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MÉMOIRE ET ÉMOTION |
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Privée d'émotions, la mémoire flanche
la mémoire et l'oubli - par Martine Meunier dans mensuel n°344 daté juillet 2001 à la page 82 (1969 mots)
Emotions et souvenirs se forment dans la même partie du cerveau. Mais l'impact de cette découverte a été négligé durant le XXe siècle. Leurs relations commencent seulement à être étudiées grâce à l'émergence des neurosciences affectives.
Nos émotions jouent un rôle essentiel dans notre mémoire autobiographique. Mais l'étude des mécanismes cérébraux qui les gouvernent a longtemps été négligée par les neurosciences. Toute émotion affecte simultanément notre corps, notre comportement, nos sentiments et notre mémoire. Autant d'aspects difficiles à mesurer objectivement et à évaluer simultanément. Face à une même situation, les réponses émotionnelles varient en fonction de l'individu, de son tempérament et de son environnement physique et social. Une versatilité qui complique encore leur évaluation.
A la fin du XIXe siècle, Sigmund Freud attribuait pourtant aux émotions une influence déterminante dans le développement des individus. Le psychologue William James soulignait déjà leur importance pour le bon fonctionnement de la mémoire . « Se souvenir de tout serait aussi fâcheux que ne se souvenir de rien », insistait-il. Le cerveau doit effectuer une sélection. Il le fait en fonction de la valeur affective qu'un événement revêt pour nous. Tout au long du XXe siècle, les émotions ont conservé une place centrale au sein de la psychologie. En revanche, la compréhension de leur organisation cérébrale ne s'est imposée comme un enjeu majeur pour les neurosciences qu'au cours de ces dernières années. Cette lente évolution est bien illustrée par l'histoire de nos connaissances de deux régions présentes dans chaque hémisphère du cerveau, les lobes frontal* et temporal*. Découverte vers le milieu du XIXe siècle, leur importance pour les émotions n'a longtemps suscité qu'un intérêt marginal. A l'opposé, leur implication dans la mémoire, identifiée plus tard, a immédiatement suscité un nombre considérable de travaux.
Dès 1848, John Harlow, médecin d'une petite ville de l'Est américain, décrivait le cas spectaculaire de Phineas Gage voir l'encadré : « Comment la barre de Phineas Gage révéla le rôle du lobe frontal » et remarquait le rôle des lobes frontaux dans le contrôle des émotions. Mais la localisation cérébrale des fonctions mentales, idée largement acceptée aujourd'hui, suscitait alors de vives controverses. Elle ne s'imposera lentement qu'après la démonstration, dans les années 1860-1870, du rôle de certaines aires de l'hémisphère gauche dans le langage. En 1848, le cas de Phineas Gage fut donc plutôt perçu comme un encouragement pour la neurochirurgie balbutiante du moment. Il s'avérait en effet possible d'ôter une grosse portion du cerveau en cas de tumeur par exemple sans provoquer la mort, ni altérer aucune des fonctions psychologiques « majeures », perception, motricité, langage, intelligence, ou mémoire. Dans les décennies qui suivirent, la neurochirurgie fit d'énormes progrès, aidée, paradoxalement, par la Première Guerre mondiale et ses nombreux blessés. Le cas de Phineas Gage ne fut plus guère évoqué dans la littérature médicale. Le lobe frontal fascinait les chercheurs de la première moitié du XXe siècle, mais en tant que siège des fonctions intellectuelles « supérieures » spécifiques aux primates. Cette région du cerveau est en effet si développée chez l'homme qu'elle occupe à elle seule un tiers du cortex.
Lobotomies frontales. Lors du 2e Congrès international de neurologie, à Londres, en 1935, le neuropsychologue Carlyle Jacobsen et le neurochirurgien John Fulton présentèrent leurs travaux sur les effets d'une ablation des lobes frontaux chez des chimpanzés. Placées face à deux coupelles identiques, les deux femelles opérées, Becky et Lucy, étaient incapables de retrouver laquelle dissimulait une friandise, bien que la récompense ait été cachée sous leurs yeux quelques secondes auparavant seulement. Cette étude pionnière ouvrit la voie vers la compréhension des relations entre lobe frontal et mémoire. Jacobsen et Fulton mentionnèrent également des changements surprenants de comportement chez les animaux opérés. Lucy, à l'origine calme et tempérée, devint plus coléreuse et violente. A l'inverse, Becky, irascible avant l'opération, semblait d'une indéfectible bonne humeur après. Bien qu'apportant une nouvelle preuve du lien entre lobe frontal et émotions, ces anecdotes eurent peu de répercussions sur la recherche fondamentale. Le cas de Becky eut, en revanche, une conséquence inattendue en psychiatrie. Le neurologue portugais Egas Moniz allait, dès son retour du congrès de Londres, pratiquer des lobotomies frontales chez des patients psychotiques. Ainsi naquit la psychochirurgie, thérapeutique audacieuse consistant à ôter une partie du cerveau pour traiter les maladies mentales.
En dépit de ses effets secondaires, ce traitement radical allait rapidement être appliqué à des milliers de patients dans le monde entier. Et même valoir un prix Nobel à Moniz en 1949, avant que son usage abusif ne lui fasse une sinistre réputation, et que l'arrivée des neuroleptiques dans les années 1950 ne le rende obsolète1. Le cortex préfrontal ou partie avant du lobe frontal, celle qui fut touchée chez Gage, cible des lobotomies, allait cependant rester la structure la moins bien connue du cerveau jusque dans les années 1970 ! Les nombreux travaux suscités par les déficits d'apprentissage rapportés par Jacobsen et Fulton établiront seulement après cette date le rôle de la partie latérale du cortex préfrontal dans la mémoire de travail, celle qui nous permet de garder en tête une information, un numéro de téléphone par exemple, juste le temps de l'utiliser.
Inadaptation émotionnelle. En ce qui concerne les lobes temporaux, les premiers indices de leur implication dans les émotions remontent à des observations faites en 1888. Mais ils tombèrent dans l'oubli jusqu'à la découverte du psychologue Heinrich Klüver et du neurologue Paul Bucy de l'université de Chicago en 1938. Etudiant des singes porteurs de lésions des lobes temporaux, ces auteurs furent surpris par les comportements émotionnels inadaptés de ces animaux. Ils approchaient, manipulaient ou portaient à la bouche, de façon compulsive, tout ce qu'on leur présentait. Ils paraissaient également ne plus ressentir aucune peur, même face à un serpent. Une attitude qui leur aurait été fatale dans leur milieu naturel. En 1956, on établit que ce syndrome, dit de Klüver et Bucy, est principalement dû à l'atteinte de la région antérieure de la partie médiane du lobe temporal, celle qui contient l'amygdale2, une petite structure en amande. On ne s'interrogera plus guère ensuite sur les fonctions exactes des lobes temporaux pour les émotions. Car commence alors la saga, toujours d'actualité, de leurs relations avec la mémoire.
