biais de l'effet de serre... mais peu propice au développement d'un organisme vivant ! De plus, la concentration des molécules organiques dans l'océan primitif aurait été extrêmement faible, du fait de l'énorme dilution subie. En outre, les interactions chimiques dans la soupe primitive devaient obligatoirement faire intervenir des catalyseurs ou des inhibiteurs, dont la présence n'est pas expliquée par la théorie de la « soupe prébiotique ». Enfin, une atmosphère primitive sans oxygène, donc sans couche d'ozone, laissait forcément passer toutes les radiations UV à l'origine de la formation de radicaux libres, cytotoxiques pour quelque organisme que ce soit, même primitif. Si la surface des océans semble donc, au final, peu propice à la naissance de la vie, qu'en est-il de ses profondeurs ?
Selon la théorie proposée par le chimiste - et avocat en brevets - Günther Wächtershäuser, la vie serait apparue en quelques fractions de seconde dans un milieu chaud dépourvu d'oxygène mais contenant de l'eau liquide, du monoxyde de carbone, du sulfure d'hydrogène, du cobalt, du nickel et de l'ammoniac, le tout à la surface d'un catalyseur solide constitué de sulfure de ferIII. Or, le sulfure de fer ou pyrite est précisément l'un des minéraux majoritaires qui composent les cheminées hydrothermales, et les autres composés sont présents aux alentours immédiats des fumeurs noirs. De plus, de nombreuses molécules biologiques présentent ce qui ressemble à une « signature hydrothermale » : les métalloprotéines, par exemple, possèdent au niveau de leur site actif des atomes de fer, de nickel, de molybdène, de cuivre, de cobalt ou encore de zinc. Par ailleurs, le thermodynamicien et géochimiste Everett Shock a, quant à lui, montré que les synthèses organiques étaient possibles dans les contraintes de l'environnement hydrothermal, environnement qui existe probablement depuis le dégazage du manteau de la Terre et devait être très actif, il y a plus de 4 milliards d'années.
Vie fossilisée. Pour autant, existe-t-il des preuves de l'existence d'une forme de vie au niveau de sites hydrothermaux fossilisés ? Les théories et expériences rapportées ci-dessus ont certes fourni des éléments de réponse quant à la chimie des origines de la vie, mais on est encore loin de comprendre comment, des molécules organiques initialement formées, ont pu naître les premiers organismes vivants. Certaines traces géologiques tendent toutefois à montrer qu'une ou plusieurs formes de vie étaient présentes dans l'hydrosphère de la Terre naissante au début de la période archéenne il y a au moins 3,5 milliards d'années, à la fin de la phase de l'intense bombardement de météorites qui a affecté la surface de la Terre2-4. Ces premiers « organismes » semblent avoir eu des formes très simples, de sphères et de bâtonnets de quelques micromètres. Des vestiges indirects ont été découverts au sud-ouest du Groenland, plus précisément au niveau de la ceinture d'Isua, constituée de roches et de dépôts sédimentaires de plus de 3,8 milliards d'années. Ces roches sédimentaires portent des traces de globules dont le caractère biotique est confirmé par le rapport isotopique du carbone et par la détection d'hopanes, molécules caractéristiques de la membrane bactérienne. Ou plutôt « semblait confirmé » : ces résultats viennent d'être remis en cause dans un article publié le 24 mai par la revue Science5.
Dans des roches de 3,5 milliards d'années, datant donc cette fois du milieu de la période archéenne, ont été identifiés de nombreux fossiles de biofilms bactériens et de stromatolites, ces structures organo-sédimentaires produites par des bactéries généralement - mais pas exclusivement - photosynthétiques6. Sur ces roches découvertes en Afrique du Sud jaspes du groupe du Fig Tree, Swaziland et en Australie North Pole, des filaments cellulaires rappelant la morphologie des cyanobactéries étaient bien visibles. Par ailleurs, d'autres micro-fossiles filamenteux vieux de 3,2 milliards d'années ont été trouvés dans des dépôts soufrés d'origine volcanique dans l'ouest de l'Australie. Cette découverte semble prouver que la vie était présente au niveau des sources hydrothermales océaniques au milieu de la période archéenne7. Difficile, toutefois, de préciser l'exacte nature de ces vestiges, comme en témoignent les récentes divergences analytiques de filaments observés dans les sédiments australiens de Chinaman Creek, vieux de 3,46 milliards d'années. Si l'équipe dirigée par William Schopf de l'université de Californie, à Los Angeles et celle menée par Martin Brasier de l'université d'Oxford s'accordent sur l'existence d'une forme de vie dans ces roches, les premiers assimilent les filaments observés à des fossiles de bactéries, les seconds, à des concrétions purement minéralesIV.