En 1957 et 1958, la psychologue Brenda Milner de l'institut neurologique de Montréal décrit les cas dramatiques de patients devenus amnésiques à la suite d'une ablation chirurgicale de l'un ou des deux lobes temporaux. Elle a observé cet effet inattendu chez quatre patients, deux parmi les trente opérés par William Scoville aux Etats-Unis, et à nouveau deux parmi plus de quatre-vingt-dix patients opérés par Wilder Penfield au Canada. La postérité retiendra l'un d'entre eux, qui deviendra célèbre sous les initiales H.M. Une large partie de nos connaissances actuelles sur l'organisation cérébrale de la mémoire repose sur lui. En 1953, ce jeune homme de 27 ans subit une ablation des deux lobes temporaux pour ôter le foyer d'une épilepsie très invalidante et rebelle à tout traitement médicamenteux. L'opération soulagea l'épilepsie. Mais elle provoqua une amnésie profonde qui perdure aujourd'hui.
Hippocampe. Depuis près de cinquante ans maintenant, H.M. oublie au fur et à mesure tous les événements de sa vie quotidienne. Or sa lésion, contrairement à celle de la plupart des patients opérés en même temps que lui, s'étendait au point d'inclure non seulement l'amygdale, mais aussi une large portion de l'hippocampe. Ainsi découvrait-on que l'hippocampe, dont la fonction était jusqu'alors inconnue, était en fait nécessaire pour la formation des souvenirs nouveaux. Cette découverte allait motiver un nombre considérable de travaux expérimentaux. Un intense effort qui a abouti aujourd'hui à une remarquable connaissance des bases cérébrales de la mémoire épisodique et sémantique, celles, respectivement, des événements personnellement vécus et des connaissances générales sur le monde.
En revanche, H.M. n'a jamais été l'objet d'une évaluation approfondie sur le plan émotionnel. Seules quelques anecdotes ont été rapportées à son sujet qui suggèrent un appauvrissement émotionnel, différent mais néanmoins proche de celui des singes de Klüver et Bucy, après le même type de lésion. En dehors de quelques accès d'irritabilité, H.M. a en effet été décrit d'une humeur étonnamment placide, parlant sur un ton monotone, et témoignant d'une résistance inhabituelle à la douleur, la faim ou la fatigue.
Les émotions sont aujourd'hui l'objet d'un intérêt grandissant en neurosciences, comme en témoigne la croissance exponentielle des publications dans ce domaine depuis la fin des années 1990. Ce rebondissement s'explique par la convergence d'au moins trois facteurs. En premier lieu, l'essor des neurosciences cognitives, tout au long du XXe siècle, a considérablement accru notre savoir sur le cerveau, fournissant ainsi les bases indispensables pour aborder la complexité des phénomènes affectifs. En second lieu, des perspectives entièrement nouvelles ont émergé grâce à de récents progrès techniques. Notamment, l'imagerie fonctionnelle nous donne aujourd'hui la possibilité de voir le cerveau humain normal en action, alors qu'autrefois nous devions nous contenter des indices fournis par le cerveau lésé. Enfin, plusieurs chercheurs contemporains, ouvrant la voie des neurosciences affectives, ont su réactualiser l'idée ancienne selon laquelle les émotions sont en réalité la cheville ouvrière du bon fonctionnement de nombre de nos facultés, adaptation sociale, raisonnement, prise de décision, ou mémoire. Les neurosciences affectives offrent déjà un aperçu des mécanismes cérébraux qui gouvernent l'influence des émotions sur la mémoire.
Les travaux actuels concernent principalement les deux amygdales situées chacune à l'avant de la partie médiane du lobe temporal. Chez le rat, différentes équipes dont celles de Michael Davis à Yale et de Joseph LeDoux à New York, ont réussi à démonter la machinerie complexe qui contrôle les peurs conditionnées3. Il s'agit de ce phénomène, commun à nombre d'espèces, de l'escargot de mer à l'homme, par lequel un stimulus neutre associé à un événement désagréable acquiert ensuite le pouvoir de déclencher à lui seul une réaction de peur. Parmi les différents noyaux composant l'amygdale, le noyau latéral reçoit des informations des régions sensorielles comme le cortex visuel. Il les transmet au noyau central relié aux centres cérébraux qui déclenchent les réactions dites autonomes, comme l'accélération du rythme cardiaque. Ce circuit assure l'apprentissage des peurs conditionnées. Il influence des structures voisines comme l'hippocampe qui restituent les souvenirs liés à ces peurs.
Imagerie fonctionnelle. Les expériences chez le rongeur ont ouvert la voie à l'exploration du comportement plus riche des primates. Chez le singe, la destruction sélective des seules cellules des amygdales suffit à perturber l'utilisation de l'ensemble du savoir émotionnel et social des animaux4. Chez l'homme, leur importance pour la mémoire émotionnelle a été particulièrement bien démontrée par une étude utilisant l'imagerie fonctionnelle par TEP5 Tomographie par émission de positons, voir l'article de Francis Eustache. Le neuropsychologue Larry Cahill et ses collègues de l'université de Californie ont mesuré l'activité du cerveau de huit volontaires pendant qu'ils regardaient des documentaires relatant soit des événements neutres, soit des images très négatives de crimes violents, par exemple. Trois semaines plus tard, les sujets se souvenaient beaucoup mieux des films négatifs que des films neutres, reflétant l'amélioration de la mémoire par les émotions. Mais le résultat important était le suivant : plus l'amygdale située du côté droit du cerveau avait été active pendant la présentation des films, meilleurs étaient les souvenirs des films négatifs. A l'inverse, l'activité de cette amygdale ne prédisait en rien la qualité des souvenirs pour les films neutres. Cette étude fournit donc la preuve d'un lien entre l'activité de l'amygdale droite pendant l'encodage d'informations riches en émotions et leur rétention ultérieure.
En accord avec cette conclusion, les patients dont l'amygdale a été endommagée présentent une mémoire correcte mais insensible à l'effet accélérateur des émotions. A l'inverse, cet effet reste présent chez les amnésiques dont l'amygdale est intacte, ainsi que chez les personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Ces patients oublient moins les événements à forte connotation émotionnelle que les autres. Une découverte qui pourrait se révéler utile pour améliorer le soutien quotidien apporté à ces malades.
Par Martine Meunier
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NAISSANCE DES NEURONES ... |
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Naissance des neurones et mort d'un dogme
neurones à volonté - par Heather Cameron dans mensuel n°329 daté mars 2000 à la page 29 (4155 mots) | Gratuit
En quelques années, plusieurs découvertes se sont succédé qui confirment ce qui était autrefois une hérésie : des neurones continuent à naître dans le cerveau adulte des mammifères, y compris l'homme, et ce tout au long de la vie. Des perspectives thérapeutiques révolutionnaires s'ouvrent à nous. Mais de nombreux points restent à éclaircir, et notamment la relation qu'entretient cette neurogenèse avec la mémoire.
On estime généralement que tous les neurones de notre cerveau sont présents dès la naissance. Ce fait est considéré comme une caractéristique essentielle du cerveau des mammifères, et il a plusieurs conséquences importantes ; ainsi, tous les processus d'apprentissage à l'âge adulte s'organisent dans le cadre d'un cerveau anatomiquement stable, et toute mort de neurones à la suite d'une lésion ou d'une maladie entraîne un déficit permanent. Mais nous savons maintenant que ce dogme n'est pas parfaitement exact. Certains types de neurones continuent à être produits tout au long de la vie chez toutes les espèces de mammifères étudiées, y compris l'homme. L'existence de cette neurogenèse la production de nouveaux neurones pourrait modifier les théories du fonctionnement cérébral. Sa compréhension et sa maîtrise permettraient le développement d'outils thérapeutiques exceptionnels pour le traitement des lésions cérébrales ou des maladies neurodégénératives, entre autres.
La vision du cerveau adulte comme un organe anatomiquement stable trouve probablement son origine dans la différence de plasticité entre les cerveaux d'enfant et d'adulte, c'est-à-dire leurs capacités différentes à se modifier en réponse à des perturbations de l'environnement. Cliniquement, on sait depuis longtemps que le cerveau humain en développement, pendant l'enfance, se révèle beaucoup plus capable que le cerveau adulte de récupérer après une lésion. Expérimentalement, on avait constaté que les hormones ont sur le cerveau et sur le comportement des effets anatomiques permanents - des effets dits d'organisation - lorsque l'exposition a lieu pendant le développement, alors qu'elles n'exercent à l'âge adulte qu'une action réversible. Un phénomène similaire avait été observé dans le système visuel : si les signaux visuels reçus pendant la période de développement sont anormaux, le système visuel cérébral est altéré de manière définitive, alors que ces anomalies des stimuli visuels n'ont pas d'effet durable à l'âge adulte. Cette phase du développement caractérisée par une grande plasticité anatomique et comportementale est appelée période critique. Les études sur la prolifération cellulaire confortèrent cette idée d'une différence radicale entre le cerveau en développement et le cerveau adulte : il était facile d'observer des neurones en division dans le cerveau embryonnaire ou à la période postnatale précoce, mais il était extrêmement difficile d'en trouver à l'âge adulte. De plus, on pensait, sur la base de critères morphologiques, que les cellules en division que l'on parvenait à découvrir étaient des précurseurs de cellules gliales* et non de neurones.
Cette différence - qualitative en apparence - de plasticité entre le cerveau en développement et le cerveau adulte a été introduite dans les théories sur le fonctionnement du cerveau. Alors que la capacité à réparer les lésions par la régénération des cellules perdues semble comporter d'énormes avantages et que le phénomène s'observe dans de nombreux tissus, il devait exister une raison extrêmement importante pour que les neurones cérébraux ne se renouvellent pas. Les théories sur la nécessité de la stabilité du cerveau pour que les pensées et les souvenirs puissent se conserver sur toute la durée de vie se fondent sur cette idée que les neurones du cerveau adulte ne se renouvellent pas ; à l'inverse, ces théories ont renforcé la conviction selon laquelle le cerveau adulte est structurellement stable1.
C'est dans les années 1960 que l'on s'aperçut pour la première fois que de nouveaux neurones apparaissent dans le cerveau des mammifères adultes. Cette découverte est due à Joseph Altman, qui s'intéressait alors à la prolifération cellulaire induite par des lésions, dans le cerveau du rat. A l'époque, on pensait que, dans le système nerveux, seules les cellules gliales pouvaient se régénérer. Ainsi, après une lésion du cerveau, on peut observer « une cicatrice gliale ». Comme une cicatrice sur la peau, elle est due à la régénération de cellules, en l'occurrence des astrocytes*. Cependant, outre ce renouvellement glial, Altman observa d'autres cellules nouvelles qui ressemblaient davantage à des neurones. Cette observation était très surprenante car elle contredisait la théorie en vigueur depuis des dizaines d'années et selon laquelle les neurones ne sont produits que pendant une période limitée du développement.
C'est par une caractérisation morphologique que les nouvelles cellules furent identifiées comme neurones. Ceux-ci sont en effet plutôt plus volumineux que les cellules gliales, et apparaissent plus clairs qu'elles avec les colorants classiques. Ce type d'argument, bien qu'évocateur, n'est pas considéré comme concluant, surtout lorsqu'il s'agit d'une question aussi controversée que la neurogenèse chez l'adulte. Pourtant, il y avait effectivement naissance de nouveaux neurones dans le cerveau des mammifères adultes. C'était seulement difficile à prouver. Vers la fin des années 1970 et dans les années 1980, les chercheurs purent montrer que des cellules nées dans le cerveau du rat adulte possédaient des synapses, ces connexions spécialisées qui n'existent qu'entre neurones. C'était la preuve de la naissance de nouveaux neurones, mais la technique de recherche des synapses sur les cellules nouvellement apparues prenait un temps considérable, et le nombre de nouveaux neurones identifiés était extrêmement faible, à peine deux ou trois cellules par cerveau. Du coup, il était facile de considérer la neurogenèse chez l'adulte comme un phénomène négligeable, peut-être un processus ancestral hérité du cerveau des lézards ou des oiseaux, chez lesquels la neurogenèse à l'âge adulte est relativement abondante. Ces dernières années, néanmoins, les techniques immunohistochimiques ont révolutionné de nombreux domaines de la biologie. Elles permettent l'identification de centaines de types cellulaires, y compris les neurones et les cellules gliales, en fonction des protéines particulières qu'ils expriment, au moyen d'anticorps auxquels sont fixés un marqueur visible, par exemple une molécule fluorescente. Avec des marqueurs spécifiques, on a pu observer au début des années 1990 de très nombreux neurones nouveau-nés dans le cerveau adulte. Cette technique a permis une analyse quantitative du nombre de ces nouveaux neurones, et on a ainsi pu étudier les modifications de la production neuronale en réponse à divers traitements expérimentaux.
Nier la neurogenèse devenait impossible. Depuis, elle a été décrite chez toutes les espèces de mammifères étudiées, et notamment chez le rat, la souris, la musaraigne, les primates du Nouveau Monde et ceux de l'Ancien Monde, dont l'homme2, 3. Il apparaît également que cette neurogenèse concerne des zones cérébrales plus étendues qu'on ne le pensait encore très récemment. En effet, on crut tout d'abord que les seuls neurones dotés de cette capacité de renouvellement étaient les cellules granulaires ou simplement « grains » du bulbe olfactif et de la région du g yrus dentatus ou corps godronné de l'hippocampe p. 33. Mais Elizabeth Gould, de l'université de Princeton, a mis en évidence dans un article publié en octobre dernier une production de nouveaux neurones dans certaines régions précises du cortex des primates4. Cette découverte est extrêmement intéressante, non seulement parce que le cortex intervient dans les processus cognitifs dits de haut niveau, bien développés chez l'homme et les autres primates, mais aussi parce qu'elle donne à penser que de nouveaux neurones pourraient apparaître dans d'autres régions du cerveau des mammifères qui n'ont pas encore été examinées d'assez près.