Les roches archéennes plus récentes présentent, quant à elles, de très nombreuses traces de vie. Des stromatolites fossiles bien développées, et datant d'environ 3 milliards d'années, ont été découvertes à Steep Rock, dans l'Ontario, et à Pongola, en Afrique du Sud. Des micro-fossiles provenant de l'ouest de l'Australie et datant de 2,7 milliards d'années ont quant à eux fourni des évidences plus directes : on y a mis en évidence des lipides d'origine biologique. Or ces molécules hydrocarbonées, en particulier le 2a-méthylhopane, sont des biomarqueurs qui caractérisent les cyanobactéries8. Cette découverte indique donc que les mécanismes de la photosynthèse étaient présents à la fin de la période archéenne. Les Eucaryotes devaient l'être également : on a retrouvé leur signature, en l'occurrence des molécules appelées stéranes, dans des roches de cette époque.
Toutefois, l'hypothèse selon laquelle l'ancêtre commun de toutes les bactéries aurait vécu à haute température dans les sources hydrothermales ne remporte pas tous les suffragesV. En effet, elle semble contradictoire avec celle, de plus en plus défendue, selon laquelle les organismes à ARN auraient précédé ceux à ADN. Or, qui dit ARN dit très faible stabilité face à la chaleur. L'hypothèse du « monde à ARN » implique en outre que l'environnement de ces premières formes de vie ait été riche en phosphate, pour permettre aux molécules d'ARN d'avoir accès à cette source indispensable à leur processus d'auto-réplication. D'un point de vue géologique, un tel environnement est principalement présent à proximité de systèmes volcaniques alcalins continentaux. Néanmoins, on trouve aussi des phosphates dans des roches telles que celles qui constituent une grande part du plancher océanique les serpentinites et dans les laves très riches en magnésium émises à l'Archéen. Or, même si la plupart des sources hydrothermales découvertes à ce jour traversent des sols basaltiques, il en existe aussi qui reposent sur des serpentinites, comme l'a montré la découverte du site de Lost City la Cité perdue en 20019. Ces sources hydrothermales, hors dorsale océanique, ne proviennent pas d'une activité volcanique. Elles sont formées de dépôts carbonatés qui résultent d'une réaction exothermique entre l'eau de mer et certains composants de la lithosphère* océanique, lors de la formation des serpentinites. Le fluide qui s'en échappe est très alcalin son pH peut dépasser 9 et relativement froid 40 à 75 °C, soit des conditions plus compatibles avec le « monde à ARN » que celles offertes par les sources hydrothermales localisées dans l'axe des dorsales, et constituées majoritairement de sulfures polymétalliques.
Alors la vie est-elle née dans l'océan au niveau des sources hydrothermales ? Rien n'est moins sûr, même si un solide faisceau de présomptions le laisse supposer. Ne proviendrait-elle pas plutôt... de l'espace ? Cette théorie alternative est soutenue par les exobiologistes, qui postulent que les premiers stades de la vie seraient apparus sur Mars10. Il n'y a pas de véritable consensus quant à l'existence passée ou présente d'un mode de vie sur la planète Rouge. Cependant, en dépit d'une forte activité volcanique lors de sa genèse, les conditions de vie sur Mars auraient été plus clémentes que celles qui existaient sur la Terre à la même période. Comme des collisions de météorites avec Mars sont vraisemblables, elles auraient pu provoquer l'éjection de matériaux de Mars jusqu'à la Terre. Devant ce panel d'explications plus ou moins invérifiables, la fuite en avant est de rigueur. Les explications repoussées vers des contrées interplanétaires, et accessibles quasi uniquement au travers de scénarios de science-fiction, sont de mise. Néanmoins, il arrive parfois que le rêve rejoigne la réalité, avec les missions interplanétaires, passées ou futures, organisées par la NASA sur Mars ou EuropeVI, VII.
Par Franck Zal
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