Malgré tout, le vieux dogme n'est pas entièrement faux. Il semble bien que, dans leur grande majorité, les neurones du cerveau adulte aient été produits aux alentours de la naissance. Et, s'il n'est pas actuellement possible d'exclure une poursuite de la neurogenèse dans d'autres régions cérébrales, il ne semble pas que ce renouvellement tout au long de la vie puisse concerner tous les types de neurones. Dans l'hippocampe, qui a été étudié de manière très approfondie, il paraît clair que si les cellules granulaires se reproduisent à l'âge adulte, ce n'est pas le cas des autres populations neuronales de la région. Il en va de même du bulbe olfactif. D'après les connaissances actuelles, il semble donc que seuls certains sous-types de neurones se régénèrent à l'âge adulte, même dans les régions dites neurogènes. Aujourd'hui encore, on ne sait pratiquement rien de l'identité des nouveaux neurones corticaux, on ignore notamment s'ils appartiennent ou non à un seul sous-type neuronal.
Il semble également probable qu'on ne découvrira pas de neurogenèse dans toutes les régions cérébrales. La récente étude sur le néocortex des primates a mis en évidence des neurones nouveaux dans trois régions du cortex associatif les zones préfrontale, temporale inférieure et pariétale postérieure ; en revanche, malgré un examen attentif, il n'a été observé aucun renouvellement dans le cortex strié. Ce résultat est particulièrement intéressant, car le cortex associatif joue un rôle important dans les fonctions cognitives de haut niveau, alors que le cortex strié intervient dans le traitement des informations d'origine visuelle. Cette différence donne à penser que la neurogenèse pourrait jouer un rôle clé dans des fonctions plastiques par essence, alors qu'elle serait sans objet pour des fonctions de bas niveau comme le traitement des données sensorielles, qui sont en général stables tout au long de la vie. Cette idée cadre bien avec ce que l'on sait de la neurogenèse dans le reste du cerveau. Ainsi, il a récemment été démontré que l'apprentissage olfactif a lieu au sein du bulbe olfactif et fait intervenir les neurones granulaires, et on sait par ailleurs depuis longtemps que l'hippocampe est une région importante pour l'apprentissage et la mémoire. On notera néanmoins que si leur localisation incite à penser que les neurones apparus à l'âge adulte peuvent jouer un rôle dans les processus d'apprentissage et de mémoire, rien n'indique qu'ils aient effectivement une fonction. Cela ne veut pas dire qu'ils ne soient pas fonctionnels ; cela traduit seulement les difficultés techniques qui empêchent de recueillir les informations nécessaires. En effet, il est difficile de caractériser les neurones nouveau-nés par l'électrophysiologie, car celle-ci ne permet absolument pas de déterminer l'âge d'une cellule vivante. Les études comportementales sur la neurogenèse à l'âge adulte sont également délicates parce que les manipulations utilisées pour inhiber la neurogenèse perturbent aussi le fonctionnement des autres neurones et des cellules gliales, et qu'il est donc impossible d'établir le lien direct qu'elle pourrait avoir avec une modification comportementale. Surmonter ces obstacles techniques est un enjeu essentiel, car la fonction de la neurogenèse à l'âge adulte est certainement la question qui suscite le plus d'intérêt.
Bien qu'on ne sache pas grand-chose de la fonction des neurones apparus à l'âge adulte, de nombreux travaux ont permis d'élucider plusieurs aspects de leur prolifération, de leur différenciation et de leur survie. C'est dans le gyrus dentatus que la neurogenèse à l'âge adulte est la mieux connue ; jusqu'à présent, cette région est aussi la seule où une neurogenèse ait été observée chez l'homme adulte. Le nombre des neurones qui y apparaissent est loin d'être négligeable, puisqu'il suffit à renouveler plusieurs fois toute la population des neurones granulaires au cours de la vie d'un rongeur. Cependant, cette production de nouveaux neurones ne paraît pas répondre à un modèle de simple renouvellement, dans lequel des cellules neuves viendraient remplacer les neurones qui meurent. Ainsi, certains neurones granulaires persistent pendant toute la vie de l'animal, alors que d'autres n'ont qu'une brève durée de vie. Les nouveaux neurones pourraient augmenter l'effectif de la population totale, ou bien remplacer les cellules qui meurent sans modifier l'effectif total, et la neurogenèse pourrait donc avoir pour objet de modifier soit l'effectif de cette population, soit l'âge moyen des neurones qui la constituent. Par ailleurs, le rythme de production des neurones n'est pas constant, mais modulé en permanence par des signaux provenant des milieux interne et externe. Peut-être sera-t-il possible de se faire une idée de la fonction des nouveaux neurones à partir de la compréhension des facteurs qui contrôlent la neurogenèse. En ce qui nous concerne, nous avons découvert que deux facteurs contrôlant la neurogenèse dans le gyrus dentatus chez l'adulte jouent tous deux un rôle important dans les processus hippocampiques d'apprentissage et de mémoire, une relation que nous allons détailler maintenant.
Le premier de ces facteurs est le stress, qui réduit la production de nouveaux neurones granulaires5. Le fait a été démontré par deux tests classiques, chez des primates installés dans la cage d'un mâle qui ne leur était pas familier et chez des rats exposés à l'odeur d'un prédateur. Ces effets du stress sur la prolifération cellulaire sont dus à la modification de la concentration d'hormones : les corticoïdes6. Cette observation a été confirmée par l'ablation des glandes surrénales situées au-dessus des reins, comme leur nom l'indique, elles produisent la principale de ces hormones. Elle entraîne une augmentation de la production de nouveaux neurones. Comme les concentrations d'hormones corticoïdes évoluent selon un cycle diurne, la production de nouveaux neurones varie sans doute au cours de la journée, passant par un minimum au réveil et par un maximum douze heures plus tard. Il est probable que des facteurs de stress mineurs et de courte durée ralentissent la neurogenèse pendant plusieurs heures, alors que le stress chronique pourrait la bloquer pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois. Quel sens donner à ces résultats ? On considère souvent le stress comme quelque chose de négatif. Cependant, toute expérience nouvelle s'accompagne d'une élévation des concentrations d'hormones corticoïdes et d'autres signes de stress léger, phénomènes qui sont en fait importants pour l'apprentissage qu'impliquent ces situations nouvelles. Pourquoi ralentir la production de nouveaux neurones dans l'hippocampe pendant ce genre de situations ? Il semble que la survie des nouveaux neurones soit meilleure pendant les phases d'apprentissage. Il est donc possible qu'un ralentissement de leur production soit nécessaire pour éviter toute surpopulation.
Dans les processus hippocampiques d'apprentissage, un autre signal important est la liaison d'un neurotransmetteur, le glutamate, à un récepteur appelé NMDA7. Si les récepteurs NMDA sont bloqués, les rats sont incapables d'améliorer leurs performances aux tests de mémoire spatiale faisant intervenir l'hippocampe, comme la classique localisation d'une plate-forme immergée dans une piscine. Le blocage des récepteurs NMDA accroît la production de neurones granulaires et, à l'inverse, une activation de ces récepteurs réduit la production de ces neurones. Paradoxalement, les cellules en cours de division ne portent pas de récepteurs NMDA. Comment le glutamate exerce-t-il son action ? Il pourrait contrôler indirectement la prolifération par l'intermédiaire de signaux provenant des neurones granulaires matures. Ceux-ci émettraient en fait des signaux différents commandant aux cellules précurseurs de se diviser, lorsque leurs récepteurs NMDA sont inactifs. Par ailleurs, de nouvelles données montrent que d'autres neurotransmetteurs, comme la sérotonine et les opiacés, contrôlent eux aussi la prolifération des précurseurs des neurones granulaires ; on est donc conduit à penser que le niveau global d'activité des neurones granulaires matures pourrait contrôler la production des nouvelles cellules. Il existe un autre argument allant dans ce sens : la destruction d'un petit nombre de neurones granulaires matures active aussi la prolifération de leurs précurseurs8. Or les neurones granulaires morts sont inactifs, extrêmement, ce qui cadre avec l'idée selon laquelle une baisse d'activité de ces neurones serait le signal d'une augmentation de la production de nouveaux neurones. On aboutit à un modèle dans lequel les neurones granulaires actifs, dont on peut supposer qu'ils fonctionnent correctement, s'opposent à la production de nouveaux neurones, alors que les neurones silencieux parce qu'ils sont malades ou parce qu'ils ne participent pas à des circuits utiles ou importants déclenchent la production de nouveaux neurones destinés à prendre leur place.
La mise en évidence de la neurogenèse chez l'être humain adulte a suscité des espoirs considérables. La perspective de réparer le cerveau, ou de lui offrir des cures de rajeunissement a été évoquée à de multiples reprises. Qu'en est-il aujourd'hui ?
On a trouvé des neurones nouveau-nés dans l'hippocampe chez les plus âgés des rats et des singes étudiés, et chez des êtres humains jusqu'à l'âge de 72 ans. Mais le nombre de ces nouveaux neurones chute jusqu'à 10 % à peine de la production qu'on observe chez l'adulte jeune. Cette baisse liée à l'âge pourrait s'expliquer par le fait que les précurseurs immatures dotés de la capacité de division et de production de nouveaux neurones persisteraient plus longtemps dans cette région que dans la plupart des autres, mais finiraient malgré tout par mourir. Toutefois, nous avons récemment découvert que, si l'on supprime les corticoïdes surrénaliens chez des rats âgés, la prolifération retrouve le même niveau que chez les adultes jeunes9. Or, les concentrations de corticoïdes sont élevées chez les rats âgés. Ces hormones paraissent donc être responsables de la baisse de la neurogenèse avec l'âge. Fait intéressant, on observe chez certains êtres humains âgés un niveau élevé ou croissant d'hormones corticoïdes, et ce groupe de personnes est beaucoup plus affecté par ce qu'on appelle les pertes de mémoire bénignes de la sénescence liées au vieillissement normal qui diffèrent de celles liées, par exemple, à la maladie d'Alzheimer10. On pense que les pertes de mémoire en question sont liées à la formation hippocampique, où justement la production de neurones granulaires diminue11. Il est donc possible qu'elles soient liées à la diminution de la neurogenèse. A l'heure actuelle, cette relation n'est qu'une corrélation, mais la possibilité - fascinante - existe qu'un abaissement des taux de corticoïdes chez les personnes âgées puisse relancer la neurogenèse et corriger leurs troubles de la mémoire.
Des modifications de la neurogenèse interviennent peut-être aussi dans d'autres troubles hippocampiques comme la maladie d'Alzheimer, les pertes de mémoire consécutives aux accidents vasculaires cérébraux, ou l'épilepsie12 . Si ces hypothèses se vérifiaient, une normalisation de la prolifération des neurones granulaires pourrait contribuer à guérir ces différentes maladies cérébrales. Mais il y a plus encore : on saura peut-être un jour provoquer une régénération dans des populations neuronales qui ne se renouvellent pas normalement, ce qui permettrait de remplacer dans l'ensemble du cerveau les cellules perdues à la suite de lésions ou de maladies. Cependant, rien n'indique encore qu'il soit possible de forcer à se renouveler des neurones qui ne le font pas normalement chez l'adulte. A cette fin, il faudrait tout d'abord comprendre pourquoi la plupart des neurones ne se reproduisent pas à l'âge adulte. On pourrait ainsi se demander quelles sont les caractéristiques communes à ceux qui conservent au contraire cette capacité. A plusieurs égards, ces sous-types de neurones sont très différents les uns des autres. Les neurones granulaires du bulbe olfactif sont inhibiteurs, alors que ceux de l'hippocampe sont excitateurs. Dans le bulbe olfactif, ce sont des interneurones, renvoyant des signaux aux cellules qui leur ont adressé des messages, alors que les grains du gyrus dentatus sont des neurones projectifs, qui envoient des axones véhiculant le principal signal d'entrée des neurones pyramidaux de l'hippocampe. Les neurones corticaux nouveau-nés ont un axone, mais on ne sait pas encore s'ils sont excitateurs ou inhibiteurs, ou s'il en existe des deux types. Néanmoins, ces deux populations possèdent des points communs, le plus manifeste étant bien entendu leur dénomination : cellules granulaires, ou grains. Dans les deux cas, ils furent baptisés par les anciens anatomistes en raison de leur corps cellulaire arrondi et très petit. En outre, ces deux types cellulaires ont tous les deux un arbre dendritique relativement simple, peu ramifié, c'est-à-dire une structure probablement plus facile à produire dans le cerveau mature où l'espace libre est bien moins abondant que dans le cerveau en développement.
Il est possible que les précurseurs neuronaux persistant dans le cerveau adulte n'aient que des possibilités limitées et ne puissent se différencier que pour donner des neurones dotés seulement de ces structures élémentaires. Pourtant, même des cellules immatures transplantées à partir d'un cerveau embryonnaire se révèlent incapables de produire des neurones dans des régions du cerveau adulte où il n'y a pas normalement de neurogenèse. Il existerait donc, dans ces régions particulières, des signaux contrôlant quels types de neurones pourront, ou non, se régénérer à l'âge adulte. De tels signaux existent pendant le développement. Produits au moment voulu et provenant de diverses localisations, ils sont essentiels au développement morphologique des neurones et à l'établissement de leurs connexions, mais ils sont presque certainement absents dans la plus grande part du cerveau adulte. En effet, avec la maturation du système nerveux, les neurotransmetteurs de l'embryogenèse et de l'enfance sont remplacés par ceux de l'âge adulte. Point intéressant, le développement des deux populations de neurones qui se régénèrent à l'âge adulte commence très tard ; les premiers neurones granulaires des deux types apparaissent deux jours avant la naissance chez le rat, à un moment où cesse la production de la plupart des autres neurones. Ce détail est peut-être important, parce que cela signifie que les signaux nécessaires au développement de ces cellules proviennent probablement de neurones relativement matures, qui pourraient persister à l'âge adulte.
Malheureusement, on sait actuellement très peu de chose sur les signaux qui commandent normalement la différenciation et l'intégration en réseaux de la plupart des neurones. Dans le gyrus dentatus adulte, les nouveaux neurones granulaires envoient leur axone en direction des bonnes cellules cibles les cellules pyramidales CA3, et les connexions s'établissent assez rapidement - dans les quatre à dix jours après la fin de la division cellulaire13. Il ressort par ailleurs que cette intégration en circuits est essentielle à la survie des nouveaux neurones ; chez le rat de laboratoire normal, la moitié environ des neurones granulaires nouveau-nés meurent entre une et deux semaines après leur apparition, mais le taux de survie est beaucoup plus élevé si on soumet les rats à des tâches d'apprentissage. Cet effet ne s'observe que si les tâches en question font intervenir l'hippocampe, et s'il y a apprentissage véritable, et non pas seulement activation hippocampique. Peu après la connexion des nouvelles cellules à d'autres neurones, une activation spécifique des circuits ainsi établis est donc probablement nécessaire pour que les nouveaux neurones survivent. Comme l'activation des récepteurs NMDA est un élément essentiel de l'apprentissage hippocampique, il est probable que ces récepteurs sont importants pour la survie et pour la production de nouveaux neurones granulaires dans le gyrus dentatus . Serait-ce l'un des signaux recherchés ? Quoi qu'il en soit, pour remplacer les neurones disparus partout dans le cerveau, il faudra résoudre le problème complexe consistant à fournir tous les signaux nécessaires à leur bonne maturation morphologique et à leur intégration spatiale et temporelle.
Outre le fait qu'elle ouvre des perspectives en matière de réparation du cerveau, la neurogenèse à l'âge adulte modifie la manière dont il faut envisager le fonctionnement normal du cerveau. Depuis quelques années, on observe de plus en plus de signes de plasticité anatomique du cerveau adulte, à plusieurs niveaux, et notamment en ce qui concerne la forme et le nombre des synapses. Cependant, certains scientifiques tiennent encore pour une forme très rigoureuse d'hypothèse du cerveau stable, selon laquelle il n'y aurait aucune plasticité anatomique du cerveau adulte, et notamment du cortex ; ils estiment que la plasticité fonctionnelle qui sous-tend les mécanismes d'apprentissage suppose des modifications de la force des synapses, produites par une modification des récepteurs ou de l'environnement intracellulaire des neurones, au niveau moléculaire. Mais on sait désormais que certains neurones de régions importantes dans les processus d'apprentissage se renouvellent continuellement - ce qui constitue une modification anatomique relativement importante. Les populations de neurones où persiste une neurogenèse échangent toutes des informations avec d'autres populations considérées comme stables pendant toute la vie. Le remplacement de ces sous-populations disséminées signifie que des populations neuronales stables interagissent continuellement avec des populations qui ne cessent de changer, et que les neurones à longue durée de vie doivent établir de nouvelles synapses, ce qui modifie probablement la forme de leur arborescence dendritique. On a observé une formation et une disparition rapide des synapses au niveau des cellules pyramidales de l'hippocampe, mais il est probable que le même phénomène se produise aussi dans d'autres régions cérébrales. Même les populations non neurogènes pourraient donc être moins fixes morphologiquement qu'on ne le pensait auparavant. On est donc conduit à imaginer un modèle complexe de la plasticité cérébrale, dans lequel différentes sous-populations neuronales interagissent et font intervenir des types de plasticité différents, concernant l'expression des protéines, la morphologie cellulaire ou le renouvellement des neurones.
Ce modèle s'oppose à l'hypothèse d'un cerveau anatomiquement stable, mais il n'entre pas forcément en contradiction avec l'idée selon laquelle une population stable de neurones serait nécessaire à la conservation des souvenirs à long terme. Après tout, l'expérience nous apprend que le cerveau est performant pour garder des souvenirs sur des dizaines d'années, mais qu'il sait aussi bien oublier. Notre cerveau reçoit chaque jour tant d'informations nouvelles qu'il est absolument essentiel de les trier et d'éliminer des données sans importance ou dont nous n'avons plus besoin. On ne sait pratiquement rien de la manière dont s'effectuent ces processus, mais il est intéressant de rappeler que l'une des fonctions attribuées à l'hippocampe serait celle de transformer les souvenirs à court terme en souvenirs durables. Il est possible que les neurones à longue durée de vie, peu plastiques, soient essentiels pour la mémoire à long terme, ainsi que pour des fonctions sensitives et motrices qui n'ont pas besoin de changer beaucoup à l'âge adulte, alors que les neurones qui régénèrent interviendraient dans les processus rapides d'apprentissage et de mémoire à court terme.
Par Heather Cameron
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ÉVEIL DE LA PERCEPTION |
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L'éveil de la perception
Dossier spécial cerveau - par Olivier Houdé, Grégoire Borst dans mensuel n°477 daté juillet 2013 à la page 46 (2113 mots) | Gratuit
Comment le bébé perçoit-il son environnement ? Et comment, à partir de ces informations, construit-il le réel, selon l'expression de Jean Piaget, de l'université de Genève ? Au-delà de la simple perception du monde, le jeune enfant doit en effet utiliser des outils cognitifs pour apprendre à penser et à mémoriser de façon cohérente le monde perçu : réaliser des opérations de catégorisation (pour définir les qualités des objets), de dénombrement (quantité d'objets) et de raisonnement (inférer, déduire, etc.).
Ces capacités naissantes sont explorées par les psychologues. Lesquels ne cessent, depuis quelques années, de révéler l'étendue des compétences des tout-petits. Des découvertes récentes en sciences cognitives indiquent, par exemple, que très tôt, avant même l'apparition du langage (soit avant deux ans), les bébés font déjà des statistiques pour comprendre et anticiper les événements qu'ils perçoivent.
Mais en amont de ces capacités, des goûts, des odeurs et des sons animent déjà la vie du foetus ! Dès trois mois après la fécondation et alors qu'il ne mesure que 10 centimètres environ, ce dernier commence, dans le ventre de sa mère, à découvrir les saveurs et les odeurs à travers le liquide amniotique qu'il avale par la bouche, qu'il déglutit en partie et qu'il souffle par le nez. Une carte perceptive des goûts et des odeurs, associée sans doute aux toutes premières émotions, se met ainsi en place dans le cerveau en construction. Cette carte prénatale va orienter les préférences postnatales du bébé. C'est l'aube des sens. Il en est de même pour les sons. On sait que les foetus perçoivent partiellement et mémorisent les voix familières et la musique. Quant à la vision, elle ne se mettra réellement « au point » qu'après la naissance, lors de l'ouverture des yeux sur le monde des objets tridimensionnels. Le regard du bébé gagnera alors en acuité au fil des mois. Mais avant la naissance, déjà sensible aux ombres et aux nuances dans la forte lumière, le système visuel du foetus, comme tous les autres systèmes sensoriels et perceptifs, se prépare déjà.
Capacités des prématurés
Dans ce domaine d'étude des tout débuts de la vie, les découvertes scientifiques récentes ont porté sur l'observation des capacités des prématurés, ces bébés nés un peu ou beaucoup trop tôt, auxquels les meilleurs soins sont aujourd'hui prodigués dans les services de néonatalogie. L'observation des prématurés offre aux psychologues qui se rendent à leur chevet une fenêtre temporelle exceptionnelle pour mesurer « en avant-première » les mécanismes perceptifs par lesquels le monde vient aux bébés. C'est ainsi que deux expériences ont montré récemment que le monde des formes et des sons vient très tôt à l'esprit des bébés et que leur cerveau, non encore achevé, travaille déjà avec finesse et subtilité.
Édouard Gentaz, du CNRS à Grenoble, et ses collaborateurs ont ainsi étudié comment deux mois avant le terme, c'est-à-dire à sept mois de grossesse, des bébés sont déjà capables d'apprendre à reconnaître des formes géométriques par le toucher [1]. Dans cette étude, les chercheurs ont utilisé une méthode expérimentale simple qui s'appuie sur un principe universel : le désintérêt progressif que nous manifestons pour un objet familier et le regain d'attention que nous marquons pour un objet nouveau.
Les psychologues ont d'abord placé dans une main de chaque bébé un petit objet en forme de prisme ou de cylindre. Dès que le bébé lâchait l'objet, les psychologues le lui remettaient dans la main et mesuraient la durée pendant laquelle il le conservait. Ils ont ainsi observé qu'au fil des essais le bébé gardait l'objet de moins en moins longtemps.
Pour vérifier que cela n'était pas dû à la fatigue, ils ont ensuite présenté à la moitié des bébés un objet de forme différente, et à l'autre moitié le même objet. Résultat : les bébés confrontés au nouvel objet l'ont tenu plus longtemps que celui qu'ils connaissaient déjà. En revanche, le temps de tenue des autres bébés n'a pas augmenté.
Cela prouve que ces prématurés savent distinguer deux objets de formes différentes avec leurs mains. Il ne s'agit pas de simples réflexes, mais d'un apprentissage par habituation et réaction à la nouveauté. Les performances de ces prématurés ont ensuite été comparées avec celles de bébés nés à terme. Or leurs aptitudes manuelles étaient similaires, que ce soit avec la main droite ou avec la main gauche. Seule différence : les prématurés se désintéressaient plus rapidement de l'objet, probablement en raison d'une fatigue cognitive due à leur état.
Pour cette expérience d'exploration tactile, les régions sensorimotrices du cortex cérébral suffisent, en l'occurrence celles liées à la discrimination par le toucher. On sait qu'elles sont les premières zones du cerveau à arriver à maturation, bien avant les régions préfrontales, liées au contrôle cognitif élaboré. Cette étude montre donc que ces régions sensorimotrices sont fonctionnelles à sept mois de grossesse. Chez les prématurés nés deux mois avant le terme, les fondements neurocognitifs de la catégorisation des formes, voire de la géométrie, sont ainsi déjà en construction. Une découverte précieuse pour les professionnels de néonatalogie : ils pourront facilement reproduire ce type d'exercice actif d'apprentissage pour éveiller l'intelligence de ces bébés, à condition de ne pas trop les fatiguer.
Réseau du langage
L'équipe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale de Ghislaine Dehaene à NeuroSpin près de Paris, est, quant à elle, parvenue à visualiser l'activité du cerveau de bébés prématurés, de deux à un mois avant le terme, lors d'une tâche de discrimination auditive de syllabes [2]. Pour ce faire, les chercheurs ont utilisé au chevet des prématurés un équipement de spectroscopie proche infrarouge, qui permet d'observer l'activité cérébrale de très jeunes enfants en contextes naturels. Bien que le cerveau soit loin d'être mature à cet âge, les résultats ont révélé chez le prématuré l'activation d'un circuit du cortex semblable au réseau adulte du langage, avec une spécialisation déjà en place dans l'hémisphère gauche.
Grâce à ce réseau neuronal, ces bébés, y compris les prématurés très jeunes de l'échantillon (vingt-neuf semaines de gestation), sont capables de discriminer finement les changements de phonèmes (ba ou ga) et de voix humaines (une voix masculine ou féminine). De fait, les variations de ces stimulations ont pu être corrélées avec l'activité de régions frontales inférieures situées à l'avant de leur cerveau. Enfin, les résultats de l'étude montrent que ces deux types de changements (phonèmes et genre de la voix) mobilisent des régions frontales droites, alors que seul le cortex frontal gauche s'active spécifiquement pour la discrimination de phonèmes.
Ce dernier point confirme la mise en place extrêmement précoce d'une spécialisation à gauche pour la perception de stimuli linguistiques dans le cerveau humain. Le résultat remarquable de cette étude est aussi que la partie frontale du cerveau du tout-petit travaille déjà pour catégoriser sélectivement les informations du monde sonore. Une surprise. Car on pensait jusqu'à présent que cette partie avant du cerveau n'entrait en action que bien plus tardivement au cours du développement cognitif de l'enfant.
Depuis plusieurs décennies, les psychologues du bébé ont déjà démontré, au niveau comportemental, que durant la première année de la vie les nourrissons sont beaucoup plus intelligents que ne l'avait imaginé Piaget. Bien avant l'apparition du langage articulé (vers l'âge de 2 ans), il est aujourd'hui établi, par l'étude des réactions visuelles des bébés, qu'ils comprennent très tôt des principes élémentaires d'unité et de permanence des objets, de nombre, ainsi que de causalité physique ou mentale. Dans le prolongement de ces découvertes, un nouveau courant a récemment émergé, considérant le bébé comme un véritable petit scientifique qui fait des statistiques pour comprendre et anticiper les événements qu'il perçoit. Ce serait donc par les statistiques que le monde vient aux bébés ! Et pas n'importe quelles statistiques : celles au nom barbare de principes « bayésiens ».
Capacité d'abstraction
C'est la psychologue américaine Alison Gopnik, de l'université de Californie, à Berkeley, qui est le principal chef de file de ce nouveau courant de recherche [3]. Selon elle, les bébés et les jeunes enfants sont des statisticiens bayésiens, autrement dit des petits penseurs qui déjà imaginent des structures abstraites à partir des données perceptives de leur environnement. Ainsi, les bébés détectent des motifs statistiques et les utilisent pour tester des hypothèses, c'est-à-dire des attentes assez précises qu'ils ont à propos des objets et des personnes.
Par exemple, en utilisant une technique de réactions visuelles, Fei Xu, de l'université de Colombie-Britannique à Vancouver, a montré que des bébés de 8 mois sont sensibles à des motifs statistiques dans une expérience avec des balles de ping-pong [4]. L'expérimentatrice montrait aux bébés une grande boîte remplie de balles blanches et rouges. Ensuite, elle fermait les yeux et prenait au hasard quelques balles de la boîte pour les disposer dans une autre boîte, plus petite, à côté [fig. 1]. Si l'échantillon tiré était réellement aléatoire, alors la distribution des balles dans la petite boîte devait correspondre à celle de la grande boîte.
Après le tirage, les bébés voyaient un échantillon de balles dans la petite boîte qui, selon les conditions expérimentales, soit correspondait à la distribution probabiliste (événement statistiquement attendu), soit n'y correspondait pas (événement non attendu). Résultat : quand l'événement perceptif était non conforme aux probabilités, les bébés étaient surpris et regardaient plus longtemps la scène. Ils ont donc perçu l'erreur et détecté la transgression du motif statistique. Dans une condition contrôle, les bébés voyaient exactement la même séquence d'actions mais l'expérimentatrice tirait les balles de sa poche et non de la grande boîte. Dans ce cas, aucune réaction de surprise n'a eu lieu.
Un autre groupe de chercheurs, dont Vitorrio Girotto, du CNRS à l'université d'Aix-Marseille, a également confirmé que les bébés possèdent dès 12 mois d'étonnantes capacités de raisonnement probabiliste lors de la perception de configurations complexes d'objets en mouvement [5]. D'autres études encore, menées dans le même esprit, ont révélé que les bébés utilisent déjà des motifs statistiques pour tester des hypothèses à propos de séries d'images, de phrases parlées, etc. Il y a donc bien de véritables petits statisticiens cachés dans les berceaux ! Et c'est grâce à ce cerveau « proto-mathématique » - en apparence passif mais très actif et lucide - que le monde vient aux bébés.
Marqueur de la conscience
Lucidité ? Oui. De fait, Sid Kouider, du CNRS et de l'École normale supérieure de Paris, avec l'équipe de Ghislaine Dehaene, vient de montrer que le bébé possède dès 5 mois une conscience perceptive proche de celle de l'adulte : il présente en effet un marqueur électrophysiologique de la conscience analogue au nôtre [6]. Comme l'adulte - et avant même qu'il ne puisse s'exprimer par le langage -, son cerveau répond en deux temps à la perception d'un événement extérieur.
Dans un premier temps, il traite les informations de façon non consciente, ce qui se caractérise par une activité neuronale linéaire proportionnelle à la durée de présentation de l'événement. Puis, dans un second temps, la réponse neuronale n'est plus linéaire, signal que le seuil de la conscience est franchi. Cette seconde étape est atteinte en 300 millisecondes (ms) environ chez l'adulte, contre 900 ms chez le bébé de 5 mois, et 750 ms chez celui de 15 mois. Démontrer un tel phénomène chez des bébés qui ne parlent pas encore était un véritable défi scientifique. Les chercheurs l'ont relevé en présentant aux bébés des images de visages plus ou moins visibles. L'accès conscient à ces images a été indirectement mesuré par la technique des potentiels évoqués cérébraux dont on connaissait déjà très bien la séquence temporelle chez l'adulte.
Erreurs de raisonnement
Il y a toutefois un paradoxe. Si, comme on vient de le voir, le cerveau des prématurés est déjà prêt, avant terme, à rapidement travailler et qu'ensuite, dès la première année de vie, les bébés perçoivent le monde de façon aussi lucide, intelligente et scientifique, alors pourquoi les enfants plus grands à l'école et même les adultes font-ils autant d'erreurs systématiques de raisonnement logique ? Comme Piaget l'avait bien identifié chez les enfants d'âge préscolaire et scolaire et, après lui, le Prix Nobel Daniel Kahneman, de l'université de Princeton, chez les adultes, notre cerveau raisonne le plus souvent de travers, obéissant davantage à des biais heuristiques ou à des intuitions perceptives qu'aux règles logiques et mathématiques abstraites.
Expliquer ce paradoxe des compétences précoces et des incompétences tardives est la tâche principale de la psychologie actuelle du développement cognitif. L'une des façons de lever ce paradoxe est de considérer que le cerveau humain, notamment sa partie préfrontale, doit encore apprendre à inhiber, au cas par cas durant l'enfance et même à l'âge adulte, certains automatismes perceptifs acquis plus ou moins précocement [7]. Par conséquent, si le monde perceptif s'impose à nous très tôt dans le développement, il faut aussi apprendre à lui résister pour bien raisonner. Et cela ne va pas de soi !
Par Olivier Houdé, Grégoire Borst
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LES FOURMIS ... |
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Paris, 18 Janvier 2016
Comment les fourmis s'auto-organisent pour construire leur nid
Les fourmis construisent collectivement des nids dont la taille peut atteindre plusieurs milliers de fois celle des individus et à l'architecture parfois très complexe. Leur capacité à coordonner plusieurs milliers d'individus pour bâtir leurs nids demeure cependant une énigme. Pour comprendre les mécanismes impliqués dans ce phénomène, des chercheurs du CNRS, de l'Université Toulouse III – Paul Sabatier et de l'Université de Nantes1 ont combiné des techniques d'analyse comportementale, d'imagerie 3D et de modélisation. Leurs travaux montrent que les fourmis s'auto-organisent en interagissant avec les structures qu'elles construisent et grâce à l'ajout d'une phéromone à leur matériel de construction. Ce signal chimique contrôle localement leur activité bâtisseuse et détermine la forme du nid. Sa dégradation au cours du temps et par les conditions environnementales permet également aux fourmis d'adapter la forme de leurs nids. Ces travaux font l'objet d'une publication dans la revue PNAS le 18 janvier 2016.
Chez la fourmi noire des jardins, Lasius niger, le nid est composé d'une partie souterraine constituée par un réseau de galeries et d'un dôme en terre constitué d'un grand nombre de chambres en forme de bulles, étroitement imbriquées les unes aux autres. A l'aide de techniques d'imagerie 3D comme la tomographie aux rayons X2 et le scanner 3D, les chercheurs ont caractérisé les structures tridimensionnelles réalisées par les fourmis ainsi que la dynamique de construction. Par ailleurs, ils ont analysé les comportements de construction de ces insectes à l'échelle individuelle.
Dans la partie située au-dessus du sol, les insectes entassent leurs matériaux de construction pour former des piliers qui servent à délimiter les chambres. Les fourmis déposent préférentiellement leurs boulettes de terre dans les zones où d'autres amas ont déjà été réalisés. Elles ajoutent en effet une phéromone à leurs matériaux, ce qui incite leurs congénères à construire aux mêmes endroits et conduit à la formation de piliers régulièrement espacés. Lorsque ces colonnes atteignent une hauteur correspondant à la longueur moyenne d'une fourmi, les ouvrières façonnent alors des « chapiteaux » au sommet des piliers. Elles utilisent leur corps comme gabarit pour déterminer quand elles doivent cesser de construire verticalement et commencer à déposer des boulettes latéralement. Les fourmis disposent donc de deux types d'interactions indirectes pour édifier des architectures complexes.
Par ailleurs, la phéromone se dégrade avec le temps, plus ou moins vite selon les conditions climatiques, ce qui permet à la construction de s'adapter à l'environnement. Ainsi, dans un environnement sec, la quantité de phéromone diminue rapidement et il y a donc moins de piliers construits. Les chambres sont alors plus grandes, ce qui permet aux fourmis de s'y agréger afin de conserver le peu d'humidité. A l'inverse, dans un environnement humide, la phéromone persiste plus longtemps ce qui conduit à un nombre de piliers plus élevé et à des chambres plus petites.
Les chercheurs ont ensuite conçu un modèle mathématique en 3D de la construction du nid, obtenu grâce à l'analyse du comportement individuel des fourmis. Ce modèle montre que les deux formes d'interactions indirectes, utilisées par les fourmis pour coordonner leurs activités, reproduisent fidèlement la dynamique de construction et les structures construites lors des expériences. Il souligne également le rôle clé joué par la phéromone de construction dans la dynamique de croissance et les formes des nids.
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